Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20121218

Dossier : IMM‑1735‑12

Référence : 2012 CF 1483

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

ARSHAD MUHAMMAD

 

 

 

demandeur

 

ET

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une déléguée du ministre a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Le demandeur est une personne visée au paragraphe 112(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Par conséquent, sa demande de protection a fait l’objet d’un examen selon le régime établi à l’article 172 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement].

 

[2]               Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Contexte factuel

[3]               M. Arshad Muhammad (le demandeur) est un citoyen du Pakistan et un musulman sunnite. Il est arrivé au Canada le 2 août 1999, à l’Aéroport international Pearson de Toronto, muni d’un faux passeport italien (dossier de demande du demandeur [dossier de demande], vol 1, affidavit de Humera Ahsan, pièce « A », p 72). Le demandeur a été interrogé au point d’entrée par des agents d’immigration, à qui il a déclaré avoir été membre d’un parti sunnite au Pakistan.

 

[4]               À son arrivée au Canada, le demandeur a d’abord résidé à Montréal (dossier de demande, vol 1, p 72). Il a déposé une demande d’asile, mais cette demande a été rejetée le 16 octobre 2001 (dossier de demande, vol 2, p 488 à 501). La Commission a estimé que le demandeur devrait être exclu de la définition du terme « réfugié au sens de la Convention » en application des alinéas 1Fa) et c) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 (la Convention) à cause de son appartenance à une organisation terroriste interdite par le gouvernement pakistanais (dossier de demande, vol 2, p 497 et 880). La Commission a fondé sa décision sur les déclarations du demandeur au point d’entrée et des déclarations qu’il a faites dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) selon lesquelles il avait été membre d’un groupe terroriste pendant une courte période (dossier de demande, vol 1, affidavit de Humera Ahsan, pièce « A », p 73). Le demandeur a cherché à obtenir auprès de la Cour le contrôle judiciaire de la décision relative à sa demande d’asile, mais la demande d’autorisation d’interjeter appel a été rejetée le 6 février 2002 (dossier de demande, vol 2, p 881). Le demandeur fait l’objet d’une mesure de renvoi qui a pris effet le 5 février 2002 (dossier de demande, vol 2, p 514).

 

[5]               Le demandeur allègue maintenant que les déclarations qu’il a faites au point d’entrée et dans son FRP étaient fausses; en effet, il soutient avoir été incité à dire qu’il était membre de l’organisation pour faciliter l’acceptation de sa demande d’asile (dossier de demande, vol 2, p 881).

 

[6]               Le demandeur a ensuite présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; cette demande a été rejetée le 5 novembre 2002. Il a déposé une première demande d’ERAR le 30 octobre 2002 et cette dernière a aussi été rejetée, le 19 mars 2003 (dossier de demande, vol 2, p 881). Avant d’être informé de ces deux (2) décisions négatives, le demandeur aurait écrit à son ex‑conseil pour l’informer qu’il quittait Montréal et retournait au Pakistan. Cependant, il a plutôt déménagé à Toronto (dossier du tribunal, vol 1, p 5).

 

[7]               Le demandeur a été invité à une entrevue avec l’ASFC en janvier 2003, mais il ne s’est pas présenté, alléguant qu’il craignait d’être emprisonné et renvoyé au Pakistan s’il se présentait à l’entrevue (dossier de demande, vol 2, p 881). Un mandat de renvoi a été délivré à son encontre le 3 juillet 2003.

 

[8]               Le demandeur a travaillé dans l’industrie de la construction à Toronto jusqu’à son arrestation survenue en juillet 2011. Le demandeur a été appréhendé quelques jours après que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) eut diffusé sur son site Web, à la page intitulée « Personnes recherchées par l’ASFC », le nom, la photographie et des renseignements au sujet du dernier lieu de séjour connu de trente (30) personnes, dont le demandeur (ci‑après la « liste de l’ASFC »). Voici un extrait de la description figurant sur le site Web : « Les personnes suivantes sont visées par un mandat de renvoi pancanadien parce qu’elles sont interdites de territoire au Canada. Il a été établi qu’elles ont violé des droits humains ou internationaux en vertu de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ou de la loi internationale ». (Dossier de demande, vol 2, p 881.) Le demandeur est actuellement détenu au Centre de détention de la communauté urbaine de Toronto‑Ouest.

 

[9]               Le demandeur soutient que son cas a fait l’objet d’une énorme publicité après que son nom eut figuré sur la liste de l’ASFC et aussi parce que des fonctionnaires canadiens ont déclaré en public que le demandeur était lié à une organisation islamiste qui s’était livrée à des attaques terroristes au Pakistan. Selon le demandeur, l’attention des médias à son égard est généralisée, non seulement au Canada, mais aussi au Pakistan (dossier de demande, vol 2, p 882).

 

[10]           Le demandeur allègue que sa famille a fait l’objet de menaces au Pakistan. Le 28 juillet 2011, des personnes se seraient rendues à la maison de la famille du demandeur et auraient menacé de le tuer. Le 23 août 2011, le frère du demandeur aurait été agressé et interrogé au sujet de l’endroit où se trouve le demandeur (dossier de demande, vol 2, p 882).

 

[11]           Le demandeur a déposé une deuxième demande d’ERAR le 3 août 2011, alléguant que de faits nouveaux étaient survenus depuis juillet 2011. Il a soutenu qu’il avait qualité de personne à protéger à cause de toute la publicité entourant sa situation (dossier de demande, vol 1, p 34 et 45).

 

[12]           Dans sa demande d’ERAR de 2011, le demandeur a allégué l’existence des faits nouveaux suivants (dossier de demande, vol 1, p 45) :

[traduction]

1.      L’ASFC a présenté le demandeur comme une personne faisant l’objet d’un mandat de renvoi pancanadien parce qu’il aurait violé des droits humains ou internationaux aux termes de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et des fonctionnaires canadiens ont déclaré en public que le demandeur était membre d’un groupe islamiste qui avait commis des actes terroristes au Pakistan.

2.      Ces allégations ont été largement diffusées dans les médias, au Canada comme à l’étranger, avec la photographie du demandeur et des renseignements personnels le concernant.

3.      Les membres de la famille du demandeur au Pakistan ont reçu des menaces de mort et ils ont fait établir un rapport de police relatif à des menaces de mort proférées contre le demandeur lui‑même.

4.      Le 2 août 2011, le commissaire de la CISR chargé du contrôle des motifs de détention du demandeur a estimé qu’il existait une possibilité sérieuse que le demandeur soit exposé à des risques s’il était renvoyé au Pakistan.

 

[13]           Le demandeur allègue que les risques auxquels il pourrait être exposé au Pakistan comprennent des agressions très graves pendant qu’il se trouverait sous la garde des autorités (dossier du tribunal, vol 2, p 101 à 104), la détention illégale et l’exécution extrajudiciaire (dossier de demande, vol 2, p 883). Le demandeur allègue aussi être exposé à des risques de la part de groupes sectaires ou de milices d’autodéfense.

