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Date : 20130109

Dossier : IMM‑4276‑12

Référence : 2013 CF 13

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 9 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

REZA KHAZAEI

SHIRIN SHEIKH HARANDI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Aperçu

[1]               La Section de la protection des réfugiés peut raisonnablement tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait qu’un demandeur a omis de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa demande si son témoignage sur des questions clés est dépourvu de crédibilité parce qu’il contient des incohérences et des invraisemblances flagrantes. Dans Morka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 315, le juge Luc Martineau a maintenu qu’il est raisonnable de tirer une inférence défavorable au sujet de la crédibilité dans certaines circonstances en l’absence de documents appuyant les allégations d’un demandeur (au paragraphe 18).

 

II. Introduction

[2]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] a déterminé qu’ils n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR]. Plus particulièrement, le demandeur principal conteste la conclusion défavorable générale de la SPR quant à la crédibilité et son autre conclusion selon laquelle lui et son épouse ne seraient pas exposés à un risque après avoir fait une demande d’asile au Canada.

 

III. Procédure judiciaire

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la SPR le 12 avril 2012 en application du paragraphe 72(1) de la LIPR.

 

IV. Contexte

[4]               Le demandeur principal, M. Reza Khazaei, est un citoyen iranien né en 1949. Son épouse, Mme Shirin Sheikh Harandi, citoyenne iranienne également, est née en 1952.

 

[5]               L’épouse du demandeur principal fait partie de la secte soufie de l’islam chiite et elle a soutenu devant la SPR qu’elle craignait avec raison d’être persécutée du fait de sa religion.

 

[6]               En 1999, le demandeur principal aurait été arrêté et maintenu en détention après avoir organisé une fête que les autorités auraient considérée comme « non conforme à l’islam ».

 

[7]               En 2000, le fils des demandeurs a fui l’Iran pour le Royaume‑Uni, où il a obtenu le statut de réfugié en raison de son orientation sexuelle. La fille des demandeurs a fui l’Iran pour le Royaume‑Uni en 2001, où elle a également obtenu le statut de réfugié parce qu’elle devait subir un procès pour avoir assisté à une fête. Le demandeur principal soutient qu’il a versé une garantie pour obtenir la libération conditionnelle de sa fille, garantie qu’il a perdue lorsqu’elle a fui l’Iran.

 

[8]               En 2002, le demandeur principal aurait été maintenu en détention par des agents du renseignement, car il aurait exprimé des opinions négatives au sujet du régime iranien au cours d’une activité sociale. 

 

[9]               En 2004, le demandeur principal se serait retiré d’un contrat qu’il était en voie de conclure parce qu’il aurait été averti qu’il aurait des problèmes.

 

[10]           En 2009, les demandeurs ont participé à des manifestations pour protester contre les résultats des élections présidentielles iraniennes.

 

[11]           En octobre 2009, des agents du renseignement auraient arrêté le demandeur principal, l’auraient maintenu en détention pendant trois jours, l’auraient battu et l’auraient interrogé à propos de sa participation aux manifestations et de l’opposition politique de ses enfants au régime islamique.

 

[12]           Selon le demandeur principal, le propriétaire d’une entreprise concurrente, Najafi, aurait transmis ses propos aux agents du renseignement en 2002, ce qui aurait donné lieu à son arrestation; par ailleurs, après que des menaces ont été proférées contre sa personne, il a dû se retirer d’un contrat auquel il était partie en 2004 et il a été arrêté en octobre 2009.

 

[13]           Les demandeurs ont commencé à songer à quitter l’Iran; l’épouse du demandeur principal a bel et bien présenté une demande de renouvellement de son passeport et, comme le traitement était inhabituellement long, elle aurait versé un pot‑de‑vin pour accélérer le processus.

 

[14]           En novembre 2009, les agents du renseignement auraient questionné le demandeur principal et fouillé sa résidence.

 

[15]           Les demandeurs auraient fui l’Iran. Une personne à l’aéroport, qui connaissait un ami du demandeur principal, a appris à ce dernier qu’il serait intercepté s’il tentait de quitter l’Iran, à la suite de quoi le demandeur principal a versé un pot‑de‑vin pour faciliter leur sortie en sécurité de l’Iran. Les demandeurs sont arrivés à Montréal le 2 mai 2010.

