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Date : 20121213

Dossier : IMM-3045-12

Référence : 2012 CF 1475

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

CSABA MOLNAR, CSABANE MOLNAR,
EVELIN MOLNAR, CSABA MOLNAR FILS,
KINGA MOLNAR et
AMANDA EDIT MOLNAR

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), relativement à une décision, datée du 29 février 2012, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile que les demandeurs avaient présentée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

Le contexte factuel

[2]               M. Csaba Molnar (le demandeur principal), son épouse Csabane Molnar (la demanderesse secondaire), de même que leurs enfants d’âge mineur, Evelin, Csaba fils, Kinga Molnar et Amanda Edit Molnar (les demandeurs mineurs), sont tous citoyens de la Hongrie. Ils sont d’origine rom et sollicitent l’asile en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. La demanderesse secondaire a été désignée représentante des demandeurs mineurs.

 

[3]               Les demandeurs ont quitté la Hongrie en raison de faits qui sont survenus en janvier 2009. Le cousin du demandeur principal – Tomi – qui, a-t-il été dit, vivait avec eux, travaillait prétendument pour la mafia hongroise (appelée aussi la famille Raffael). Le 16 janvier 2009, la mafia aurait demandé à Tomi de jouer avec un riche homme d’affaires de Budapest, contre lequel il aurait perdu la somme de 6 millions de forints (environ 27 500 $). La mafia aurait tenu Tomi responsable de la dette et l’aurait menacé. Le demandeur principal aurait aidé Tomi à acquitter une partie de la dette, mais Tomi et lui ont été agressés lorsqu’ils n’ont remboursé qu’une partie de la dette, et on leur a donné deux (2) semaines pour trouver le reste. Le demandeur principal prétend que, quelques jours après cet incident, un membre de la famille Raffael a communiqué avec Tomi pour l’aviser que, si la dette n’était pas remboursée, le demandeur principal serait obligé de céder sa maison. On aurait également menacé le demandeur principal que sa famille et lui seraient tués s’il communiquait avec la police ou ne parvenait pas à rembourser la dette.

 

[4]               Tomi, le cousin du demandeur principal, a prétendument disparu depuis ce jour‑là. Le 1er février 2009, un membre de la famille Raffael se serait présenté au domicile des demandeurs et aurait demandé à voir Tomi. Craignant pour sa vie, le demandeur principal a menti au sujet de l’endroit où Tomi se trouvait. Après cette visite, les demandeurs auraient fui à Budapest et auraient vécu cachés jusqu’à ce que des dispositions soient prises en vue de leur venue au Canada.

 

[5]               À l’audience, le demandeur principal a ajouté qu’il avait également peur de la Garde hongroise, dont des membres l’avaient prétendument agressé en 2007 (dossier du tribunal, vol. 3, pages 584 et 585). Il a dit s’être présenté à la police, mais que rien n’a été fait.

 

[6]               À l’audience de la Commission, la demanderesse secondaire a prétendu qu’après avoir subi une césarienne en 2007, on avait ligaturé ses trompes de Fallope contre sa volonté. Elle a dit être allée voir la police, mais que rien n’a été fait (dossier du tribunal, vol. 3, page 607).

 

[7]               À l’audience, le demandeur principal a déclaré qu’à l’école, ses enfants – les demandeurs mineurs – étaient traités différemment des autres enfants hongrois, et que leurs enseignants les écartaient (dossier du tribunal, vol. 3, page 594).

 

[8]               Les demandeurs ont fui la Hongrie le 17 mars 2009 et sont arrivés au Canada le même jour. Ils ont demandé l’asile dès leur arrivée à l’aéroport.

 

[9]               L’avocat précédent des demandeurs avait prétendument omis de traduire pour eux leurs formulaires de renseignements personnels (FRP) avant de les produire. Les demandeurs ont rencontré leur avocat actuel le 28 mars 2011. Celui-ci leur a fourni leurs FRP, et des versions modifiées ont été présentées à la Commission.

 

[10]           La Commission a entendu la demande des demandeurs le 8 décembre 2011.

 

La décision contestée

[11]           Dans une décision rendue le 29 février 2012, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi, car ils n’étaient pas parvenus à réfuter la présomption d’une protection de l’État. Elle a indiqué que la question déterminante consistait à savoir si la crainte qu’éprouvait les demandeurs était raisonnable objectivement, une question pour laquelle elle a examiné l’existence d’une protection de l’État, ainsi que de savoir si les demandeurs avaient pris toutes les mesures raisonnables pour se prévaloir de cette protection et s’ils avaient présenté une preuve convaincante de l’incapacité de l’État à les protéger. Elle a conclu que non. Elle a également tiré une conclusion défavorable quant à leur crédibilité.

 

La question en litige

[12]           La question principale qui se pose en l’espèce est de savoir si la Commission a commis une erreur dans son analyse portant sur la crédibilité et sur la protection de l’État.

