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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 


Date: 20121128

Dossier : T-1740-11

Référence : 2012 CF 1392

ENTRE :

 

CONSEIL DES MONTAGNAIS

DE NATASHQUAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

EVELYNE MALEC, SYLVIE MALEC, MARCELLINE KALTUSH,

MONIQUE ISHPATAO, ANNE B. TETTAUT, ANNA MALEC, ESTELLE KALTUSH ET COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, LE TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

JUGE SIMON NOËL

 

[1]               Les présents motifs font suite à l’ordonnance émise par cette Cour le 9 novembre 2012.

 

[2]               La présente demande est une révision judiciaire de la décision du 29 septembre 2011, rendue par la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne [« le Tribunal »]. Dans cette décision, celle-ci conclut que le membre instructeur Doucet sera saisi de la révision de la décision qu’il a rendue, laquelle a fait l’objet d’un contrôle judiciaire qui a été accueilli par cette Cour. Le demandeur et la Commission canadienne des droits de la personne [« CCDP »] déposèrent un mémoire écrit à l’appui de leur position respective et présentèrent des arguments oraux lors de l’audition.

 

 

I.         Les faits

 

[3]               Les défenderesses ont porté plainte à la Commission canadienne des droits de la personne [la « Commission »] contre le demandeur le 21 avril 2007. Elles alléguaient que celui-ci faisait preuve de discrimination à leur égard et ce, à cause de leur race, origine nationale ou ethnique, contrairement à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H-6.

 

[4]               La plainte a été déférée au Tribunal. Elle a été partiellement accueillie par le Tribunal dans une décision rendue le 27 janvier 2010. Le membre instructeur Doucet est arrivé à la conclusion que le système de primes d’éloignement instauré par le demandeur pour les employés qui ne résident pas dans la communauté est discriminatoire, car les primes sont attribuées de manière générale aux non-autochtones. Il a aussi conclu qu’aucune justification valable n’a été apportée par le demandeur pour réfuter la présomption prima facie de discrimination.

 

[5]               Le demandeur déposa une demande de révision judiciaire de la décision du Tribunal. Elle a été accueillie dans une décision rendue le 23 décembre 2010 (Conseil des Montagnais de Natashquan c Malec, 2010 CF 1325, 2010 CarswellNat 5666). La Cour a considéré que la décision du membre instructeur Doucet ne fait pas partie des issues raisonnables au regard du fait et du droit étant donné qu’il n’a pas considéré l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur pour expliquer en quoi la preuve prima facie de discrimination peut être réfutée.

[6]               La Cour a conclu que la preuve de justification a été complètement rejetée de façon erronée, par le décideur, qui était dans l’obligation de la considérer, de l’analyser et d’en traiter dans sa décision. En effet, le décideur n’a pas considéré les témoignages de trois personnes qui venaient apporter une justification au système de primes d’éloignement, que le décideur avait déclaré comme étant prima facie discriminatoire. 

 

[7]               L’ordonnance de la juge Tremblay Lamer est rédigée comme suit :

 

« LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision soit cassée et que le dossier soit renvoyé devant un membre instructeur du Tribunal canadien des droits de la personne pour décider de l’affaire en conformité avec ces motifs. Le tout avec dépens. »

 

 

[8]               Les défendeurs ont voulu porter l’affaire en appel, mais ils étaient hors délai et ils demandèrent une extension de délai ce qui fut refusé.

 

[9]               Le 7 mars 2011, la directrice des activités du greffe du Tribunal émettait des directives aux procureurs des parties, leur demandant de soumettre des observations écrites sur la manière dont l’affaire devrait procéder. Toutes les parties ont soumis des observations écrites. Le procureur du demandeur a demandé qu’un autre membre instructeur soit saisi du dossier et qu’une audition de novo ait donc lieu.

 

[10]           La présidente du Tribunal décida que le dossier serait renvoyé devant le même membre instructeur Doucet. Dans sa décision elle lui laisse le choix de déterminer sa propre procédure. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.        La décision révisée

[11]           La présidente constata que la juge Tremblay-Lamer ne spécifie pas si l’affaire devrait être envoyée devant le membre instructeur Doucet ou devant un autre membre.