 

[16]           En juillet 2010, les demandeurs ont demandé l’asile après avoir censément appris d’une relation d’affaires que les autorités iraniennes étaient à leur recherche et que de nouvelles accusations de nature politique avaient été portées contre eux.

 

V. Décision faisant l’objet du contrôle

[17]           La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, car leur crédibilité soulevait des doutes. Plus particulièrement, la SPR ne croyait pas que les demandeurs pouvaient craindre avec raison d’être persécutés du fait de leur appartenance à un groupe social particulier (soit des personnes dont les enfants habitent à l’étranger et sont considérés comme étant des opposants au régime islamique) ou du fait de leurs opinions politiques présumées.

 

[18]           La SPR n’a pas jugé crédible l’allégation des demandeurs selon laquelle ils étaient harcelés et persécutés parce que leurs enfants vivaient à l’étranger et qu’ils étaient considérés comme des opposants au régime islamique. Selon les faits, les demandeurs sont allés rendre visite à leurs enfants à l’étranger à quatre reprises entre décembre 2003 et octobre 2008, et la SPR en a conclu que les activités politiques de leurs enfants n’avaient entraîné aucune conséquence négative pour les demandeurs.

 

[19]           Il n’apparaissait pas crédible à la SPR que le demandeur ait été arrêté, maintenu en détention et interrogé en octobre 2009. Selon les éléments de preuve, les demandeurs auraient participé à des manifestations politiques pour protester contre les élections présidentielles de 2009. Bon nombre d’Iraniens avaient participé à ces manifestations, et il était peu probable que les demandeurs aient été ciblés en particulier. La crédibilité du demandeur principal a également été mise en doute après que celui‑ci a déclaré qu’il avait été forcé de signer un engagement dont il n’avait pas fait mention dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[20]           La SPR était aussi d’avis que le demandeur principal aurait dû produire des éléments de preuve corroborant son arrestation et sa détention en octobre 2009. La SPR a suggéré que la secrétaire du demandeur principal (qui aurait averti son épouse qu’il avait été mis en détention et avec qui le demandeur principal avait gardé contact après son départ de l’Iran) pourrait fournir des éléments de preuve corroborants.

 

[21]           De l’avis de la SPR, le demandeur principal n’a pas non plus su étayer son allégation selon laquelle les agents du renseignement étaient les personnes qui l’avaient détenu en octobre 2009. À l’audience, le demandeur principal n’a pas pu expliquer pourquoi les agents du renseignement l’auraient ciblé; il a en outre admis que Najafi aurait en réalité pu avoir embauché les personnes qui l’avaient détenu.

 

[22]           En l’absence de preuve corroborante, la SPR n’a pas jugé vraisemblable que le demandeur principal ait appris d’une connaissance d’un ami à l’aéroport qu’on l’empêcherait de quitter l’Iran ou qu’une relation affaires l’ait informé des accusations de nature politique portées contre lui. La SPR se serait attendue à ce que les demandeurs produisent des attestations de tierces parties avec lesquelles ils n’ont aucun lien de parenté pour appuyer ces allégations (par exemple l’ami connaissant la personne à l’aéroport ou la relation d’affaires). Ils auraient pu étayer les allégations selon lesquelles les autorités avaient questionné leurs voisins en Iran et le gérant de l’immeuble qui abritait leur condominium à leur sujet pour obtenir des attestations similaires.

 

[23]           La SPR a tiré une conclusion défavorable des attestations que les demandeurs ont présentées. Selon la SPR, les attestations présentées montraient que les demandeurs connaissaient l’importance de produire des éléments de corroboration. Or, aucune des attestations n’avait de valeur probante pour ce qui est de l’arrestation et de la détention du demandeur principal en octobre 2009 ou des détails concernant leur vol pour quitter l’Iran. Les déclarations de leur fils sur ces questions étaient des ouï‑dire et n’avaient aucune valeur probante.

 

[24]           La SPR n’a pas admis l’explication du demandeur principal selon laquelle il n’avait pas obtenu d’attestation de son partenaire d’affaires étant donné que « son ami était dans une situation délicate et qu’il ne se serait pas senti en sécurité s’il avait été sollicité pour fournir une attestation écrite » (décision au paragraphe 16).

