Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20121220

Dossier : T‑139‑08

Référence : 2012 CF  1474

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

PREMIÈRE NATION DE

LONG PLAIN, PREMIÈRE NATION DE PEGUIS, PREMIÈRE

NATION ANISHINABE DE ROSEAU RIVER, PREMIÈRE NATION DE

SAGKEENG, PREMIÈRE NATION OJIBWAY DE SANDY BAY,

PREMIÈRE NATION DE SWAN LAKE,

COLLECTIVEMENT LES SIGNATAIRES DU TRAITÉ NO 1

ET CONNUES SOUS LE NOM DE

« PREMIÈRES NATIONS SIGNATAIRES DU TRAITÉ NO 1 »

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU

CANADA, L’HONORABLE CHUCK STRAHL EN SA QUALITÉ DE

MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

L’HONORABLE VIC TOEWS EN SA QUALITÉ DE PRÉSIDENT DU CONSEIL DU TRÉSOR,

L’HONORABLE PETER MACKAY EN SA QUALITÉ DE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE,

L’HONORABLE LAWRENCE CANNON EN SA QUALITÉ DE MINISTRE RESPONSABLE DE LA

SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DU CANADA

 

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT MODIFIÉS

 

[1]               La présente demande porte sur un bien‑fonds situé dans la ville de Winnipeg connu sous le nom de casernement Kapyong. Ce bien‑fonds est situé sur un territoire visé par un traité connu sous le nom de Traité no 1, conclu en 1871 entre Sa Majesté la Reine Victoria et certaines bandes autochtones situées sur ce territoire. Sa Majesté la Reine du Canada est la successeure de la Reine Victoria et a utilisé ces terres à des fins militaires. Les demanderesses sont diverses bandes autochtones qui, en tant que successeures des signataires du Traité, ont formulé diverses revendications en faisant valoir leurs droits sur les terres en question. En novembre 2007, le gouvernement du Canada a décidé de vendre ce bien‑fonds à une société d’État non mandataire en vue de son aliénation par cette dernière. Les demanderesses sollicitent l’annulation de cette décision.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je fais droit à la demande présentée par certaines, mais non par la totalité des demanderesses; la décision de vendre le bien‑fonds sera annulée et toute autre décision de vendre sera interdite tant que le Canada n’aura pas rempli son obligation de mener des consultations sérieuses.

 

[3]               Par souci de commodité, j’ai ajouté la table des matières suivante aux présents motifs :

 

TABLE DES MATIÈRES

GENÈSE DE L’INSTANCE

paragraphes 4 à 8

CONCLUSIONS TIRÉES PAR LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

paragraphe 9

CONCLUSIONS DU JUGE CAMPBELL

 

paragraphes 10 et 11

LES PARTIES

paragraphes 12 à 17

EN QUOI CONSISTE LE BIEN‑FONDS EN LITIGE?

paragraphes 18 à 20

FONDEMENT DE LA REVENDICATION

paragraphes 21 à 27

SAGKEENG ET SANDY BAY

paragraphes 28 et 29

LONG PLAIN, SWAN LAKE, ROSEAU RIVER

 

paragraphes 30 à 35

PEGUIS

paragraphes 36 à 42

QUELLE DÉCISION A ÉTÉ PRISE PAR LE CANADA EN CE QUI CONCERNE LA PROPRIÉTÉ EN LITIGE?

 

paragraphe 43 et 44

DOCUMENTS ET MESURES SE RAPPORTANT À LA DÉCISION

 

paragraphes 45 à 60

RÉPARATIONS DEMANDÉES

paragraphe 61

QUESTIONS EN LITIGE

paragraphe 62

NORME DE CONTRÔLE

PREMIÈRE QUESTION : Le Canada avait‑il l’obligation de consulter la totalité ou une partie seulement des demanderesses?

 

 

DEUXIÈME QUESTION : S’il existait une obligation de consulter, quelle était l’étendue de cette obligation?

 

TROISIÈME QUESTION : S’il existait une obligation, le Canada s’est‑il acquitté adéquatement de son obligation dans la mesure requise?

 

paragraphes 63 à 80

paragraphes 66 et 67

 

 

paragraphes 68 à 74

 

 

paragraphes 75 à 80

 

CONCLUSION

paragraphes 81 et 82

 

GENÈSE DE L’INSTANCE

[4]               Ce procès a une triste histoire. L’affaire a été soumise au juge Campbell de notre Cour en 2009. Dans un jugement rendu le 30 septembre 2009, voici ce que le juge Campbell a déclaré :

 

Le Canada avait l’obligation légale de consulter à propos de sa décision d’aliéner les terres fédérales excédentaires au casernement Kapyong et il ne s’est pas acquitté de cette obligation; et, en particulier,

 

le Canada a agi de façon contraire à la loi en omettant de s’acquitter de l’obligation légale de consulter les Premières nations de Brokenhead et de Peguis avant de prendre sa décision en novembre 2007 de transférer les terres excédentaires du casernement Kapyong à la Société immobilière du Canada conformément à la Directive sur la vente ou le transfert des biens immobiliers excédentaires du Conseil du Trésor; et, par conséquent,

 

la décision de novembre 2007 est invalide.

 

J’adjuge les dépens de la présente demande aux Premières nations demanderesses.

 

[5]               Les motifs du juge Campbell sont publiés sous la référence 2009 CF 982, [2009] ACF no 1150.

 

[6]               Le défendeur, le Canada, a interjeté appel de cette décision et l’affaire a été instruite en 2011 par la Cour d’appel fédérale (les juges Nadon, Létourneau et Sexton), qui a accueilli l’appel avec dépens et renvoyé l’affaire à notre Cour pour qu’elle soit réexaminée par un autre juge que le juge Campbell et pour qu’une nouvelle décision soit rendue à la lumière des motifs de la Cour d’appel fédérale (publiée sous la référence 2011 CAF 148, [2011] ACF no 638 et rédigée sous la plume du juge Nadon). Je reprends la conclusion des motifs en question, aux paragraphes 50 à 54 :

 

50  Je conclus donc que les motifs du juge sont insuffisants. Le juge ne tente pas de démêler les difficiles questions juridiques et les éléments de preuve contradictoires dont il disposait ni de résoudre ces problèmes. Au paragraphe 55 de ses motifs dans l’arrêt R.E.M., la juge en chef établit ce que les cours d’appel doivent se demander lorsqu’il leur faut déterminer si les motifs d’un juge sont suffisants :

 

[55] La cour d’appel doit se demander, en faisant preuve de retenue, si les motifs considérés avec la preuve versée au dossier, les observations des avocats et les questions en litige au procès font ressortir le fondement du verdict. Elle doit examiner les motifs dans leur contexte global. Elle doit déterminer si, de ce point de vue, le juge du procès semble avoir saisi l’essentiel des questions fondamentales en litige au procès. Si les éléments de preuve sont embrouillés ou contradictoires, la cour d’appel doit se demander si le juge du procès a manifestement relevé et résolu les contradictions. En présence d’une question de droit épineuse ou de droit nouveau, elle doit se demander si le juge du procès a relevé et résolu cette question.

 

51  À mon avis, le juge n’a pas saisi l’essentiel des questions en litige fondamentales qui lui étaient soumises. Il n’a pas réussi non plus à traiter adéquatement la preuve dont il disposait, en ce sens qu’il en a ignoré des éléments essentiels et n’a donc pas tiré à leur sujet des conclusions qui auraient permis à la Cour de faire un examen valable en appel.

 

52  La Cour n’aurait comme autre possibilité, à part renvoyer l’affaire à la Cour fédérale, que de se transformer en tribunal de première instance et tirer de nouvelles conclusions de fait ainsi que des conclusions de droit d’après ces faits. Ce n’est pas le rôle de la Cour. Je suis donc convaincu que la Cour n’est pas en mesure de faire un examen valable en appel dans ces circonstances.

 

53  Je souligne en passant qu’après la décision du juge, un revirement jurisprudentiel en droit autochtone s’est produit à la suite des arrêts de la Cour suprême Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, et Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2011] 1 C.N.L.R. 12, (Beckman), où la Cour suprême examine ce qui déclenche l’obligation de consulter et la façon dont les accords sur des revendications territoriales modernes, comme ceux dont il est question en l’espèce, façonnent cette obligation. En particulier, le juge qui examinera à nouveau l’affaire souhaitera peut‑être tenir compte de l’argument de la Couronne concernant l’effet des dispositions de libération figurant dans les ententes respectives que la Couronne a conclues avec les intimées à la lumière de ce que la Cour suprême a dit dans Beckman à propos du poids à accorder aux dispositions contenues dans des accords sur des revendications territoriales complexes, qui ont été adéquatement négociés.

 

54  Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais la décision du juge et je renverrais l’affaire au juge en chef de la Cour fédérale ou à un juge, autre que le juge Campbell, désigné par le juge en chef pour qu’il tranche à nouveau les questions en litige en tenant compte des présents motifs.

 

[7]               Je me conformerai donc aux directives de la Cour d’appel fédérale, ayant entendu de nouveau la présente affaire au début de décembre 2012. Il convient de noter que, conformément à l’ordonnance prononcée par le protonotaire Lafrenière le 13 septembre 2012, de nouveaux éléments de preuve ont été présentés qui n’avaient pas été portés à la connaissance de la Cour d’appel ou du juge Campbell. Parmi ces éléments de preuve se trouvent des documents que le gouvernement du Canada a obtenus des demanderesses en vertu des dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, ch. A‑1.

 

[8]               Au paragraphe 52 de ses motifs, la Cour d’appel a refusé de tirer « de nouvelles conclusions de fait », préférant plutôt renvoyer l’affaire à la Cour. Je reprendrai donc l’affaire depuis le début. Je m’inspirerai toutefois des conclusions tirées par la Cour d’appel et par celles du juge Campbell que la Cour d’appel a reprises à son compte.  

 

CONCLUSIONS TIRÉES PAR LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

[9]               La Cour d’appel fédérale a formulé plusieurs conclusions de fait en se fondant sur le dossier dont elle disposait à l’époque. Ces conclusions sont pour la plupart acceptées par les parties. Il convient de se rappeler que des éléments de preuve supplémentaires ont été présentés par suite de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière, précitée. Je répète les conclusions que l’on trouve au paragraphe 3 à 24 des motifs unanimes de la Cour d’appel rédigés par le juge Nadon :

 

3  En 1871, les bandes autochtones du Manitoba et le Canada ont signé le Traité no 1. Les bandes autochtones devaient renoncer à leur titre sur les terres qui constituent maintenant la province du Manitoba et, en échange, le Canada devait réserver certaines terres à l’usage exclusif de ces bandes, soit 160 acres par famille de cinq personnes, disposition appelée aujourd’hui la « disposition d’attribution par habitant ». Pour des raisons qui ne sont pas pertinentes en l’espèce, le Canada n’a pas respecté sa part de l’entente.