 

[12]           La présidente du Tribunal a considéré les principes élaborés dans la jurisprudence au sujet de la possibilité pour un décideur de réviser une décision qu’il a rendue dans les cas où une telle situation ne crée pas de crainte raisonnable de partialité. Elle a appliqué aux faits de la cause le test élaboré par la jurisprudence à savoir si une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le membre instructeur Doucet, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste s’il devait à nouveau examiner le dossier.

 

[13]           Selon la présidente, le membre instructeur Doucet a l’obligation d’agir de façon impartiale et équitable. Il y a donc une présomption qu’il agira comme tel. La présidente du Tribunal rappela que c’est sur le demandeur que repose le fardeau de démontrer qu’il y a une crainte raisonnable de partialité.  

 

[14]           La présidente du Tribunal considéra que les faits de la présente affaire se rapprochent davantage de ceux de l’affaire Gale c Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 13, 316 NR 395 [Gale], dans laquelle un arbitre avait révisé une décision qu’il a préalablement rendue étant donné qu’il avait omis d’examiner un élément de preuve. De plus, elle ajouta que le membre Doucet n’a jamais fait de déclaration qui laisserait subsister une crainte raisonnable de partialité. La présidente du Tribunal a donc conclu que le dossier pouvait être renvoyé devant ce dernier étant donné que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer qu’il existe une crainte raisonnable de partialité.  

 

III.      Les soumissions du demandeur et de la Commission  

A.   La présidente du Tribunal, a-t-elle commis une erreur en assignant au membre instructeur Doucet la révision de sa décision?

 

[15]           Le demandeur soulève plusieurs arguments à l’encontre de la décision. Le demandeur soumet que le membre Doucet n’agira pas de façon impartiale et que sa réassignation au dossier serait une violation du droit à une audition juste et impartiale. Le demandeur soumet que les tribunaux administratifs doivent respecter l’exigence d’impartialité et qu’ils doivent donc éviter qu’un décideur siège en révision de sa propre décision, sauf dans les cas où cela est explicitement ou implicitement permis par la loi, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Ainsi, un autre décideur doit être assigné au dossier afin que soient respectés les principes d’équité procédurale et de justice naturelle.

 

[16]           En effet, selon le demandeur, le membre instructeur a certainement formulé une opinion quant à la preuve qu’il a entendue. De plus, on lui demande de statuer sur des éléments de preuve qui ne sont pas nouveaux. La preuve en question lui a été présentée lors de l’audition et il est arrivé à la conclusion qu’il y avait absence de preuve. Le membre instructeur Doucet ne peut réévaluer de la preuve qu’il avait initialement ignorée. Il a déjà évalué la crédibilité des témoins de manière négative et il ne peut donc pas l’apprécier de nouveau.

 

[17]           Il ajoute que si la Cour fédérale avait voulu que le même décideur soit saisi du litige, elle l’aurait indiqué clairement dans sa décision.

[18]           En terminant, le demandeur suggère qu’un procès de novo ait lieu afin que son droit à une défense pleine et entière soit respecté. Toutefois, lors de la plaidoirie, son procureur mentionna qu'il était possible d'écourter la preuve en ne soumettant pas à nouveau certains témoignages déjà entendus et ce, en utilisant les archives de la procédure qui a déjà eu lieu devant le Tribunal.

 

[19]           En contrepartie, la Commission avance qu’aucune crainte raisonnable de partialité ne découle de la réassignation du membre instructeur Doucet. Une décision qui fait l’objet d’une révision judiciaire et qui est renvoyée pour révision ne crée pas en soi un problème de partialité. Selon la Commission, il faut des éléments de preuve spécifiques et concrets pour que la présomption d’impartialité d’un décideur soit réfutée. Le fait que celui-ci devra réviser la décision qu’il a rendue, en suivant les directives de la Cour fédérale, lesquelles lui demandent de considérer la preuve dans son ensemble, ne soulève pas de crainte de partialité.