 

[25]           Dans son analyse de la crédibilité, la SPR a également déclaré que les demandeurs n’éprouvaient pas de crainte subjective parce qu’ils avaient en réalité attendu près de trois mois avant de présenter leur demande d’asile après leur arrivée à Montréal. Leur explication selon laquelle ils espéraient retourner en Iran n’était pas crédible, car elle ne concordait pas avec leur allégation voulant que les autorités iraniennes aient cherché à les empêcher de fuir l’Iran, ni avec leurs allégations précédemment exposées aux paragraphes 5 à 16.

 

[26]           Quant au fait que l’épouse du demandeur principal craignait la persécution en raison de sa foi soufie, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas de risque raisonnable ou de possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée, selon la prépondérance des probabilités. D’après la SPR, l’épouse du demandeur principal a reconnu qu’elle n’avait jamais souffert personnellement, qu’elle allait à la mosquée de Téhéran trois fois par semaine et qu’elle n’en avait pas subi de conséquences négatives, qu’elle prenait des précautions, et que les restrictions sur la pratique religieuse sont moins sévères à Téhéran que dans d’autres villes.

 

[27]           Enfin, la SPR n’estimait pas que les demandeurs seraient exposés à un risque en Iran parce qu’ils avaient fait une demande d’asile au Canada. À la lumière de l’un des éléments de preuve sur la situation dans le pays visé, la SPR a conclu « qu’il est difficile de déterminer comment sont traitées les personnes qui retournent et comment elles sont perçues par le régime » (décision au paragraphe 20).

 

VI. Questions en litige

[28]           1)   Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient‑elles déraisonnables?

2)   La SPR a‑t‑elle à tort conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque après avoir demandé l’asile au Canada?

 

VII. Dispositions législatives pertinentes

[29]           Les dispositions législatives pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VIII.    Thèse des parties

[30]           Le demandeur principal soutient que l’analyse de la crédibilité de la SPR était déraisonnable et que la SPR avait également conclu de façon déraisonnable que lui‑même et son épouse n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’ils ont déposé une demande d’asile au Canada.

 

[31]           Le demandeur principal est d’avis qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de déduire des visites qu’il a faites au Royaume‑Uni avec son épouse que les opinions politiques de leurs enfants ne leur faisaient courir aucun risque. Les demandeurs soutiennent que la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve selon lequel les autorités iraniennes savaient avant octobre 2009 que leurs enfants vivaient au Royaume‑Uni ou qu’ils avaient demandé l’asile là‑bas.

 

[32]           Le demandeur principal déclare en outre que le fait qu’il ait omis de décrire l’engagement dans son FRP est un détail mineur qui n’aurait pas dû influer sur l’analyse de la crédibilité effectuée par la SPR.

 

[33]           De l’avis du demandeur principal, la SPR a agi déraisonnablement en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait qu’il ait omis de présenter des attestations, car il n’était pas tenu de présenter de tels éléments de preuve et il lui aurait été impossible de les obtenir. Le demandeur principal renvoie la Cour à l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, qui prévoit que les demandeurs d’asile doivent transmettre à la Section des documents acceptables pour établir leur identité et les autres éléments de leur demande. S’ils ne peuvent le faire, ils doivent en donner la raison et indiquer quelles mesures ils ont prises pour s’en procurer. Le demandeur principal prétend que les attestations ne font pas partie des documents requis à l’article 7. Par ailleurs, il était déraisonnable de s’attendre à ce que de tels éléments de preuve puissent être obtenus, car toutes les personnes qui pouvaient corroborer la version des faits du demandeur principal vivaient en Iran. Les communications avec ces personnes pouvaient être interceptées par les autorités iraniennes, ce qui exposait les demandeurs à des risques.

 

[34]           Le demandeur principal affirme en outre qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de déduire des attestations de leur fils et d’un adepte du soufisme que lui et son épouse connaissaient l’importance de fournir des attestations et qu’ils auraient dû en obtenir d’autres. Le demandeur principal soutient que ces autres attestations provenaient de personnes qui ne vivaient pas en Iran et qui ne courraient aucun risque s’ils fournissaient des attestations.

 

[35]           Le demandeur principal affirme que la demande de la SPR en vue d’obtenir des éléments corroborants est déraisonnable, car elle ne précise pas quels aspects de sa demande doivent être étayés.