 

4  La Canada a conclu à la validité des revendications territoriales de cinq des intimées. Par conséquent, dans les années 1990, en vue de rectifier son manquement à la disposition d’attribution par habitant, le Canada a signé des ententes sur les droits fonciers issus des traités (DFIT) avec les intimées : en 1994, avec la Première nation de Long Plain (Long Plain), en 1995, avec la Première nation de Swan Lake (Swan Lake) et en 1996, avec la Première nation anishinabe de Roseau River (Roseau River). En 1997, la Nation ojibway de Brokenhead (Brokenhead) a négocié sa revendication par l’entremise du Treaty Land Entitlement Committee of Manitoba Inc. (TLEC). Cette année‑là, le TLEC a signé l’Accord‑cadre sur les droits fonciers issus de traités au Manitoba (l’Accord‑cadre) avec le Canada, à la suite de quoi Brokenhead a signé une entente individuelle sur les DFIT en 1998. En 2008, la Première nation de Peguis (Peguis) a signé son entente avec le Canada.

 

5  En vertu de ces ententes, chacune des bandes susmentionnées peut acquérir en priorité des terres privées et des terres de la « Couronne provinciale » – définies comme des terres appartenant au Manitoba ou administrées et contrôlées par le Manitoba, et situées dans la province du Manitoba – pour exercer ses droits fonciers issus des traités. La priorité accordée équivaut essentiellement à un droit de premier refus s’appliquant à la catégorie de terres à laquelle les droits ont trait. La nature et la portée de cette priorité sont décrites dans les ententes que les intimées ont conclues avec le Canada. Toutefois, la priorité ne confère pas à l’une ou l’autre des intimées le droit d’acquérir les terres, parce que toutes les ententes précisent que les terres devront être transférées selon le principe de la vente de gré à gré.

 

6  Le type d’arrangement conclu avec chacune des intimées varie. Aux termes des ententes conclues par Long Plain, Swan Lake et Roseau River, le Canada doit verser une certaine somme pour permettre à ces Premières nations d’acheter des terres et de régler ainsi leurs revendications. Ces ententes ne prévoient pas l’acquisition de terres fédérales excédentaires et ne font pas mention, sauf dans le cas de Roseau River, des terres administrées et contrôlées par le Canada. Quant à l’entente conclue par Roseau River, la disposition 4.12 précise que la Première nation peut acheter des terres administrées et contrôlées par le Canada à leur juste valeur marchande.

 

7  Aux termes de leurs ententes, les intimées Brokenhead et Peguis peuvent sélectionner une superficie donnée de terres de la Couronne provinciale et d’autres terres non occupées, y compris des terres fédérales excédentaires, et le Canada fournira une certaine somme que les Premières nations utiliseront pour acquérir ces terres. Les ententes signées par Brokenhead et Peguis stipulent en outre que le Canada doit aviser ces intimées si la Couronne fédérale entend aliéner certaines « terres fédérales excédentaires » – définies au paragraphe 1.01(88) de l’Accord‑cadre pour Brokenhead et au paragraphe 1.01(82) pour Peguis. Les deux dispositions sont identiques et rédigées comme suit :

 

[traduction] « terres fédérales excédentaires » s’entend de tout « bien réel fédéral » au sens de la Loi sur les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux, à l’exclusion des « biens réels » fédéraux au sens de la Loi sur les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux appartenant à une « société d’État » au sens de l’article 83 de la Loi sur la gestion des finances publiques, c’est‑à‑dire :

 

a) dans les limites de la province du Manitoba;

 

b) reconnues par un « ministre », au sens de la Loi sur les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux, qui a la « gestion », au sens de la Loi sur les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux, de ce « bien réel » fédéral, comme n’étant plus nécessaires aux fins du programme du ministère de ce « ministre »;

 

c) reconnues par ce « ministre » comme étant disponibles pour la vente;

 

d) offertes par ce « ministre » à tout « autre ministre » du Canada pour un transfert de l’administration conformément aux politiques ou directives du Conseil du Trésor du Canada alors en vigueur.

 

8  Ces deux ententes définissent le processus par lequel les intimées peuvent acquérir des terres fédérales excédentaires. Toutefois, répétons‑le, les ententes ne confèrent pas aux intimées le droit d’acquérir les terres, mais permettent aux intimées d’acquérir ces terres selon le principe de la vente de gré à gré. Par exemple, le paragraphe 3.05(2) de l’Accord‑cadre prévoit qu’une Première nation peut acheter d’« autres terres », y compris des terres fédérales excédentaires, [traduction] « selon le principe de la vente de gré à gré ».

 

9  Les deux dernières intimées n’ont pas conclu d’entente. La revendication de la Première nation de Sagkeeng (Sagkeeng) n’est toujours pas réglée, le Canada attendant la présentation d’autres observations et éléments de preuve la concernant. Quant à l’intimée Première nation ojibway de Sandy Bay (Sandy Bay), le Canada et la Commission des revendications des Indiens ont rejeté sa revendication au motif que les droits fonciers issus des traités de Sandy Bay étaient déjà respectés.

 

Le casernement

 

10  Le casernement comprend deux unités. L’une d’elles est un terrain de 159,62 acres comprenant la section opérationnelle d’une base des forces armées, situé au centre‑ville de Winnipeg. L’autre unité est un terrain de 61,78 acres comprenant les logements familiaux de la base. Le Canada déclare que seule la section opérationnelle de la base a fait l’objet d’une décision.

 

11  Le 12 avril 2001, le ministère de la Défense nationale (MDN) a annoncé la fermeture du casernement par voie de communiqué. Quelque temps après cette annonce, le MDN a avisé le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) que le casernement serait déclaré excédentaire.

 

12  Peu après l’annonce de la fermeture, Brokenhead et Long Plain ont exprimé leur intérêt à l’égard du casernement.

 

13  La Politique du Conseil du Trésor sur l’aliénation des biens immobiliers excédentaires a pris effet le 1er juillet 2001. Conformément à la Politique, le processus d’aliénation des biens immobiliers fédéraux excédentaires est divisé en deux grandes catégories : le processus courant et le processus stratégique. Tous les biens sont visés par le processus courant, sauf s’ils ont une valeur marchande particulièrement élevée ou s’ils sont « délicats sur le plan politique » – auquel cas ils sont visés par le processus stratégique. Les intimées n’ont pas demandé le contrôle judiciaire de la Politique.

 

14  En novembre 2001, le Conseil du Trésor a décidé que le casernement serait assujetti au processus d’aliénation « stratégique ». En conséquence de cette décision et conformément à la Politique, le casernement n’était plus offert en priorité aux intimées qui pouvaient acheter ces terres. Par suite du processus d’aliénation stratégique, le bien devait être évalué et transféré à la SIC, une société d’État non mandataire qui agit comme agent d’aliénation des biens du gouvernement fédéral. Les intimées n’ont pas contesté cette décision‑là non plus.

 

15  En août 2002, Long Plain a fait savoir au Canada qu’elle était toujours intéressée à acquérir le casernement. En septembre 2002, le Canada a informé Long Plain que le casernement serait assujetti à un processus d’aliénation stratégique.

 

16  Le 4 décembre 2002, le MAINC a envoyé une lettre à chacune des intimées pour les aviser que le casernement serait assujetti à un processus d’aliénation stratégique et que, par conséquent, leur intérêt à l’égard dudit bien n’aurait pas priorité.

 

17  En réponse à la lettre du MAINC, Brokenhead et Long Plain ont fait savoir au Canada qu’elles demeuraient intéressées à acquérir le casernement.

 

18  En janvier 2003, Brokenhead a engagé le processus de règlement des différends prévu par l’Accord‑cadre, soutenant que le casernement n’aurait pas dû être soustrait du champ d’application de l’entente qu’elle avait conclue avec le Canada.

 

19  En mars 2003, le MAINC a demandé à Long Plain et à Brokenhead – les deux intimées ayant exprimé leur intérêt à l’égard du casernement – des renseignements particuliers sur le nombre d’acres que chacune d’elle souhaitait acquérir, le prix d’achat proposé pour ces terres et l’utilisation proposée des terres qui seraient acquises.

 

20  Brokenhead et Long Plain ont par la suite continué d’exprimer leur intérêt à l’égard du casernement et rencontré les représentants du MAINC plusieurs fois. Après février 2004, le Canada n’a reçu aucune autre communication concernant le casernement de la part des intimées jusqu’en septembre 2007.

 

21  Le 1er novembre 2006, le Conseil du Trésor a publié la Directive modifiant la Politique, suivant laquelle le Canada devait considérer les effets que l’aliénation d’un bien stratégique pourrait avoir sur les droits ou les revendications territoriales des Autochtones.

 

22  Le 5 septembre 2007, les intimées ont écrit au MAINC pour dire qu’elles revendiquaient le casernement dans le cadre de leurs droits fonciers issus des traités non respectés. Plus précisément, la revendication des intimées était fondée sur une revendication de titre ancestral non seulement à l’égard du casernement, mais aussi de toute la ville de Winnipeg. Cependant, au moment de l’audience devant le juge, les intimées ont simplement soutenu qu’elles avaient le droit d’être consultées par le Canada à propos des terres réservées promises conformément à la disposition d’attribution par habitant du Traité no 1.

 

23  En novembre 2007, le Conseil du Trésor a approuvé le transfert du casernement à la SIC pour qu’il soit développé et aliéné en dehors du champ d’application des ententes.

 

24  Le 25 janvier 2008, les intimées ont introduit une demande de contrôle judiciaire de la décision de transférer le casernement à la SIC prise par le Conseil du Trésor en novembre 2007, en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que le Canada avait l’obligation juridique de les consulter et de les accommoder avant d’aliéner le casernement.

 

 

CONCLUSIONS DU JUGE CAMPBELL

[10]           La Cour d’appel fédérale a, au paragraphe 35, qualifié d’adéquats les motifs énoncés par le juge Campbell aux paragraphes 1 à 16. Voici ce que la Cour écrit au paragraphe 35 :

 

35     Le début des motifs du juge est adéquat. Le juge décrit d’abord le contexte de l’affaire, aux paragraphes 1 à 6, et établit ensuite, au paragraphe 7, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Puis, il passe en revue la jurisprudence pertinente ayant trait à l’honneur de la Couronne, au principe de la réconciliation et à l’obligation de consultation, aux paragraphes 8 à 16. Toutefois, à mon humble avis, le reste des motifs du juge est truffé d’incertitudes et de contradictions. Je vois au moins huit problèmes, dont six influent sur le caractère suffisant de ses motifs, les deux autres révélant une autre sorte d’erreur.

 

[11]           Je reprends donc ce que le juge Campbell écrit aux paragraphes 1 à 16 de ses motifs :

 

LE JUGE CAMPBELL –

1  Par la présente demande, les Premières nations du Manitoba demanderesses tentent d’amener le gouvernement du Canada à reconnaître les obligations issues de traités qu’il a envers elles à l’égard des terres, et à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer. Pour y arriver, les Premières nations doivent démontrer : qu’il existe un droit foncier issu de traités; que le droit est actuellement en voie d’être mis en œuvre; et qu’il existe des attentes juridiques à l’égard du Canada en ce qui concerne la mise en œuvre, lesquelles n’ont pas été satisfaites. Je conclus que les Premières nations ont entièrement réussi à atteindre leurs objectifs. Les paragraphes qui suivent résument brièvement les motifs pour lesquels je suis arrivé à cette conclusion.

