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Date: 20121128

Dossier : IMM-9792-11

Référence : 2012 CF 1372

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 28 novembre 2012  

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

ROBINS STRUSBERG RAMOS

ERIKA IRENE CRESPO PAEZ et

ASHLEY STRUSBERG CRESPO,

représentée par son tuteur à l’instance,

ROBINS STRUSBERG RAMOS

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 28 novembre 2011. La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs fondées sur l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

 

Le contexte

 

[2]               Les demandeurs, le Dr Robins Strusberg Ramos, son épouse, Mme Erika Irene Crespo Paez, qui est elle aussi médecin, et leurs enfants mineurs, Ashley Strusberg Crespo et Caleb Joshua Strusberg Ramos, demandent l’asile au titre des articles 96 et 97 de la Loi. Les demandeurs sont des citoyens de la Colombie, à l’exception de Caleb, qui est citoyen des États‑Unis d’Amérique (les É.-U.).

 

[3]               Au début de 2005, des membres des Autodéfenses unies de Colombie (les AUC) avaient communiqué avec le Dr Strusberg à la clinique où il travaillait et lui avaient demandé de leur verser de l’argent pour sa protection. Il avait acquiescé et avait versé régulièrement de l’argent aux AUC. Des membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) avaient aussi communiqué avec lui au début de l’année 2005 pour lui demander qu’il leur verse, à eux aussi, des montants mensuels.

 

[4]               En octobre 2007, un dirigeant des AUC avait demandé au Dr Strusberg d’acheter 12 000 doses du médicament Glucantime. Le Dr Strusberg lui a expliqué qu’il ne pouvait pas satisfaire à sa demande, car il s’agissait d’une substance contrôlée. Les AUC lui ont dit qu’ils savaient qu’il avait soigné des membres des FARC, qu’il en avait payé certains et que les AUC le surveillaient, car il était un collaborateur des FARC. À la suite de cette visite, le Dr Strusberg a commencé à recevoir des appels de menaces de la part de membres des AUC. Ils ont continué d’insister pour qu’il leur fournisse le médicament qu’ils voulaient et lui ont aussi demandé un important versement supplémentaire. Le Dr Strusberg a satisfait à leur demande d’argent, mais a continué de recevoir des appels de menaces.

 

[5]               En décembre 2007, les demandeurs ont quitté la Colombie pour les É.‑U. Ils sont retournés en Colombie six mois plus tard en mai 2008. Les appels de menaces ont repris en juin. Des menaces explicites de violence sexuelle avaient été formulées à l’endroit de Mme Crespo et de sa fille, Ashley, ce qui a occasionné une fausse couche à Mme Crespo. Les demandeurs avaient fui aux É.‑U. en août 2008 dès que l’état de santé de Mme Crespo l’avait permis. Le Dr Strusberg retournait en Colombie tous les six mois pour renouveler son visa américain, pour qu’il puisse légalement vivre aux É.‑U. Caleb est né aux É.‑U. le 19 septembre 2009.

 

[6]               Le Dr Strusberg est retourné en Colombie en mai 2010 pour y présenter une demande de pardon relativement au statut de Mme Crespo aux É.‑U. Le 11 juin 2010, il a reçu un appel de menaces de la part des AUC. Son interlocuteur lui a dit qu’il était un ennemi des AUC et qu’il le paierait de sa vie. L’oncle du Dr Strusberg, un avocat bien en vue qui détenait des renseignements provenant de sources confidentielles, l’a avisé que sa vie était en danger. Le Dr Strusberg a fui la Colombie vers les É.‑U. le 6 juillet 2010.

 

[7]               Le Dr Strusberg est entré au Canada le 21 août 2010 et a présenté une demande d’asile le 31 août 2010. Mme Crespo et Caleb, leur enfant, l’ont rejoint le 14 septembre 2010. Leur autre enfant, Ashley, est entrée au Canada le 15 septembre 2010. Leurs demandes d’asile, qui avaient été présentées au moment de leur arrivée respective, ont toutes été jointes. 

