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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20121127

Dossier: T-1992-11

Référence : 2012 CF 1359

Ottawa (Ontario), ce 27e jour de novembre 2012

En présence de monsieur le juge Pinard 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Demandeur

 

et

 

 

 

Hisham DABBOUS

 

 

 

Défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit ici d’un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) au titre du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi) et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Le juge de la citoyenneté a, le 13 octobre 2011, sur le fondement de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, approuvé la demande de citoyenneté canadienne présentée par monsieur Hisham Dabbous (le défendeur).

 

[2]               Le défendeur, de citoyenneté libanaise, est résident permanent du Canada depuis le 15 septembre 2004. Il a présenté sa demande de citoyenneté canadienne le 27 mars 2008. Dans sa demande, au cours de la période pertinente du 15 septembre 2004 au 27 mars 2008, il a déclaré avoir été présent au Canada pour 1 177 jours, et absent pour 111 jours.

 

[3]               Le défendeur a rencontré une agente d’immigration dans le cadre d’une entrevue tenue le 10 mars 2009. Cette dernière lui a ensuite envoyé un « Questionnaire sur la résidence » le 20 mai 2009. Le défendeur a retourné tous ses documents le 6 juin 2009. Une agente de citoyenneté a par la suite rédigé un mémoire à l’attention du juge de la citoyenneté, lui décrivant des lacunes au dossier et émettant des observations et des interrogations relativement à la qualité de la preuve soumise au soutien de la demande de citoyenneté. L’agente a référé la demande à un juge de la citoyenneté pour que ces questions soient tranchées en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[4]               Le 18 août 2011, le défendeur a comparu devant le juge de la citoyenneté. Ce dernier lui a octroyé un délai supplémentaire pour lui permettre de remplir et de signer un nouveau « Questionnaire sur la résidence » et de déposer des preuves supplémentaires relativement à sa résidence au Canada, notamment un rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qui énumère les entrées qu’il a effectuées pendant la période visée par sa demande de citoyenneté.

 

[5]               Le 29 août 2011, le défendeur a déposé un nouveau questionnaire, des relevés bancaires et des rapports d’impôts couvrant toute la période pertinente. Suite à la réception de cette documentation, le juge de la citoyenneté a accueilli la demande de citoyenneté.

[6]               Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a noté que la question à trancher était celle de savoir si le défendeur rencontrait l’exigence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi selon laquelle tout résident permanent doit, pendant les quatre années précédant sa demande, avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout (1 095 jours). Après avoir noté les pièces reçues après l’audience, le juge de la citoyenneté a conclu comme suit :

DÉCISION : me basant sur toute la preuve déposée au dossier et en me fiant à la prépondérance des probabilités, il me semble que le demandeur a établi et maintenu sa résidence au Canada de 2004 à 2008 et qu’il a centralisé sa vie, ainsi que celle de sa famille, au Canada pour plus de 1095 jours de résidence physique, au Canada, tel que requis par la loi sur la citoyenneté.

 

 

 

* * * * * * * *

 

[7]               L’alinéa pertinent de la Loi se lit comme suit :

  5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

[. . .]

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

  5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

[. . .]

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

[8]               La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que le défendeur remplissait les conditions de résidence prévues par l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[9]               Le demandeur soulève également la question de la suffisance des motifs comme question en litige distincte. Toutefois, je suis d’avis, compte tenu de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 aux paragraphes 21 et 22, que cette question constitue plutôt un facteur à prendre en considération dans l’analyse du caractère raisonnable de la décision.

 

[10]           La décision d’un juge de la citoyenneté implique une question mixte de fait et de droit devant être révisée selon la norme de la décision raisonnable (voir, entre autres, Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Abdallah, 2012 CF 985 au para 8 et Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Saad, 2011 CF 1508 au para 9 [Saad]). J’estime cependant que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à l’interprétation de la disposition sur la résidence de la Loi, et que la résidence s’entend de la présence physique au Canada (voir Martinez-Caro c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 640 [Martinez-Caro]).

 

* * * * * * * *

[11]           D’abord, le demandeur prétend qu’il est impossible de déterminer le critère que le juge de la citoyenneté a utilisé parmi les trois critères de résidence considérés par cette Cour. Deuxièmement, le demandeur soutient que la décision du juge de la citoyenneté n’est pas suffisamment motivée puisqu’elle ne renferme pas l’analyse critique requise. Le demandeur soumet que le juge de la citoyenneté aurait dû expliquer plus en profondeur sa conclusion selon laquelle le défendeur satisfait aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Finalement, le demandeur soumet que de nombreuses lacunes dans la preuve présentée par le défendeur ont été ignorées par le juge de la citoyenneté.

