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Cour fédérale

 

Federal Court



Date: 20121126

Dossier : IMM-3249-12

Référence : 2012 CF 1365

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

 

 

 

OMAR OSCAR MARTINEZ BAUTISTA

MARIA LUISA VALDIVIESO PORTILLA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

              MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [« la SPR »] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en date du 13 mars 2012, concluant que Omar Oscar Martinez Bautista et Maria Luisa Valdivieso Portilla ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [« la LIPR »], et n’ont pas le statut de « personne à protéger » selon l’article 97 de la LIPR.

I.          Faits

 

[2]               Les demandeurs sont un couple mexicain. Ils sont arrivés du Mexique le 24 octobre 2008 pour demander l’asile au Canada, ce qu’ils ont fait le jour de leur arrivée.

 

[3]               Le couple était propriétaire d’un café internet à Mexico. Vers la mi-février 2007, des membres d’une organisation criminelle connue au Mexique, les Zetas, se sont présentés à leur commerce pour leur demander de leur verser la somme de 2000 pesos par mois ainsi que de vendre des disques avec la mention « Z » et ce, moyennant une contribution à leur groupe.

 

[4]               En mars 2007, un dénommé El Piojo s’est présenté au café internet afin de récupérer les 2 000 pesos, mais il a décidé de hausser la somme à un montant de 3 000 pesos par mois. À ce moment, les demandeurs ont noté que plusieurs personnes avaient fermé leur commerce dans le quartier.

 

[5]               Le 10 mai 2008, soit 14 mois après les événements, les demandeurs se sont rendus à la police afin de faire une déposition. Il n’y a pas eu de suite à leur plainte et ils allèguent que l’on a ri d’eux. Des membres des Zetas ont averti les demandeurs qu’ils risqueraient la mort si jamais ils décidaient de porter plainte à nouveau.

 

[6]               Le 20 mai 2008, un groupe de huit personnes droguées sont entrées dans leur commerce et y ont volé des clients. À cette occasion, ils ont demandé de l’argent au demandeur et ils l’ont frappé. Quelques jours plus tard, des personnes se sont présentées à leur commerce pour récupérer la somme demandée, mais suite au refus du demandeur, celui-ci a été frappé.

[7]               Le 29 mai 2008, vingt personnes sont entrées dans leur commerce et ont tout détruit. Ils ont emmené le demandeur de force après l’avoir frappé. La demanderesse a été agressée sexuellement. Le 1er juin 2008, les ravisseurs ont communiqué avec la demanderesse par téléphone pour lui demander une rançon de 100 000 pesos. Le 7 juin 2008, la demanderesse a envoyé la somme de 85 000 pesos aux ravisseurs et son conjoint a été libéré deux jours plus tard. Il avait manifestement été maltraité par les ravisseurs.

 

[8]               Le couple a ensuite déménagé à Veracruz pour y ouvrir un autre café internet à la fin du mois de juin 2008. Le 13 août 2008, trois personnes armées sont entrées dans leur commerce, y ont tout détruit et leur ont réclamé la somme de 8 000 pesos. Ils ont menacé les demandeurs de mort et leur ont dit que jamais ces derniers ne pourraient leur échapper.

 

 

[9]               Le 15 septembre 2008, ils ont déménagé chez la mère de la demanderesse à Comalcalco. Les demandeurs allèguent qu’ils ont appris par une tante que le groupe criminel Zetas est toujours à leur recherche. La décision fut ainsi prise de quitter le pays pour se rendre au Canada. 

 

II.        Décision révisée

[10]           La SPR a conclu que les demandeurs ne sont ni des réfugiés ni des personnes à protéger, car leur témoignage n’est pas crédible et leurs allégations sont empreintes de contradictions. De plus, la SPR est d’avis que lors de l’audience, ils ont ajouté un certain nombre de détails au sujet des événements à l’origine de leur demande d’asile.