 

La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

 

[8]               La SPR avait des doutes quant à la crainte subjective des demandeurs, puisqu’ils n’avaient pas demandé l’asile à la première occasion qu’ils avaient de ce faire aux États‑Unis ainsi qu’en raison du fait qu’ils s’étaient de nouveau réclamés de la protection de la Colombie.

 

[9]               La SPR a aussi statué que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils ne pouvaient obtenir une protection de l’État adéquate en Colombie.

 

Les questions en litige

 

[10]           Les questions en litige dans la présente affaire sont les suivantes :

                                                 

1.         La SPR a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective d’être persécutés en Colombie, parce qu’ils auraient pu et auraient dû demander l’asile aux É.‑U. et qu’ils s’étaient de nouveau réclamés de la protection de la Colombie?

 

2.         L’analyse de la SPR quant à la protection de l’État en Colombie était-elle déraisonnable?

 

La norme de contrôle applicable

 

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’y avait que deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte, en ce qui a trait aux questions de droit, et la norme de la raisonnabilité, en ce qui concerne les questions mixtes de fait et de droit ainsi que les questions de fait (Dunsmuir, aux paragraphes 50 et 53). La Cour suprême du Canada a aussi jugé que, lorsque la norme de contrôle a déjà été arrêtée, il n’est pas nécessaire de reprendre l’analyse relative à la norme de contrôle applicable (Dunsmuir, au paragraphe 62).

 

[12]           La norme de la raisonnablité s’applique à l’égard des conclusions relatives aux questions de savoir si un demandeur a établi une crainte subjective de persécution et si une personne a besoin d’être protégée (Cornejo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 261, au paragraphe 17).

 

[13]           Les questions relatives au caractère adéquat de la protection de l’État sont « des questions mixtes de fait et de droit habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable » (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 DLR (4th) 413, au paragraphe 38 (Hinzman)).  

 

Analyse

 

L’appréciation de la crainte subjective

 

[14]           La SPR a déclaré que les demandeurs d’asile authentiques sont censés demander la protection dès qu’il est pratique de le faire et qu’ils se trouvent hors de portée de leurs oppresseurs. La SPR a rejeté l’explication donnée par les demandeurs adultes pour expliquer leur omission à présenter des demandes d’asile aux É.‑U. La SPR a seulement mis l’accent sur l’explication des demandeurs quant à la raison pour laquelle ils n’avaient pas présenté de demandes d’asile aux É.‑U. : deux avocats avaient avisé les demandeurs que leurs demandes allaient être rejetées, parce qu’ils avaient donné de l’argent à des terroristes pour assurer leur protection.

 

[15]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en omettant d’examiner d’autres éléments de preuve importants. Je souscris à cette prétention. Selon la preuve dont était saisie la SPR, une fois que Mme Crespo avait décidé qu’elle ne retournerait pas en Colombie après les menaces qui lui avaient été proférées en mai 2008, elle a tenté de régulariser son statut aux É.‑U. par l’entremise du parrainage de sa mère, qui était une citoyenne américaine. Cette méthode a échoué, parce que Mme Crespo devait d’abord retourner en Colombie pour régulariser son statut, ce qu’elle n’était pas disposée à faire. Le Dr Strusberg a continué d’aller en Colombie jusqu’à ce que son oncle lui ait mentionné que sa vie était en danger et qu’il ait fui définitivement la Colombie.

 

[16]           Il fait aucun doute que la SPR n’a pas tenu compte des efforts de Mme Crespo pour régulariser son statut aux É.‑U, puisqu’elle a énoncé ce qui suit : « Je suis convaincu que, si Robins et Erika craignaient véritablement de retourner en Colombie, ils auraient fait d’autres tentatives en vue de régulariser leur statut aux É.‑U. » [Non souligné dans l’original.] Sur ce point, je suis convaincu que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que Mme Crespo avait effectivement fait des efforts supplémentaires pour régulariser son statut aux É.‑U.

