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Date : 20121205

Dossier : IMM‑2990‑12

Référence : 2012 CF 1422

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

KRISZTIAN SZABO

KAROLINA SARKOZI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs contestent la légalité de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [le tribunal] a rejeté leur demande de rétablissement des demandes d’asile dont ils avaient dessaisi le tribunal.

 

[2]               Le 14 novembre 2011, les demandeurs, tous deux citoyens de la Hongrie, se sont présentés à une audience de mise au rôle. Au cours de cette audience, ils ont signé un formulaire indiquant qu’ils retiraient leurs demandes d’asile. Dans la demande formelle de rétablissement des demandes d’asile présentée en février 2012 pour le compte des demandeurs, il est allégué que leur demande de rétablissement est visée par le paragraphe 53(3) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, parce qu’ils étaient notamment incapables de retracer leur conseil pour l’audience de mise au rôle et que le tribunal les avait informés que leur conseil faisait l’objet d’une enquête et avait disparu. Les demandeurs allèguent avoir signé le formulaire parce qu’ils étaient nerveux et qu’ils n’étaient pas sûrs de la façon de procéder. Le 21 février 2012, le tribunal a rejeté la demande de rétablissement.

 

[3]               En bref, le tribunal a estimé qu’il n’y avait eu aucun manquement à un principe de justice naturelle. Il a conclu que l’objet d’une audience de mise au rôle consiste simplement à fixer une date et non pas à présenter des éléments de preuve. Le tribunal a de plus ajouté que les demandeurs d’asile reçoivent habituellement à cette occasion des renseignements sur la façon d’obtenir les services d’un avocat. Le tribunal a souligné que le demandeur avait indiqué qu’il avait été en mesure de lire et de comprendre le formulaire de retrait des demandes d’asile, et que la déclaration d’un interprète indiquait que le formulaire avait été traduit en hongrois. Il a aussi conclu que l’enregistrement de l’audience de mise au rôle n’indiquait pas que le conseil qui représentait à l’époque les demandeurs faisait l’objet d’une enquête, pas plus qu’il n’existait d’éléments de preuve convaincants au sujet de sa disparition. Le tribunal a également conclu que rien dans la preuve ne donnait à croire que la grossesse de la demanderesse avait altéré sa capacité de prendre des décisions. Puisqu’il n’y avait eu aucun manquement à un principe de justice naturelle, le tribunal a rejeté la demande de rétablissement des demandeurs.

 

[4]               Aujourd’hui, les demandeurs soutiennent que le tribunal a commis une erreur en examinant uniquement la question de savoir s’il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle, ignorant la deuxième possibilité prévue par le paragraphe 53(3) : une demande de rétablissement doit être accordée « s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire ». Dans leur demande, les demandeurs ont indiqué qu’ils sollicitaient le rétablissement au titre du critère relatif à « l’intérêt de la justice » ainsi que de celui relatif à la « justice naturelle ». Les demandeurs font valoir que les motifs du tribunal n’indiquaient aucunement que celui‑ci avait examiné la question de « l’intérêt de la justice ». L’application du mauvais critère constitue une erreur de droit susceptible de révision suivant la norme de la décision correcte. Autrement dit, l’omission d’examiner la deuxième possibilité est une erreur susceptible de révision qui rend l’ensemble de la décision déraisonnable.

 

[5]               Pour sa part, le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité puisque la décision du tribunal concernant une demande de rétablissement est une question mixte de fait et de droit. Selon le défendeur, si l’on considère l’ensemble de la décision du tribunal, il ressort clairement que le tribunal a examiné le critère au complet énoncé au paragraphe 53(3) des Règles. Il n’est pas nécessaire que des motifs soient parfaits ou exhaustifs et une cour devrait les examiner eu égard à la preuve, aux observations des parties et au processus suivi. En l’espèce, les observations des demandeurs concernant la justice naturelle et l’intérêt de la justice étaient en grande partie les mêmes. Les demandeurs n’ont pas fourni au tribunal des éléments pour expliquer pourquoi l’intérêt de la justice exigeait le rétablissement de leurs demandes d’asile autres que les arguments présentés au sujet de la justice naturelle. Dans son ensemble, la décision contestée est raisonnable.

 

[6]               L’intervention de la Cour est justifiée en l’espèce.

