Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20121219

Dossier : T‑2111‑11

Référence : 2012 CF 1516

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 19 décembre 2012

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

REZA AYATIZADEH

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel formé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 [la Loi], contre la décision en date du 4 novembre 2011 par laquelle un juge de la citoyenneté a accordé la citoyenneté au défendeur. Le ministre soutient que ce juge a commis une erreur en concluant que le défendeur remplissait le critère de résidence formulé à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[2]               Le demandeur est citoyen iranien. Il est entré au Canada comme résident permanent le 4 juillet 2003, et il a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 10 mai 2008. La période de référence pour le calcul de sa durée de résidence au Canada s’étend donc du 10 mai 2004 au 10 mai 2008.

 

[3]               Le 28 avril 2009, une agente de la citoyenneté a eu un entretien avec le défendeur et lui a demandé de remplir un questionnaire sur la résidence. L’agente, après examen des documents présentés par le défendeur, qui comprenaient des photocopies de ses passeports, de ses bordereaux de paye et de diverses factures, a envoyé au juge de la citoyenneté une note portant que le défendeur n’avait pas selon elle produit d’éléments suffisants pour prouver qu’il avait résidé au Canada durant la période de référence.

 

[4]               Le défendeur a comparu devant le juge de la citoyenneté le 11 octobre 2011. Après cette audience, il a produit des éléments d’appréciation supplémentaires touchant la période considérée, notamment des bordereaux de paye, des relevés de notes de collège, et une attestation de sa participation à un programme de formation linguistique.

 

[5]               Voici le texte intégral de la décision du juge de la citoyenneté :

[traduction] Le demandeur a 20 jours pour produire des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de la déclaration qu’il a faite à l’audience. On trouvera ci‑joint la liste des documents exigés. AA (initiales du juge Ayache). Il n’a pas été donné de QR [questionnaire sur la résidence] au demandeur. Nul besoin! Le demandeur a présenté une partie des documents susdits. Les pièces produites se révèlent satisfaisantes. Vu l’ensemble des éléments d’appréciation et le critère formulé par la juge Reed dans Koo (Re), j’accueille la demande.

 

 

[6]               La question en litige dans le présent appel est le point de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que le défendeur remplissait le critère de résidence formulé à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

 

[7]               La décision d’un juge de la citoyenneté sur le point de savoir si le demandeur remplit le critère de résidence, qui est une question mixte de fait et de droit, est à contrôler suivant la norme du caractère raisonnable; voir El‑Khader c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 328, paragraphe 7; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Saad, 2011 CF 1508, paragraphe 9.

 

[8]               L’alinéa 5(1)c) de la Loi dispose que le demandeur doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

[…]

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i) un demi‑jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

[…]

 

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one‑half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

[9]               La jurisprudence admet trois manières d’interpréter le terme « résidence » tel qu’employé à l’alinéa 5(1)c) de la Loi : on peut assimiler la résidence à la présence effective (Pourghasemi (Re), [1993] ACF no 232, 62 FTR 122)); ou encore à la centralisation du mode d’existence (Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 CF 208, 88 DLR (3d) 243 (1re inst.)); ou bien on peut se demander si l’intéressé « vit régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada (Koo (Re) (1992), [1992] ACF no 1107, 59 FTR 27 [Koo]).

 

[10]           Notre Cour a exprimé l’avis que ces trois interprétations sont raisonnables et qu’il est permis au juge de la citoyenneté d’adopter l’une ou l’autre d’entre elles pourvu qu’il applique correctement le critère retenu (Lam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 410, paragraphe 14). Cependant, certains membres de notre Cour ont conclu qu’un seul de ces critères est légitime (voir par exemple El Ocla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 533; Dedaj  c Canada, 2010 CF 777, 90 Imm LR (3d) 138; Martinez Caro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640; Hysa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1416; Al Khoury c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 536). Dans la présente instance, le ministre ne soutient pas que le juge de la citoyenneté n’ait pas appliqué le critère voulu au calcul de la durée de résidence sous le régime de l’alinéa 5(1)c), de sorte qu’il ne sera pas nécessaire d’examiner ici cette question.

