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Date : 20121129

Dossier: IMM-2061-12

Référence : 2012 CF 1395

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

 

RACHEL AYIKEZE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

et

LA MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi] d’une décision du 27 janvier 2011 de l’agente chargée de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agente), rejetant la demande d’ERAR de la demanderesse au motif qu’elle n’avait pas qualité de personne à protéger.

Le contexte factuel

[2]               Madame Rachel Ayikeze (la demanderesse) est une citoyenne du Burundi. Elle a quitté le Burundi en novembre 2005 pour se rendre aux États-Unis où elle est restée jusqu’au 1er décembre 2005, date de son entrée au Canada. Elle a demandé l’asile à son arrivée au Canada, mais la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé sa demande le 27 novembre 2006.

 

[3]               La SPR n’a pas cru l’histoire de la demanderesse selon laquelle elle se serait fait voler ses documents par un groupe de rebelles lors d’une embuscade et qu’elle aurait été par la suite menacée de se joindre au groupe de rebelles. La décision de la SPR a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire qui a été refusée.

 

[4]               La demanderesse a soumis une demande d’ERAR le 15 février 2010. Cette demande fut refusée le 27 janvier 2011. La décision sur l’ERAR a été remise aux avocats de la demanderesse le 23 février 2012 et en main propre à la demanderesse en mars 2012 (Dossier de la demanderesse,     p 59).

 

La décision contestée

[5]               L’agente a rejeté la demande d’ERAR de la demanderesse le 27 janvier 2011, jugeant que cette dernière ne risquait pas d’être torturée ou persécutée, de subir un châtiment ou des traitements cruels ou inhabituels, ni de voir sa vie menacée advenant un renvoi vers le Burundi.

 

[6]               L’agente a d’abord identifié la crainte soulevée par la demanderesse, soit celle des rebelles des Forces nationales de libération (FNL) qui l’auraient menacée, contraint de remettre ses effets personnels et documents lors d’une embuscade, et lui auraient par la suite fait parvenir une lettre menaçante l’enjoignant de se joindre aux rangs des FNL.

 

[7]               L’agente a d’abord indiqué que, suite au rejet par la SPR de la demande de statut de réfugié de la demanderesse, seuls les nouveaux éléments de preuve peuvent être considérés dans un ERAR, en conformité avec l’alinéa 113a) de la Loi. L’agente a conclu que la demanderesse présentait une demande basée sur les mêmes faits que ceux analysés devant la SPR à l’égard desquels cette dernière n’avait pas trouvé la demanderesse crédible. L’agente a rappelé qu’une demande d’ERAR n’est pas un mécanisme de révision d’une décision de la SPR. Elle a ensuite énoncé le processus de l’ERAR en deux (2) parties, la première étant l’évaluation de nouveaux éléments de preuve soumis depuis le rejet de la demande d’asile, la seconde étant une détermination de la présence d’un changement dans les conditions de pays de sorte à engendrer un risque de retour.

 

[8]               Quant à la première composante, l’agente a reconnu que la demanderesse soulève que les rebelles des FNL font maintenant partie du gouvernement. Elle a toutefois noté que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer qu’elle a été menacée dans le passé ni qu’elle pourrait l’être à son retour, et qu’elle n’a soumis aucun nouvel élément de preuve au soutien de sa demande d’ERAR.

 

[9]               En ce qui concerne la deuxième composante, l’agente a considéré les conditions actuelles au Burundi, se basant sur la preuve objective et évaluant si la demanderesse possède un profil d’une personne susceptible d’être ciblée. Bien que l’agente ait conclu qu’il existe toujours certains problèmes au Burundi, surtout en ce qui a trait à la violence politique et au non-respect des droits humains de la part du gouvernement, elle a conclu que la demanderesse elle-même n’a pas le profil de quelqu’un qui est susceptible d’être ciblée.

 

Les questions en litige

[10]           Les questions en litige dans ce cas sont les suivantes :

a.       L’agente a-t-elle commis une erreur en déterminant que la demanderesse n’avait pas fourni de nouvelles preuves ?

b.      L’agente a-t-elle commis une erreur en évaluant le risque auquel ferait face la demanderesse advenant un retour au Burundi ?

c.       Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale du fait que la demanderesse ait reçu la décision de l’agente un an après que sa demande ait été rejetée ?