 

[17]           Les demandeurs soutiennent aussi que la SPR n’a pas compris la preuve portant sur leur conduite lorsqu’ils s’étaient de nouveau réclamés de la protection de l’État. Les demandeurs prétendent que, la première fois qu’ils étaient retournés en Colombie en tant que famille, ils avaient pour but d’y revenir faire leur vie. Lorsqu’elles avaient fui la Colombie en août 2008, en raison de la reprise des appels de menaces, Mme Crespo et sa fille Ashley n’y sont jamais retournées. Le Dr Strusberg est retourné en Colombie parce qu’il voulait reprendre sa vie en Colombie et il a essayé de régler le problème. Il a finalement lâché prise lorsqu’on l’a averti que sa vie était en danger.

 

[18]           Le défendeur soutient que la SPR s’est penchée sur les tentatives des demandeurs d’obtenir un statut aux É.‑U. Cependant, de tels visas temporaires ne sauraient remplacer le statut permanent que leur conférerait l’asile. Le défendeur prétend que la SPR a saisi pourquoi les demandeurs étaient retournés en Colombie – leurs statuts de visiteurs aux É.‑U. étaient expirés et leur demande de résidence permanente à titre de membres de la catégorie du regroupement familial avait été rejetée. Cependant, le défendeur soutient que les demandeurs sont retournés de leur propre chef en Colombie, au moment de l’expiration de leur statut aux É.‑U. Ils y sont retournés à de multiples reprises et, à chaque occasion, pendant des périodes prolongées. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs, de par leur habitude à retourner en Colombie, se réclamaient de nouveau de la protection de cet État.

 

[19]           La SPR s’est fondée sur l’arrêt Caballero, Fausto Ramon Reyes c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 483 (CAF) (Caballero), qui « laisse entendre qu’une conclusion défavorable peut être tirée dans les cas où le demandeur d’asile séjourne hors du présumé pays de persécution et omet d’en profiter pour demander l’asile ailleurs, puis qu’il se réclame à nouveau de la protection de son pays ». La SPR a conclu que les actions des demandeurs ne correspondaient pas à une crainte subjective de persécution.

 

[20]           La SPR n’a pas offert de motifs quant à savoir pourquoi elle n’acceptait pas les explications des demandeurs. L’explication de la SPR amalgame le seul retour de Mme Crespo avec les nombreux retours du Dr Strusberg et ne se penche pas sur l’élément décisif pour chacun des demandeurs, soit le moment où chacun d’entre eux a réalisé qu’il était impossible de retourner en Colombie sans être exposé à la persécution.

 

[21]           La SPR a tiré ses inférences défavorables en s’appuyant sur l’arrêt Caballero, sans tenir compte du fait que la situation des demandeurs dans la présente affaire était différente de celle des demandeurs dans l’affaire Caballero. Je conclus que la SPR a, ce faisant, commis une erreur.

 

La protection de l’État

 

[22]           La SPR a conclu que les demandeurs, dans les circonstances de la présente affaire, n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante.

 

[23]           Les demandeurs prétendent que l’analyse de la protection de l’État effectuée par la SPR était totalement inadéquate, puisqu’elle a essentiellement produit un ensemble de motifs « passe‑partout », dans lequel elle s’en est tenue à des généralités à propos des mesures mises en place par l’État colombien.

 

[24]           Les demandeurs soutiennent aussi que la SPR a omis de tenir compte de plusieurs facteurs cruciaux. Ils prétendent qu’ils ont non seulement été pris pour cible de manière systématique par les AUC pendant plusieurs années, mais aussi que ce groupe a démontré sa capacité à localiser le Dr Strusberg. Les demandeurs soutiennent que la SPR n’a pas tenté de procéder à une analyse quant à la disponibilité de la protection de l’État, comme elle aurait dû le faire, à la lumière du contexte factuel dans lequel s’inscrivait le risque auquel les demandeurs s’exposaient du fait qu’ils étaient pris pour cible par les AUC.

 

[25]           Le défendeur soutient que l’analyse de la protection de l’État effectuée par la SPR n’était pas une analyse passe‑partout. Le défendeur souligne que la SPR avait le droit d’exposer les principes généraux applicables, ainsi que d’examiner la preuve documentaire relative à la protection disponible en Colombie. Le défendeur soutient que l’examen minutieux effectué par la SPR quant à ces deux éléments fait ressortir l’attention dont elle a fait preuve lorsqu’elle s’est penchée sur la question de la protection de l’État.