 

[11]           Le demandeur rappelle que la décision du juge de la citoyenneté qui choisit d’appliquer le raisonnement de Koo ne doit pas faire douter qu’il a pris en considération tous les facteurs pertinents (Seiffert c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1072 [Seiffert], paragraphe 9). Il soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur dans la présente espèce en ne précisant pas lesquels des facteurs du critère Koo il a pris en compte aux fins de sa décision. Le demandeur fait en outre valoir que trois des facteurs recensés dans Koo exigeaient que le juge de la citoyenneté détermine quand le défendeur avait été effectivement présent au Canada pendant la période de référence et que le juge a erronément omis de le faire.

 

[12]           La décision du juge de la citoyenneté ne doit laisser aucun doute qu’il a pris en considération les facteurs importants et pertinents (Seiffert, paragraphe 9), rappelle lui aussi le défendeur; or, poursuit‑il, la décision considérée est raisonnable au motif qu’elle dit expressément qu’il a été tenu compte des facteurs de Koo et que les documents nécessaires étaient satisfaisants. Je me vois à regret incapable de souscrire à cet argument, pour les raisons qui suivent. 

 

[13]           L’insuffisance des motifs exposés dans la décision d’un juge de la citoyenneté est un vice grave qui jette le doute, parmi d’autres facteurs, sur son caractère raisonnable (voir par exemple Canada (Citoyenneté et Immigration) c Al‑Showaiter, 2012 CF 12 [Al‑Showaiter]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdallah, 2012 CF 985 [Abdallah]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Raphaël, 2012 CF 1039). Je reprends ici à mon compte les observations suivantes formulées sur cette question par mon collègue le juge Near dans Al‑Showaiter, observations auxquelles a aussi souscrit le juge de Montigny dans Abdallah :

30.     Compte tenu des débats que continuent de susciter les affaires de citoyenneté, il serait très utile pour la Cour que les juges de la citoyenneté indiquent clairement en une ou deux phrases les critères qu’ils ont employés et qu’ils expliquent les motifs pour lesquels ils arrivent à une conclusion donnée. Les détails requis dans ces motifs varieront selon le critère retenu et le contexte périphérique. Cependant, même si l’on peut déduire que le critère employé est celui de la présence effective au Canada (qui me paraît, en règle générale, le plus conforme à la Loi), les juges de la citoyenneté devraient tout de même le préciser. Ils devraient aussi expliquer avec plus ou moins de détails, suivant les faits de l’affaire, ce qui les a incités à accepter ou rejeter la preuve qu’on leur a présentée. [Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Les motifs du juge de la citoyenneté se réduisent dans la présente espèce à un seul paragraphe, reproduit intégralement plus haut. La décision porte que le juge a accueilli la demande de citoyenneté en se fondant sur le critère Koo et que la partie des documents exigés produite par le défendeur après l’audience était satisfaisante. Le juge ne précise pas lesquels des documents il a estimés satisfaisants ni en quoi ceux qu’il a reçus après l’audience avaient répondu à ses questions. Il n’était pas tenu d’examiner et d’analyser explicitement la totalité des six facteurs de Koo, mais il devait à tout le moins traiter ceux d’entre eux qui étaient pertinents pour sa décision selon les faits de l’espèce, conformément à la règle énoncée par notre Cour dans Seiffert et Al‑Showaiter, précitées.

 

[15]           Dans la présente espèce, étant donné l’insuffisance constatée plus haut des motifs du juge de la citoyenneté, la manière dont il est parvenu à sa décision d’accueillir la demande de citoyenneté du défendeur sur la base de la preuve dont il disposait est loin d’être évidente. Je n’entreprendrai donc pas d’examiner le point de savoir quels éléments de la preuve, s’il en est, auraient pu donner lieu à une décision raisonnable. (Le juge Near a suivi une démarche semblable aux paragraphes 24 à 28 de la décision Al‑Showaiter.)

 

[16]           Par ces motifs, la décision du juge de la citoyenneté est déraisonnable. En conséquence, le présent appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée devant un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

L’appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée devant un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen.

 

 

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2111‑11

 

INTITULÉ :                                                  lE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c
Reza Ayatizadeh

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 18 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Thomas Cormie

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mahsa Ebrahim Nejad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mahsa Ebrahim Nejad

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.