 

2  En 1871, les peuples autochtones du Manitoba et le gouvernement du Canada ont conclu un accord sur les territoires : le Traité no 1. Entre autres, les peuples autochtones devaient renoncer à leur titre sur les terres dans le but de faciliter l’immigration et, en échange, le Canada avait promis de réserver certaines terres à l’usage exclusif de ces peuples. Cette promesse a donc créé un droit foncier issu de traités. Les peuples autochtones ont respecté leur part de l’entente, mais le Canada n’a pas tenu parole. Ce fait est l’élément le plus important de la revendication territoriale contemporaine au cœur de la présente demande.

 

3  Pour bien répondre à l’attente voulant que les Premières nations obtiennent une indemnité sous forme de terres, attente découlant des obligations imposées au Canada par le Traité, des ententes modernes ont été négociées avec certaines Premières nations du Manitoba signataires du traité. Elles prévoient un processus par lequel les Premières nations peuvent choisir des terres ou acheter des terres avec les fonds fournis par le Canada. Aux termes de ces ententes, les terres ainsi achetées deviennent ensuite des réserves. Ces ententes constituent la réalisation du droit foncier issu de traités et sont actuellement mises en œuvre. La Cour suprême du Canada a clairement énoncé les conditions qui devraient régir la mise en œuvre de ce processus. La présente demande porte essentiellement sur les attentes juridiques selon lesquelles le Canada doit consulter les Premières nations demanderesses avant que ses décisions aient ou puissent avoir un effet préjudiciable sur le droit foncier issu de traités.

 

4  L’attente en ce qui concerne la consultation se rapporte au processus décisionnel du Canada relativement à la cession d’une vaste étendue de terre « excédentaire » de grande valeur dont il est propriétaire dans le centre‑ville de Winnipeg, connue sous le nom de casernement Kapyong. Le Canada a une obligation particulière de consulter deux des Premières nations demanderesses, Brokenhead et Peguis, parce qu’elles ont toutes les deux le droit d’acquérir des terres fédérales excédentaires. Pour les motifs qui suivent, je conclus que, lors de la prise de décisions, le Canada n’a pas répondu aux attentes juridiques selon lesquelles il devait consulter, et par conséquent, je conclus que le processus décisionnel relatif au casernement Kapyong est invalide.

 

I. Le droit foncier issu de traités

 

5  Le Traité no 1, signé le 3 août 1871 par le commissaire aux traités et les peuples autochtones visés, énonce la promesse spécifique et solennelle se rapportant aux terres que le Canada est tenu de respecter :

 

[2e paragraphe] Considérant que tous les Indiens habitant la dite contrée ont été invités par le dit commissaire à se réunir au Forst de Pierre, autrement appelé Fort Garry inférieur, pour y délibérer sur certaines matières d’intérêt pour Sa Très‑Gracieuse Majesté, d’une part, et pour les dits Indiens, de l’autre part; et considérant que les dits Indiens ont été notifiés et informés par le dit commissaire de Sa Majesté, que c’était le désir de Notre Souveraine d’ouvrir à la colonisation et à l’immigration l’étendue de pays bornée et décrite tel que ci‑après, et d’obtenir à cela le consentement de ses sujets Indiens habitant la dite étendue, et de faire un traité et des arrangements avec eux, afin que la paix et la bonne volonté règnent entre eux et Sa Majesté, et pour qu’ils connaissent et soient assurés de ce qu’ils recevront annuellement en retour de la générosité et bienveillance de Sa Majesté;

 

[...]

 

[4e paragraphe] Les tribus Chippaouaise et Crise et tous les autres Indiens habitant le district ci‑après décrit et défini, cèdent par le présent à Sa Majesté la Reine et à ses successeurs à toujours, toutes les terres comprises dans les limites suivantes, [...]

 

[5e paragraphe] [...] pour que Sa Majesté la Reine et ses successeurs à toujours en aient la possession; Et Sa Majesté la Reine convient et s’engage par le présent de mettre de côté et de réserver pour le seul et exclusif usage des Indiens les étendues de terres suivantes, savoir : pour les indiens appartenant à la bande dont Henry Prince, autrement appelé Mis‑koo‑kenew est le chef, autant de terre située sur les deux côtés de la Rivière‑Rouge et commençant à la ligne sud de la paroisse St‑Pierre, qu’il en faudra pour donner 160 acres à chaque famille de cinq, ou dans cette proportion pour les familles plus ou moins nombreuses; et pour l’usage des indiens dont Na‑sha‑ke‑penais, Na‑na‑wa‑nanan, Ke‑we‑tay ash et Wa‑ko‑wush sont les chefs, autant de terre sur la rivière Roseau qu’il en faudra pour donner à chaque famille de cinq, ou dans cette proportion pour les familles plus ou moins nombreuses à partir de l’embouchure de cette rivière; et pour l’usage des indiens dont Ka‑ke‑ka‑penais est le chef, autant de terre sur la rivière Winnipeg, en amont du Fort Alexandre, qu’il en faudra pour donner 160 acres à chaque famille de cinq, ou dans cette proportion pour les familles plus ou moins nombreuses, à un mille de distance, ou environ, au‑dessus de ce fort; et pour l’usage des indiens dont Oo‑za‑we‑kwun est le chef autant de terre sur les côtés sud et est de l’Assiniboine, à environ 20 milles au‑dessus du Portage, qu’il en faudra pour donner 160 acres à chaque famille de cinq, ou dans cette proportion pour les familles plus ou moins nombreuses, avec aussi une autre réserve équivalant à 25 milles carrés autour de la première réserve, avec l’entente, cependant, que si à la date de l’exécution de ce traité il se trouve des colons dans les limites d’aucune des terres réservées par une bande, Sa Majesté se réserve le droit de traiter avec ces colons de la manière qu’elle croira juste, afin de ne pas diminuer l’étendue accordée aux indiens.

 

[Je souligne.]

 

(Dossier des demandeurs, Vol. 1, p. 50 – 51)

Il y a plusieurs dizaines d’années, le Canada a formellement admis ne pas avoir tenu sa promesse relative aux terres formulée dans le Traité no 1. Dans le but précis de rectifier ce manquement, les Premières nations du Manitoba ont conclu des ententes sur les droits fonciers avec le Canada et la province du Manitoba. Les ententes prévoyaient notamment l’octroi par le Canada d’environ 109 000 000 $ à l’usage des Premières nations pour acheter des terres afin d’honorer la promesse d’attribution de terres par habitant. Comme je l’expliquerai plus loin, ce qui intéresse les Premières nations demanderesses, en particulier Brokenhead et Peguis, est l’achat de terres excédentaires dont le Canada est propriétaire à Winnipeg, à savoir le casernement Kapyong.

 

6  Les Premières nations demanderesses soutiennent que l’obligation non acquittée du Canada de tenir sa promesse et l’existence des ententes sur les droits fonciers signifient qu’il existe actuellement un droit foncier issu de traités :

 

[traduction] Les Premières nations demanderesses ne contestent pas que le titre ancestral a été touché par le Traité no 1. Elles ont accepté de partager leurs terres, de les ouvrir à l’immigration et à la colonisation. Cet engagement a été respecté au fil des ans depuis l’adoption du traité et il n’a jamais été contesté. Le lien établi par traité est un lien vivant qui perdure. Il s’ensuit automatiquement que les obligations non exécutées en matière de droits fonciers issus de traités que la Couronne a envers les Premières nations l’obligent à les consulter à l’égard de l’aliénation des terres désignées comme excédentaires et rendues disponibles pour satisfaire aux obligations de la Couronne.

 

(Réponse des Premières nations demanderesses aux observations écrites des défendeurs relativement aux questions soulevées par le juge Campbell, au par. 23)

 

Toutefois, le Canada soutient ce qui suit :

 

[traduction] Le Traité no 1 a éteint le titre ancestral sur toutes les terres auquel il se rapporte, y compris le casernement Kapyong. Les diverses ententes contemporaines sur les droits fonciers issus de traités satisfont à l’obligation de la Couronne en ce qui concerne les dispositions non respectées du Traité no 1 d’attribution par habitant.

(Observations écrites des défendeurs relativement aux questions posées par le juge Campbell, au par. 11)

 

7  Il est entendu que la norme de contrôle applicable lorsqu’il s’agit de déterminer si un droit foncier issu de traités existe est celle de la décision correcte. Il n’est pas contesté que le Traité promettait des terres aux peuples autochtones. Selon moi, il ne fait aucun doute que cette promesse a créé un droit qui existe encore aujourd’hui. Cela dit, bien que certaines terres aient été cédées par le Traité, d’autres terres ont été promises, à l’égard desquelles les peuples autochtones avaient, et ont toujours, un droit. J’estime que les ententes ne sont qu’un moyen de remplir l’obligation qui incombe au Canada de respecter ce droit; l’obligation n’est remplie que lorsque l’obligation d’attribution par habitant l’est aussi et le droit subsiste jusqu’à ce moment‑là. Il n’est pas contesté que les ententes n’ont pas encore mené à l’acquisition de terres conformément à la promesse du Canada. Par conséquent, je suis d’avis que le Traité no 1, y compris le droit foncier qu’il crée, en est toujours à l’étape de la mise en œuvre.

 

II. Les attentes juridiques relatives au processus de traité

 

8  Il existe de nombreuses règles de droit qui servent de repères dans le cadre de la relation passée et actuelle du Canada avec les Premières nations demanderesses en ce qui concerne leur droit foncier issu de traités.

 

9  Dans Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, au paragraphe 20, la juge en chef McLachlin décrit les attentes juridiques fondées sur des droits issus de traités qui ne sont pas encore reconnus :

 

Tant qu’un traité n’a pas été conclu, l’honneur de la Couronne exige la tenue de négociations menant à un règlement équitable des revendications autochtones : R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1105‑1106. Les traités permettent de concilier la souveraineté autochtone préexistante et la souveraineté proclamée de la Couronne, et ils servent à définir les droits ancestraux garantis par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’article 35 promet la reconnaissance de droits, et « [i]l faut toujours présumer que [la Couronne] entend respecter ses promesses » (Badger, précité, par. 41). Un processus de négociation honnête permet de concrétiser cette promesse et de concilier les revendications de souveraineté respectives. L’article 35 a pour corollaire que la Couronne doit agir honorablement lorsqu’il s’agit de définir les droits garantis par celui‑ci et de les concilier avec d’autres droits et intérêts. Cette obligation emporte à son tour celle de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder.