 

[20]           La Commission cite l’affaire Vilven c Air Canada, 2009 CF 367, [2010] 2 RCF 189 [Vilven] à l’appui de ses arguments. Dans cette cause, cette Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal. L’affaire a été renvoyée devant le décideur qui avait rendu la décision contestée et celui-ci en est finalement arrivé à une conclusion différente.

 

[21]           À ce sujet, il est suggéré que le décideur devra en l’espèce corriger une erreur de droit qu’il a commise lorsqu’il a statué sur la demande la première fois. En effet, selon la Commission, il devra simplement prendre en compte la preuve qu’il n’avait pas soupesée. L’omission de considérer certains éléments de preuve ne fait pas en sorte que le décideur a déjà finalisé son opinion.

 

[22]           Selon la Commission, il est dans l’intérêt public que le membre initialement saisi du litige siège en révision, étant donné sa connaissance approfondie du dossier.

 

[23]           De plus, elle soumet que la Cour fédérale, dans la décision du 23 décembre 2010, n’ordonne pas qu’un autre membre soit saisi du litige ni que l’on tienne un procès de novo. Si la juge Tremblay-Lamer en avait voulu autrement, elle l’aurait indiqué clairement dans ses conclusions. 

 

[24]           Selon la Commission, la présente demande de révision judiciaire est un appel déguisé de la décision du 23 décembre 2010. En effet, le demandeur aurait dû porter la décision en appel ou du moins, demander une clarification. Ainsi, la Commission soumet que le demandeur a ainsi renoncé à soulever la question de l’impartialité du décideur et que la présente demande constitue un abus de procédure.

 

B.   La présidente du Tribunal, a-t-elle commis une erreur en rendant sa décision sans

       permettre aux parties de faire des représentations orales et en permettant à la CCDP

       d’intervenir?

 

[25]           Le demandeur soumet que la présidente du Tribunal n’a pas respecté les principes de justice naturelle et a commis une erreur en ne permettant pas aux parties de faire de représentations orales avant de rendre sa décision. Selon la Commission, il n'y a aucune obligation de permettre aux parties de faires des  représentations orales. En effet, l'instruction des plaintes se fait sans formalité selon l'article 48.9 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H-6. En l’espèce, les soumissions écrites suffisaient.

 

 

[26]           Le demandeur soulève en plus d'autres arguments d’ordre procédurier soit :

 

-      la participation de la Commission canadienne des droits de la personne aux procédures

       devant le Tribunal; et

 

-      l’intitulé «  requête » de la décision de la Présidente du Tribunal.

 

         Selon la Commission, ce ne sont pas des arguments qui ont une portée déterminante sur le contrôle judiciaire à l’étude.

 

[27]           Ayant étudié les différents arguments proposés, la Cour considère que l’argument au sujet de l’importance du respect du principe de l’impartialité du membre instructeur et l’assignation du dossier à celui qui avait initialement décidé du litige, soulève une question substantielle, laquelle est déterminante pour le présent litige. Tel qu’expliqué lors de l’audition, la Cour fera les déterminations appropriées à ce sujet, ce qui aura comme effet de décider du sort final du litige concernant la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a donc pas lieu de se prononcer au sujet des autres arguments de type procédurier.

 

IV.       La question en litige

[28]           Donc, la question au cœur du présent litige est la suivante :

- La présidente du Tribunal, a-t-elle commis une erreur en assignant le dossier au membre

   instructeur Doucet?

 

[29]           Étant donné que ceci soulève une question d’équité procédurale, l’un des fondements essentiels à nos systèmes judiciaires et quasi judiciaires, c’est-à-dire l’impartialité d’un décideur, la norme de la décision correcte sera utilisée pour évaluer la question en litige. (Voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 44, [2009] 1 RCS 339).