 

[14]           La demande d’ERAR de 2011 du demandeur (dossier du tribunal, vol 2, p 97 à 109) a été accueillie favorablement : en effet, le 7 octobre 2011, l’agent d’ERAR a conclu que le demandeur serait exposé à des risques s’il était renvoyé au Pakistan parce que les autorités pakistanaises s’intéresseraient à lui. L’agent a évalué la demande d’ERAR du demandeur en fonction du fait qu’il serait considéré comme un membre d’une organisation terroriste, étant donné que le demandeur alléguait à ce moment‑là qu’il n’était pas vraiment membre de ce genre d’organisation et qu’il avait menti aux autorités canadiennes, pensant que cette allégation faciliterait l’acceptation de sa demande d’asile. L’agent d’ERAR a pris connaissance d’éléments de preuve documentaire objectifs décrivant les violations des droits de la personne de la part de représentants de l’État et des organismes d’exécution de la loi. L’agent a constaté que le dossier du demandeur avait été largement diffusé au Canada et, jusqu’à un certain point, dans des médias de langue anglaise au Pakistan, et a conclu que les autorités pakistanaises étaient probablement au courant des allégations formulées conte le demandeur. Étant donné que, selon des documents objectifs, les policiers et les membres des forces de sécurité du Pakistan maltraitent couramment les citoyens de ce pays, l’agent a conclu qu’il était plus probable que le contraire que le demandeur soit exposé à des risques s’il était renvoyé dans son pays. L’agent d’ERAR a estimé qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à l’égard à la menace que posaient les membres de milices d’autodéfense mais non en ce qui concerne la menace provenant des autorités.

 

[15]           Conformément au sous‑alinéa 113d)(ii) de la Loi, le 15 décembre 2011, l’ASFC a produit une évaluation de la nature et de la gravité des actes commis par le demandeur et du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada (dossier de demande, vol 2, p 514 à 527). Elle a statué qu’elle disposait de renseignements insuffisants pour établir que le demandeur constituait un danger pour la sécurité du Canada et qu’il était [traduction] « complice par association » des actes commis par le groupe terroriste (dossier de demande, vol 2, p 526). Selon l’ASFC, il n’avait pas été établi que le demandeur avait participé directement à la perpétration de crimes internationaux et que [traduction] « cela pourrait ne pas être suffisant pour justifier son renvoi du Canada s’il était établi qu’il est exposé à des risques » (dossier de demande, vol 2, p 527).

 

[16]           L’issue de l’ERAR et le rapport d’évaluation de sécurité établi par l’ASFC ont été transmis au demandeur en décembre 2011 pour qu’il présente ses observations avant leur envoi à la déléguée du ministre. Le 17 janvier 2012, le demandeur a fourni des observations écrites (dossier de demande, vol 2, p 533 à 556), qui contenaient les arguments suivants : i) la déléguée du ministre devrait se contenter de soupeser et mettre en balance les évaluations de l’ERAR et de l’ASFC en matière de sécurité et éviter d’effectuer de nouveau l’évaluation en matière de risque; ii) la déléguée du ministre ne devrait pas réévaluer le risque parce qu’elle ne dispose pas de l’indépendance nécessaire pour le faire; iii) la déléguée du ministre ne peut être que partiale dans son évaluation du risque parce que les ministres visés possèdent un intérêt direct dans l’issue de l’affaire; iv) l’ERAR ne devrait pas être infirmé parce qu’il était fondé.

 

[17]           La déléguée du ministre a examiné tant le rapport positif d’ERAR que le rapport d’évaluation favorable de l’ASFC et a rendu une décision négative le 16 février 2012 qui a entraîné le rejet de la demande d’ERAR du demandeur (dossier du tribunal, vol 1, p 1‑27). C’est la décision de la déléguée du ministre qui fait l’objet du présent contrôle devant la Cour.

 

[18]           Le 17 février 2012, par suite de la décision de la déléguée du ministre, un avis concernant la prise de dispositions relatives au renvoi a été signifié au demandeur. Le renvoi était prévu le 28 février 2012. La Cour a accueilli le 27 février 2012 une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant l’issue de la présente demande (dossier de demande, vol 2, p 888).

 

La décision contestée

[19]           La déléguée du ministre a rendu une décision dans laquelle elle a établi que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Pakistan. Étant donné qu’elle a estimé que le demandeur ne serait pas exposé aux risques énumérés à l’article 97 de la Loi, la déléguée du ministre n’a pas mis en balance cette conclusion et le rapport d’évaluation établi par l’ASFC relativement à la gravité des actes du demandeur et au danger qu’il constitue pour le Canada (dossier du tribunal, vol 1, p 25).

 

[20]           La déléguée du ministre a examiné le rapport d’évaluation des risques établi par l’agent d’ERAR et en a cité des extraits. En réponse aux observations écrites du conseil du demandeur, la déléguée du ministre a souligné que l’évaluation des risques faite par l’agent d’ERAR n’est qu’une opinion, et non une décision, étant donné qu’il ne possède pas de pouvoirs délégués en cette matière. La déléguée du ministre a aussi expliqué la procédure de dotation de son poste, soulignant qu’elle est une fonctionnaire qui travaille pour CIC, et non pour l’ASFC; les délégués ne sont pas choisis par le ministre et le processus qui a été suivi pour la nommer à ce poste est le même que celui utilisé pour un poste d’agent d’ERAR (soit concours, examen et entrevue). La déléguée du ministre a indiqué que ce processus est à l’abri de toute intervention du ministre (dossier du tribunal, vol 1, p 7 à 9).

 

[21]           En ce qui concerne les préoccupations du demandeur en matière de partialité, la déléguée du ministre a affirmé qu’il ne lui appartient pas de confirmer ou de contester la validité politique de la liste de l’ASFC. Elle a fait remarquer que l’intérêt des médias à l’égard du dossier du demandeur avait diminué avec le temps et que, récemment, c’est le conseil du demandeur lui‑même qui avait alerté les médias à ce sujet. La déléguée du ministre a ajouté que sa décision était fondée uniquement sur son interprétation de la preuve dont elle était saisie et qu’elle n’avait subi aucune influence politique (dossier du tribunal, vol 1, p 9).

 

[22]           Dans le cadre de son évaluation du risque, la déléguée du ministre n’était pas d’accord avec l’assertion selon laquelle les autorités pakistanaises seraient aussi intéressées à une personne prétendument liée à une organisation terroriste que le sont les autorités canadiennes lors de l’arrivée de ce type de personnes au Canada parce qu’il y a plus d’organisations terroristes au Pakistan (dossier du tribunal, vol 1, p 12). Même si, a‑t‑elle poursuivi, il est bien connu que les représentants du gouvernement pakistanais ont l’habitude de communiquer avec les membres des familles pour savoir où se trouvent certaines personnes au Pakistan, on ne l’a pas allégué en l’espèce. Selon la déléguée du ministre, il était raisonnable de croire que, étant donné que le groupe dont serait membre le demandeur au Pakistan compte un grand nombre de partisans, le demandeur serait pratiquement passé inaperçu n’eut été de la liste de l’ASFC. Après avoir pris connaissance de la preuve objective, elle a jugé raisonnable de croire que le demandeur intéresserait les autorités, serait interrogé, pourrait être étiqueté comme membre d’un groupe terroriste et ferait l’objet de discrimination. Elle a souligné que la preuve qu’elle avait consultée n’indiquait pas que les autorités pakistanaises infligeaient de mauvais traitements, mais que cette possibilité n’avait pas été [traduction] « exclue » (dossier du tribunal, vol 1, p 19). La déléguée du ministre a estimé que, même si le demandeur pouvait être soumis à un interrogatoire à son arrivée, il ne pourrait être détenu que s’il mentionnait son appartenance au groupe ou était reconnu à cause de ce qui avait été rapporté à son sujet dans les médias. Même si des violations flagrantes des droits de la personne sont commises au Pakistan, ce fait ne constituait pas un motif suffisant pour établir que le demandeur était exposé au risque d’être torturé (dossier du tribunal, vol 1, p 21).