 

La norme de contrôle applicable

[13]           L’évaluation que fait la Commission de la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit, et elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 (Dunsmuir), Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 DLR (4th) 413, au paragraphe 38 (Hinzman), Balogh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 216, [2012] ACF no 230 (QL), au paragraphe 9). L’analyse de la Cour aura donc trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

L’analyse

[14]           À l’audience de la Cour, le demandeur a fait valoir que la Commission, dans sa décision, s’était fondée de manière injuste sur les FRP parce qu’on ne lui avait pas demandé d’attester sous serment la véracité de ce document. Cette situation était attribuable à des informations fournies par un représentant juridique antérieur au sujet de la traduction des FRP. Quoi qu’il en soit, il ressort clairement du dossier que la Commission a indiqué dès le départ que les FRP pouvaient être mis à jour et modifiés au besoin au cours de l’audience (dossier du tribunal, page 567). La Cour signale également que les problèmes dont la Commission a fait état n’avaient pas uniquement trait au FRP, la Commission s’est également fondée sur les témoignages des demandeurs qui contenaient des contradictions et des versions différentes (dossier du tribunal, pages 7, 9 et 10). La Cour ne peut convenir avec le demandeur que la Commission a commis une erreur.

 

[15]           Même si la Cour reconnaît que le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumé véridique, en l’espèce, il y avait des raisons de douter de la véracité des témoignages des demandeurs et donc de réfuter cette présomption de véracité. Ces incohérences touchaient au cœur même de la prétention qu’ils avaient évoquée au départ, soit la crainte de la mafia hongroise. La Cour est d’avis que les conclusions relatives à la crédibilité étaient bel et bien raisonnables, eu égard aux omissions et aux incohérences importantes qui ont été relevées dans les témoignages ainsi que dans l’exposé écrit des demandeurs.

 

[16]           Les demandeurs ont affirmé que tout demandeur d’asile hongrois est voué à l’échec, car la Commission, dans son analyse, conclura systématiquement que la Hongrie est une démocratie dotée d’un gouvernement central et de la capacité de faire respecter la loi et d’autres initiatives en vue d’assurer la protection de ses citoyens. La Cour ne saurait souscrite à cette prétention – le fait que la Hongrie soit une démocratie et un État fonctionnel faisant partie de l’Union européenne et membre du Conseil de l’Europe amène simplement à présumer que la protection de l’État est disponible et adéquate (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 103 DLR (4th) 1 (Ward)). La Cour rappelle que chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres. La Cour convient avec les demandeurs que, si un demandeur d’asile a tenté d’obtenir sans succès une protection de l’État, ou s’il a produit une preuve montrant que cette protection est inadéquate, ce demandeur pourrait réussir à réfuter cette présomption. Cependant, comme il le sera expliqué ci‑après, ce n’est pas le cas.

 

[17]           Les demandeurs prétendent que, dans certaines circonstances, il est déraisonnable de s’attendre à ce que des demandeurs d’asile sollicitent la protection de l’État avant de quitter leur pays. Mais cela ne s’applique pas en l’espèce, qui se distingue nettement de l’affaire qui était en cause dans la décision Melo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 150, 165 ACWS (3d) 335 (Melo), au paragraphe 10, que les demandeurs ont invoquée. Dans l’affaire Melo, le père du demandeur était commissaire de police et était l’auteur de la persécution. Il était manifestement déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur sollicite une protection auprès de son persécuteur. Par ailleurs, il avait fourni des éléments de preuve expliquant pourquoi il aurait été déraisonnable de solliciter une protection. En l’espèce, les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve indiquant qu’il aurait été déraisonnable de solliciter une protection de l’État. Bien que ces derniers aient soutenu que la mafia leur avait dit en les menaçant de ne pas communiquer avec la police, la Cour n’est pas convaincue qu’il s’agit là d’un signe que la protection de l’État est inadéquate.

 

[18]           Les demandeurs ont par ailleurs affirmé qu’ils ne devraient pas avoir le fardeau de s’adresser à des organismes autres que la police pour solliciter une protection; d’autres décisions ont exprimé un point de vue différent, à savoir que les organismes dirigés ou financés par l’État constituent un moyen d’offrir une protection appropriée, qu’il faudrait tenter d’obtenir, s’il est raisonnable de le faire (voir, par exemple, Nagy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 281, 112 ACWS (3d) 933 et Zsuzsanna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1206, 118 ACWS (3d) 707). Cependant, cet argument doit être rejeté, car la preuve dont la Cour dispose indique que les demandeurs n’ont pas tenté de faire part à la police de leurs prétendus problèmes récents avec la mafia.