 

V.        L’analyse

[30]           Le test de la crainte raisonnable de partialité a été établi dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie)[1978] 1 RCS 369, 9 NR 115, au para 40:

 

« [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [. . .] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique croirait-elle que, selon toute vraisemblance (le décideur) consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste. »

 

Cet arrêt établit l’approche qui doit être suivie, mais une attention particulière sera portée à l’arrêt Gale, précité étant donné que c’est en grande partie sur la base de celui-ci que la présidente a fondé sa décision de réassigner le dossier au membre instructeur Doucet. En effet, celle-ci a effectué un rapprochement entre les faits de cette affaire et ceux de la présente cause. Donc, pour bien analyser le présent dossier, il est nécessaire de se placer dans la situation d'une personne bien renseignée qui étudie la problématique en profondeur, de façon réaliste et pratique et qui se demande si, selon toute vraisemblance, le membre instructeur Doucet, consciemment ou non, pourrait ne pas rendre une décision juste.

 

[31]           La décision du membre instructeur Doucet est une décision finale où celui-ci après avoir  évalué la preuve, décida de la portée à donner aux témoignages, de leur crédibilité et fit les déterminations qu’il jugea comme étant appropriées. Le membre instructeur a en pratique rejeté certains témoignages pour plutôt préférer d’autres témoignages.

 

[32]           La juge Tremblay-Lamer conclut que la décision du membre instructeur Doucet est déraisonnable. Les reproches sont importants. Elle considéra comme étant « fausse » l’affirmation selon laquelle l’employeur n’avait fourni aucune preuve justifiant la politique d’éloignement. La juge déclara que le membre instructeur avait omis, « sans motifs valables », d’accorder une quelconque force probante à l’admission d’un témoin lors d’un contre-interrogatoire. Elle reproche au décideur, en plus, de ne pas avoir examiné le témoignage d’un autre témoin concernant la prime d’éloignement. Enfin, la juge reproche au membre instructeur de ne pas avoir pris en considération « l’ensemble des témoignages ».

 

[33]           Ce sont là des reproches sérieux, importants, lesquels doivent être pris en considération dans le cadre de la décision d’assigner le dossier à un membre instructeur, cette décision devant être juste et équitable.  

 

[34]           La présidente du Tribunal n’a pas indiqué dans sa décision si elle avait tenu compte des reproches dirigés à l’encontre du travail du membre instructeur. Cet élément apparaît à cette Cour comme étant une omission majeure dans le cadre de son évaluation dans le but de déterminer le décideur qui sera assigné au dossier.

 

[35]           De tels reproches rendant la décision du membre instructeur déraisonnable ne peuvent qu’avoir un impact significatif, sur la personne contre laquelle ils sont dirigés et avoir une influence sur son état d’esprit, que cela soit conscient ou pas. Il est aussi important de considérer l’impression laissée par ces reproches aux yeux d’une personne bien renseignée qui doit vérifier si oui ou non tel membre décideur est la personne appropriée pour réévaluer la preuve et faire de nouvelles déterminations de façon juste.

 

[36]           Certes, il y a la présomption d’impartialité du décideur et de simples doutes ne peuvent suffire à remettre celle-ci en question. Toutefois, dans le présent cas, sachant que la décision déclarée comme étant « déraisonnable » le fut sur la base de reproches percutants, sérieux, touchant le cœur même de la décision et le travail normalement exigé d’un membre instructeur en situation semblable ne peut qu’avoir une influence sur l’évaluation à faire par une personne bien renseignée regardant une telle situation d’un point de vue objectif. Il faut se rappeler que le membre instructeur a signé une décision finale dans laquelle il détermina les questions de droit et de fait qui lui furent présentées.

 

[37]           Mais il y a plus. La présidente dans sa décision au paragraphe 1 limite sa compréhension du dossier et du jugement au fait que le décideur a erré lorsqu’il détermina qu’il n’y avait aucune preuve au dossier justifiant la politique prima facie discriminatoire du demandeur. Une telle compréhension générale ne rend pas justice aux motifs et jugement de la juge Tremblay-Lamer.

 

[38]           À ce sujet, je ne peux que réitérer les propos importants de la juge au paragraphe 36 de sa décision (voir Conseil des Montagnais de Natashquan c Malec, 2010 CF 1325):

« Il est une chose de dire qu'une preuve est insuffisante pour renverser une preuve prima facie de discrimination, mais il en est une autre de complètement ignorer, comme c'est le cas en l'espèce, la preuve de justification qui a été présentée. »

 

Elle ajoute :

 

« Le Tribunal aurait dû prendre en considération les explications apportées par le demandeur et décider si, en vertu de la jurisprudence applicable et de la totalité de la preuve, ces explications étaient suffisantes pour renverser la preuve prima facie de discrimination. »

[Je souligne.]

