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Date : 20121218

Dossier : IMM‑3178‑12

Référence : 2012 CF 1494

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Edmonton (Alberta), le 18 décembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

ILHAM ABDI AHMED

HANAD BADAR ELMI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Survol

 

[1]               Madame Ilham Abdi Ahmed et son fils ont demandé l’asile au Canada du fait qu’elle craint son mari, résident de Djibouti. Elle allègue que son mari l’a violentée au cours de leurs 10 années de mariage.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié examiné la demande d’asile de Mme Ahmed et l’a rejetée à cause de l’absence d’éléments de preuve crédibles. La Commission a souligné que Mme Ahmed avait voyagé à l’extérieur de Djibouti à un certain nombre de reprises, particulièrement au moment de la naissance de chacun de ses quatre enfants. En fait, trois de ses enfants sont nés au Canada. Malgré cela, à chacune de ces occasions, elle est retournée auprès de son mari. La Commission s’est demandé pour quelles raisons elle serait retournée auprès de son mari si elle le craignait vraiment.

 

[3]               De plus, la Commission a conclu que Mme Ahmed et son mari voulaient immigrer au Canada et qu’ils utilisaient la fausse demande d’asile présentée par Mme Ahmed pour y arriver. Madame Ahmed et son mari avaient déjà demandé la résidence permanente au Canada. De plus, son mari a acheté les billets d’avion pour Mme Ahmed et leurs enfants, et les a reconduits à l’aéroport. La Commission a conclu que ce comportement révélait la complicité du mari dans la présentation de sa fausse demande d’asile et qu’il ne constituait pas la preuve d’une relation violente.

 

[4]               La Commission a de plus conclu que Mme Ahmed ferait n’importe quoi pour son mari. Par exemple, elle a accepté que ses filles subissent des mutilations génitales afin que son mari l’autorise à quitter le pays, même si elle était contre ce genre de pratique.

 

[5]               Madame Ahmed allègue que la Commission n’a pas évalué les circonstances dans lesquelles elle a présenté sa demande. Plus précisément, elle souligne que la Commission n’a pas tenu compte des Directives établies par le président concernant la persécution fondée sur le sexe qui invitent la Commission à faire preuve de sensibilité lorsqu’il est question de demandes d’asile liées à la persécution fondée sur le sexe. Madame Ahmed soutient aussi que les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité étaient déraisonnables. Elle me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner à un autre tribunal de la Commission de faire un nouvel examen de sa demande d’asile.

 

[6]               Je reconnais que l’évaluation qu’a faite la Commission de la demande de Mme Ahmed était incompatible avec les Directives. De plus, j’estime que l’approche retenue par la Commission a influencé son évaluation de la crédibilité du témoignage de Mme Ahmed. Cependant, étant donné ma conclusion sur la première question, je n’ai pas à aborder séparément la seconde.

 

[7]               Par conséquent, la seule question en litige est d’établir si la Commission a évalué la demande de Mme Ahmed conformément aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

 

II.        L’approche de la Commission était-elle conforme aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

 

[8]               La Commission n’a pas mentionné les Directives, mais son silence ne permet pas à lui seul d’annuler sa décision (Ayub c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1411, au paragraphe 19). Il s’agit plutôt d’établir si elle a évalué la preuve d’une façon qui est conforme à l’approche exposée dans ces directives.

 

[9]               En l’espèce, la Commission a estimé que Mme Ahmed aurait pu faire une demande d’asile auparavant, mais qu’elle a plutôt choisi de retourner auprès de son mari. Elle a aussi retardé le moment où elle a déposé sa demande. La Commission a conclu que ce comportement était incompatible avec une crainte subjective de violence.

 

[10]           À mon avis, la Commission devait tenir compte d’autres éléments qui auraient pu expliquer le comportement de Mme Ahmed.

 

[11]           Voici un extrait des Directives :

… les femmes qui ont fait l’objet de violence familiale peuvent de leur côté présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome de la femme battue et peuvent hésiter à témoigner. Dans certains cas, il conviendra de se demander si la revendicatrice devrait être autorisée à témoigner à l’extérieur de la salle d’audience par affidavit ou sur vidéo, ou bien devant des commissaires et des agents chargés de la revendication ayant reçu une formation spéciale dans le domaine de la violence faite aux femmes. Les commissaires doivent bien connaître les Lignes directrices pour la protection des femmes réfugiées publiées par le comité exécutif du HCR.

 

[12]           Voici la note de bas de page à laquelle renvoie ce passage :

Une discussion sur le syndrome de la femme battue figure dans R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852. Dans Lavallee, le juge Wilson traite du mythe concernant la violence familiale : « Elle était certainement moins gravement battue qu’elle le prétend, sinon elle aurait quitté cet homme depuis longtemps. Ou, si elle était si sévèrement battue, elle devait rester par plaisir masochiste ». La Cour ajoute qu’une autre manifestation de cette forme d’oppression est « apparemment la réticence de la victime à révéler l’existence ou la gravité des mauvais traitements ». Dans Lavallee, la Cour a indiqué que la preuve d’expert peut aider en détruisant ces mythes et servir à expliquer pourquoi une femme reste dans sa situation de femme battue.

 

 

[13]           À mon avis, la Commission aurait dû interpréter à la lumière de ces directives le témoignage de Mme Ahmed au sujet des motifs pour lesquels elle était demeurée avec son mari et était retournée auprès de lui. Elles expliquent en partie la situation difficile dans laquelle se trouvent certaines femmes qui vivent une relation avec un conjoint violent. Madame Ahmed a déclaré dans son témoignage qu’elle retournait auprès de son mari parce qu’elle l’aimait, qu’elle espérait que son comportement s’améliore si elle continuait à lui donner des enfants, qu’elle ne voulait pas abandonner la garde des enfants qu’elle laissait derrière elle lors des occasions où elle quittait Djibouti, que sa relation avec son mari était devenue intolérable à partir du moment où ce dernier avait pris une seconde épouse et qu’elle avait accepté les mutilations génitales uniquement pour convaincre son mari de la laisser emmener les enfants au Canada.

 

[14]           La Commission a de toute évidence le droit de tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité. Cependant, dans le cas des demandes visées par un risque de persécution fondée sur le sexe, elle doit tirer ces conclusions en tenant compte du contexte social dans le cadre duquel les demandes d’asile sont déposées. J’estime que la Commission n’a pas bien évalué les circonstances dans lesquelles Mme Ahmed se trouvait et que, par conséquent, son rejet sommaire des explications fournies par la demanderesse pour expliquer son comportement était déraisonnable.

 

III.       Conclusion et décision

 

[15]           La Commission n’a tenu compte ni de la situation personnelle de Mme Ahmed ni des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe qui s’appliquent à ce genre de situations dans l’évaluation de son témoignage. Par conséquent, le rejet par la Commission des explications que la demanderesse a fournies pour expliquer son comportement était déraisonnable. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner à un autre tribunal de la Commission d’effectuer un nouvel examen de sa demande d’asile. Aucune des parties ne m’a demandé de certifier une question de portée générale, et aucune n’est soulevée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                                          La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission afin qu’une nouvelle audience soit tenue devant un autre tribunal.

2.                                          Aucune question de portée générale n’est soulevée.

 

 

« James W. O’Reilly »

juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3178‑12

 

INTITULÉ :                                      ILHAM ABDI AHMED ET AUTRES

                                                            c

MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 13 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                           le juge O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     le 18 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yerzy

POUR LES DEMANDEURS

 

Jeannine Plamondon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Yerzy

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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