 

[11]           D’abord, la SPR a considéré le fait que les demandeurs aient porté plainte pour la première fois plus d’un an après le début des actes d’extorsion comme une démonstration du fait qu’ils ne craignaient pas réellement pour leur sécurité. De plus, lorsque d’autres agressions ont eu lieu et que leur commerce a été détruit, ils n’ont pas porté plainte à la police. La SPR a rejeté leur explication selon laquelle ils craignaient d’éventuelles réprimandes du groupe si jamais ils portaient plainte et qu’ils ont cru opportun de réagir uniquement lorsqu’ils ont constaté que les affaires de leur commerce avaient commencé à diminuer.

 

[12]           De manière générale, la SPR a tiré une conclusion défavorable aux demandeurs du fait que ceux-ci manquent de crédibilité dans leur description des événements survenus le 29 mai 2008. La SPR a considéré que les deux témoignages fournis, au sujet de l’agression sexuelle de la demanderesse et de l’enlèvement du demandeur, ne sont pas fiables.

 

[13]           Quant au déménagement des demandeurs à Veracruz, la SPR est d’avis qu’il était déraisonnable de ne pas porter plainte aux autorités de cette ville et ce, malgré que les demandeurs aient exprimé une crainte quant aux possibles conséquences d’une telle démarche.

 

III.       Soumissions du demandeur

[14]           Le demandeur soumet que la décision de la SPR selon laquelle les demandeurs ne sont pas crédibles est déraisonnable étant donné que les demandeurs n’ont pas fourni de témoignage contradictoire.

 

[15]           Selon le demandeur, dans les circonstances, il n’était pas déraisonnable pour les demandeurs de ne pas porter plainte car suite à la dénonciation qui a eu lieu en mai 2008, aucune action n’a été prise par la police. De plus, la preuve est à l’effet que les Zetas sont aussi présents dans l’État de Veracruz.

 

[16]           Quant aux événements du 29 mai 2008, le demandeur soumet qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs n’ont pas fourni de témoignage fiable et non contradictoire. De plus, la SPR a erré en ne tenant pas compte des Directives No 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [« les Directives »] lorsqu’elle a traité de la crédibilité de la demanderesse en ce qui a trait à l’agression sexuelle qu’elle a subie.

 

[17]           Enfin, selon le demandeur, il était déraisonnable de conclure qu’une possibilité de refuge s’offre aux demandeurs étant donné que ceux-ci ont déménagé deux fois et qu’à chaque fois les Zetas les ont retracés.

 

IV.       Soumissions du défendeur

[18]           Le défendeur prétend que la SPR a conclu de manière juste en considérant les demandeurs comme n’étant pas crédibles, car il y a des contradictions dans leur témoignage d’autant plus qu’il relève de la SPR de trancher la question de la crédibilité des témoins et d’évaluer la valeur des explications fournies pour justifier de telles contradictions.

 

[19]           Selon le défendeur, les ajouts effectués à l’audience devant la SPR militent en faveur d’une conclusion selon laquelle les défendeurs cherchent à augmenter l’intensité des événements qu’ils ont vécus. Leur témoignage au sujet de leur décision de ne pas dénoncer les événements aux autorités n’est pas cohérent et il n’est donc pas déraisonnable pour la SPR d’en tirer une conclusion défavorable aux demandeurs.

 

[20]           Enfin, le défendeur considère que les conclusions de la SPR au sujet du témoignage de la demanderesse sur son agression sexuelle sont justes, d’autant plus que l’absence de mention des Directives ne fait pas en sorte que la SPR n’en tient pas compte dans sa décision et dans son approche de la demande d’asile.

 

V.        Questions en litige

[21]           La SPR, a-t-elle rendu une décision déraisonnable en concluant que les demandeurs ne sont pas crédibles?

 

VI.       Norme de contrôle

[22]           La norme de contrôle applicable à la question de l’évaluation de la crédibilité d’un témoignage est la norme de la décision raisonnable étant donné qu’il s’agit d’une question de fait (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 NR 315 au para 4, 1993 CarswellNat 303 (CAF)).