 

[26]           Le défendeur relève que la Cour suprême du Canada a récemment fait remarquer que des motifs ne sont pas inadéquats du fait qu’ils ne font pas référence à chacun des éléments de preuve (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 1).

 

[27]           Le défendeur soutient que la SPR n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve relatifs à l’incapacité des autorités colombiennes à protéger les personnes contre les AUC. Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils avaient précisément attiré l’attention du tribunal sur cette preuve et que l’on ne peut blâmer le tribunal de ne pas avoir tenu compte d’éléments de preuve dont l’importance n’avait pas été soulignée (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, aux paragraphes 5 à 8). Le défendeur soutient aussi que l’argument des demandeurs suppose qu’il y a renversement du fardeau de preuve quant à la protection de l’État. Ce n’est pas à la SPR d’être convaincue de l’existence de la protection de l’État; il appartient plutôt aux demandeurs de réfuter la présomption selon laquelle l’État offre une protection adéquate, au moyen d’une preuve claire et convaincante démontrant qu’ils ne peuvent se réclamer d’une protection adéquate.

 

[28]           La norme de contrôle applicable aux décisions relatives à la protection de l’État est la raisonnabilité. La Cour ne devrait pas modifier la conclusion de la SPR selon laquelle la protection de l’État était adéquate, à moins qu’il ne soit démontré que la décision ou l’ordonnance de la SPR était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. (Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, alinéa 18.1(4)d).

 

[29]           Il existe une présomption d’existence de la protection de l’État, et il incombe au demandeur de produire une preuve claire et convaincante pour réfuter cette présomption. La jurisprudence de la Cour établit clairement qu’en absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’un État est en mesure de protéger ses citoyens (Pacasum c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 822, au paragraphe 19). Pour réfuter cette présomption, un demandeur doit produire une preuve claire et convaincante de l’insuffisance ou de l’inexistence de la protection de l’État (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Carrillo, 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636, au paragraphe 38).

 

[30]           Il ressort aussi manifestement de la jurisprudence sur la protection de l’État que la capacité d’un État de protéger ses citoyens n’a pas à être parfaite (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, (1992), 99 DLR (4th) 334, 18 Imm LR (2d) 130, au paragraphe 7).  

 

[31]           En l’espèce, la preuve démontre clairement que les demandeurs n’ont jamais sollicité la protection de l’État en Colombie. La question est donc de savoir si les demandeurs ont fourni une preuve selon laquelle ils ne pourraient obtenir une protection adéquate de l’État dans l’éventualité où ils devaient retourner en Colombie.

 

[32]           Le juge Lemieux a énoncé ce qui suit dans la décision Da Souza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1279 :

 

[traduction]

Il ressort clairement de l’arrêt Ward, précité, que le fait qu’un demandeur d’asile n’ait pas fait de démarches en vue d’obtenir la protection de l’État n’entraînera pas automatiquement le rejet de la demande d’asile. Un examen objectif doit être entrepris pour établir si l’État est capable d’offrir une protection effective. En d’autres mots, le critère est de savoir si une protection effective peut être raisonnablement assurée. Il faut donc, et ce, dans chaque affaire, trancher la question de savoir s’il était objectivement déraisonnable pour le demandeur d’asile de ne pas avoir sollicité la protection de l’État. S’il n’était pas objectivement déraisonnable pour la demanderesse de ne pas avoir sollicité la protection de l’État, elle n’avait pas à faire de démarches auprès de la police à Saint‑Vincent. La réponse à cette question dépend de la preuve produite quant à ce point.

 

[33]           Selon la preuve dont la SPR était saisie, les AUC avaient dit au Dr Strusberg qu’ils le considéraient comme un collaborateur des FARC et un ennemi des AUC. Bien que la question de la protection de l’État soit de nature prospective, le statut du demandeur, en tant que personne prise pour cible et exposée à un risque élevé, est un facteur dont la SPR devait tenir compte dans son analyse.