 

[19]           Les demandeurs ont soutenu que leur situation était semblable à celle dont il est question dans la décision Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, 122 ACWS (3d) 534 (Mohacsi). La Cour conclut toutefois qu’il y a de nettes différences entre les deux. Dans l’affaire Mohacsi, les demandeurs avaient été battus, détenus et harcelés par la police, ils avaient été victimes de discrimination en matière de logement et ils avaient été contraints de vivre dans un ghetto tsigane sans eau courante, leur neveu avait été tué par des skinheads parce qu’il pêchait sans permis; ils s’étaient adressés à la police, à l’État et aux médias pour obtenir réparation, mais sans succès. De plus, les témoignages que les demandeurs avaient faits dans Mohacsi se corroboraient. En l’espèce, les témoignages des demandeurs se contredisaient. De plus, dans Mohacsi, la Commission avait tiré des conclusions arbitraires au sujet de la crédibilité et avait complètement fait abstraction de preuves documentaires contradictoires, ce qui, là encore, n’est pas le cas en l’espèce.

 

[20]           En fait, au vu des éléments de preuve produits, la Cour est d’avis que la décision de la Commission est raisonnable. Malgré avoir tiré des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité des demandeurs, la Commission était néanmoins convaincue qu’ils étaient d’origine rom et risquaient donc d’être victimes de discrimination en Hongrie. Elle a donc poursuivi son analyse au-delà de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité et elle est arrivée à la conclusion que, dans les circonstances, la protection de l’État était adéquate et que les demandeurs n’avaient pas produit de preuves crédibles pour démontrer le contraire. Elle s’est reportée à plusieurs documents et n’a pas limité son analyse aux seuls documents qui étayaient sa position finale – elle a plutôt reconnu que, à ce jour, les initiatives de la Hongrie ne sont toujours pas mises en application avec succès et que le pays est encore aux prises avec des problèmes de discrimination.

 

[21]           Cependant, et contrairement à ce que les demandeurs affirment, la Commission a traité de ces questions dans son analyse et s’est reportée à des preuves de mise en application opérationnelle fructueuse, comme les interventions de la police à la suite d’attaques menées contre des communautés roms en vue de relever leur niveau de sécurité (dossier du tribunal, motifs de la Commission, page 15, paragraphe 36), les mesures prises par l’État à la suite de plaintes déposées contre la corruption de la police (dossier du tribunal, motifs de la Commission, paragraphe 40, page 16), ainsi que les programmes d’emploi destinés aux Roms et donnant des résultats concrets (dossier du tribunal, motifs de la commission, paragraphe 42, page 16). De plus, la Commission a fait remarquer que le demandeur principal réussissait à travailler et avait aussi reçu des avantages sociaux de l’État au cours des périodes où il n’avait pas pu travailler. Il était raisonnable de la part de la Commission de juger que cette information dénotait que le demandeur principal n’était pas victime de discrimination de la part de l’État.

 

[22]           La Cour ne saurait donc convenir avec les demandeurs que la Commission a fait abstraction d’éléments de preuve et a eu recours à une approche hautement sélective dans le cadre de son analyse de la preuve, et qu’elle n’a pas analysé la protection significative à l’échelle opérationnelle, préférant mettre l’accent sur les initiatives, la législation et les engagements. La Cour est d’avis que la décision que la Commission a rendue au sujet de la protection de l’État est raisonnable, car elle ne s’est pas livrée à des généralisations sans tenir compte des éléments de preuve précis dont elle disposait et qu’elle ne s’en est pas tenue aux efforts ou aux bonnes intentions du gouvernement sans prendre en considération leur mise en œuvre et leurs résultats concrets.

 

[23]           Il était raisonnable que la Commission mentionne que la Hongrie s’efforce d’appliquer les normes qui lui sont prescrites en tant que membre de l’Union européenne et que la protection de l’État, même si elle n’est peut-être pas parfaite, demeure adéquate. À cet égard, la Cour souscrit aux observations qu’a formulées le juge Rennie dans la décision Onodi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 1191, [2012] ACF no 1267 (QL), au paragraphe 16 :

[16] Selon les demandeurs, la protection de l’État n’est pas suffisante, car le demandeur a récemment été victime d’une agression et les Roms et les Juifs subissent de plus en plus d’agressions violentes. Cependant, aucun pays ne peut offrir à ses citoyens une protection parfaite. Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile montre que les efforts du gouvernement ne sont pas toujours couronnés de succès : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF no 1189.

 

[24]           En conclusion, il était loisible à la Commission de conclure, selon la prépondérance de la preuve, qu’une protection de l’État était disponible (Horvath et al c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 253, [2012] ACF no 275 (QL) , au paragraphe 16).

 

[25]           La Cour est d’avis que la décision de la Commission correspond à la description d’une décision raisonnable donnée dans l’arrêt Dunsmuir, précité. La question de la protection de l’État étant déterminante, il n’est donc pas justifié que la Cour intervienne.


JUGEMENT

 

LA COUR statue que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3045-12

 

INTITULÉ :                                      CSABA MOLNAR ET AL c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 7 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           Le juge Boivin

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 13 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Israel Blanshay

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Melissa Mathieu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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