 

[23]           En ce qui concerne le risque que posent les acteurs non étatiques, la déléguée du ministre a eu de la difficulté à croire que la simple diffusion d’une photographie, de la date de naissance et du nom du demandeur ait pu faire en sorte que les membres de sa famille soient retracés et menacés (dossier du tribunal, vol 1, p 23).

 

[24]           La déléguée du ministre a conclu que les ex‑membres du groupe dont ferait partie le demandeur ne sont pas ciblés par les autorités du Pakistan à l’heure actuelle, que la preuve ne révèle pas que le demandeur avait occupé un poste important dans le groupe ou qu’il avait maintenu des liens avec ce dernier. Même s’il est probable que le demandeur, une fois de retour au Pakistan, fasse l’objet de discrimination et soit arrêté et interrogé, la déléguée du ministre a estimé qu’il n’avait pas démontré l’existence d’un lien entre le fait qu’il pouvait être reconnu à cause de la couverture médiatique dont il a fait l’objet et les risques décrits à l’article 97 de la Loi.

 

[25]           Comme elle a tiré une conclusion négative quant aux risques, la déléguée du ministre n’a pas cherché à mettre en balance le rapport d’ERAR et l’évaluation de sécurité effectuée par l’ASFC et a rejeté la demande de protection du demandeur (dossier du tribunal, vol 1, p 26).

 

Les questions en litige

[26]           Plusieurs questions sont soulevées en l’espèce :

1.      L’affidavit de Jillan Sadek déposé par le défendeur est‑il admissible?

2.      La déléguée du ministre a‑telle violé les principes de justice naturelle en s’appuyant sur une preuve extrinsèque qui n’a pas été divulguée au demandeur?

3.      La déléguée du ministre a‑t‑elle commis une erreur dans le cadre de son évaluation de la preuve?

4.      La déléguée du ministre a‑t‑elle le pouvoir d’écarter les conclusions de l’agent d’ERAR en ce qui concerne le risque de torture en cas de renvoi?

5.      La déléguée du ministre jouissait‑elle de toute l’indépendance voulue pour rendre une décision relative au risque de torture en cas de renvoi?

6.      La déléguée du ministre peut‑elle être soupçonnée de partialité en raison de l’intervention directe du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration dans l’affaire et de la proximité étroite entre la décideure et le ministre?

 

Dispositions législatives

[27]           Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à l’annexe du présent jugement. Le régime législatif qui s’applique en l’espèce est décrit à la fois dans la Loi et dans le Règlement.

 

Norme de contrôle

[28]           Les parties s’entendent sur la norme de contrôle pertinente qui s’applique à chacune des questions soulevées en l’espèce. La norme de contrôle applicable aux questions relatives à l’équité procédurale et à la justice naturelle est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Geza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, [2006] 4 RCF 377; Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, au paragraphe 44, [2007] 1 RCF 107). Par conséquent, les questions de savoir si la déléguée du ministre a manqué à ses obligations en matière d’équité procédurale en s’appuyant sur une preuve extrinsèque et si elle n’était pas suffisamment indépendante sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte. De la même façon, la question de savoir si la déléguée du ministre pouvait reprendre l’évaluation effectuée par l’agent d’ERAR est une question de compétence liée à l’interprétation de la Loi et de son règlement, et elle est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 50 et 59). Les parties reconnaissent que la norme de contrôle applicable à l’appréciation de la preuve par la déléguée du ministre est celle de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir, précité; John c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 688, [2012] ACF no 657 (QL)).

 

Analyse

[29]           À titre préliminaire, la Cour juge utile de rappeler le processus suivi en cas de renvoi dans des affaires semblables à celle dont je suis saisi en l’espèce, lorsqu’un demandeur est visé par le paragraphe 112(3) de la Loi. Selon l’alinéa 112(3)c) de la Loi, une personne dont la demande d’asile est rejetée au titre de l’article F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, comme c’est le cas en l’espèce, ne peut obtenir la protection demandée.

 

[30]           Par conséquent, un ERAR visant une personne décrite au paragraphe 112(3) de la Loi peut prendre en compte uniquement les facteurs énumérés à l’article 97 de la Loi et non ceux qui le sont à l’article 96. L’alinéa 113d) de la Loi énumère les facteurs à prendre en compte dans le cas des personnes visées au paragraphe 112(3). En l’espèce, les facteurs énumérés à l’article 97 doivent être examinés en fonction de la nature et de la gravité des actes commis par le demandeur ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada (sous‑alinéa 113d)(ii) de la Loi).

 

[31]           De plus, en vertu de l’article 114 de la Loi, une décision d’ERAR positive dans ce genre de situation a pour effet de surseoir à la mesure de renvoi visant la personne, et non de lui conférer l’asile. Les paragraphes 172(1) et (2) du Règlement prévoient qu’avant d’accueillir ou de rejeter la demande d’une personne visée au paragraphe 112(3) de la Loi, le ministre (ou son délégué) tient compte de l’évaluation écrite effectuée en fonction des facteurs énumérés à l’article 97 (l’ERAR), d’une évaluation écrite sur les éléments mentionnés au sous‑alinéa 113d)(i) ou (ii), selon le cas (en l’espèce, l’évaluation de l’ASFC sur la nature et la gravité des actes et le danger pour le Canada) et de toute réponse écrite du demandeur. C’est le processus qui a été suivi dans la présente affaire.

 

[32]           La Cour aborde maintenant les questions soulevées par les parties.

 

Première question : l’affidavit de Jillan Sadek est‑il admissible?

[33]           En règle générale, le ouï‑dire est une déclaration présentée pour établir la véracité de son contenu, mais qui ne peut pas faire l’objet d’un contre‑interrogatoire. La preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible, sauf s’il est démontré qu’elle est nécessaire et fiable (R c Khelawon, 2006 CSC 57, aux paragraphes 2, 3 et 35, [2006] 2 RCS 787).

 

[34]           En l’espèce, le défendeur a déposé un affidavit de Jillan Sadek, qui n’est pas la déléguée du ministre qui a rendu la décision d’ERAR finale dans le dossier du demandeur. Mme Sadek, directrice, Examen des cas à Citoyenneté et Immigration Canada, a témoigné au sujet de ce qu’elle sait des procédures de dotation au poste de délégué du ministre (directrice, Examen des cas) et a annexé à son affidavit en tant que pièce « A » le document « Annonces et notifications de dotation de la fonction publique », qui décrit les qualités exigées pour ledit poste. Elle a aussi fourni une copie des questions posées et des réponses reçues dans le cadre des courriels qu’elle a échangés avec la déléguée du ministre qui a rendu la décision relative à la demande d’ERAR du demandeur. Les deux parties reconnaissent que ces éléments de preuve équivalent à du ouï‑dire. La déléguée du ministre n’a pas souscrit l’affidavit elle‑même parce qu’elle était au repos à cause d’une grossesse au moment où l’affidavit a été établi (10 août 2012); en effet, elle était en congé annuel du 16 août 2012 au 31 août 2012 et la naissance était prévue en septembre; par conséquent, elle se trouvait en congé de maternité à partir du mois de septembre.

 

La position du demandeur

[35]           Le demandeur soutient que l’affidavit de Mme Sadek, déposé par le défendeur le 14 août 2012, contient des éléments de preuve par ouï‑dire et que, par conséquent, il est inadmissible. Selon le demandeur, si la déléguée du ministre elle‑même avait souscrit l’affidavit, il aurait pu la contre‑interroger au sujet de certaines réponses qui y sont contenues afin d’obtenir des éléments de preuve supplémentaires sur la structure du bureau de la déléguée du ministre, l’affectation des employés à tel ou tel dossier et la façon dont le travail est réparti afin d’établir s’il existe vraiment un système indépendant et impartial. Même si le défendeur reconnaît que l’affidavit contient une preuve par ouï‑dire, il soutient que ce dernier est nécessaire et fiable et que, par conséquent, il doit être jugé admissible.