 

A.     L’honneur de la Couronne

 

10  Dans Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2005] 3 R.C.S. 388, la Cour suprême du Canada devait examiner l’obligation de consultation de la Couronne dans le contexte du Traité no 8 ainsi que le transfert des terres en Alberta. À cet égard, le juge Binnie a donné la directive suivante au paragraphe 51 :

 

L’obligation de consultation repose sur l’honneur de la Couronne, et il n’est pas nécessaire pour les besoins de l’espèce d’invoquer les obligations de fiduciaire. L’honneur de la Couronne est elle‑même une notion fondamentale en matière d’interprétation et d’application des traités que le juge Gwynne de notre Cour avait déjà qualifiée d’obligation découlant d’un traité en 1895, soit quatre ans avant la conclusion du Traité no 8 : Province of Ontario c. Dominion of Canada (1895), 25 R.C.S.  434, p. 511‑512, le juge Gwynne (dissident). Même si son opinion, voulant que l’obligation découlant d’un traité de verser des rentes aux Indiens crée une fiducie à l’égard des terres provinciales, était minoritaire, les juges majoritaires n’ont rien dit dans cette affaire qui permette de douter que l’honneur de la Couronne garantissait l’exécution de ses obligations envers les Indiens. La Couronne en avait fait sa politique au moins depuis la Proclamation royale de 1763, et cette notion ressort clairement des promesses consignées dans le rapport des commissaires. L’honneur de la Couronne existe également en tant que source d’obligation indépendante des traités, bien entendu. Dans les arrêts Sparrow, Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, Nation haïda et Taku River, l’« honneur de la Couronne » a été invoqué à titre de principe central du règlement des demandes de consultation des Autochtones, et ce, même en l’absence d’un traité.

[Je souligne.]

 

De plus, au paragraphe 33, le juge Binnie reconnaît que la mise en œuvre du traité commande un processus au sein duquel la Couronne est tenue d’agir honorablement :

 

Tant le contexte historique que les inévitables tensions sous‑jacentes à la mise en œuvre du Traité no 8 commandent un processus par lequel des terres peuvent être transférées d’une catégorie (celle des terres sur lesquelles les premières nations conservent des droits de chasse, de pêche et de piégeage) à l’autre (celle des terres sur lesquelles elles n’ont pas ces droits). Le contenu du processus est dicté par l’obligation de la Couronne d’agir honorablement. Même si aucun traité n’était en cause dans l’affaire Nation haïda, la juge en chef McLachlin a souligné ce qui suit aux par. 19 [...] :

 

L’honneur de la Couronne imprègne également les processus de négociation et d’interprétation des traités. Lorsqu’elle conclut et applique un traité, la Couronne doit agir avec honneur et intégrité, et éviter la moindre apparence de « manœuvres malhonnêtes » (Badger, par. 41). Ainsi, dans Marshall, précité, par. 4, les juges majoritaires de la Cour ont justifié leur interprétation du traité en déclarant que « rien de moins ne saurait protéger l’honneur et l’intégrité de la Couronne dans ses rapports avec les Mi’kmaq en vue d’établir la paix avec eux et de s’assurer leur amitié [...] ».

[Je souligne.]

 

11  Il est important de souligner que la Cour d’appel du Yukon, au paragraphe 67 de l’arrêt Little Salmon/Carmacks First Nation c. Yukon (Minister of Energy, Mines and Resources), 2008 YKCA 13, s’est fondée sur les motifs du juge Binnie pour arriver à la conclusion que [traduction] « l’honneur de la Couronne et l’obligation de consultation et d’accommodement s’appliquent à l’interprétation des traités et existent indépendamment des traités ».

 

B. Réconciliation

 

12  Le commissaire aux traités de la Saskatchewan considère la mise en œuvre des traités comme une partie intégrante du processus de réconciliation. La remarque suivante faite par le commissaire, citée par les Premières nations demanderesses, aide à comprendre l’importance d’un engagement non contentieux entre les peuples autochtones et le gouvernement lors de la prise de décisions qui portent directement atteinte aux droits ancestraux issus de traités :

 

[traduction] En droit, comme le soulignent les arrêts Haïda et Mikisew, la réconciliation est un « processus » et ce processus ne se termine pas avec la conclusion d’un traité. Il se poursuit dans la mise en œuvre du traité et est guidé par l’obligation de se conduire honorablement. La nature même des traités est d’établir des droits et obligations mutuels. Le respect des traités n’est pas un concept à sens unique. Par conséquent, l’honneur des Premières nations signataires de traités est aussi en jeu dans le processus de mise en œuvre des traités. Comme la Cour suprême du Canada l’a dit : « À toutes les étapes, les deux parties sont tenues de faire montre de bonne foi ».

 

(« Treaty Implementation: Fulfilling the Covenant », Bureau du commissaire aux traités, Saskatoon, 2007, p. 127 – 128)

 

(Réponse des Premières nations demanderesses aux observations écrites des défendeurs relativement aux questions posées par le juge Campbell, au par. 35)

 

13  Il est juste de dire que la négociation des ententes sur les droits fonciers issus du Traité no 1 constituait un processus de réconciliation entre les intérêts et les ambitions des peuples autochtones et des gouvernements du Canada et du Manitoba. Les Premières nations demanderesses s’appuient sur la directive donnée par le juge Binnie au paragraphe 1 de l’arrêt Première nation crie Mikisew relativement à cette réconciliation souhaitée, pour contester la conduite du Canada au moyen de la présente demande :

 

L’objectif fondamental du droit moderne relatif aux droits ancestraux et issus de traités est la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones et la conciliation de leurs revendications, intérêts et ambitions respectifs. La gestion de ces rapports s’exerce dans l’ombre d’une longue histoire parsemée de griefs et d’incompréhension. La multitude de griefs de moindre importance engendrés par l’indifférence de certains représentants du gouvernement à l’égard des préoccupations des peuples autochtones, et le manque de respect inhérent à cette indifférence, ont causé autant de tort au processus de réconciliation que certaines des controverses les plus importantes et les plus vives.

(Réponse des Premières nations demanderesses aux observations écrites des défendeurs relativement aux questions posées par le juge Campbell, au par. 17)

 

C. Obligation de consultation

 

14  Au paragraphe 35 de l’arrêt Nation haïda, la juge en chef McLachlin définit le critère qui permet de déterminer le moment auquel l’obligation de consultation prend naissance :

 

Mais à quel moment précisément, l’obligation de consulter prend‑elle naissance? L’objectif de conciliation ainsi que l’obligation de consultation, laquelle repose sur l’honneur de la Couronne, tendent à indiquer que cette obligation prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci.

[Je souligne.]

 

15  La Cour suprême du Canada a d’abord examiné l’étendue et le contenu de l’obligation de consultation dans l’arrêt Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, où elle a indiqué au paragraphe 168 que « [la consultation] doit être menée de bonne foi, dans l’intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu ». La jurisprudence qui a suivi, dont l’arrêt Nation haïda, étaye cette déclaration en concluant que la consultation peut signifier, à l’extrémité inférieure du continuum, donner avis d’une décision susceptible de porter atteinte à un droit ou, à l’extrémité supérieure, tenir une consultation véritable, selon l’atteinte du droit en question.

 

16  Au paragraphe 46 de Nation haïda, la juge en chef McLachlin définit en quoi consistent des consultations véritables :

À la suite de consultations véritables, la Couronne pourrait être amenée à modifier la mesure envisagée en fonction des renseignements obtenus lors des consultations. Le Guide for Consultation with Maori (1997) du ministère de la Justice de la Nouvelle‑Zélande fournit des indications sur la question (aux p. 21 et 31) :

 

[traduction] La consultation n’est pas seulement un simple mécanisme d’échange de renseignements. Elle comporte également des mises à l’épreuve et la modification éventuelle des énoncés de politique compte tenu des renseignements obtenus ainsi que la rétroaction. Elle devient donc un processus grâce auquel les deux parties sont mieux informées [...]

 

[...] de véritables consultations s’entendent d’un processus qui consiste :

 

‑ à recueillir des renseignements pour mettre à l’épreuve les énoncés de politique;

‑ à proposer des énoncés qui ne sont pas encore arrêtés définitivement;

 

‑ à chercher à obtenir l’opinion des Mäoris sur ces énoncés;

 

‑ à informer les Mäoris de tous les renseignements pertinents sur lesquels reposent ces énoncés;

 

‑ à écouter avec un esprit ouvert ce que les Mäoris ont à dire sans avoir à en faire la promotion;

 

‑ à être prêt à modifier l’énoncé original;

 

‑ à fournir une rétroaction tant au cours de la consultation qu’après la prise de décision.

 

LES PARTIES

[12]           Au moment où elle a été introduite, la présente demande comptait sept demanderesses :

a.       La Première Nation Brokenhead

b.      La Première Nation de Long Plain

c.       La Première Nation de Peguis

d.      La Première Nation Anishinabe de Roseau River

e.       La Première Nation de Sagkeeng

f.       La Première Nation ojibway de Sandy Bay

g.      La Première Nation de Swan Lake

 

[13]           Le 7 octobre 2011, la Première Nation de Brokenhead a déposé un avis de désistement. Elle n’est donc plus partie à la présente demande. Aux termes de l’ordonnance que j’ai prononcée le 3 décembre 2012, j’ai retiré son nom de l’intitulé de la cause.

 

[14]           Les demanderesses Peguis, Roseau River et Sandy Bay ont déposé un mémoire conjoint. Long Plain a déposé un mémoire distinct dans lequel elle a incorporé par renvoi une grande partie du mémoire des trois premières demanderesses. Ni Sagkeeng ni Swan Lake n’ont déposé de mémoire.

 

[15]           À l’audience, un avocat a pris la parole au nom de Long Plain et de Sandy Bay; un autre s’est adressé au tribunal au nom de Roseau River; un troisième a parlé au nom de Peguis et finalement un dernier a pris la parole au nom de Swan Lake et de Sagkeeng.

 

[16]           Bien qu’ils soient nombreux, les défendeurs peuvent simplement être désignés sous le nom de « Canada ». Il s’agit de la Reine et de divers ministres du gouvernement fédéral chargés de certains ministères, à savoir le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le Conseil du Trésor, le ministère de la Défense nationale et la Société immobilière du Canada. Ils sont généralement représentés par le sous‑procureur général du Canada, qui a déposé un seul mémoire au nom de tous. Un avocat a comparu en leur nom à l’audience.

 

[17]           Nous disposons donc en fin de compte de revendications que six Premières Nations constituées en bandes, à savoir Long Plain, Peguis, Sagkeen, Sandy Bay, Roseau River et Swan Lake, ont présentées et auxquelles elles ont diligemment donné suite contre divers ministères du gouvernement du Canada désignés collectivement sous le nom de « Canada ».

 

EN QUOI CONSISTE LE BIEN‑FONDS EN LITIGE?