 

[36]           Le demandeur principal déclare n’avoir pas affirmé lors de son témoignage que les personnes qui l’avaient détenu étaient des agents de Najafi et il dit croire que Najafi aurait pu inciter les autorités iraniennes à enquêter sur son comportement.

 

[37]           À la question de savoir si le temps qu’il avait attendu avant de faire une demande d’asile est le signe d’une absence de crainte subjective, le demandeur principal soutient qu’une telle attente n’est pas concluante et que l’explication qu’il en a donnée était crédible. Le demandeur principal affirme que sa décision de demander l’asile était motivée non par les efforts déployés par les autorités iraniennes pour l’empêcher de quitter l’Iran, mais plutôt par les accusations de nature politique portées contre lui. À son avis, la SPR aurait dû faire la distinction.

 

[38]           Enfin, le demandeur principal prétend que la SPR a été déraisonnable en concluant que lui et son épouse n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’ils avaient fait une demande d’asile au Canada. La conclusion selon laquelle il n’y avait pas d’élément de preuve convaincant quant à la façon dont les autorités iraniennes perçoivent les demandeurs d’asile déboutés ne concordait pas avec la preuve relative à la situation dans le pays. Le demandeur principal soutient que la SPR a ignoré cet élément de preuve et qu’elle doit expliquer pourquoi elle n’y a accordé aucune importance.

 

[39]           Le défendeur réplique que l’analyse de la crédibilité effectuée par la SPR était raisonnable compte tenu des incohérences décelées dans le témoignage du demandeur principal. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de conclure que les demandeurs n’auraient pas pu rentrer en Iran après leur visite au Royaume‑Uni si les autorités iraniennes avaient soupçonné que les demandeurs ou leurs enfants faisaient preuve de dissidence politique. Que les autorités aient su ou non que leur fils et leur fille vivaient au Royaume‑Uni ne changerait rien à cette conclusion. Compte tenu de la participation massive des Iraniens aux mouvements de protestation contre les élections présidentielles de 2009, il était également raisonnable de conclure qu’il était très improbable que le demandeur principal eût été ciblé en particulier en octobre 2009. Enfin, la SPR avait raison de considérer comme invraisemblable le récit des faits livré par le demandeur principal au sujet de son départ de l’Iran.

 

[40]           Le défendeur soutient également que la SPR a agi raisonnablement en demandant à obtenir des éléments de preuve corroborants. Citant Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1091, le défendeur affirme que la SPR avait raison de demander à obtenir des éléments de preuve documentaires corroborants compte tenu des incohérences décelées dans le témoignage du demandeur principal. Le défendeur renvoie la Cour à Encinas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 61, pour appuyer la proposition selon laquelle la SPR peut tirer une inférence défavorable de l’omission d’un demandeur de produire des éléments de preuve corroborants.

 

[41]           Enfin, le défendeur affirme que la SPR a conclu de façon raisonnable que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque en Iran après avoir demandé l’asile au Canada. Selon le défendeur, la SPR a examiné les éléments de preuve sur la situation dans le pays et les a jugés non concluants à cet égard.

 

IX. Analyse

Norme de contrôle

[42]           La norme de contrôle applicable aux conclusions de la SPR relatives à la crédibilité et à la crainte subjective est celle du caractère raisonnable (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1379). La norme du caractère raisonnable s’applique aussi à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur principal et son épouse ne seraient pas exposés à un risque en tant que demandeurs d’asile déboutés (Wa Kabongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 348).

 

[43]           Étant donné que la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour peut seulement intervenir si les motifs de la Commission ne sont pas « justifiés, transparents ou intelligibles ». Pour répondre à cette norme, la décision doit également appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

1) Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient‑elles déraisonnables?

[44]           La Section de la protection des réfugiés peut raisonnablement tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait qu’un demandeur a omis de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa demande si son témoignage sur des questions clés est dépourvu de crédibilité parce qu’il contient des incohérences et des invraisemblances flagrantes. Dans Morka, précité, le juge Luc Martineau a conclu que, dans certaines circonstances, il est raisonnable de fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur l’absence de documents étayant les allégations d’un demandeur (au paragraphe 18).

