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Date : 20121204

Dossier : IMM-2569-12

Référence : 2012 CF 1420

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

EDWARD BESONG OBEN

YVONNE KUNJU BALOGOUN

SAMUEL OBEN BESONG

ANNE BESONG

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par M. Edward Oben (M. Oben), par son épouse, Mme Yvonne Balogoun et par leurs deux enfants, à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle cette dernière a rejeté leur demande d’asile.  

 

[2]               La demande d’asile de M. Oben était fondée sur une allégation selon laquelle il avait fait l’objet de persécution politique au Cameroun en raison de son appui à un parti politique d’opposition – le Conseil national du Sud‑Cameroun [Southern Cameroons National Council] (le SCNC).

 

[3]               Une prétendue arrestation par la police camerounaise le 30 mai 2009, alors qu’il assistait à une réunion politique, était au cœur de l’exposé circonstancié de M. Oben relatif au risque. Selon M. Oben, il avait été placé en détention pendant quatre jours et avait été battu avec des bâtons et avec un fusil. On avait aussi refusé de lui donner de l’eau et de la nourriture. Il est devenu tellement déshydraté qu’il avait été transporté d’urgence à l’hôpital, où il était resté pendant deux jours pour y recevoir des traitements. Il a quitté le Cameroun en direction de l’Espagne le 7 juin 2009, et n’y est pas retourné. La famille est arrivée au Canada le 18 novembre 2009 et a demandé l’asile huit jours plus tard.

 

[4]               Bien que M. Oben et sa famille aient obtenu l’asile sur une base permanente en Espagne avant ses prétendues arrestation et détention, cette protection était en péril sur le plan juridique, et la Commission a seulement examiné le risque auquel les demandeurs étaient exposés au Cameroun.

 

[5]               La Commission a rejeté les demandes d’asile des demandeurs, car elle jugeait que le témoignage de M. Oben n’était pas crédible. Il s’ensuit qu’elle a conclu que M. Oben n’était pas un membre du SCNC et qu’il n’avait pas été victime de quelque persécution que ce soit en raison de ses activités politiques. Ces conclusions étaient fondées sur le « récit sommaire et détaché livré par [M. Oben] au sujet de son arrestation, de sa détention et de [s]a torture » et sur le fait qu’il avait omis de fournir une preuve corroborante, à laquelle il aurait facilement dû avoir accès. La Commission a aussi relevé l’absence de détails concernant la participation continue de M. Oben aux activités du SCNC lors de la période où il vivait principalement en Espagne.

 

[6]               Les deux éléments de preuve corroborants cruciaux dont la Commission a relevé l’absence étaient les dossiers hospitaliers confirmant les blessures subies par le demandeur des suites de la torture ainsi que les comptes rendus des médias confirmant les arrestations multiples qui auraient prétendument eu lieu lors d’une réunion du SCNC le 30 mai 2009. Voici l’appréciation de la Commission quant à l’importance des éléments de preuve manquants :

[25]      Le demandeur d’asile principal a déclaré avoir été battu avec un bâton et un fusil, puis avoir été enfermé dans une armoire, où il est resté sans eau et sans nourriture pendant près de deux jours. Il a dit avoir été amené à l’hôpital par la suite. Il lui a été demandé s’il avait en main des dossiers médicaux ayant trait à son séjour à l’hôpital. Il a répondu qu’il avait essayé de les obtenir mais [traduction] « qu’ils » – vraisemblablement des employés de l’hôpital – voulaient une grosse somme d’argent en échange. Or, le tribunal n’accepte pas cette explication. En effet, le tribunal ne croit pas que la somme demandée par le personnel de l’hôpital, le cas échéant, aurait été à ce point exorbitante que le demandeur d’asile principal n’aurait absolument pas pu la débourser. Il convient de noter qu’il avait suffisamment d’argent pour faire la navette entre le Cameroun et l’Espagne et pour venir au Canada.  

 

[26]      Invité à dire si les médias avaient parlé de son arrestation et de celle de vingt autres personnes, le demandeur d’asile principal a déclaré qu’il n’avait pas accès aux médias et que son avocat ne lui avait fait parvenir aucune information.

 

[27]      Le tribunal estime invraisemblable que les médias aient passé sous silence l’arrestation d’une vingtaine de membres du SCNC à l’occasion d’un rassemblement dispersé par la police et que le demandeur ait été dans l’impossibilité d’obtenir un rapport quelconque à ce sujet.

 

 

[7]               M. Oben se plaint du fait qu’il a fourni une quantité substantielle d’éléments de preuve corroborants et que, dans ses motifs, la Commission ne s’est pas penchée de manière adéquate sur ceux‑ci. Ces éléments de preuve comprenaient une lettre du secrétaire de direction du SCNC, qui confirmait l’adhésion de M. Oben au parti et son récit quant à la persécution, une copie de la carte de membre du SCNC de M. Oben, une ordonnance de mise en liberté datée du 3 juin 2009 ainsi qu’un affidavit souscrit par l’avocat de M. Oben au Cameroun, dans lequel il attestait les allégations formulées par son client.