 

[12]           Je rejette le premier argument du demandeur relié à l’identification d’un critère de résidence particulier, me fondant sur la décision Martinez-Caro, ci-dessus. Dans cette affaire, mon collègue le juge Donald J. Rennie a examiné en détail la jurisprudence sur les conditions prescrites à l’alinéa 5(1)c) de la Loi en matière de résidence et a fourni une analyse détaillée des principes pertinents. Comme j’ai indiqué dans l’affaire Hysa c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 1416 au paragraphe 3 [Hysa], je souscris entièrement au raisonnement du juge Rennie, qui l’a conduit à la conclusion suivante. Le juge Rennie fait référence aux décisions Re Pourghasemi (1993), 19 Imm.L.R. (2d) 259, 62 F.T.R. 122 [Pourghasemi] et Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 [Rizzo] pour ensuite conclure ainsi :

[52]     J’estime par conséquent que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à l’interprétation de la disposition sur la résidence de la Loi sur la citoyenneté, et que la résidence s’entend de la présence physique au Canada.

 

[53]     J’estime que l’interprétation faite dans Pourghasemi est celle qui est conforme au sens, à l’objet et à l’esprit véritables de l’alinéa 5(1)c) de la Loi (Rizzo, paragraphes 22 et 41). On ne peut donc dire que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en appliquant le critère énoncé dans Pourghasemi. Le juge de la citoyenneté a en outre correctement appliqué ce critère en statuant qu’une absence de 771 jours empêchait de conclure qu’il y avait eu une présence physique de 1 095 jours en tout au Canada.

 

 

 

[13]           Mes collègues les juges Judith Snider (Ye c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 1337 au para 10) et Simon Noël (Al Khoury c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 536 au para 27) ont adopté ce même raisonnement quant à l’interprétation juridique de l’alinéa 5(1)c) et partagent l’avis du juge Rennie que la résidence s’entend de la présence physique au Canada.

 

[14]           En l’espèce, le juge de la citoyenneté a clairement indiqué dans ses motifs que la question à trancher était celle de savoir si le défendeur pouvait démontrer qu’il rencontrait l’exigence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi qui nécessite 1 095 jours de résidence physique au Canada. De plus, il a conclu que le défendeur « a établi et maintenu sa résidence au Canada de 2004 à 2008 et qu’il a centralisé sa vie, ainsi que celle de sa famille, au Canada pour plus de 1095 jours de résidence physique, au Canada, tel que requis par la loi sur la citoyenneté ».

 

[15]           À mon avis, compte tenu de la décision Martinez-Caro, ci-dessus, et ma décision dans l’affaire Hysa, il aurait été suffisant que le juge de la citoyenneté se fonde uniquement sur le critère de la présence physique (le critère le plus exigeant), si la preuve le justifiait, sans chercher à savoir si le défendeur avait « centralisé sa vie, ainsi que celle de sa famille » au Canada durant la période pertinente.

 

[16]           Toutefois, je considère que la décision du juge de la citoyenneté n’était pas suffisamment motivée. En l’espèce, le juge de la citoyenneté a noté la question à décider, a indiqué les pièces déposées par le défendeur après sa comparution devant lui et a conclu que le défendeur avait rempli la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi parce qu’il avait démontré une présence physique en sol canadien pour plus de 1 095 jours pendant la période pertinente. Il a toutefois omis d’expliquer comment et pourquoi le défendeur avait rempli cette exigence. De plus, il n’a considéré aucune des préoccupations signalées par l’agente de citoyenneté dans son mémoire au juge de la citoyenneté, notamment en ce qui concerne :

a.       le passeport du défendeur, soit la note de l’agente à l’effet que malgré un tampon de retour au Canada en date du 27 mars 2007, aucun voyage n’avait été déclaré pour cette date;

 

b.      les relevés bancaires d’un compte dont le demandeur est le mandataire avec son épouse, soit la note de l’agente selon laquelle les transactions directes étaient généralement nombreuses et régulières, mais qu’il y avait des périodes sans aucune transaction directe alors que le client prétendait être au Canada. L’agente a énuméré ces périodes, qui varient souvent entre un et deux mois.