 

[45]           À propos du fait que le demandeur principal a affirmé n’être pas tenu de produire des affidavits ou des attestations à l’appui provenant de tierces parties, il convient de préciser qu’un demandeur a le fardeau de démontrer qu’il a qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger (Nagamuthu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1195, au paragraphe 12). À cette fin, les demandeurs d’asile pourraient devoir produire des documents à l’appui dans certaines circonstances, comme c’est le cas en l’espèce.

 

[46]           Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (HCR/1P/4/FRE/REV.1 Réédité, Genève, janvier 1992, UNHCR 1979) [Guide sur le statut de réfugié] donne les directives suivantes sur les circonstances où des documents à l’appui peuvent s’avérer nécessaires :

[196]    C’est un principe général de droit que la charge de la preuve incombe au demandeur. Cependant, il arrive souvent qu’un demandeur ne soit pas en mesure d’étayer ses déclarations par des preuves documentaires ou autres, et les cas où le demandeur peut fournir des preuves à l’appui de toutes ses déclarations sont l’exception bien plus que la règle. Dans la plupart des cas, une personne qui fuit la persécution arrive dans le plus grand dénuement et très souvent elle n’a même pas de papiers personnels. Aussi, bien que la charge de la preuve incombe en principe au demandeur, la tâche d’établir et d’évaluer tous les faits pertinents sera‑t‑elle menée conjointement par le demandeur et l’examinateur. Dans certains cas, il appartiendra même à l’examinateur d’utiliser tous les moyens dont il dispose pour réunir les preuves nécessaires à l’appui de la demande. Cependant, même cette recherche indépendante peut n’être pas toujours couronnée de succès et il peut également y avoir des déclarations dont la preuve est impossible à administrer. En pareil cas, si le récit du demandeur paraît crédible, il faut lui accorder le bénéfice du doute, à moins que de bonnes raisons ne s’y opposent.

 

[...]

 

[203]    Il est possible qu’après que le demandeur se sera sincèrement efforcé d’établir l’exactitude des faits qu’il rapporte, certaines de ses affirmations ne soient cependant pas prouvées à l’évidence. Comme on l’a indiqué ci‑dessus (paragraphe 196), un réfugié peut difficilement « prouver » tous les éléments de son cas et, si c’était là une condition absolue, la plupart des réfugiés ne seraient pas reconnus comme tels. Il est donc souvent nécessaire de donner au demandeur le bénéfice du doute.  

 

[204]    Néanmoins, le bénéfice du doute ne doit être donné que lorsque tous les éléments de preuve disponibles ont été réunis et vérifiés et lorsque l’examinateur est convaincu de manière générale de la crédibilité du demandeur. Les déclarations du demandeur doivent être cohérentes et plausibles, et ne pas être en contradiction avec des faits notoires. [Non souligné dans l’original.]

 

[47]           En somme, selon le Guide sur le statut de réfugié, il n’est pas nécessairement obligatoire pour un demandeur d’asile de fournir des documents à l’appui s’il provient d’un pays où ceux‑ci sont difficiles à obtenir; toutefois, si le témoignage du demandeur est dénué de crédibilité ou de vraisemblance, il doit l’étayer de documents corroborants. Dans la mesure où les réfugiés peuvent avoir de la difficulté à rassembler l’information à l’appui de leurs déclarations (comme il est observé dans le Guide sur le statut de réfugié), la SPR peut exiger de façon tout à fait raisonnable qu’un demandeur dont le témoignage n’apparaît pas crédible et vraisemblable, et qui est donc dénué de logique inhérente, produise des attestations de tierces parties au lieu des autres documents.

 

[48]           Il convient de noter que la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve établissant que les autorités étaient au courant des activités politiques de leurs enfants au moment de leur dernière visite au Royaume‑Uni en septembre et en octobre 2008 (dossier du tribunal [DT], à la page 32). Le demandeur principal a déclaré dans son témoignage que les autorités savaient que leurs enfants prenaient part à des activités de nature politique au Royaume‑Uni, mais son témoignage ne permettait pas déterminer avec certitude quand ces activités avaient eu lieu :

[traduction]

Q.        Vous ont‑ils demandé de signer un engagement et de verser une garantie?

 

R.        J’ai signé quelque chose, oui. J’ai signé un engagement à ne participer à aucune manifestation et ils ont aussi parlé de la situation concernant la présence de mes enfants devant l’ambassade de l’Iran à Londres, ils ont aussi parlé de cela. Et je me suis fait dire qu’ils les avaient aussi filmés et photographiés. [Non souligné dans l’original.]