 

Analyse

[36]           Le critère de la nécessité a été exposé dans R c F (WJ), [1999] 3 RCS 569, 178 DLR (4th) 53. La Cour, au paragraphe 36, a déclaré à cet égard qu’« [i]l s’agit de savoir si, d’après les faits dont est saisi le juge du procès, la preuve directe n’est pas disponible malgré le déploiement d’efforts raisonnables pour l’obtenir » et que « [l]es motifs de la nécessité peuvent varier ». En l’espèce, la déléguée du ministre ne peut être présente pour des motifs d’ordre médical. Dans Farzam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1432, 143 ACWS (3d) 308, la personne susceptible de témoigner se trouvait dans un autre pays et elle n’était pas disposée à témoigner ou à participer à l’instance de quelque façon que ce soit. La Cour n’avait pas été convaincue que tous les efforts raisonnables avaient été déployés pour obtenir une preuve directe.

 

[37]           En l’espèce, la déléguée du ministre ne refusait pas de participer, mais elle n’était pas disponible pour des motifs d’ordre médical et à cause d’un congé annuel et de son congé de maternité. La Cour souligne que le dossier certifié du tribunal a été produit le 23 juillet 2012, ce qui réduisait la période pendant laquelle le défendeur pouvait raisonnablement déposer un affidavit. La Cour ajoute aussi qu’au mois d’août, la déléguée du ministre devait garder le lit pour des motifs d’ordre médical. L’affidavit contient des renseignements pertinents et fiables, conformes aux déclarations antérieures faites par la déléguée du ministre avant le début du litige. Même si le demandeur aurait pu contre‑interroger l’auteure de l’affidavit sur les questions dont elle avait une connaissance personnelle – soit l’exactitude des réponses qui y étaient reproduites de même que l’organigramme de l’organisation et le mode de répartition des tâches – la Cour souligne que le demandeur a choisi de ne pas le faire. Selon la décision Chicot c Canada (Procureur général), 2012 CF 297, au paragraphe 85, [2012] ACF no 327 (QL), invoquée par le demandeur, la Cour fédérale « peut radier des affidavits ou des parties de ceux‑ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence, lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit ». La Cour estime que, dans les circonstances, l’affidavit du défendeur n’a rien d’abusif ou de non pertinent et qu’il ne contient pas d’opinions ou d’arguments.

 

[38]           Par conséquent, la Cour pourrait difficilement être d’accord avec le demandeur et reconnaître que le dépôt de cet affidavit portait préjudice au demandeur. Compte tenu du fait que la déléguée du ministre n’était pas disponible de même que de la pertinence et de la fiabilité des renseignements figurant dans l’affidavit (corroborés par la pièce « A » et les déclarations semblables précédentes de la déléguée du ministre), la Cour juge que l’affidavit est admissible.

 

Deuxième question : la déléguée du ministre a‑t‑elle violé les principes de justice naturelle en s’appuyant sur une preuve extrinsèque qui n’a pas été divulguée au demandeur?

 

La position du demandeur

[39]           Le demandeur soutient que la déléguée du ministre a violé les principes de justice naturelle en effectuant sa propre recherche sur la question du risque de torture en cas de renvoi et en s’appuyant sur des documents extrinsèques. Le demandeur allègue qu’il s’agit d’une violation des principes de justice naturelle pour deux (2) motifs : i) la déléguée du ministre n’est pas autorisée à effectuer ses propres recherches; et ii) ladite recherche n’était pas fondée sur des documents récents provenant de sources facilement accessibles dont le demandeur aurait pu supposer avec raison qu’ils seraient pris en compte. Le demandeur soutient qu’au premier stade de l’ERAR, l’agent d’ERAR peut tenir compte de documents facilement accessibles sur la situation dans un pays au moment où les observations ont été faites sans en divulguer le contenu au demandeur (voir le critère énoncé dans Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), [1998] 3 CF 461, 161 DLR (4th) 488 [Mancia]). Cependant, selon le demandeur, comme la déléguée du ministre a entrepris la [traduction] « seconde étape » du processus d’ERAR qui s’applique aux demandeurs visés au paragraphe 112(3) de la Loi, elle n’était pas autorisée à effectuer une recherche supplémentaire sans divulguer tous les documents utilisés.

 

[40]           Le demandeur fait valoir qu’étant donné que l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R.‑U.) [la Charte], s’applique, les faits de l’espèce sont semblables à ceux de Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3 [Suresh] parce que la divulgation complète au demandeur des documents pertinents était exigée et que la déléguée du ministre devait fonder sa décision uniquement sur le dossier divulgué au demandeur. Le demandeur allègue que le critère énoncé dans Mancia n’est pas applicable en l’espèce, mais qu’il fallait plutôt qu’il y ait une divulgation complète conformément à l’arrêt Suresh, précité. Subsidiairement, le demandeur soutient que même si la déléguée du ministre pouvait entreprendre sa propre recherche sans divulguer tous les documents consultés, les documents précis sur lesquels elle s’est appuyée ne seraient pas visés par l’exemption relative à la divulgation énoncée dans la décision Mancia, précitée, parce qu’ils ne contiennent pas d’éléments de preuve à caractère général sur la situation dans le pays en cause et qu’ils ne faisaient pas partie du cartable national de documentation de la CISR au moment de la décision.

 

Position du défendeur

[41]           Invoquant Placide c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1056, 359 FTR 217 [Placide], le défendeur soutient que la déléguée du ministre a le droit d’effectuer sa propre recherche et de consulter des documents publics qui n’ont pas été divulgués au demandeur. Selon le défendeur, le demandeur lui‑même, dans ses propres observations relatives à l’ERAR, a mentionné des documents publiés la même année semblables à ceux dont il conteste maintenant l’utilisation. Le défendeur ajoute que les documents sur lesquels la déléguée du ministre s’est appuyée peuvent être consultés par toute personne intéressée sur le site Web du HCNUR. Le défendeur affirme aussi que les exigences de divulgation aux termes de l’arrêt Suresh, précité, ne s’appliquent pas en l’espèce parce que, dans Suresh, les renseignements qu’il fallait divulguer ne concernaient pas la situation dans le pays et n’étaient pas des documents publics – en fait, les documents concernaient directement M. Suresh lui‑même. Le défendeur soutient aussi qu’il est inexact de dire que la déléguée du ministre était liée par l’obligation de divulgation complète dont fait état l’arrêt Suresh, précité. En fait, la déléguée du ministre n’était pas tenue de divulguer une note de service dans laquelle étaient mentionnés des documents connus du demandeur et des renseignements publics (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 173 FTR 1, 50 Imm LR (2d) 183 (CFPI); Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3).