 

[7]               Premièrement, je conviens avec le défendeur que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité. Lorsque la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle applicable à une question particulière, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 57, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. En l’espèce, la Cour a déjà statué que la norme de la raisonnabilité était applicable à l’examen d’une demande de rétablissement (Ohanyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1078 au paragraphe 6). Dans ce contexte, la cour de révision doit examiner l’ensemble du dossier pour savoir si une décision est raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux paragraphes 12 et 15, [2011] 3 RCS 708 [arrêt Newfoundland Nurses]).

 

[8]               Deuxièmement, je note que le paragraphe 53(3) des Règles contient deux moyens distincts justifiant le rétablissement d’une demande d’asile. Une demande de rétablissement doit être accueillie s’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle. Par ailleurs, et indépendamment du premier moyen, la demande doit être accueillie s’il est possible d’établir qu’il « est dans l’intérêt de la justice de le faire ».

 

[9]               Troisièmement, comme la Cour l’a souligné dans De Lourdes Diaz Ordaz Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1185 au paragraphe 5 [décision Ordaz] :

Il est tout à fait possible que la preuve soumise à la Commission soit pertinente à l’égard des deux moyens. Cependant, une décision qui présente un caractère raisonnable, lequel tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47), doit traiter des deux volets du paragraphe 53(3) des Règles. Il doit être évident aux yeux du lecteur (et du tribunal de contrôle) que la Commission était consciente que le paragraphe 53(3) comporte deux moyens distincts. 

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

Je suis entièrement d’accord avec les observations de la Cour dans la décision Ordaz.

 

[10]           Quatrièmement, il n’est pas manifeste que le tribunal a compris que le paragraphe 53(3) des Règles énonçait deux moyens distincts. Dans la décision en cause, le tribunal décrit le critère applicable comme suit : « [J]e dois appliquer la règle 53 et déterminer s’il y a eu “manquement à un principe de justice naturelle”. » Le tribunal ne mentionne pas dans cette phrase, ni ailleurs dans la décision contestée, l’autre critère relatif à « l’intérêt de la justice », alors qu’il mentionne la justice naturelle à quatre reprises. En conséquence, selon mon interprétation de l’ensemble de la décision contestée, il existe de solides indications que le tribunal a commis une erreur en croyant que le rétablissement ne pouvait être accordé que s’il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle. 

 

[11]           Cinquièmement, je ne crois pas que « compléter » les motifs du tribunal, comme le propose l’arrêt Newfoundland Nurses, précité, signifie que la cour de révision doive se substituer au tribunal et se prononcer de sa propre initiative, après une analyse de la preuve versée au dossier, sur la question de savoir s’il est « dans l’intérêt de la justice » d’accueillir ou de rejeter une demande de rétablissement. La Cour suprême du Canada « [a] insisté sur le fait qu’un tribunal administratif n’a pas l’obligation d’examiner et de commenter dans ses motifs chaque argument soulevé par les parties », mais « [l]a question que doit trancher [la Cour] demeure celle de savoir si la décision attaquée, considérée dans son ensemble, à la lumière du dossier, est raisonnable », comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65 au paragraphe 3. La qualification erronée, par le tribunal, du critère applicable visé au du paragraphe 53(3) des Règles rend l’ensemble de la décision déraisonnable.

 

[12]           En conclusion, je ne suis tout simplement pas convaincu que le tribunal a examiné de façon appropriée la prétention subsidiaire des demandeurs, à savoir que leur demande de rétablissement devrait être accueillie parce qu’il serait « dans l’intérêt de la justice de le faire ». À cet égard, je conviens avec les demandeurs que ce moyen est beaucoup plus large que le moyen relatif à la justice naturelle. En conséquence, il est possible qu’il n’y ait pas eu manquement à un principe de justice naturelle, mais cela ne signifie pas automatiquement qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice d’accueillir la demande de rétablissement présentée par les demandeurs. Il s’agit d’une question fondamentale que le tribunal n’a pas encore tranchée et qui dépasse grandement le reproche, formulé dans d’autres affaires, selon lequel le tribunal administratif n’a pas tenu compte d’un argument.

 

[13]           En conséquence, j’accueillerai la demande. La décision contestée sera annulée et l’affaire, renvoyée à un autre commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et la Cour n’en certifiera aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contestée rendue par le tribunal est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour que celui‑ci rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2990‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  KRISZTIAN SZABO
KAROLINA SARKOZI c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 3 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 5 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rafeena Rashid

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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