 

 

 

[17]          De plus, comme le souligne le demandeur, il appert des motifs du juge de la citoyenneté que ce dernier considérait que le dossier du défendeur comportait des lacunes concernant ses absences du Canada étant donné l’octroi d’un délai supplémentaire afin que le défendeur puisse déposer un second « Questionnaire sur la résidence » ainsi que des preuves supplémentaires relativement à sa résidence au Canada, dont le rapport de l’ASFC qui énumère les entrées et sorties effectuées pendant la période pertinente. Le défendeur a retourné le second questionnaire, mais pas le rapport de l’ASFC. Toutefois, le juge a écrit dans sa décision que «  l’intéressé nous a fait parvenir la documentation supplémentaire tel que demandé ».

 

[18]           Par conséquent, je suis d’avis qu’en l’espèce, il n’était pas raisonnable pour le juge de la citoyenneté de se déclarer satisfait que le défendeur ait été présent au Canada pour plus de 1 095 jours sans aucune explication ou analyse des preuves additionnelles qu’il mentionne. Comme la juge Marie-Josée Bédard le souligne dans l’affaire Saad, ci-dessus :

[22]     Il appert également des notes du juge qu’à la fin de l’audition, il n’était pas complètement satisfait de l’information obtenue du défendeur puisqu’il lui a demandé de fournir des documents additionnels. Les notes ne précisent toutefois pas en quoi et pourquoi le juge était insatisfait de la preuve qui lui avait été présentée jusqu’alors. . . .

 

[23]     Dans son avis de décision, le juge s’est déclaré satisfait des documents fournis par le défendeur, mais encore là, on ne sait pas quel test il a appliqué ni quels sont les documents qui l’ont convaincu que le défendeur satisfaisait aux critères de résidence. Lors de l’audience, le procureur du défendeur a bien tenté d’inférer de la décision et des notes du juge de la citoyenneté qu’il avait appliqué le test de la présence physique, que la preuve secondaire du demandeur pour suppléer à l’absence de passeport était satisfaisante et que les documents requis lors de l’audience et ayant trait à la Société du défendeur étaient pertinents pour confirmer que celui-ci était toujours résident même après l’échéance de la période de référence, mais ce faisant il a, à mon avis, suppléé à la décision du juge. Comme l’a indiqué le juge de Montigny dans Jeizan, précité, au para 20 :

 

20     Le raisonnement du décideur ne devrait pas requérir d’autres explications. En l’espèce, c’est l’avocate de la défenderesse qui explique le raisonnement du juge de la citoyenneté dans son exposé des faits et du droit, mais des suppositions faites par le biais des arguments d’un avocat ne diffèrent pas de suppositions faites par le biais de l’affidavit d’une partie : Alem c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 148, [2010] A.C.F. No 176, paragraphe 19.

 

[24]     J’estime que la conclusion à laquelle je suis arrivée dans Baron, précité, au para 18, s’applique tout à fait au présent dossier :

 

18     La décision du juge de la citoyenneté n’est pas suffisamment motivée. Le raisonnement n’est pas clair. Elle n’est pas transparente et il est impossible d’en saisir le fondement. Compte tenu de cette situation, je ne suis pas en mesure de déterminer si elle appartient aux issues possibles acceptables eu égard aux faits et au droit. L’intervention de la Cour est donc justifiée.

 

[25]     Je considère donc que la décision du juge de la citoyenneté ne possède pas les attributs qui pourraient la rendre raisonnable.

 

                                                (C’est moi qui souligne.)

 

 

 

[19]           À la lecture des motifs de la décision du juge de la citoyenneté en l’espèce, la Cour n’est pas en mesure de comprendre le raisonnement de ce dernier, ne pouvant pas saisir comment et pourquoi, dans les circonstances, la preuve l’a convaincu que le défendeur avait satisfaisait aux critères de résidence (voir Saad, précité). Je ne suis pas convaincu que la décision du juge de la citoyenneté appartient aux issues possibles acceptables eu égard aux faits et au droit.

 

* * * * * * * *

 

[20]           Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli. La décision rendue le 13 octobre 2011 par le juge de la citoyenneté est cassée et le dossier est renvoyé devant un autre juge de la citoyenneté pour un nouvel examen.

 


 

JUGEMENT

 

            L’appel du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est accueilli. La décision du 13 octobre 2011, rendue par le juge de la citoyenneté Gilles H. Duguay, d’attribuer la citoyenneté canadienne au défendeur est cassée et le dossier est renvoyé devant un autre juge de la citoyenneté pour un nouvel examen.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1992-11

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. Hisham DABBOUS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 21 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Edith Savard                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Me Stéphane Hébert                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney                                         POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

Stéphane Hébert                                             POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

 

 

 

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