 

Analyse

[42]           Comme la Cour l’a déjà souligné dans la décision Placide, précitée, un délégué du ministre qui statue sur une demande de protection peut effectuer sa propre recherche. La déléguée est autorisée à le faire parce qu’elle ne se livre pas à un examen de l’évaluation de l’agent d’ERAR et n’a pas à se limiter aux renseignements pris en compte à cette étape. De plus, les documents dont il est question en l’espèce sont bien différents de ceux qui étaient en cause dans l’affaire Suresh, précitée. En effet, il s’agit en l’espèce de documents accessibles au public portant sur la situation dans le pays en cause et ils ne concernent pas directement le demandeur lui‑même. Par conséquent, c’est la décision Mancia, précitée, qui s’applique en l’espèce. Comme il a été établi dans Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 838, 131 ACWS (3d) 1124, dans un passage cité au paragraphe 39 de la décision Placide, précitée, les documents élaborés par la CISR ne sont pas des documents extrinsèques. En effet, ils constituent des documents d’une source publique et ils sont mis à la disposition du public en ligne et dans les centres de documentation de la CISR.

 

[43]           En l’espèce, le demandeur s’oppose à l’utilisation de trois (3) documents : i) document sur le projet « Thread », RDI PAK42394.EF, daté du 3 mars 2004; ii) rapport du Département d’État des États‑Unis, July‑December, 2010 International Religious Freedom Report – Pakistan, daté du 13 septembre 2011 [rapport sur la liberté de religion]; et iii) rapport de la Fondation Jamestown, Islamist Reaction to the NATO Airstrike on the Pakistani Border, daté du 9 décembre 2011 (dossier du tribunal, vol 1, p 68 à 94). Ces documents peuvent être consultés en ligne sur le site Web de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et sur le site Web du HCNUR, dans sa base de données Refworld. Cependant, la Cour souligne que le demandeur lui‑même a utilisé un document provenant du même site Web, la même année, dans ses observations relatives à sa demande d’ERAR (dossier du tribunal, vol 2, p 266 et 267; vol 3, p 348 à 362). Il est donc difficile d’établir que le demandeur n’était pas au courant de l’existence de ces documents. Même si la valeur qui aurait dû être attribuée à ces documents constitue une question distincte qui sera abordée dans la section suivante du présent jugement, il s’agit pour l’instant de décider s’ils auraient dû être divulgués.

 

[44]           Eu égard aux critères énoncés dans la décision Mancia, précitée, la Cour ne constate aucune erreur dans le fait que la déléguée du ministre a utilisé ces documents sans d’abord en avoir divulgué le contenu. En effet, le demandeur, arrivé au stade d’une deuxième demande d’ERAR, a une idée concrète de la façon générale dont les décideurs s’appuient sur ces documents, étant donné qu’il a déjà déposé une demande d’asile et qu’il a vécu le processus d’un premier ERAR (décision Mancia, précitée, au paragraphe 25). En effet, les documents sont accessibles au public, ils ont un caractère général et ils sont neutres parce qu’ils ne concernaient pas personnellement le demandeur et qu’ils n’ont pas été établis expressément en fonction de sa demande (décision Mancia, précitée, au paragraphe 26). Enfin, comme il a été établi au paragraphe 24 de la décision Mancia, précitée, le Règlement n’oblige pas un délégué du ministre à divulguer les renseignements sur lesquels il s’appuie. Le seul droit en matière de procédure accordé au demandeur en vertu du paragraphe 172(1) du Règlement consiste à présenter des observations écrites dont le délégué du ministre doit tenir compte. Le Règlement n’autorise pas expressément un délégué du ministre à effectuer une recherche indépendante; c’est aussi le cas des dispositions s’appliquant à un agent d’ERAR dans une affaire ordinaire (c.‑à‑d. autre qu’une situation visée au paragraphe 112(3)) (articles 161 et 162 du Règlement).

 

[45]           Le demandeur renvoie à un certain nombre d’affaires dans lesquelles les faits sont pourtant différents de ceux de l’espèce. Par exemple, dans Fi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, [2007] 3 RCF 400, l’agent d’ERAR avait utilisé de nombreux documents pris sur Internet qui ne figuraient pas parmi les documents habituels qui se trouvaient dans les centres de documentation de la CISR et, plus particulièrement, un document provenant du site Web Wikipédia. En l’espèce, tous les documents utilisés pouvaient être consultés dans les centres de documentation de la CISR ou à partir de la base de données Refworld sur le site Web du HCNUR. La qualité et la fiabilité de ces documents ne peuvent être comparées à celles d’un article provenant de Wikipédia.

 

[46]           Aussi, dans Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1359, 2011 ACF no 1659 (QL) [Zheng], le demandeur comparaissait pour la première fois devant la Commission du statut de réfugié, une situation où tous les renseignements utilisés pour rendre une décision doivent être divulgués au demandeur. La Commission avait utilisé un document qui avait été retiré du cartable national de documentation parce que ses conclusions n’étaient plus fiables et il avait été remplacé par un document différent, plus fiable et plus récent. La Cour avait considéré ce geste comme un manquement à l’équité procédurale. Or, en l’espèce, rien n’indique que les documents sur lesquels s’était appuyé l’agent d’ERAR ne sont plus fiables. En l’espèce, il n’y a pas eu remplacement de l’ancienne version d’un document par une plus récente, bien différente de l’ancienne, qui établirait que l’ancienne version était erronée. Dans l’affaire Zheng, précitée, le document utilisé avait été remplacé par un autre, ce qui n’est pas du tout le cas en l’espèce.

 

[47]           Rien dans la jurisprudence ne permet à la Cour de conclure que tous les documents doivent être divulgués dans une situation comme celle du demandeur. La Cour conclut qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale parce que la déléguée du ministre a effectué sa propre recherche et n’a pas divulgué de documents à caractère général et accessibles au public consultés par le demandeur lui‑même (les centres de documentation de la CISR et la base de données Refworld sur le site Web du HCNUR). La Cour rappelle qu’il incombe au demandeur de faire la preuve d’un manquement à l’équité procédurale (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 833, 124 ACWS (3d) 776). Or, le demandeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

 

Troisième question : la déléguée du ministre a‑t‑elle commis une erreur dans le cadre de son évaluation de la preuve?

 

La position du demandeur

[48]           Selon le demandeur, le tribunal qui ne tient compte que d’une partie de la preuve documentaire commet une erreur (il renvoie à Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, 83 ACWS (3d) 264). Il soutient que la déléguée du ministre, en l’espèce, a écarté une partie importante de la documentation objective étayant le fait que les personnes détenues sont torturées et maltraitées pour ne retenir que quelques extraits bien choisis et non pertinents qui allaient dans le même sens que sa conclusion négative concernant l’existence de risques. Le demandeur mentionne plusieurs documents récents que la déléguée du ministre avait en sa possession et dont elle n’a pas tenu compte et il fait valoir qu’elle n’a pas fourni d’analyse expliquant pour quels motifs elle avait choisi certains de ces documents plutôt que les autres éléments de preuve dont elle disposait. Le demandeur rappelle que l’article 7 de la Charte s’applique en l’espèce parce qu’il risque l’expulsion malgré le fait qu’il est exposé au risque d’être torturé et de subir de mauvais traitements.

 

Position du défendeur

[49]           Selon le défendeur, la déléguée du ministre a pris en compte de façon raisonnable la preuve qui lui avait été soumise et elle n’a pas écarté de documents, mais les a plutôt soupesés en fonction de l’ensemble de la preuve. Le défendeur souligne qu’un décideur n’est pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis (il invoque Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). Le défendeur soutient que la décision de la déléguée du ministre est fondée sur l’absence de preuve relative à l’utilisation de la torture et de techniques violentes contre des personnes se trouvant dans des situations semblables à celle du demandeur et que ce dernier n’a pas réussi à établir que son profil ferait en sorte qu’il présenterait un intérêt particulier pour les autorités pakistanaises. Le défendeur affirme que les documents cités par la déléguée du ministre s’appliquaient particulièrement bien à la situation personnelle du demandeur et que la déléguée du ministre a préféré des éléments de preuve plus précis, ce qu’elle avait le droit de faire.