[18]           Le bien‑fonds en litige est fréquemment désigné sous le nom de casernement Kapyong. Il s’agit en réalité de deux parcelles de terrain qui sont toutes les deux situées dans la ville de Winnipeg, au Manitoba. La parcelle la plus grande a une superficie de 159,62 acres de terrain, lequel comporte des locaux opérationnels déjà utilisés par les Forces armées canadiennes. Le terrain plus petit a une superficie de 61,78 acres de terrain et comprend des logements familiaux antérieurement occupés par des membres des Forces armées canadiennes et par d’autres personnes. À l’ouverture de l’audience à laquelle j’ai présidé, les avocats des défendeurs ont précisé – et les parties ont accepté – que seulement la plus grande parcelle, celle servant à des fins opérationnelles – faisait l’objet du présent contrôle judiciaire. Je désignerai désormais cette parcelle plus grande sous le nom de casernement opérationnel Kapyong. On m’informe que le nom Kapyong vient du lieu d’une bataille où les troupes canadiennes se sont illustrées lors de la Guerre de Corée dans les années cinquante.

 

[19]           Les avocats des défendeurs ont précisé à l’audience – et les autres parties ont accepté – que le casernement opérationnel Kapyong était à l’époque en cause et est toujours la propriété de la Couronne du chef du Canada. Vers novembre 2007, le Canada a annoncé son intention de transférer ce bien‑fonds à la Société immobilière du Canada Limitée (SIC), une société d’État non mandataire, pour que celle‑ci procède à son aliénation vraisemblablement par voie de vente publique, d’où le présent litige.

 

[20]           Les parties conviennent également qu’en ce qui concerne les deux premières questions, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Quant à la troisième question, comme elle porte à la fois sur des questions de fait et sur des questions de droit et compte tenu de la mise en garde exprimée par l’un des avocats des demanderesses, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La mise en garde exprimée par l’avocat des Peguis est qu’à son avis, le fondement probatoire de cette décision est tellement mince que la norme applicable est celle de la décision correcte. J’estime tout de même que la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Si la preuve est à ce point faible en ce qui concerne le fondement de la décision, celle‑ci serait plus probablement déraisonnable.

 

FONDEMENT DE LA REVENDICATION

[21]           Un bon point de départ est le traité conclu, d’une part, par Sa Majesté la Reine Victoria et, d’autre part, par certaines bandes autochtones. Ce traité, connu sous le nom de Traité no 1 prévoyait la possibilité pour des personnes non autochtones de s’établir paisiblement dans des parties du territoire qui correspond maintenant au Manitoba et la possibilité pour diverses tribus autochtones de formuler des revendications au sujet de leur occupation du territoire en question. Des extraits de ce Traité sont reproduits au paragraphe 5 des motifs du juge Campbell que nous avons déjà cités dans les présents motifs. Chaque bande devait recevoir 160 acres de terrain par famille de cinq ou dans cette proportion pour les familles plus ou moins nombreuses, à divers endroits du Manitoba. C’est ce qu’on a appelé la disposition d’attribution par habitant.

 

[22]           Il est acquis aux débats que le terrain occupé par le casernement opérationnel Kapyong se trouve à l’intérieur du territoire visé par le Traité no 1.

 

[23]           Le Traité no 1 prévoyait également l’érection d’un périmètre autour des terres de réserve. Les dimensions de ce périmètre sont contestées. Cette controverse est toutefois sans importance étant donné que le casernement opérationnel Kapyong est situé à l’extérieur de ce périmètre. La raison pour laquelle le périmètre a été érigé est que le Traité prévoit que certains colons s’étaient peut‑être déjà établis à l’intérieur du périmètre et qu’il fallait prendre des dispositions pour tenir compte de cet état de fait.

 

[24]           Il est également acquis aux débats que le Canada n’a pas fourni toutes les terres qui étaient stipulées au Traité no 1. Par conséquent, d’autres ententes ont été négociées et signées entre le Canada et certaines, mais non la totalité des bandes. C’est ce qu’on appelle les ententes sur les droits fonciers issus de traités ou, pour employer un acronyme, les EDFIT.

 

[25]           Un comité représentant un certain nombre de Premières Nations du Manitoba a, en collaboration avec des représentants du Canada et du Manitoba, rédigé ce qu’on a appelé l’Accord‑cadre DFIT, qui a été signé en 1997. Aux termes de cet accord, Brokenhead a signé en 1998 une entente sur les droits fonciers issus de traités.

 

[26]           Quatre autres Premières Nations ont signé des ententes individuelles sur les droits fonciers issus de traités. Trois d’entre elles les ont signées avant l’Accord‑cadre, à savoir :

 

Long Plain, en 1994;

Swan Lake, en 1995;

Roseau River, en 1996.

 

[27]           L’entente sur les droits fonciers issus de traités de Peguis a été signée par Peguis en septembre 2007 et par le Manitoba en octobre 2007; mais le Canada ne l’a signée qu’en avril 2008. Il faut se rappeler que la décision du Canada qui est contestée dans la présente affaire a été prise en novembre 2007, c’est‑à‑dire après que Peguis et le Manitoba eurent signé, mais avant que le Canada n’ait signé.

 

SAGKEENG ET SANDY BAY

[28]           Ni Sagkeeng ni Sandy Bay n’ont signé d’ententes sur les droits fonciers issus de traités. Suivant l’affidavit de M. Rasmussen, conseiller principal en gestion foncière à la Direction des terres du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le Canada est toujours en train d’étudier la revendication de Sagkeeng et il a refusé la revendication de Sandy Bay. Malgré les arguments que le Canada a avancés devant moi, il n’y a rien dans le dossier dont je dispose qui contredirait le témoignage de M. Rasmussen au sujet de Sagkeeng et de Sandy Bay. Un affidavit souscrit par Verne Laforte, un membre de la nation de Sagkeeng, a été versé au dossier, mais il ne porte pas sur le fond d’une quelconque revendication de cette nation. On ne trouve tout simplement rien au dossier qui appuierait la revendication formulée par Sagkeeng ou par Sandy Bay dans la présente demande. Sagkeeng n’a pas déposé de mémoire et, avant que les avocats ne comparaissent devant moi, rien ne permettait de soupçonner que cette bande jouerait un rôle actif dans la présente instance.

 

[29]           Je rejetterai donc la présente demande dans la mesure où elle concerne Sagkeeng et Sandy Bay.

 

LONG PLAIN, SWAN LAKE et ROSEAU RIVER

[30]           Chacune des bandes en question avait signé une entente sur les droits fonciers issus de traités avec le Canada avant novembre 2007. Chacune présente une réclamation à l’égard du casernement opérationnel Kapyong.

 

[31]           La revendication de chacune des bandes en question repose d’abord et avant tout sur le Traité no 1, et notamment sur la « disposition d’attribution par habitant » qui, ainsi qu’il a été reconnu, n’a pas été respectée. Elles invoquent également la disposition du Traité relative à l’engagement de traiter avec ceux qui s’établiraient sur les terres visées par le Traité.

 

[32]           Une troisième prétention formulée en vertu du Traité est l’assertion que certaines des terres attribuées aux bandes sont inondées ou ne se prêtent pas à l’agriculture ou aux autres fins prévues par le Traité de sorte que les bandes ont droit à des terres de remplacement. Compte tenu des éléments dont je dispose, je ne suis pas convaincu que cette prétention est fondée.

 

[33]           Pour ce qui est de l’entente sur les droits fonciers issus de traités, les demanderesses en question affirment que ce type d’entente sert à mettre en œuvre et non à éteindre les droits fonciers conférés par le Traité no 1. Dans les ententes en question, dont l’article 4 de l’entente signée par Roseau River constitue un bon exemple, le Canada est censé acquérir un certain nombre d’acres de terrain en vue d’y établir une réserve; en outre, le Canada convient d’acquérir d’autres terres au profit de la bande. À l’article 7, la bande convient de céder au Canada toute revendication découlant de la disposition d’attribution par habitant.

 

[34]           L’avocat soutient que pareille cession n’a aucune incidence sur les revendications découlant des dispositions du Traité no 1 relatives au « périmètre » ou sur d’autres revendications telles que celles relatives aux « terres de remplacement ». L’engagement du Canada d’acquérir des terres de réserve et d’autres terres n’est pas non plus, suivant l’avocat, touché.

 

[35]           Je conclus que les trois bandes en question possèdent une revendication défendable, mais nullement certaine, sur les terres occupées par le casernement opérationnel Kapyong.

 

PEGUIS

[36]           Peguis se trouve dans une situation inusitée. En date de novembre 2007, date de la décision en litige, le Canada n’avait pas encore signé l’entente sur les droits fonciers issus de traités bien que Peguis et le Manitoba l’avaient signée.

 

[37]           L’entente sur les droits fonciers issus de traités de Peguis est complexe. Selon la personne qui la lit et la façon dont on la lit, elle semble reconnaître puis écarter des droits et des dispositions. Elle est toutefois assortie d’un mécanisme de règlement des différends. J’ai demandé aux avocats de Peguis et du Canada de m’expliquer pourquoi aucun de leurs clients n’avait invoqué cette disposition ou pourquoi il conviendrait de le faire maintenant. Aucun d’entre eux n’a proposé de réponse valable. Chaque avocat souhaitait plutôt que je tranche rapidement la question qui m’était soumise. Compte tenu du fait que l’entente n’avait pas encore été signée par le Canada avant que la décision de novembre 2007 ne soit prise, j’estime que l’entente de Peguis n’est pas un facteur dont j’ai à tenir compte pour me prononcer sur la décision de novembre 2007. En conséquence, je me prononcerai maintenant sur cette question.

 

[38]           La revendication de Peguis sur le territoire occupé par le casernement opérationnel Kapyong avant novembre 2007 repose sur une interprétation du Traité no 1 qui ressemble à celle avancée par Long Plain, Swan Lake et Roseau River.

 

[39]           On trouve à l’article 23.01 de l’entente sur les droits fonciers issus de traités signée par le Canada en avril 2008 une disposition semblable à celle que l’on retrouve dans d’autres ententes portant sur la disposition d’attribution par habitant.

 

[40]           Long Plain, Peguis, Roseau River et Swan Lake invoquent des dispositions que l’on retrouve dans leurs ententes respectives et notamment l’article 5.2 de l’entente de Roseau River qui lui procurerait des avantages qui ne sont pas prévus dans son entente, mais qui sont reconnus à d’autres bandes. Lors des débats, c’est ce qu’on a appelé la « clause d’égalité de traitement ».

 

[41]           Une grande partie de l’entente de Peguis semble contredire d’autres dispositions de la même entente. Il n’est pas nécessaire de procéder à un examen approfondi de cette entente en l’espèce. Il suffit de constater que Peguis a une revendication défendable qui est loin d’être une revendication absolue en ce qui concerne certaines terres occupées par le casernement opérationnel Kapyong.

 

[42]           En résumé, je conclus que chacune des bandes de Long Plain, de Swan Lake, de Roseau River et de Peguis possède une revendication défendable, mais non certaine, sur les terres occupées par le casernement opérationnel Kapyong. Quant à Sagkeeng et Sandy Bay, elles n’ont, suivant le dossier qui m’a été soumis, aucune revendication.