 

[23]           La décision de la SPR soulève certaines préoccupations. La conclusion négative quant au vocabulaire utilisé par les demandeurs dans leurs FRP à l’effet que le demandeur aurait été « amené » et que lors de leurs témoignages ils disent plutôt qu’il a été « kidnappé » de la SPR est inappropriée. Les événements tels que décrits dans les FRP démontrent que le demandeur fut enlevé de force, contre sa volonté. Il s’agit bel et bien de faits décrivant un kidnapping. La SPR reproche aux demandeurs de ne pas avoir utilisé le mot : « kidnapping ». Ceci est une détermination déraisonnable et elle n'aurait pas dû jouer au détriment des demandeurs.

 

[24]           Il y a aussi le reproche dirigé contre la demanderesse à l’effet que « le tribunal trouve pour le moins curieux le fait qu’elle aurait passé un test de détection du sida car, selon ses connaissances, le virus ne se développe que quelques mois plus tard, après qu’un organisme ait été infecté ». Le témoignage de la demanderesse est que suite à l’abus sexuel qu’elle a vécu, elle est allée passer le test de détection du sida à la suggestion d’un ami. On lui a dit de revenir dans trois mois, car le virus tarde à se développer. La preuve révèle que ce n’est pas à « sa connaissance » mais plutôt ce qu’on lui a dit. Il était donc inapproprié de lui faire un tel reproche.

 

[25]           Est-ce que ces déterminations suffisent à qualifier l’ensemble de la décision comme étant non raisonnable?

 

[26]           La décision de la SPR informe que la crédibilité des demandeurs était fragilisée par les constatations suivantes :

 

1.   Ce n'est que 14 mois après les événements d’agression de mars 2007 que les demandeurs déposent une plainte à la police.

 

2.      Bien qu’ils aient subi d’autres événements de nature violente et agressive, ils n’ont pas par la suite eu recours à la police.

 

3.      Ils ont amplifié de façon notoire les événements du mois de mai 2009 lors de leurs témoignages comparativement à leurs FRP et en réponse à la question 31.

 

4.      La demanderesse, suite aux abus sexuels, consulte son médecin, mais ne se confie pas à lui craignant par la suite qu’elle devrait porter plainte. La SPR trouve paradoxal cette situation et considère qu’il était prioritaire d’être réassuré en ce qui a trait à sa condition de santé plutôt que de se préoccuper d’éventuelles conséquences judiciaires.

 

5.      La demanderesse, bien que préoccupée par son état de santé suite aux événements, ne demande pas un examen gynécologique ou encore d’autres tests. La SPR est étonnée par ce comportement.

 

6.      La SPR ne considéra pas crédible les événements survenus à Veracruz, une ville située à cinq heures de Mexico constatant ainsi invraisemblable les explications selon lesquelles certains membres des Zetas auraient continué à les persécuter.

 

[27]           La SPR envisagea aussi la possibilité de refuge interne [« PRI »] ailleurs au Mexique. Elle prit en considération le groupe des Zetas et son importance et constata qu’il était localisé et qu’il y avait au Mexique d’autres endroits où les demandeurs pourraient se relocaliser.

 

[28]           La jurisprudence de la Cour reconnaît qu’une décision peut être erronée à certains égards, mais que si dans l’ensemble, celle-ci contient des déterminations bien articulées qui conduisent à un résultat raisonnable, il n’y a pas lieu d’intervenir (voir Barreau du Nouveau-Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20 au para 56, [2003] 1 RCS 247; Stelco Inc. c British Steel Canada Inc., 2000 CanLII 17097 au para 22, [2000] 3 CF 282 (CAF)).

 

[29]           Ayant étudié le dossier, la décision de la SPR, les déterminations faites incluant celles qui soulèvent des préoccupations, j’en arrive à la conclusion que dans son ensemble, la décision est raisonnable et il n’y a pas lieu d’intervenir.

 

[30]           Les parties furent invitées à soumettre une question à certifier, mais aucune ne fut proposée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est refusée et aucune question ne sera certifiée.

 

                                                                                                  « Simon Noël »

                                                                                    ____________________________

                                                                                                            Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3249-12

 

INTITULÉ :                                      OMAR OSCAR MARTINEZ BAUTISTA et al

                                                            c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Cecilia Ageorges

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Denisa Chrastinova

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Cecilia Ageorges

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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