 

[8]               Bien que l’avocat canadien de M. Oben ait raison lorsqu’il affirme que la Commission n’a pas explicitement rejeté la preuve corroborante pour cause de non‑fiabilité, il s’agit toutefois de l’inférence inéluctable qui découle des motifs de la Commission et, en particulier, du passage suivant :

[…] Il ne peut donc pas [rejeter les documents] d’emblée. Cependant, le tribunal doit faire son évaluation à la lumière de l’absence d’autres documents (comptes rendus des médias et dossiers médicaux), du comportement du demandeur d’asile et, surtout, du manque de détails dans son témoignage. En fait, ce manque de détails est ce qui préoccupe le plus le tribunal. Le récit sommaire et détaché livré par le demandeur d’asile principal au sujet de son arrestation, de sa détention et de la torture dont il aurait prétendument été la victime ne correspond tout simplement pas, aux yeux du tribunal, au récit que livrerait une personne ayant réellement vécu une telle expérience.

 

 

[9]               L’autre argument, suivant lequel la Commission avait une obligation de demander la production des dossiers hospitaliers ainsi que des comptes rendus pertinents des médias, est insoutenable. M. Oben comprenait apparemment l’importance de ses dossiers médicaux, parce qu’il a relaté dans son témoignage qu’il avait abordé la question avec son frère. La Commission a raisonnablement rejeté son excuse selon laquelle il ne disposait pas des fonds nécessaires pour obtenir ces dossiers, et elle a souligné qu’il avait pu prendre l’avion à destination et en provenance de l’Espagne, et, par la suite, à destination du Canada avec sa famille. Cette preuve n’était pas crédible et pouvait aisément appuyer une inférence défavorable portant que les dossiers hospitaliers n’avaient jamais été produits, parce qu’ils n’existaient pas. Après tout, il s’agissait d’une preuve provenant d’une tierce partie indépendante, et on ne peut reprocher à la Commission d’avoir accordé plus de poids au fait que cette preuve ne figurait pas au dossier qu’aux documents qui avaient été produits. On peut dire la même chose au sujet de l’omission de M. Oben de produire des références dans les médias relativement aux prétendues arrestations massives du 30 mai 2009. La seule explication de M. Oben à ce sujet était qu’il n’avait pas pris la peine de vérifier. On présume aussi qu’il a omis de demander à son avocat au Cameroun d’effectuer cette recherche pour lui. Le rejet par la Commission de cette explication était raisonnable, tout comme le fait qu’elle s’attendait à ce qu’un incident d’une telle ampleur politique soit rapporté au public dans l’éventualité où il se serait produit. D’ailleurs, l’omission de l’avocat camerounais de M. Oben de produire une telle preuve corroborante, à laquelle il aurait facilement dû avoir accès, et de la joindre à son affidavit, était, en soi, un motif suffisant pour rejeter la présente demande.

 

[10]           Le conseil de M. Oben aurait aussi compris l’importance d’obtenir toute la preuve corroborante disponible, parce qu’il est bien connu que la Commission accorde une grande importance à cette question eu égard à la crédibilité. De plus, la Commission a soulevé des doutes quant à la fiabilité des documents produits par M. Oben, parce que ceux‑ci avaient été envoyés pour authentification (sans succès) et que, malgré cela, aucune corroboration supplémentaire n’avait été fournie.

 

[11]           Il incombe toujours à un demandeur d’établir le bien-fondé de sa cause au moyen de la preuve la plus solide à laquelle il a accès. Les risques de ne pas s’acquitter de ce fardeau de preuve étaient évidents pour M. Oben, et les lacunes dans la preuve relevées par la Commission étaient un fondement raisonnable pour ses conclusions quant à la crédibilité. La Commission, ayant conclu que M. Oben manquait de crédibilité, avait pleinement le droit de rejeter les documents produits par ce dernier, surtout en l’absence de documents disponibles et objectivement fiables provenant d’une source indépendante : voir Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 756, au paragraphe 17, [2006] ACF no 1054.

 

[12]           Les plaintes de M. Oben quant à l’omission manifeste de la Commission de l’avertir de l’importance de produire les enveloppes des documents qu’il a déposés et au fait qu’elle n’ait pas posé suffisamment de questions à son épouse sont insoutenables, et ce, essentiellement pour les mêmes motifs. La crédibilité de M. Oben ainsi que la fiabilité de ses documents étaient clairement en cause. Il était représenté par un conseil, qui était pleinement capable d’obtenir un témoignage qui comblait toutes les lacunes restantes après que la Commission avait terminé son interrogatoire. Ce n’est pas la faute de la Commission si le conseil a omis de ce faire. L’omission de produire des enveloppes ne semble pas avoir entraîné de doutes importants quant à la crédibilité, du moins, selon l’observation de la Commission à ce sujet, mais le conseil devait savoir qu’une preuve relative à la manière et au moment auxquels les documents sont obtenus est parfois d’intérêt pour la Commission. Habituellement, une explication selon laquelle la portée de la preuve n’avait pas été appréciée au moment de la réception, et qu’on s’était ensuite débarrassé de cette preuve, suffit généralement à répondre à cette question.

 

[13]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et les présents motifs ne soulèvent aucune question grave de portée générale. 


 

JUGEMENT

            LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2569-12

 

INTITULÉ :                                      OBEN et al c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 4 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hamza Kisaka

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jeannie Plamondon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hamza Kisaka

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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