 

QUELLE DÉCISION A ÉTÉ PRISE PAR LE CANADA EN CE QUI CONCERNE LA PROPRIÉTÉ EN LITIGE?

 

[43]           Les défendeurs admettent qu’en novembre 2007, une décision a été prise par le Canada, en cabinet, en vue de transférer le terrain occupé par le casernement opérationnel Kapyong à la Société immobilière du Canada Limitée, une société d’État non mandataire, en vue de son aliénation par cette dernière. Il est acquis aux débats que, contrairement à la Couronne, cette société n’est pas assujettie à certaines obligations envers les peuples autochtones telles que celles relatives à l’honneur de la Couronne.

 

[44]           Le dossier dont je dispose ne contient aucun document qui fasse état d’une telle décision. Je n’ai pas non plus en mains les nombreux documents ou renseignements dont on s’attendrait que les ministres auraient disposé lorsqu’ils ont pris leur décision. Les demanderesses ont cherché à obtenir communication de ces documents en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, mais un privilège de non‑communication a été revendiqué à leur égard. Parmi les autres éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance, mentionnons les quelques documents que les demanderesses ont réussi à obtenir.

 

DOCUMENTS ET MESURES SE RAPPORTANT À LA DÉCISION

[45]           La Cour en est réduite à deviner quels éléments les décideurs avaient en mains en novembre 2007. Les avocats des demanderesses m’ont soumis certains documents dont on se serait raisonnablement attendu à ce que certains se soient retrouvés devant les décideurs ou à ce qu’ils aient à tout le moins été envisagés par eux.

 

[46]           En avril 2001, le ministre de la Défense a annoncé que le personnel militaire du casernement opérationnel Kapyong serait relocalisé dans une autre base, à Shilo. L’annexe C de l’affidavit de M. Locke est une copie de cette annonce.

 

[47]           En juillet 2011, le Conseil du Trésor a publié un document d’orientation intitulé « Directives du Conseil du Trésor sur l’aliénation des biens immobiliers excédentaires ». À l’article 7.5, ce document prévoit deux modes d’aliénation des biens : le « processus courant » et le « processus stratégique ». Le processus courant traite, à l’alinéa c), des intérêts exprimés par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Le processus stratégique ne prévoit rien de tel, se contentant de parler des intérêts des « organismes gouvernementaux ».

 

[48]           Presque immédiatement, en avril 2001, Long Plains a écrit à divers ministères du gouvernement canadien pour exprimer son intérêt à acquérir le casernement opérationnel Kapyong en vertu de l’entente sur les droits fonciers issus de traités. Long Plains n’a reçu aucune réponse. Ses avocats ont envoyé des lettres de suivi en 2002 et 2003.

 

[49]           On a déposé en preuve, à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel, les documents qui avaient été communiqués en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Ces documents démontrent que, dès septembre 2001, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien communiquait avec le ministère de la Défense, au niveau du sous‑ministre adjoint, pour l’informer qu’un intérêt avait peut‑être été exprimé en vertu d’ententes sur les droits fonciers issus de traités. Ces communications se sont poursuivies jusqu’en 2004. Il est évident que chacun des ministères en question était au courant d’éventuelles revendications formulées par certaines bandes autochtones et de la nécessité de prendre une décision sur la position à prendre à leur égard.

 

[50]           En ce qui concerne les bandes autochtones, les premières communications qu’elles ont reçues du gouvernement étaient une lettre datée du 4 décembre 2002 adressée à divers chefs et conseillers de quelques bandes, y compris les demanderesses, dans lesquelles il était notamment déclaré que si la bande avait un intérêt relativement au casernement Kapyong, elle devait contacter une personne déterminée au ministère de la Défense nationale.

 

[51]           Une chronologie des événements du point de vue canadien a été communiquée à la suite d’une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Elle montre notamment qu’en date du 9 septembre 2003, une évaluation de la propriété a été soumise au ministère de la Défense nationale. En janvier et février 2004, des représentants des bandes de Long Plain et de Brokenhead ont pu visiter le casernement Kapyong. Le dossier n’indique pas si une copie de l’évaluation a été remise à l’une ou l’autre des bandes. Un document communiqué en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et intitulé [traduction] « Mission de mise en œuvre – annexe A » indique que lorsqu’un transfert ultérieur à la SIC devait être effectué, un prix de 8,6 M$ avait été fixé à certaines conditions, telles que des mesures de réparation des dommages causés à l’environnement et la conservation d’un immeuble historique. Ces éléments n’ont été révélés qu’après que la Cour d’appel eut instruit l’affaire.

 

[52]           En juin 2004, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a informé le ministère de la Défense que le casernement Kapyong ne l’intéressait pas, mais que les bandes de Long Plain et Brokenhead avaient exprimé un intérêt à son égard.

 

[53]           Le 10 juillet 2004, le Winnipeg Free Press a publié un article intitulé « First Nation abandons bid to buy military site » [Une Première Nation se désiste de son offre d’acheter un site militaire]. Cet article indiquait que Long Plain, et non Brokenhead, avait renoncé à sa revendication sur le casernement Kapyong. La coupure de journal extraite des archives du gouvernement canadien porte la mention manuscrite suivante : [traduction] « Peter – Beau travail – Fraser ».

 

[54]           À ce moment‑là, en 2004, tout semble être revenu au point mort. Aucune bande n’a bougé jusqu’à la fin de 2006, pas plus d’ailleurs que le Canada.

 

[55]           Le 1er novembre 2006, le Conseil du Trésor a publié une « Directive sur la vente ou le transfert des biens immobiliers excédentaires » qui remplaçait vraisemblablement la politique de 2001. Cette directive réaffirme que l’aliénation des biens est divisée en deux catégories : « courant » et « stratégique ». Dans le cas qui nous occupe, ainsi que le prévoit l’article 6.8, l’aliénation de biens stratégique nécessitera « une évaluation exhaustive des intérêts du gouvernement fédéral et des autres intervenants ».

 

[56]           Le même jour, le 1er novembre 2006, les avocats d’un certain nombre de bandes autochtones touchées par des ententes sur les droits fonciers issus de traités ont écrit au Conseil du Trésor pour demander des garanties que leurs droits seraient respectés et pour réclamer une rencontre avec les représentants compétents du Ministère.

 

[57]           Le Conseil du Trésor a répondu par lettre du 25 janvier 2007 qu’il n’y avait [traduction] « aucun changement prévu à l’approche permettant à ceux qui ont des droits prioritaires d’exprimer leur intérêt à l’égard des terres excédentaires ».

 

[58]           Le 17 août 2007 (et non 2008, comme il est écrit), de nouveau le 29 septembre 2007 et encore une fois le 4 novembre 2007, des lettres ont été envoyées par un groupe de bandes autochtones, y compris les demanderesses, qui se désignaient collectivement sous le nom de Premières Nations du traité no 1. Cette lettre était adressée au ministre des Affaires indiennes, au Procureur général du Canada et au Conseil du Trésor. Les lettres réclamaient des assurances que leurs droits seraient respectés et réclamaient une rencontre avec [traduction] « les représentants gouvernementaux compétents » pour discuter de la question et de la mise en oeuvre de la directive. Aucune suite n’a été donnée à ces lettres.

 

[59]           En novembre 2007, le Canada a annoncé son intention de transférer la propriété à la Société immobilière du Canada Limitée. Aucune rencontre n’a eu lieu avec les représentants des bandes et aucune autre communication n’a eu lieu avec elles avant que la décision ne soit prise. Le 3 décembre 2007, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a plutôt écrit aux chefs des bandes visées par le Traité no 1 pour les informer qu’une fois que le terrain serait vendu à la Société immobilière du Canada, il leur faudrait faire le suivi auprès de cette dernière. Comme nous l’avons déjà indiqué, il est acquis aux débats que la Société immobilière canadienne ne serait pas assujettie aux mêmes contraintes que la Couronne.

 

[60]           En janvier 2008, la présente demande de contrôle judiciaire a été introduite.

 

RÉPARATIONS DEMANDÉES

[61]           Les demanderesses sollicitent les réparations suivantes dans leur avis de demande :

 

1.                  Un jugement déclarant que Sa Majesté la Reine du chef du Canada est légalement tenue de consulter de bonne foi les Premières nations signataires du Traité no 1 demanderesses concernant toute aliénation du bien‑fonds et avant toute aliénation du bien‑fonds et de tenir raisonnablement compte des droits ancestraux des Premières nations signataires du Traité no 1 demanderesses et des droits qui leur sont conférés par traité sur le bien‑fonds en question;

 

2.            Un jugement déclarant que le gouvernement du Canada n’a pas rempli son obligation légale envers Sa Majesté la Reine de consulter les Premières nations signataires du Traité no 1 demanderesses concernant toute aliénation du bien‑fonds et avant toute aliénation du bien‑fonds et de tenir raisonnablement compte des droits ancestraux des Premières nations signataires du Traité no 1 demanderesses et des droits qui leur sont conférés par les traités sur le bien‑fonds en question avant d’aliéner le bien‑fonds et notamment de le céder à la Société immobilière du Canada;

 

3.            Une ordonnance interdisant l’aliénation du bien‑fonds à la Société immobilière du Canada ou toute autre aliénation du bien‑fonds. À titre subsidiaire, si le bien‑fonds a déjà été transféré, une ordonnance suspendant le transfert du bien‑fonds à la Société immobilière du Canada jusqu’à ce que la présente affaire ait été tranchée de façon définitive;

 

4.            Une ordonnance déclarant que les Premières nations signataires du Traité no 1 aux demanderesses ne sont pas obligées de s’engager à respecter toute ordonnance relative aux dommages découlant du prononcé ou de la prorogation de l’ordonnance interdisant ou suspendant le transfert;

 

5.            Une ordonnance dégageant les demanderesses de toute obligation de s’engager à verser des dommages‑intérêts en faveur des défendeurs;

 

6.            Une ordonnance précisant qu’il sera loisible aux demanderesses et aux défendeurs de demander à la Cour toute autre directive ou mesure ou d’aborder toute question se rapportant à la présente instance selon laquelle que les demanderesses ou les défendeurs le jugent nécessaire;

 

7.            Toute autre réparation que la Cour jugera bon d’accorder;

 

8.            Les dépens de la présente instance.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[62]           Gardant à l’esprit les directives formulées par la Cour d’appel, j’estime qu’il m’incombe de trancher les questions suivantes :

 

1.                           Le Canada avait‑il l’obligation de consulter la totalité ou une partie seulement des demanderesses?

 

2.                           S’il existait une obligation de consulter, quelle était l’étendue de cette obligation?

 

3.                           S’il existait une obligation, le Canada s’est‑il acquitté adéquatement de son obligation dans la mesure requise?

 

NORME DE CONTRÔLE

[63]           Les parties sont d’accord pour dire qu’il y a trois questions fondamentales soumises à la Cour; la première étant celle de savoir si le Canada avait l’obligation de consulter la totalité ou une partie seulement des demanderesses. La deuxième étant celle de savoir quelle était l’étendue de cette obligation et la troisième étant, dans l’hypothèse où cette obligation existe, celle de savoir si le Canada s’est acquitté comme il le devait de son obligation dans la mesure requise.