 

[34]           La SPR a énoncé ce qui suit :

 

[26]      Robins a affirmé n’avoir signalé aucune menace ni aucune demande d’extorsion de la part des AUC ou des FARC à la police. Il a aussi expliqué avoir parlé de ses problèmes à des amis, à des connaissances et à des patients qui étaient policiers, mais ne pas avoir voulu porter plainte, car il aurait pu se passer quelque chose de grave et qu’ils lui ont conseillé de ne pas le faire. À la question de savoir si l’État pourrait lui offrir une protection aujourd’hui en Colombie, Robins a répondu qu’il suivait l’actualité et que tout semblait beau, mais que des gangs criminels émergents connus sous le nom de Bandas Criminales Emergentes (BACRIM) se sont formés et que le directeur du service du renseignement intérieur (DAS) est accusé d’avoir commis des crimes. Il a poursuivi en disant que le premier processus de poursuite visant le directeur du DAS avait été rejeté et que des tentatives quant à de nouvelles poursuites sont faites.

 

[27]      Les éléments de preuve présentés par Robins à propos de la poursuite du directeur du DAS démontrent que la Colombie s’emploie sérieusement à freiner la corruption. Le témoignage qu’a livré Robins de vive voix quant au conseil que certains de ses amis des forces de sécurité lui avaient donné et aux nouveaux gangs criminels émergents ne réfute pas la présomption de la protection de l’État en Colombie.

 

[35]           La SPR a contourné la preuve présentée par le Dr Strusberg selon laquelle son oncle, un avocat bien en vue ayant accès à des renseignements confidentiels, l’avait précisément averti que lui et sa famille étaient tellement en danger qu’ils devaient [traduction] « immédiatement abandonner le pays ». Il s’agissait, en ce qui concerne le Dr Strusberg, de la preuve la plus solide quant au caractère réel et immédiat du risque auquel il était exposé.

 

[36]           La preuve comprenait également de la documentation selon laquelle les forces de sécurité de la Colombie continuaient de [traduction] « fermer les yeux » sur les atrocités commises par les forces paramilitaires et de collaborer avec ces dernières. La SPR devait examiner la manière avec laquelle le gouvernement répondait aux violations des droits de la personne et aux actes de violence commis par les AUC.

 

[37]           La SPR n’était pas obligée de souscrire à l’opinion du demandeur selon laquelle lui et sa famille pouvaient ni rester en Colombie sans être en danger ni obtenir une protection officielle, mais elle ne pouvait omettre de tenir compte de la preuve qui était au cœur de la demande d’asile des demandeurs.

 

[38]           Les demandeurs dans la présente affaire n’ont pas quitté leur pays à la légère. Ils avaient déménagé à Bogota. Ils avaient ensuite essayé de quitter la Colombie pendant six mois, dans le but de laisser retomber la poussière. À leur retour en Colombie, de violentes menaces de nature sexuelle avaient été proférées à l’endroit de Mme Crespo et de sa fille Ashley. Le Dr Strusberg avait continué d’aller en Colombie, dans un effort résolu, selon ses dires, de [traduction] « reprendre sa vie ». La SPR a l’obligation d’examiner la preuve relative aux incidents sur lesquels les demandeurs fondaient leur décision de fuir la Colombie et de demander l’asile.

 

Conclusion

 

[39]           Je conclus que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle le Dr Strusberg avait personnellement été pris pour cible par les AUC, ni de celle concernant le caractère inadéquat de la protection de l’État offerte aux personnes exposées à un risque provenant des groupes paramilitaires alliés au gouvernement. Ce faisant, la SPR a commis une erreur.

 

[40]           Les parties n’ont pas proposé de question grave de portée générale à des fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SPR est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci rende une nouvelle décision.

 

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9792-11

 

 

INTITULÉ :                                      ROBINS STRUSBERG RAMOS,

                                                            ERIKA IRENE CRESPO PAEZ, et

                                                            ASHLEY STRUSBERG CRESPO, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, ROBINS STRUSBERG RAMOS

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 16 JUILLET 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 28 NOVEMBRE 2012

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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