 

[50]           Selon le défendeur, la déléguée du ministre était au courant de la situation au Pakistan en matière de droits de la personne, mais il ne s’agit pas d’établir que les droits de la personne dans un pays ne sont pas bien protégés – en effet, il faut démontrer l’existence d’un lien entre le demandeur et cette situation (Ventura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 871, aux paragraphes 24 et 25, 90 Imm LR (3d) 264) –, et la preuve ne permet pas d’étayer une conclusion selon laquelle les détenus dont le profil correspond à celui du demandeur seraient soumis à de mauvais traitements.

 

Analyse

[51]           La Cour rappelle que la norme de contrôle qui s’applique à la présente question est celle de la décision raisonnable et que, par conséquent, il faut faire preuve de déférence à l’égard de l’évaluation de la preuve effectuée par la décideure. Cependant, pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis que l’évaluation qu’a effectuée la déléguée du ministre de la preuve documentaire qui lui était soumise était déraisonnable.

 

[52]           La déléguée du ministre a renvoyé à un document d’information sur le pays d’origine du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni, daté du 29 septembre 2011 (dossier du tribunal, vol 1, p 52‑67), où il était mentionné que les demandeurs d’asile déboutés sont détenus et interrogés s’ils [traduction] « sont soupçonnés d’avoir enfreint une disposition législative touchant les voyages ou les visites dans un pays étranger, p. ex., voyager en utilisant de faux titres de voyage » (dossier du tribunal, vol 1, p 19). C’est le cas du demandeur, qui a déjà voyagé muni d’un faux passeport italien. Selon le même document, toutes les personnes expulsées font l’objet d’une enquête et [traduction] « si un demandeur d’asile débouté est remis aux autorités pakistanaises par le pays concerné, la FIA ou les autorités compétentes du Pakistan interrogeront cette personne » (dossier du tribunal, vol 1, p 20). Enfin, selon le même rapport, [traduction] « si une personne qui a demandé l’asile fait l’objet de nombreux reportages dans les médias, le gouvernement fera enquête à son sujet » (dossier du tribunal, vol 1, p 21). La déléguée du ministre a conclu de ce document que la détention suivie d’un interrogatoire à l’arrivée était raisonnablement possible si le demandeur était reconnu à cause de la médiatisation de sa situation.

 

[53]           La déléguée du ministre a consulté un autre document portant sur le projet « Thread », RDIPAK42394.EF, daté du 3 mars 2004 (dossier du tribunal, vol 1, p 68‑71). Le demandeur remet en question l’utilisation de ce document qui est plus ancien (les événements s’étant déroulés en 2003), mais plutôt pertinent étant donné qu’il montre ce qui se produit lorsque le gouvernement du Canada étiquette des citoyens pakistanais comme des terroristes et les renvoie au Pakistan –situation très similaire à celle que nous avons en l’espèce. La déléguée du ministre a conclu de ce document que le demandeur présenterait un certain intérêt pour les autorités, qu’il serait interrogé et qu’il pourrait être étiqueté comme membre d’une organisation terroriste. Elle a aussi conclu qu’il pouvait faire l’objet de discrimination et que la possibilité qu’il soit maltraité par les autorités n’était pas [traduction] « exclue » (dossier du tribunal, vol 1, p 19).

 

[54]           La déléguée du ministre cite ensuite des extraits du rapport de l’agent d’ERAR qui font état de cas de tortures et de mauvais traitements infligés par les autorités de l’État pakistanais à des personnes pendant leur détention (dossier du tribunal, vol 1, p 21‑23). Elle ajoute qu’elle a cherché à obtenir des renseignements relatifs au traitement réservé aux personnes qui ont des liens avec le groupe auquel disait appartenir le demandeur et cite i) un rapport du 13 septembre 2011 du Département d’État des États‑Unis (July‑December, 2010 International Religious Freedom Report – Pakistan; dossier du tribunal, vol 1, p 72‑91) [rapport sur la liberté de religion] et ii) un rapport de la Fondation Jamestown, daté du 9 décembre 2011 (Islamist Reaction to the NATO Airstrike on the Pakistani Border; dossier du tribunal, vol 1, p 92 à 94). Le demandeur conteste l’utilisation de ces deux (2) rapports, soutenant qu’ils ne sont pas pertinents.

 

[55]           Le rapport de la Fondation Jamestown recense les réactions de groupes islamistes et des autorités pakistanaises par suite d’une frappe aérienne de l’OTAN sur deux (2) postes de contrôle de l’armée pakistanaise en novembre 2011. À la suite de cette frappe aérienne, le groupe auquel le demandeur est lié a organisé des manifestations contre l’OTAN dans diverses villes. La déléguée du ministre s’appuie sur ce document parce qu’il ne mentionne pas expressément que des manifestants avaient été détenus ou maltraités. Cependant, la Cour souligne que cet article portait sur des activités militantes transfrontalières et non sur les droits de la personne ou le traitement des manifestants. Étant donné la nature de ce rapport, la Cour n’est pas convaincue qu’il aurait mentionné des cas de détention ou de mauvais traitements, même s’il y en avait eu. La déléguée du ministre n’établit aucune distinction et ne fournit pas d’explications à cet égard et aucune information à l’effet contraire n’est donnée.

 

[56]           Le rapport sur la liberté de religion contient des renseignements sur les lois relatives au blasphème et d’autres lois discriminatoires. Il révèle que le gouvernement prend des mesures pour améliorer la liberté de religion et que 95 p. 100 de la population est musulmane (dont 75 p. 100 est sunnite, comme le demandeur, et 25 p. 100, chiite). Le rapport se concentre sur les mauvais traitements que subissent les membres de minorités religieuses. Il y est question de prisonniers et de personnes détenues pour des raisons religieuses, notamment du fait que [traduction] « les prisonniers non musulmans étaient généralement détenus dans de moins bonnes conditions que les prisonniers musulmans » (dossier du tribunal, vol 1, p 81). Lorsqu’il aborde la question des attaques contre des lieux saints appartenant à des minorités religieuses, le rapport mentionne qu’aucune arrestation n’avait encore été effectuée (ce qui laissait entendre que le rapport aurait pu mentionner ce type de renseignement s’il y avait eu accès; dossier du tribunal, vol 1, p 83). Cependant, le rapport porte sur la liberté de religion et les mauvais traitements auxquels sont soumis les membres de minorités religieuses au Pakistan. Or, le demandeur n’est pas membre d’une minorité religieuse – il est un musulman sunnite. De plus, même si le document peut faire état d’arrestations, il ne se penche pas sur le traitement des prisonniers ou d’autres personnes par les autorités.

 

[57]           La déléguée du ministre utilise ces rapports pour confirmer l’opinion que les membres du groupe auquel appartient le demandeur ne sont pas nécessairement arrêtés, torturés ou soumis à de mauvais traitements par les autorités parce que lesdits rapports ne font aucunement mention de cette question. La Cour a de sérieuses réserves quant à l’utilisation par la déléguée du ministre du rapport de la Fondation Jamestown et du rapport sur la liberté de religion : ces deux (2) documents, qui ont une portée étroite, ont peu de poids comparativement à tous les autres éléments de preuve documentaires qui font état des mauvais traitements et des tortures infligés aux personnes détenues.