 

[64]           Les parties conviennent toutes qu’il faut répondre aux deux premières questions en fonction de la norme de la décision correcte. Je suis du même avis.

 

[65]           La troisième question est une question mixte de droit et de fait. Tous les avocats sauf celui de Peguis sont d’accord pour dire que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Peguis soutient que, comme le dossier contient peu d’éléments qui indiquent le fondement sur lequel repose cette décision, la norme applicable devrait être celle de la décision correcte. Je ne suis pas de cet avis. Si le dossier est mince, qu’il en soit ainsi. La norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable.

 

PREMIÈRE QUESTION :  Le Canada avait‑il l’obligation de consulter la totalité ou une partie seulement des demanderesses?

 

[66]           Les avocats des défendeurs ont fait une importante concession lorsqu’ils ont pris la parole devant la Cour à l’audience. Ils ont admis que le Canada avait effectivement l’obligation de consulter les demanderesses. Cette concession ne s’appliquait toutefois pas à Sagkeeng et à Sandy Bay; or cette réserve ne tire pas à conséquence, étant donné que j’ai conclu que je ne disposais pas de suffisamment d’éléments de preuve pour étayer les revendications de ces deux demanderesses dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

DEUXIÈMEQUESTION :  S’il existait une obligation de consulter, quelle était l’étendue de cette obligation?

 

[67]           Ainsi que les défendeurs l’ont admis, le Canada avait l’obligation de consulter toutes les demanderesses sauf Sagkeeng et Sandy Bay. La seconde question qui se pose est donc celle de déterminer l’ampleur de cette obligation.

 

[68]           Dans l’arrêt Nation haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 RCS 511, 2004 CSC 73, la Cour suprême du Canada a établi certains repères importants pour encadrer l’obligation de consulter. En bref, la portée de cette obligation doit être évaluée au cas par cas. Plus la revendication formulée par une nation autochtone est sérieuse, plus l’obligation de consulter est importante. Je reprends ce que la juge en chef écrit au nom de la Cour aux paragraphes 24, 27 et 43 à 48 :

 

24     Au paragraphe 168 de l’arrêt de principe Delgamuukw, précité, prononcé dans le contexte d’une revendication de titre sur des terres et des ressources, la Cour a confirmé l’existence de l’obligation de consulter et a précisé cette obligation, affirmant que son contenu variait selon les circonstances : de la simple « obligation de discuter des décisions importantes » « lorsque le manquement est moins grave ou relativement mineur », en passant par l’obligation nécessitant « beaucoup plus qu’une simple consultation » qui s’impose « [d]ans la plupart des cas », jusqu’à la nécessité d’obtenir le « consentement [de la] nation autochtone » sur les questions très importantes. Ces remarques s’appliquent autant aux revendications non réglées qu’aux revendications déjà réglées et auxquelles il est porté atteinte.

 

[...]

 

27     La réponse à cette question découle, encore une fois, de l’honneur de la Couronne. Si cette dernière entend agir honorablement, elle ne peut traiter cavalièrement les intérêts autochtones qui font l’objet de revendications sérieuses dans le cadre du processus de négociation et d’établissement d’un traité. Elle doit respecter ces intérêts potentiels, mais non encore reconnus. La Couronne n’est pas paralysée pour autant. Elle peut continuer à gérer les ressources en question en attendant le règlement des revendications. Toutefois, selon les circonstances, question examinée de façon plus approfondie plus loin, le principe de l’honneur de la Couronne peut obliger celle‑ci à consulter les Autochtones et à prendre raisonnablement en compte leurs intérêts jusqu’au règlement de la revendication. Le fait d’exploiter unilatéralement une ressource faisant l’objet d’une revendication au cours du processus visant à établir et à régler cette revendication peut revenir à dépouiller les demandeurs autochtones d’une partie ou de l’ensemble des avantages liés à cette ressource. Agir ainsi n’est pas une attitude honorable.

 

[...]

 

43     Sur cette toile de fond, je vais maintenant examiner le type d’obligations qui peuvent découler de différentes situations. À cet égard, l’utilisation de la notion de continuum peut se révéler utile, non pas pour créer des compartiments juridiques étanches, mais plutôt pour préciser ce que le principe de l’honneur de la Couronne est susceptible d’exiger dans des circonstances particulières. À une extrémité du continuum se trouvent les cas où la revendication de titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible. Dans ces cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis. La [traduction] « “consultation”, dans son sens le moins technique, s’entend de l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres » : T. Isaac et A. Knox, « The Crown’s Duty to Consult Aboriginal People » (2003), 41 Alta. L. Rev. 49, p. 61.

 

44      À l’autre extrémité du continuum, on trouve les cas où la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé. Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable. Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision. Cette liste n’est pas exhaustive et ne doit pas nécessairement être suivie dans chaque cas. Dans les affaires complexes ou difficiles, le gouvernement peut décider de recourir à un mécanisme de règlement des différends comme la médiation ou un régime administratif mettant en scène des décideurs impartiaux.

 

45      Entre les deux extrémités du continuum décrit précédemment, on rencontrera d’autres situations. Il faut procéder au cas par cas. Il faut également faire preuve de souplesse, car le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour. La question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones. Tant que la question n’est pas réglée, le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle‑ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones. Elle peut être appelée à prendre des décisions en cas de désaccord quant au caractère suffisant des mesures qu’elle adopte en réponse aux préoccupations exprimées par les Autochtones. Une attitude de pondération et de compromis s’impose alors.

 

46     À la suite de consultations véritables, la Couronne pourrait être amenée à modifier la mesure envisagée en fonction des renseignements obtenus lors des consultations. Le Guide for Consultation with Maori (1997) du ministère de la Justice de la Nouvelle‑Zélande fournit des indications sur la question (aux p. 21 et 31) :

 

[traduction] La consultation n’est pas seulement un simple mécanisme d’échange de renseignements. Elle comporte également des mises à l’épreuve et la modification éventuelle des énoncés de politique compte tenu des renseignements obtenus ainsi que la rétroaction. Elle devient donc un processus grâce auquel les deux parties sont mieux informées [...]

 

[...]

 

[...] de véritables consultations s’entendent d’un processus qui consiste [...] :

 

à recueillir des renseignements pour mettre à l’épreuve les énoncés de politique;

 

à proposer des énoncés qui ne sont pas encore arrêtés définitivement;

 

à chercher à obtenir l’opinion des Mäoris sur ces énoncés;

 

à informer les Mäoris de tous les renseignements pertinents sur lesquels reposent ces énoncés;

 

‑ à écouter avec un esprit ouvert ce que les Mäoris ont à dire sans avoir à en faire la promotion;

 

‑ à être prêt à modifier l’énoncé original;

 

‑ à fournir une rétroaction tant au cours de la consultation qu’après la prise de décision.

 

47                S’il ressort des consultations que des modifications à la politique de la Couronne s’imposent, il faut alors passer à l’étape de l’accommodement. Des consultations menées de bonne foi peuvent donc faire naître l’obligation d’accommoder. Lorsque la revendication repose sur une preuve à première vue solide et que la décision que le gouvernement entend prendre risque de porter atteinte de manière appréciable aux droits visés par la revendication, l’obligation d’accommodement pourrait exiger l’adoption de mesures pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences de l’atteinte jusqu’au règlement définitif de la revendication sous‑jacente. L’accommodement est le fruit des consultations, comme la Cour l’a reconnu dans R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, par. 22 : « [...] il est préférable de réaliser la prise en compte du droit issu du traité par des consultations et par la négociation ».

 

48                Ce processus ne donne pas aux groupes autochtones un droit de veto sur les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des terres en cause en attendant que la revendication soit établie de façon définitive. Le « consentement » dont il est question dans Delgamuukw n’est nécessaire que lorsque les droits invoqués ont été établis, et même là pas dans tous les cas. Ce qu’il faut au contraire, c’est plutôt un processus de mise en balance des intérêts, de concessions mutuelles.

 

[69]           Dans l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc c Conseil tribal Carrier Sekani, [2010] 2 RCS 650, 2010 CSC 43, la Cour suprême cite, au paragraphe 38, la jurisprudence postérieure à l’arrêt Nation haïda. La juge en chef, qui écrivait encore au nom de la Cour, écrit ce qui suit :

 

38        L’obligation de consulter s’inscrit dans ce que Brian Slattery qualifie d’ordre constitutionnel [traduction] « génératif » où « l’article 35 a une fonction dynamique et non purement statique » (« Aboriginal Rights and the Honour of the Crown » (2005), 29 S.C.L.R. (2d) 433, p. 440). Ce dynamisme a été formulé comme suit dans l’arrêt Nation haïda (par. 32) :

 

[...] l’obligation de consulter et d’accommoder fait partie intégrante du processus de négociation honorable et de conciliation qui débute au moment de l’affirmation de la souveraineté et se poursuit au‑delà du règlement formel des revendications. La conciliation ne constitue pas une réparation juridique définitive au sens usuel du terme. Il s’agit plutôt d’un processus découlant des droits garantis par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

Comme le confirme la jurisprudence postérieure à cet arrêt, la consultation [traduction] « s’attache au maintien de relations constantes » et à l’établissement d’un processus permanent de conciliation en ce qu’elle privilégie les mesures « qui favorisent la continuité des négociations » : D. G. Newman, The Duty to Consult : New Relationships with Aboriginal Peoples (2009), p. 21.

 

 

[70]           Dans l’arrêt Beckman c Première nation de Little Salmon/Carmacks, [2010] 3 RCS 103, 2010 CSC 53, le juge Binnie analyse au nom de la majorité, de l’obligation de consulter. Voici ce qu’il écrit, aux paragraphes 55 et 61 :

 

55     Cependant, le gouvernement territorial pousse trop loin cette thèse lorsqu’il prétend que la consultation qui n’est pas spécifiquement requise par le traité est exclue par inférence négative. Une consultation digne de ce nom demeure le fondement nécessaire d’une relation réussie avec les peuples autochtones. Comme le juge de première instance l’a pertinemment fait remarquer, la consultation permet [traduction] « d’éviter l’indifférence et le manque de respect susceptibles d’anéantir le processus de réconciliation que l’entente définitive est censée établir » (par. 82).

 

[...]

 

61     Cet argument ne me paraît pas convaincant. L’obligation de consulter est considérée, dans la jurisprudence, comme un moyen de préserver l’honneur de la Couronne (lorsque cela s’avère indiqué). Les parties ont la possibilité de s’entendre sur les modalités de la consultation, mais la Couronne ne peut pas se soustraire à son obligation de traiter honorablement avec les Autochtones. Cette doctrine, comme nous l’avons affirmé dans Nation haïda et confirmé dans Première nation crie Mikisew, s’applique indépendamment de l’intention expresse ou implicite des parties.