 

Les dispositions législatives

[11]           La disposition suivante de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est pertinente dans ce cas :

Section 3

Examen des risques avant renvoi

 

Protection

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus

depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances,

de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

[…]

Division 3

Pre-Removal Risk Assessment

 

Protection

[…]

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection

shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant

could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

[12]           Le paragraphe suivant du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) est également pertinent :

Section 4

Examen des risques avant renvoi

 

Nouveaux éléments de preuve

 

[…]

 

161. (2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.

Division 4

Pre-Removal Risk Assessment

[…]

 

New evidence

 

 

161. (2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them.

 

La norme de contrôle

[13]           Les questions d’équité procédurale attirent la norme plus élevée, soit celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 129, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La première question en litige dans ce cas sera donc révisée en fonction de la norme de la décision correcte.

[14]           De façon générale, les questions se rapportant aux conclusions d’un agent ou d’une agente d’immigration par rapport aux demandes d’ERAR sont évaluées selon la norme de la décision raisonnable (Figurado c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] 4 RCF 387 [Figurado]; Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 31, 2010, [2010] ACF no 41 (QL); Kanaku c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 394, 176 ACWS (3e) 1122). Les parties s’entendent - et la Cour est en accord – pour dire que la norme raisonnable s’applique aux questions deux (2) et trois (3). En traitant de ces questions, la Cour doit faire preuve de déférence et porter son analyse sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au para 47).

 

L’analyse

a.         Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale à cause du délai ?

[15]           La demanderesse s’appuie sur l’arrêt Figurado, précité, pour appuyer sa position quant au manquement à l’équité procédurale à cause du délai dans la communication de la décision. La décision Figurado se distingue du cas présent puisque le demandeur dans ce cas avait déjà été renvoyé vers son pays. La question était donc de savoir si le contrôle judiciaire d’un ERAR était purement théorique et devrait être entendu par cette Cour alors que le principal intéressé avait déjà été renvoyé. Le juge Martineau souligne, au para 40, que : « [l]e processus ERAR a été mis en œuvre pour qu’une personne puisse demander l’examen des risques avant son renvoi du Canada plutôt qu’après. […] Par conséquent, l’ERAR est étroitement liée à la date de renvoi prévue et elle est effectuée juste avant l’exécution de la mesure » [souligné dans l’original].

[16]           Comme le souligne le défendeur, la Loi n’établit pas de délai spécifique à l’intérieur duquel une décision d’ERAR doit être prise et communiquée. Qui plus est, la section 5.19 du Manuel de procédures PP3 – Examen des risques avant renvoi, « Observations reçues après la prise d’une décision à la suite d’un ERAR, mais avant que le demandeur en soit informé », indique qu’un demandeur peut exposer de nouvelles informations en tout temps avant de recevoir la lettre de convocation qui annonce qu’une décision a été prise et l’agent doit en tenir compte (Chudal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1073, 141 ACWS (3d) 609).  Le fardeau de présenter de la nouvelle preuve advenant un changement de situation au Burundi revenait à la demanderesse. La demanderesse était libre de soumettre de la documentation à cet effet jusqu’au moment où elle a été avisée de la décision.  Elle ne l’a pas fait. 

 

[17]           La demanderesse n’a pas convaincu cette Cour que le délai lui a causé un préjudice. La Cour fait référence aux propos du juge Mosley dans Qazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1667 au para 24, 144 ACWS (3e) 708, où une période de deux ans s’était écoulée entre la prise de la décision négative d’ERAR et sa communication au demandeur :

En l’absence de toute preuve démontrant que le demandeur a subi un préjudice du fait du délai écoulé avant qu’il obtienne la décision à l’égard de l'ERAR, je ne puis conclure qu’on a privé le demandeur de l’équité procédurale ou de la justice naturelle. …

 

[18]          En l’espèce, la demanderesse n’a présenté aucune preuve et n’a pas convaincu cette Cour que le délai dans la présente affaire pourrait être qualifié d’excessif et qu’il lui aurait porté préjudice (Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307 [Blencoe]; Malhi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 802 au para 10, 131 ACWS (3e) 730).

b.         L’agente a-t-elle commis une erreur en examinant la preuve ?