 

[58]           Ces éléments de preuve objectifs sur la situation dans le pays démontrent clairement que les personnes sous la garde de la police et des forces de sécurité sont soumises à des conditions de détention difficiles, à la torture et à de mauvais traitements. Cependant, la Cour reconnaît que ces éléments de preuve sont insuffisants : en effet, il incombe tout de même au demandeur de démontrer de quelle façon cette preuve le concerne directement. Les médias, y compris ceux du Moyen‑Orient, ont présenté le demandeur comme une personne liée à une organisation terroriste. Selon la déléguée du ministre, n’eut été de la liste de l’ASFC, le demandeur serait passé inaperçu au Pakistan étant donné le grand nombre de partisans du groupe auquel il appartenait. On peut déduire de cette affirmation que la déléguée du ministre qu’elle estime que le demandeur ne passera pas inaperçu. C’est donc le profil du demandeur : un demandeur d’asile débouté qui sera renvoyé au Pakistan par les autorités canadiennes, dont on dit qu’il a des liens avec une organisation terroriste et qui ne passera pas inaperçu.

 

[59]           La déléguée du ministre utilise le rapport sur la liberté de religion et le rapport de la Fondation Jamestown pour discréditer des renseignements récents sur les mauvais traitements infligés aux détenus par des fonctionnaires, des policiers et des membres des forces de sécurité. La Cour juge qu’il était déraisonnable, dans les circonstances, de s’appuyer sur l’absence de certains renseignements dans deux (2) rapports dont la portée est très étroite pour réfuter les renseignements qui figurent dans un grand nombre d’autres documents récents et pertinents.

 

[60]           La déléguée du ministre a aussi tenu compte de renseignements récents selon lesquels toutes les personnes expulsées font l’objet d’une enquête. Il s’ensuit logiquement que les autorités pakistanaises s’informeraient au sujet des motifs de l’expulsion du demandeur. La déléguée du ministre a conclu que si les autorités pakistanaises découvraient les liens du demandeur avec le groupe interdit, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il soit détenu et interrogé, mais elle a néanmoins conclu qu’il n’existait aucun risque. Étant donné la preuve selon laquelle les personnes détenues sont soumises à de mauvais traitements, la Cour estime déraisonnable que la déléguée du ministre ait conclu que le demandeur ne serait probablement pas exposé au risque d’être torturé ou de subir de mauvais traitements et cette conclusion contredit sa propre analyse.

 

[61]           La déléguée du ministre a reconnu que le demandeur serait exposé au risque d’être interrogé et possiblement d’être détenu à son arrivée au Pakistan. Elle avait entre les mains l’ERAR initial dans lequel il avait été conclu à l’existence d’un risque et de conditions de détention extrêmement difficiles. Étant donné l’utilisation de documents dont la valeur probante était insuffisante pour justifier ses conclusions, conclusions qui étaient contraires à celles de l’ERAR initial et à l’essentiel de la preuve sur la situation dans le pays, la Cour juge que le traitement de la preuve effectué par la déléguée du ministre était déraisonnable. De plus, la déclaration de la déléguée du ministre selon laquelle la possibilité de mauvais traitements n’était pas [traduction] « exclue » soulève un doute quant au caractère raisonnable de son évaluation. Même s’il n’est pas nécessaire qu’elle démontre que la possibilité de mauvais traitements est [traduction] « exclue » pour rejeter une demande d’ERAR, le critère étant qu’il est plus probable que le contraire que le demandeur subisse des mauvais traitements (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 RCF 239), la déléguée du ministre ne réussit pas à expliquer adéquatement, en se fondant sur la preuve, pour quels motifs elle conclut que le demandeur ne sera probablement pas exposé à des risques. L’intervention de la Cour est donc justifiée.

 

[62]           La conclusion de la Cour sur cette question scelle l’issue de la demande de contrôle judiciaire. Il n’est donc pas nécessaire d’aborder les autres questions.

 

Les questions proposées en vue d’une certification

[63]           Le demandeur a proposé trois (3) questions à certifier dans la présente demande :

[traduction]

1.      Le délégué du ministre est‑il tenu de divulguer au demandeur d’ERAR tous les documents qu’il a pris en compte avant de rendre une décision sur une demande de protection faite en vertu du paragraphe 112(3) et de l’alinéa 113d) de la Loi?

2.      Le délégué du ministre, lorsqu’il évalue une demande de protection conformément à l’article 112(3) et à l’alinéa 113d) de la Loi, peut‑il contourner la conclusion d’un agent d’ERAR selon laquelle un demandeur est exposé à un risque au sens de l’article 97 et tirer ensuite la conclusion que ce demandeur n’est pas exposé à des risques?

3.      Le délégué du ministre possède‑t‑il suffisamment d’indépendance et d’impartialité pour rendre des décisions en application du paragraphe 112(3) et de l’alinéa 113d) lorsque des droits protégés par l’article 7 de la Charte sont en jeu?

 

[64]           Étant donné la conclusion de la Cour que la décision de la déléguée du ministre était déraisonnable et la conséquence qui s’ensuit, soit que la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, aucune des questions proposées n’a d’effet sur l’issue de la demande (Liyanagamage c Canada (Secrétaire d’État) (1994), 176 NR 4, 51 ACWS (3d) 910; Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 12, 318 NR 365). Par conséquent, la Cour ne certifiera pas les questions proposées vu sa conclusion sur le caractère raisonnable de la décision rendue par la déléguée du ministre.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la déléguée du ministre datée du 16 février 2012 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre délégué du ministre qui statuera de nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


Annexe

 

Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont pertinentes en l’espèce :

 

OBJET DE LA LOI

 

Objet en matière d’immigration

 

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[…]

 

h) de protéger la santé et la sécurité publiques et de garantir la sécurité de la société canadienne;

 

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

 

[…]

 

Objet relatif aux réfugiés

 

(2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

 

[…]

 

h) de promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice par l’interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d’asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité.

 

 

Interprétation et mise en œuvre

 

(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

 

a) de promouvoir les intérêts du Canada sur les plans intérieur et international;

 

[…]

 

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

 

 

MISE EN APPLICATION

 

[…]

 

Désignation des agents

 

6. (1) Le ministre désigne, individuellement ou par catégorie, les personnes qu’il charge, à titre d’agent, de l’application de tout ou partie des dispositions de la présente loi et précise les attributions attachées à leurs fonctions.

 

Délégation

 

(2) Le ministre peut déléguer, par écrit, les attributions qui lui sont conférées par la présente loi et il n’est pas nécessaire de prouver l’authenticité de la délégation.

 

 

PARTIE 2

PROTECTION DES RÉFUGIÉS

 

Section 1

 

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

[…]

 

 

 

 

Section 3

Examen des risques avant renvoi

 

Protection

 

Demande de protection

 

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

Exception

 

(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :

 

a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;

 

b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);

 

 

b.1) sous réserve du paragraphe (2,1), moins de douze mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de sa demande d’asile — sauf s’il s’agit d’un rejet prévu au paragraphe 109(3) ou d’un rejet pour un motif prévu à la section E ou F de l’article premier de la Convention — ou le dernier prononcé du désistement ou du retrait de la demande par la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés;

 

c) sous réserve du paragraphe (2,1), moins de douze mois ou, dans le cas d’un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1), moins de 36 mois se sont écoulés depuis le rejet de sa dernière demande de protection ou le prononcé du retrait ou du désistement de cette demande par la Section de la protection des réfugiés ou le ministre.