 

[39]           La tâche du membre instructeur assigné au dossier ne se limitera pas à considérer les éléments de preuve qui établissent la présomption prima facie de discrimination. Il aura aussi à évaluer, s’il y a lieu, le caractère raisonnable des compensations accordées par le Tribunal aux défenderesses (voir les paras 37, 12, 13 et 14 de la décision de la juge Tremblay-Lamer). Dans sa décision, la présidente du Tribunal n’a pas pris en considération l’ensemble du travail requis du décideur et l’impact sur un membre instructeur qui a déjà fait son nid en concluant de façon précise à l’égard de tous ces éléments. Dans de telles circonstances, il est erroné de placer un membre instructeur en appel de sa propre décision et lui demander de regarder plus attentivement certains témoignages (qu’il n’avait pas pris en considération de façon indicative) ou encore lui demander de réévaluer ses déterminations concernant les primes d’éloignement s’il y a lieu. Il y a là, pour une personne bien renseignée, grande matière à préoccupation quant à l’objectivité et l’impartialité requises d’un membre instructeur.

 

[40]           La présidente du Tribunal utilisa la décision Gale, précité pour justifier sa détermination d’assigner le dossier à nouveau au membre instructeur Doucet. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale retourna le dossier au même arbitre qui avait rendu la décision initiale. Dans cet arrêt, une question d’équité procédurale était soulevée car un décideur rendit une décision sans attendre les résultats d’un complément d’enquête qu’il avait lui-même demandé. La Cour d’appel fédérale conclut que ceci avait privé l’appelant de l’équité procédurale à laquelle il a droit et retourna le dossier au même arbitre pour qu’il fasse une nouvelle détermination. On considéra qu’une telle situation ne soulevait pas une question de partialité ni de crainte raisonnable de partialité.

 

[41]           Ceci est bien différent de notre cas. Tel que mentionné ci-haut, les reproches dirigés contre le membre instructeur sont sérieux, importants et une reprise complète de l’évaluation des témoignages est requise, laquelle prendra en compte le droit applicable en semblable matière. Dans l’arrêt Gale, précité on constate l’omission de ne pas avoir attendu le résultat du complément d’enquête et on retourne le dossier à l’arbitre afin qu’il redétermine le tout en prenant en considération la nouvelle information. En comparant l’arrêt Gale, précité avec le présent dossier, la présidente du Tribunal démontre à nouveau sa compréhension limitée des motifs et du jugement de la juge Tremblay-Lamer et de ses conséquences.

 

[42]           Une personne bien renseignée, qui connaît les enjeux, ayant pris en considération la décision du membre instructeur, les motifs et le jugement de la juge Tremblay-Lamer, lequel inclut les reproches constatés et le travail à être entrepris, la décision de la présidente du Tribunal assignant à nouveau le dossier au même membre instructeur ne peut que conclure, selon toute vraisemblance que le décideur consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste.

 

[43]           L’avocat de la Commission argumenta que l’économie judiciaire justifie l’assignation à nouveau au même membre instructeur. Ceci ferait gagner du temps aux parties d’autant plus que ce serait une décision qui épargnerait les ressources judiciaires. Lorsque l’intérêt de la justice est en jeu et que l’impartialité d’un décideur est remise en question, l’économie de temps et de l’argent doit faire place à ce qui a de plus important dans notre système judiciaire, le droit de voir sa cause jugée par un décideur impartial, neutre et libre de toute attache pouvant l’influencer indûment.

 

[44]           J’ajoute que tout en tenant compte de l'ouverture du procureur de la demanderesse lors de l'audition, un nouveau membre instructeur aura la possibilité de discuter avec les parties et leurs avocats dans le but de trouver les façons appropriées d’utiliser le travail déjà fait de façon efficace tout en étant conscient de l’économie de temps et de l’argent. Ainsi, la justice et les parties seront mieux servies.