 

[71]           La juge Mactavish, de notre Cour, donne, dans le jugement Bande des Dénés de Sambaa K’e c. Duncan, 2012 CF 204, un excellent résumé des règles de la loi relatives à l’obligation de consulter et de l’étendue de cette obligation. Je reprends ce qu’elle écrit aux paragraphes 113 à 119 et 165 :

 

113      Dans l’arrêt Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 39, la Cour suprême du Canada a expliqué que l’étendue de l’obligation dépendait tant de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué que de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre revendiqué.

 

114      Autrement dit, c’est l’ampleur des conséquences sur les droits revendiqués qui détermine le degré de consultation nécessaire dans un cas déterminé (Mikisew, ci‑dessus, aux paragraphes 34, 55 et 62‑3). Plus les conséquences éventuelles sur les droits ancestraux ou issus de traités revendiqués sont graves, plus les consultations doivent être menées en profondeur.

 

115      Le degré de consultation nécessaire varie d’un cas à l’autre, selon ce que l’honneur de la Couronne exige dans une situation donnée (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 43. Voir également l’arrêt Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 36; Taku River, ci‑dessus, au paragraphe 32; Tsuu T’ina Nation c. Alberta (Minister of Environment), [2010] 2 C.N.L.R. 316, [2010] A.J. no 479 (Q.L.) (C.A. Alb.), au paragraphe 71 et Ahousaht, ci‑dessus, au paragraphe 39).

 

116      Lorsque, par exemple, la revendication est peu solide, le droit ancestral est limité ou le risque d’atteinte est faible, la Couronne pourrait avoir pour seule obligation d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 43).

 

117      Par contre, lorsque la revendication repose sur une preuve à première vue solide, que le droit et l’atteinte potentielle revêtent une grande importance pour les Autochtones et que le risque de préjudice non indemnisable est élevé, il peut s’avérer nécessaire de tenir « une consultation approfondie » en vue de trouver une solution provisoire acceptable (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 44).

 

118      Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 44).

 

119      Entre les deux extrémités de ce continuum, on rencontrera d’autres situations. Chaque cas est un cas d’espèce. Il faut examiner chaque cas individuellement pour déterminer la teneur de l’obligation de consulter à la lumière des circonstances de l’espèce. De plus, il peut être nécessaire de réévaluer la situation à l’occasion, étant donné que le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 45).

 

 [...]  

 

165     Pour être sérieuses, les consultations ne sauraient être remises au tout dernier moment d’une série de décisions. Dès que des décisions préliminaires importantes ont été prises, il se peut fort bien que le terrain soit propice à un acte particulier susceptible de faire avancer les choses (Squamish Indian Band c. British Columbia (Minister of Sustainable Resource Management), 2004 BCSC 1320, 34 B.C.L.R. (4th) 280, au paragraphe 75). On peut se trouver dans une telle situation même si les décisions préliminaires ne sont pas juridiquement contraignantes.

 

 

[72]           Dans le cas qui nous occupe, j’en suis arrivé à la conclusion que les demanderesses Long Plain, Peguis, Roseau River et Swan Lake ont une revendication défendable mais non démontrée en ce qui concerne la terre occupée par le casernement opérationnel Kapyong. J’établis l’ampleur de cette obligation de consulter au milieu du continuum proposé par la Cour suprême dans l’arrêt Nation haïda. Pour ce qui est des cas se situant à l’extrémité inférieure du continuum, où les revendications sont faibles, la Cour suprême explique, au paragraphe 43 de l’arrêt, qu’en pareil cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient :

 

[...] d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis [...]

 

[73]           À l’autre extrémité du continuum, où se situent les revendications qui reposent sur une preuve à première vue solide, voici ce qu’écrit la Cour au paragraphe 44 de l’arrêt Nation haïda :

 

[...] la consultation requise à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision.

 

 

[74]           En l’espèce, en situant cette obligation quelque part entre les deux critères en question, j’estime que l’obligation du Canada est plus élevée que le minimum consistant à donner un avis, à divulguer des renseignements et à répondre aux préoccupations exprimées et qu’elle comprend à tout le moins certaines des obligations plus exigeantes, dont celles de rencontrer les demanderesses, d’entendre leurs préoccupations et d’en discuter avec elles, d’examiner sérieusement ces préoccupations et de faire part aux intéressés de la ligne de conduite à prendre et des raisons motivant la décision qui est prise. Je tiens à souligner l’importance de tenir véritablement compte des préoccupations exprimées et je répète ce que la Cour suprême écrit au paragraphe 46 de l’arrêt Nation haïda :

 

À la suite de consultations véritables, la Couronne pourrait être amenée à modifier la mesure envisagée en fonction des renseignements obtenus lors des consultations.

 

 

TROISIÈME QUESTION :            S’il existait une obligation, le Canada s’est‑il acquitté adéquatement de son obligation dans la mesure requise?

 

[75]           Comme je l’ai déjà expliqué, le Canada a admis qu’il avait l’obligation de consulter les demanderesses. J’ai déjà jugé que cette obligation comprenait l’obligation de donner un avis, de divulguer des renseignements, de répondre aux préoccupations soulevées, de rencontrer les demanderesses et de discuter avec elles de leurs préoccupations, d’examiner sérieusement ces préoccupations, d’informer les demanderesses des mesures à prendre et des raisons justifiant ces mesures.

 

[76]           Pour examiner la question de savoir si le Canada s’est acquitté de son obligation de consultation dans la mesure où elle a admis devoir le faire, je scinderai les faits en deux périodes distinctes. La première période est celle allant de 2001 à 2004; la seconde est celle commençant à la fin de 2006 et se terminant en novembre 2007.

 

[77]           Au cours de la période de 2001 à 2004, j’estime que le Canada a effectivement avisé les demanderesses et les autres bandes autochtones environ un an après que les bandes eurent exprimé leur intérêt par rapport au casernement Kapyong. Très peu de renseignements ont toutefois été communiqués, et ce, malgré le fait que le Canada avait en sa possession une évaluation du bien‑fonds vraisemblablement vers la fin de 2003. Une visite de la propriété a eu lieu au début de 2004.

 

[78]           Même si l’on ne s’en tenait qu’à son obligation minimale de consulter, le Canada ne s’est pas acquitté de ses obligations. Il n’a pas divulgué les renseignements pertinents qu’il possédait. Il n’a pas répondu véritablement aux préoccupations soulevées par les demanderesses et par les autres bandes.

 

[79]           Son attitude est encore plus flagrante au cours de la période de 2006 et 2007. Le Canada a tout simplement ignoré les lettres écrites par les demanderesses et pour leur compte. Il a ignoré toute demande de rencontre. Il n’a fourni aucun renseignement, tel que des évaluations ou des promesses de vente négociées avec la Société immobilière du Canada. Les demanderesses ont tout simplement été ignorées. Après coup, on a dit aux demanderesses de faire connaître leurs préoccupations à la Société immobilière du Canada. J’estime que la façon dont le Canada a répondu aux préoccupations soulevées par les demanderesses et les autres bandes autochtones est loin de respecter ne serait‑ce que le seuil minimal de consultation obligatoire.

 

[80]           Je conclus que le Canada ne s’est pas acquitté de son obligation de consulter les demanderesses dans la mesure où il était tenu de le faire.

 

CONCLUSION

[81]           Ayant conclu, comme le Canada l’a admis, qu’il existait une obligation de consulter les demanderesses Long Plain, Peguis, Roseau River et Swan Lake et que le Canada ne les a pas consultées sérieusement selon le degré de consultation auquel il devait se conformer, je ferai droit à la présente demande conformément aux vœux exprimés par les demanderesses en question. J’annulerai la décision de novembre 2007 de vendre le casernement opérationnel Kapyong à la Société immobilière du Canada et interdire cette vente jusqu’à ce que le Canada soit en mesure de démontrer à la Cour qu’il s’est acquitté véritablement de son obligation.

 

[82]           Le présent jugement et les présents motifs de jugement modifiés ont été communiqués étant donné que les avocats des demanderesses m’ont signalé que dans le prononcé du jugement et des motifs du jugement publiés le 13 décembre 2012, j’ai par inadvertance interchangé le nom de Sandy Bay et de Swan Lake à certains endroits. Cette erreur a été corrigée dans la présente version.

 

[83]           Les parties peuvent formuler leurs observations au sujet des dépens par écrit (dans un document d’au plus cinq pages) d’ici le 15 janvier 2013.


JUGEMENT

 

LA COUR, POUR LES MOTIFS QUI ONT ÉTÉ EXPOSÉS :

 

1.                  ACCUEILLE la demande présentée par les demanderesses Long Plain, Peguis, Roseau River et Swan Lake;

 

2.                  REJETTE la demande présentée par les demanderesses Sagkeeng et Sandy Bay;

 

3.                  ANNULE la décision de novembre 2007 des défendeurs de vendre le casernement opérationnel Kapyong à la Société immobilière du Canada;

 

4.                  INTERDIT aux défendeurs de vendre le casernement opérationnel Kapyong à la Société immobilière du Canada ou à toute autre personne tant qu’ils n’auront pas réussi à démontrer à la Cour qu’ils se sont acquittés véritablement de leur obligation de consulter les demanderesses;

 

5.                  AUTORISE les parties à formuler leurs observations au sujet des dépens dans un document ne devant pas excéder cinq pages d’ici le 15 janvier 2013.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑139‑08

 

INTITULÉ :                                                  PREMIÈRE NATION DE LONG PLAIN
et autres c
SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Les 4 et 5 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT MODIFIÉS :                   LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS

MODIFIÉS :                                                  Le 20 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. R. Norman Boudreau

 

POUR LES DEMANDERESSES

PREMIÈRE NATION DE LONG PLAIN et PREMIÈRE NATION OJIBWAY DE SANDY BAY

 

Jeffrey R. W. Rath

Nathalie Whyte

 

POUR LA DEMANDERESSE

PREMIÈRE NATION DE PEGUIS

 

Harley Schachter

Bill Haight

Kara Bjornson

 

POUR LA DEMANDERESSE

PREMIÈRE NATION ANISHINABE DE ROSEAU RIVER

 

R. Ivan Holloway

Uzma Saeed

 

POUR LES DEMANDERESSES

PREMIÈRE NATION DE SWAN LAKE et PREMIÈRE NATION DE SAGKEENG

 

Jeffrey Dodgson

Jeff Echols

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Booth Dennehy s.r.l.

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDERESSES

PREMIÈRE NATION DE LONG PLAIN et PREMIÈRE NATION JIBWAY DE SANDY BAY

 

Rath & Company

Avocats

Priddis (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

PREMIÈRE NATION DE PEGUIS

 

Duboff Edwards Haight & Schachter Cabinet d’avocats

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

PREMIÈRE NATION ANISHINABE DE ROSEAU RIVER

 

D’Arcy & Deacon s.r.l.

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDERESSES

PREMIÈRE NATION DE SWAN LAKE et PREMIÈRE NATION DE SAGKEENG

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.