 

Exemption

 

(2.1) Le ministre peut exempter de l’application des alinéas (2)b.1) ou c) :

 

a) les ressortissants d’un pays ou, dans le cas de personnes qui n’ont pas de nationalité, celles qui y avaient leur résidence habituelle;

 

b) ceux de tels ressortissants ou personnes qui, avant leur départ du pays, en habitaient une partie donnée;

 

c) toute catégorie de ressortissants ou de personnes visés à l’alinéa a).

 

Application

 

(2.2) Toutefois, l’exemption ne s’applique pas aux personnes dont la demande d’asile a fait l’objet d’une décision par la Section de la protection des réfugiées ou, en cas d’appel, par la Section d’appel des réfugiés après l’entrée en vigueur de l’exemption.

 

 

 

Règlements

 

(2.3) Les règlements régissent l’application des paragraphes (2.1) et (2.2) et prévoient notamment les critères à prendre en compte en vue de l’exemption.

 

 

Restriction

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

 

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

Effet de la décision

 

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

 

 

 

 

 

 

 

[…]

OBJECTIVES AND APPLICATION

 

Objectives — immigration

 

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

(h) to protect public health and safety and to maintain the security of Canadian society;

 

 

(i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks; and

 

 

 

Objectives — refugees

 

(2) The objectives of this Act with respect to refugees are

 

 

(h) to promote international justice and security by denying access to Canadian territory to persons, including refugee claimants, who are security risks or serious criminals.

 

 

Application

 

(3) This Act is to be construed and applied in a manner that

 

(a) furthers the domestic and international interests of Canada;

 

 

(f) complies with international human rights instruments to which Canada is signatory.

 

 

 

ENABLING AUTHORITY

 

 

Designation of officers

 

6. (1) The Minister may designate any persons or class of persons as officers to carry out any purpose of any provision of this Act, and shall specify the powers and duties of the officers so designated.

 

Delegation of powers

 

(2) Anything that may be done by the Minister under this Act may be done by a person that the Minister authorizes in writing, without proof of the authenticity of the authorization

 

 

PART 2

REFUGEE PROTECTION

 

Division 1

 

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

Exclusion – Refugee Convention

 

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

 

 

 

Division 3

Pre‑removal Risk Assessment

 

Protection

 

Application for protection

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

Exception

 

(2) Despite subsection (1), a person may not apply for protection if

 

(a) they are the subject of an authority to proceed issued under section 15 of the Extradition Act;

 

(b) they have made a claim to refugee protection that has been determined under paragraph 101(1)(e) to be ineligible;

 

(b.1) subject to subsection (2,1), less than 12 months have passed since their claim for refugee protection was last rejected — unless it was deemed to be rejected under subsection 109(3) or was rejected on the basis of section E or F of Article 1 of the Refugee Convention — or determined to be withdrawn or abandoned by the Refugee Protection Division or the Refugee Appeal Division;

 

(c) subject to subsection (2,1), less than 12 months, or, in the case of a person who is a national of a country that is designated under subsection 109.1(1), less than 36 months, have passed since their last application for protection was rejected or determined to be withdrawn or abandoned by the Refugee Protection Division or the Minister.

 

 

Exemption

 

(2.1) The Minister may exempt from the application of paragraph (2)(b.1) or (c)

 

(a) the nationals — or, in the case of persons who do not have a country of nationality, the former habitual residents — of a country;

 

(b) the nationals or former habitual residents of a country who, before they left the country, lived in a given part of that country; and

 

(c) a class of nationals or former habitual residents of a country.

 

Application

 

(2.2) However, an exemption made under subsection (2,1) does not apply to persons in respect of whom, after the day on which the exemption comes into force, a decision is made respecting their claim for refugee protection by the Refugee Protection Division or, if an appeal is made, by the Refugee Appeal Division.

 

Regulations

 

(2.3) The regulations may govern any matter relating to the application of subsection (2.1) or (2.2) and may include provisions establishing the criteria to be considered when an exemption is made.

 

Restriction

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

Effect of decision

 

114. (1) A decision to allow the application for protection has

 

(a) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), the effect of conferring refugee protection; and

 

(b) in the case of an applicant described in subsection 112(3), the effect of staying the removal order with respect to a country or place in respect of which the applicant was determined to be in need of protection.

 

 

 

Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 sont aussi pertinentes :

 

Section 4

Examen des risques avant renvoi

 

[ …]

 

Demandeur visé au paragraphe 112(3) de la Loi

 

172. (1) Avant de prendre sa décision accueillant ou rejetant la demande de protection du demandeur visé au paragraphe 112(3) de la Loi, le ministre tient compte des évaluations visées au paragraphe (2) et de toute réplique écrite du demandeur à l’égard de ces évaluations, reçue dans les quinze jours suivant la réception de celles‑ci.

 

Évaluations

 

(2) Les évaluations suivantes sont fournies au demandeur :

 

a) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi;

 

b) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi, selon le cas.

 

Certificat

 

(2.1) Malgré le paragraphe (2), aucune évaluation n’est fournie au demandeur qui fait l’objet d’un certificat tant que le juge n’a pas décidé du caractère raisonnable de celui‑ci en vertu de l’article 78 de la Loi.

 

Moment de la réception

 

(3) Les évaluations sont fournies soit par remise en personne, soit par courrier, auquel cas elles sont réputées avoir été fournies à l’expiration d’un délai de sept jours suivant leur envoi à la dernière adresse communiquée au ministère par le demandeur.

 

Demandeur non visé à l’article 97 de la Loi

 

(4) Malgré les paragraphes (1) à (3), si le ministre conclut, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi, que le demandeur n’est pas visé par cet article :

 

a) il n’est pas nécessaire de faire d’évaluation au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi;

 

b) la demande de protection est rejetée.

 

[…]

Division 4

Pre‑Removal Risk Assessment

 

 

Applicant described in s. 112(3) of the Act

 

 

172. (1) Before making a decision to allow or reject the application of an applicant described in subsection 112(3) of the Act, the Minister shall consider the assessments referred to in subsection (2) and any written response of the applicant to the assessments that is received within 15 days after the applicant is given the assessments.

 

 

Assessments

 

(2) The following assessments shall be given to the applicant:

 

(a) a written assessment on the basis of the factors set out in section 97 of the Act; and

 

(b) a written assessment on the basis of the factors set out in subparagraph 113(d)(i) or (ii) of the Act, as the case may be.

 

Certificate

 

(2,1) Despite subsection (2), no assessments shall be given to an applicant who is named in a certificate until a judge under section 78 of the Act determines whether the certificate is reasonable.

 

When assessments given

 

(3) The assessments are given to an applicant when they are given by hand to the applicant or, if sent by mail, are deemed to be given to an applicant seven days after the day on which they are sent to the last address that the applicant provided to the Department.

 

Applicant not described in s. 97 of the Act

 

(4) Despite subsections (1) to (3), if the Minister decides on the basis of the factors set out in section 97 of the Act that the applicant is not described in that section,

 

(a) no written assessment on the basis of the factors set out in subparagraph 113(d)(i) or (ii) of the Act need be made; and

 

(b) the application is rejected.

 

 

 

Les dispositions suivantes de l’article premier de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), 28 juillet 1951 [1969] RT Can. no 6, 189 UNTS 137, art 33, sont aussi pertinentes en l’espèce :

 

Article premier. – Définition du terme « réfugié »

 

[…]

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

 

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

 

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Article 1. ‑ Definition of the term “refugee”

 

 

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

 

(a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

 

 

(b) He has committed a serious non‑political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

 

(c) He has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1735‑12

 

INTITULÉ :                                                  ARSHAD MUHAMMAD c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 22 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 18 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

Clarisa Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon Stewart Guthrie

Jane Stewart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldwan & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.