 

[45]           Tout récemment, lors d’une demande d’ajournement par le demandeur dans l’attente d’une décision de la Cour fédérale de la présente demande de contrôle judiciaire, le membre instructeur Doucet, bien qu’il ne soit pas saisi d’une requête en récusation, a répondu à l’argument soulevé de crainte raisonnable justifiant l’ajournement demandé par le demandeur et se prononce dans une décision rendue le11 avril 2012. Il conclut que la situation découlant du jugement du juge Tremblay-Lamer ne suffit pas « à fonder une crainte raisonnable de partialité ». Il le fait de la même manière que la Présidente du Tribunal, en ne tenant pas compte du travail requis, de ce qu’il implique et des reproches adressés à son égard. Il  considère que les circonstances ne créent pas une crainte raisonnable de partialité. Selon lui, une personne bien renseignée constaterait qu’il a simplement commis une erreur du droit dans l’évaluation du droit et des faits. C’est sur cette base, en partie, qu’il rejette la demande d’ajournement de l’audition.

 

[46]           Cette Cour est d’avis qu’il n’était pas approprié de faire une telle détermination à ce stade-ci. Celui-ci n’était pas saisi d’une requête en récusation et les parties n’avaient pas plaidé une telle requête. De plus, il semble ne pas accorder d’importance au jugement rendu à l’égard de sa décision et il ne semble pas être conscient de la tâche à accomplir et des reproches qu’on lui a faits. Une telle façon de procéder laisse supposer qu’il veut se saisir du dossier sans que la Cour fédérale se soit prononcée sur la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Présidente du Tribunal. Ainsi, ceci laisse envisager que le membre instructeur n’agit pas de manière objective. 

 

[47]           En ce qui concerne les dépens, je note que les défendeurs, Évelyne Malec, Sylvie Malec, Marcelline Kaltush, Monique Ishpatao, Anne B. Tettaut, Anna Malec et Estelle Kaltush, n’ont pas soumis de mémoire à ce sujet. La Commission a pris faits et cause dans le dossier. Sa participation fut utile aux fins du dossier et des déterminations faites. En conséquence, aucuns dépens ne seront accordés.

 

[48]           En conclusion, la Cour conclut que dans les circonstances, la décision de la présidente n’a pas tenu compte de l’ensemble du travail à être à nouveau fait ainsi que les reproches dirigés contre le membre instructeur. Ayant omis de prendre en considération ces importants éléments, son analyse de l’impartialité du membre instructeur en de telles circonstances est erronée. Ainsi, une personne bien renseignée, qui connaît le dossier conclurait que le membre instructeur, selon toute vraisemblance, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste. Le dossier est donc retourné à la présidente afin qu'elle assigne le dossier à un autre membre instructeur.

 

[49]           Je suis aussi saisi d’une requête en sursis de l’audition fixée pour les 21, 22 et 23 novembre 2012. Il va de soi qu’étant donné que la demande de contrôle judiciaire est accordée, l’audition prévue pour la fin novembre n’aura pas lieu.

 

[50]           Étant donné que les motifs ne pouvaient être prêts avant les auditions de fin novembre 2012, la Cour signa une ordonnance le 9 novembre 2012 accordant la demande de contrôle judiciaire et dans laquelle elle retournait le dossier à la présidente pour qu’elle l’assigne à un autre membre instructeur.

   « Simon Noël »

                                                                                    _____________________________

                                                                                                            Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 28 novembre 2012


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1740-11

 

INTITULÉ :                                      CONSEIL DES MONTAGNAIS DE NATASHQUAN c EVELYNE MALEC ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le  18 octobre 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me John White

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Giacomo Vigna

 

POUR LA DÉFENDERESSE

LA COMMISSION CANADIENNE

DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dussault, Larochelle, Gervais, Thivierge

Québec (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Me Giacomo Vigna

Avocat

Commission canadienne des droits

de la personne

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

LA COMMISSION CANADIENNE

DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

 

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