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Date : 20121220

Dossier : IMM‑3036‑12

Référence : 2012 CF 1538

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

 

GEZA ISTVAN BURI

ET MONIKA BURI

 

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 2 mars 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile formée sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, par un homme de 77 ans et sa fille de 40 ans qui invoquaient leur appartenance à la minorité rom de Hongrie.

 

[2]               La principale conclusion de cette décision de la SPR est « qu’il existe une protection de l’État adéquate en Hongrie et que les demandeurs d’asile n’ont pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants » (paragraphe 19 de la décision contrôlée). La preuve sur laquelle la SPR s’est appuyée pour conclure à l’existence d’une protection adéquate de l’État en Hongrie met dans une large mesure l’accent sur le fait que l’État et le secteur privé hongrois déploient des efforts pour lutter contre la discrimination et le racisme séculaires dont souffre la minorité rom du pays. L’avocate des demandeurs soutient que cette orientation sélective fait l’économie d’une description exacte de la réalité du problème qu’on s’efforce ainsi de régler. Je souscris à cet argument.

 

[3]               La SPR cite dans sa décision, en note de bas de page du paragraphe 24, le 2010 Human Rights Report: Hungary (rapport de 2010 sur les droits de la personne en Hongrie) du Département d’État américain, daté du 8 avril 2011, afin d’établir que la Hongrie est une démocratie et que s’y tiennent des élections libres et régulières. L’avocate des demandeurs invoque ce même rapport, tel que cité par le juge de Montigny au paragraphe 17 de Katinski c Canada, 2010 CF 1326, à l’appui de la thèse que la SPR, dans la présente espèce, n’a pas décrit avec exactitude la réalité du problème de protection de l’État à l’examen. Voici comment le juge de Montigny analysait la preuve produite dans l’instance portée devant lui :

 

La Commission a également commis une erreur en se fondant sur les efforts déployés par l’État pour répondre aux problèmes auxquels font face les Roms. Au paragraphe 15 de ses motifs, la Commission a écrit : « Le tribunal reconnaît que des crimes violents visant les Roms sont encore commis. Cependant, il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités prennent des mesures à la suite de signalements. » C’est au niveau opérationnel qu’il faut évaluer la protection. Cela s’avère d’autant plus exact dans un État où le niveau de démocratie est à son niveau le plus bas de l’histoire récente, d’après la preuve documentaire versée au dossier. De plus, le 2010 Human Rights Report: Hungary (rapport de 2010 sur les droits de la personne en Hongrie) du Département d’État américain, daté du 8 avril 2011, sur lequel se fonde la Commission pour étayer sa conclusion que les Roms peuvent compter sur la protection de l’État, contredit expressément cette conclusion. Dans l’aperçu (à la page 1), les auteurs du rapport font valoir ce qui suit :

 

[traduction]

Parmi les atteintes aux droits de la personne, il y a l’usage d’une force excessive par la police contre les suspects, particulièrement les suspects roms, [la mise en place de nouvelles restrictions aux droits de la défense, la promulgation de lois fixant de nouvelles limites au droit de parole et allongeant la liste des médias réglementés,] la corruption au sein du gouvernement, la violence sociétale envers les femmes et les enfants, le harcèlement sexuel des femmes ainsi que la traite de personnes. D’autres problèmes ont pris de l’ampleur, comme la violence d’extrémistes et le discours antagoniste contre les minorités ethniques et religieuses, ainsi que la discrimination envers les Roms dans les domaines de l’éducation, du logement, de l’emploi et de l’accès aux services sociaux.

 

[4]               Le juge de Montigny a tiré au paragraphe 18 la conclusion suivante touchant le rapport cité :

Il n’y a rien dans ce rapport qui laisse croire qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités prennent des mesures à la suite de signalements. En fait, le rapport du Département d’État américain étaye la conclusion contraire.

 

[5]               À mon avis, lorsqu’on veut effectuer l’analyse prospective d’une demande d’asile formée sous le régime des articles 96 et 97, on doit d’abord déterminer avec exactitude contre qui et contre quoi la protection doit être fournie, puis répondre à la question de savoir si la protection offerte est concrètement adéquate. Dans la présente espèce, j’estime que l’analyse superficielle au terme de laquelle la SPR a conclu qu’« il existe une protection adéquate de l’État en Hongrie » ne remplit certainement pas cette exigence raisonnable.

 

[6]               Autre chose importante qu’il me paraît nécessaire de faire remarquer, la SPR n’a pas formulé de conclusions défavorables sur la crédibilité des demandeurs touchant le récit des violences qu’ils affirment avoir subies en tant que Roms de Hongrie, à une remarquable exception près. La demanderesse Monika Buri a déclaré dans son FRP qu’elle avait subi des fractures au pied lors d’une agression perpétrée sur sa personne par des skinheads le 24 avril 2000. Interrogée sur cet événement à l’audience devant la SPR, elle a répondu qu’elle ne souhaitait pas en parler « parce que cela la perturbait ». La SPR a tiré la conclusion suivante de cette réponse :

Elle n’a fourni aucun rapport de l’hôpital, ni rapport de police au sujet de cet incident présumé. Si l’incident a vraiment eu lieu, la demandeure d’asile n’aurait aucun problème à en parler à l’audience. Je conclus que cet incident n’a pas eu lieu.

 

(Paragraphe 17 de la décision contrôlée.)

 

Cette conclusion me paraît tout à fait injuste. En tant que victime de violence, la demanderesse pouvait avoir de nombreuses raisons de refuser de parler d’une si horrible expérience. L’une de ces raisons pouvait être qu’elle aurait ainsi été obligée de revivre l’agression et qu’elle voulait s’épargner cette douloureuse épreuve. Je conclus que la SPR s’est comportée de manière abusive en rejetant la réponse de la demanderesse avec désinvolture et en tirant de cette réponse une conclusion défavorable sur sa crédibilité.

 

[7]               En conséquence, je conclus que la décision contrôlée est entachée d’erreurs donnant lieu à révision et je la déclare déraisonnable.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

La décision contrôlée est annulée, et l’affaire est renvoyée devant la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

            Il n’a pas été proposé de question à la certification.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3036‑12

 

INTITULÉ :                                                  GEZA ISTVAN BURI ET MONIKA BURI c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 décembre 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 20 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adela Crossley

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Adela Crossley

Avocate

Toronto

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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