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Date : 20121210

Dossier : IMM-1886-12

Référence : 2012 CF 1453

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

BIBI SHAREZA POKHAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

[1]               En 2005, Mme Bibi Shareza Pokhan et son mari ont quitté la Guyana pour venir au Canada. Tous deux ont présenté une demande d’asile, qui a été rejetée.

 

[2]               Le mari de Mme Pokhan était violent à l’endroit de celle‑ci. Finalement inculpé de voies de fait, il a été expulsé vers la Guyana en 2010. Le couple avait divorcé dans l’intervalle, et Mme Pokhan avait obtenu la garde exclusive de leur enfant, qui est né au Canada.

 

[3]               Mme Pokhan a présenté une demande de réouverture de sa demande d’asile en vue de faire valoir sa crainte d’être victime de violence familiale advenant son retour en Guyana. Une formation de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté cette demande en 2010 au motif que Mme Pokhan pouvait obtenir la protection de l’État en Guyana.

 

[4]               Mme Pokhan a également présenté une demande fondée sur des considérations humanitaires et une demande d’examen des risques avant renvoi. Les deux demandes ont été rejetées.

 

[5]               Seule la demande fondée sur des considérations humanitaires de Mme Pokhan est en cause dans la présente instance. Mme Pokhan soutient principalement que l’agent ayant statué sur sa demande a évalué erronément l’intérêt supérieur de son enfant. Mme Pokhan fait valoir plus particulièrement que l’agent s’est penché sur la mauvaise question – celle de savoir si elle avait démontré que les besoins fondamentaux de son enfant ne seraient pas comblés en Guyana, ou que, si elle était renvoyée du Canada, son enfant subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Selon Mme Pokhan, l’agent aurait plutôt dû soupeser les bénéfices que son enfant retirerait si elle n’était pas renvoyée du Canada en regard du degré de difficultés auquel l’enfant serait exposé advenant ce renvoi, et cette évaluation aurait dû faire partie des facteurs pertinents pris en compte par l’agent et de l’examen global des difficultés occasionnées par un éventuel renvoi.

 

[6]               Mme Pokhan soutient que la décision de l’agent devrait être annulée et que sa demande devrait être réexaminée par un nouvel agent. Je suis aussi d’avis que la décision de l’agent devrait être annulée et je dois, par conséquent, accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[7]               Mme Pokhan a fait valoir un certain nombre de problèmes entachant, selon elle, la décision de l’agent. À mon avis, la principale question en litige est de savoir si l’agent a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant en fonction d’un mauvais critère. Les autres prétentions de Mme Pokhan sur le sujet – la décision de l’agent était déraisonnable et les motifs de la décision étaient insuffisants – sont liées à la question du critère approprié. Il n’est sera pas nécessaire que j’en traite de manière distincte. Mme Pokhan a aussi invoqué d’autres erreurs que l’agent aurait commises dans sa décision, mais je n’aurai pas non plus à m’y attarder, puisque j’ai conclu que l’agent a analysé erronément l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[8]               La seule question en litige est donc de savoir si l’agent a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant au regard d’un critère erroné.

 


II.        Décision de l'agent

 

[9]               Faisant remarquer que l’enfant âgé de trois ans est un citoyen canadien, l’agent a conclu qu’il pouvait facilement rester au Canada avec d’autres membres de la famille si Mme Pokhan devait être renvoyée.

 

[10]           L’agent a ensuite examiné la situation à laquelle l’enfant ferait face en Guyana. Il a fait remarquer que les ressources en matière d’éducation et de soins de santé étaient déficientes dans ce pays. L’enfant ne serait toutefois pas visé personnellement par ces problèmes puisque l’ensemble de la population y est aussi confrontée. Par ailleurs, les besoins fondamentaux de l’enfant seraient comblés en Guyana.

 

[11]           L’agent a reconnu qu’il faudrait un certain temps à l’enfant pour s’adapter à la vie en Guyana, mais, selon lui, cette adaptation se ferait vraisemblablement. Encore une fois, les besoins fondamentaux de l’enfant seraient comblés et celui‑ci ne serait pas exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

III.       L’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère?

[12]           Le ministre soutient qu’il y avait lieu pour l’agent de prendre en considération les difficultés auxquelles l’enfant ferait face en Guyana. La Cour doit maintenant chercher à savoir si, au vu de la décision dans son ensemble, l’agent a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[13]           Je suis d’accord avec le ministre jusqu’à un certain point. En effet, il est manifestement erroné de la part d’un agent d’indiquer que l’intérêt supérieur de l’enfant n’entre en compte que dans le cas où ses besoins fondamentaux ne seraient pas comblés (Sebbe et al Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813, au paragraphe 15). Par ailleurs, il ne s’agit pas de se demander si l’enfant sera exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agent doit plutôt considérer le bénéfice que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l’enfant advenant un tel renvoi (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 4).

 

[14]           En l’espèce, l’agent n’a pas pris en compte les bénéfices que retirerait l’enfant si Mme Pokhan demeurait au Canada. Il a seulement examiné comment l’enfant se débrouillerait seul au Canada auprès des membres de la famille élargie, par comparaison à ce à quoi il serait confronté en Guyana. L’agent n’a jamais envisagé la possibilité que Mme Pokhan puisse demeurer au Canada.

 

[15]           L’agent a en outre clairement commis une erreur en exigeant la preuve de l’impossibilité de combler les besoins fondamentaux de l’enfant en Guyana ou de circonstances qui correspondraient à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le qualificatif « injustifiées » est particulièrement inapproprié aux fins de l’analyse de l’intérêt supérieur, puisqu’aucun enfant ne mérite d’être exposé à des difficultés (décision Hawthorne, précitée, au paragraphe 9).

 

[16]           Ainsi, à mon sens, l’agent n’a pas recouru au critère approprié pour analyser l’intérêt supérieur de l’enfant. En raison de cette erreur, on ne peut qualifier l’analyse de l’agent de raisonnable et les motifs de sa décision de suffisants. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

IV.       Conclusion et dispositif

[17]           En procédant à l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a semblé exiger que Mme Pokhan démontre que les besoins fondamentaux de son enfant ne seraient pas comblés en Guyana, ou que l’enfant y serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Or, il ne s’agit pas du bon critère. Un agent doit plutôt mettre en balance les bénéfices que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada et les difficultés auxquelles il serait exposé advenant un tel renvoi. L’analyse doit ensuite prendre en compte l’évaluation globale de la possibilité que le renvoi du demandeur cause des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agent a appliqué le mauvais critère, et je dois par conséquent accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances, aucune question de portée générale n’est soulevée aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  Aucune question de portée générale n’est soulevée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1886-12

 

INTITULÉ :                                      BIBI SHAREZA POKHAN

                                                            c

MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O'REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Wazana

POUR LA DEMANDERESSE

 

Veronica Cham

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Wazana

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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