[19]           L’alinéa 113a) de la Loi établit clairement que seule la nouvelle preuve sera considérée pour une demande d’ERAR. De plus, le paragraphe 161(2) du Règlement stipule qu’il faut indiquer dans quelle mesure les nouvelles preuves s’appliquent au cas en l’espèce. La Cour est d’avis que l’agente n’a commis aucune erreur dans son appréciation de la preuve. Bien que l’agente mentionne que « la demandeure (sic) n’a pas soumis de nouveaux éléments de preuve » (Dossier de la demanderesse,   p 10), l’agente a tout de même considéré la déclaration de la demanderesse selon laquelle les FNL qui l’auraient menacée font maintenant partie du gouvernement. De surcroît, la Cour note que la demanderesse n’a soumis aucune preuve documentaire à l’appui de sa demande d’ERAR pour soutenir cette allégation.

 

[20]           L’agente a considéré le fait que les FNL sont maintenant membres du gouvernement, ce qui n’était pas le cas lors de la demande devant le SPR. L’agente pouvait raisonnablement conclure que le fait que les FNL soient maintenant membres du gouvernement n’est pas un nouvel élément de preuve puisque la demanderesse n’a pas démontré qu’elle a été menacée par les FNL dans le passé ni qu’elle pourrait l’être advenant un retour au Burundi. En fait, la demanderesse base sa demande d’ERAR sur les mêmes faits que ceux déjà analysés à la SPR. La Cour rappelle que l’ERAR n’est pas un appel de la décision de la SPR (Abdollahzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1310 aux para 26-28, 325 FTR 226).

 

[21]           La demanderesse soutient également que l’agente a erré en ne considérant pas le fait qu’elle est une femme, et que la preuve objective relève des problèmes de violence sexuelle au Burundi. Or, la revendication de la demanderesse est basée sur son ethnicité et le fait que les rebelles tentaient de la recruter et ne fait aucunement référence à des problèmes de violence sexuelle. 

 

[22]           La jurisprudence de cette Cour est claire à l’effet qu’il incombe à la demanderesse de faire le lien entre la preuve objective et sa situation personnelle et, en l’espèce, la demanderesse n’a pas démontré qu’elle a été menacée ou qu’elle le serait advenant un retour au Burundi. La preuve documentaire au dossier, à elle seule, ne peut suppléer au manque de preuve liée au cas particulier de la demanderesse (citant Dreta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1239, 142 ACWS (3e) 493 et Nazaire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 416, 150 ACWS (3e) 902).

 

c.         L’agente a-t-elle commis une erreur dans son évaluation du risque ?

[23]           La Cour est d’avis que l’agente n’a pas commis d’erreur en évaluant le risque auquel ferait face la demanderesse advenant un retour au Burundi. Elle a considéré la preuve objective et a conclu qu’une certaine violence politique perdure au Burundi, en fonction de ce qu’indiquait le US Department of State Country Report on Human Rights Practices, Burundi-2009 [USDS Country Report], daté du mois de mars 2010. Elle a aussi constaté que plusieurs Burundais ont pu retourner dans leur pays d’origine, bien que cela ait causé certaines disputes foncières. La preuve au dossier ne démontre pas que les problèmes de disputes foncières concernent la demanderesse.

 

[24]           La Cour rappelle qu’il incombe à la demanderesse de démontrer le risque auquel elle fait face, et de lier sa situation personnelle à la preuve objective consultée (Choufani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 611 au para 24, 365 FTR 232).

 

 

[25]           La Cour est d’avis que l’agente a rendu une décision raisonnable, appuyée par la preuve et bien motivée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2061-12

 

INTITULÉ :                                      Rachel Ayikeze c MCI et MSPPC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 1er octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 29 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Azadeh Tamjeedi

Me Aissa Nauthoo

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Melissa Mathieu

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Services d'aide juridique du Centre francophone de Toronto

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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