 

(DT, à la page 362)

 

Cette déclaration contredit l’argument du demandeur principal selon lequel la SPR ne disposait d’aucun élément d’information montrant que les autorités savaient que ses enfants résidaient au Royaume‑Uni; or, étant donné que cette partie du témoignage est tirée de la description que le demandeur principal a faite de sa participation aux mouvements de protestation en 2009, il est probable que la situation décrite ci‑dessus était également liée aux protestations de 2009. Comme la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve qui aurait pu laisser croire que les autorités étaient au courant des activités politiques de leurs enfants au moment où les demandeurs ont visité le Royaume‑Uni, cet aspect précis de l’analyse de la crédibilité n’est pas concluant.

 

[49]           L’analyse globale de la SPR quant à la crédibilité demeure‑t‑elle raisonnable malgré ces conclusions? Les considérations qui précèdent représentaient les deux seuls aspects équivoques des conclusions de la SPR quant à la crédibilité. Ces doutes ne permettent pas en soi de tirer de l’omission de présenter des attestations et des visites au Royaume‑Uni des inférences défavorables quant à la crédibilité, mais il revient à la Cour de déterminer si l’analyse de la crédibilité effectuée par la SPR est raisonnable dans l’ensemble. Dans Abid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 483, le juge Martineau a conclu que la Cour doit se concentrer sur le caractère raisonnable global de la décision de la SPR, et que les erreurs doivent être déterminantes pour entacher le caractère raisonnable de la conclusion globale tirée par la SPR (au paragraphe 22).

 

[50]           L’évaluation défavorable de la crédibilité reposait sur des incohérences et des invraisemblances décelées à juste titre. Premièrement, le demandeur principal a affirmé que la participation aux manifestations de protestation contre les élections présidentielles de 2009 était massive (DT, à la page 361). Le demandeur principal a en outre déclaré qu’il n’était pas un [traduction] « meneur » et qu’il n’était qu’un parmi des « millions » de protestataires (DT, à la page 361). Bien que des preuves documentaires confirment que [traduction] « [d]es centaines de gens ordinaires qui sont descendus dans la rue pour faire entendre leurs opinions ou leurs préoccupations relativement aux élections ont également été arrêtés » (DT, à la page 111), il serait raisonnable de considérer comme invraisemblable qu’il ait été ciblé en particulier un mois après les protestations à l’été 2009. La SPR a rejeté avec raison l’explication que le demandeur principal a donnée dans son FPR et dans son témoignage, selon laquelle il aurait peut‑être été ciblé des suites des manœuvres du propriétaire d’une entreprise concurrente, Najafi, qui avait des liens allégués avec le régime islamique en Iran (DT, aux pages 24 et 361). Deuxièmement, les incohérences entre le FRP et le témoignage du demandeur principal au sujet de l’engagement sont mineures, mais le caractère généralement invraisemblable de cet incident permet raisonnablement de tirer une inférence défavorable. Enfin, il serait raisonnable de mettre en doute le témoignage du demandeur principal au sujet de l’information qui lui a été communiquée par la source alléguée de l’aéroport, la connaissance de son ami, selon laquelle il serait empêché de quitter l’Iran. Il y aurait lieu et il serait acceptable de conclure que la possibilité que le demandeur principal ait reçu de tels renseignements est hautement improbable.

 

[51]           Au caractère raisonnable des conclusions de la SPR quant à la crédibilité s’ajoute le fait que le demandeur principal a attendu avant de demander l’asile. Le retard n’est pas un facteur déterminant en soi (Huerta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 157 NR 225, [1993] ACF no 271 (QL/Lexis) (CAF), au paragraphe 4), mais lorsque la crédibilité d’un demandeur a été globalement mise en doute, ce facteur peut démontrer l’absence de crainte subjective (Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1291, au paragraphe 62). La prétention du demandeur principal selon laquelle il a décidé de demander l’asile après avoir appris que des accusations de nature politique auraient été portées contre lui n’explique pas le retard de façon satisfaisante. Il serait raisonnable de conclure qu’il n’aurait pas eu l’intention de revenir en Iran si les événements allégués l’avaient contraint à fuir le pays. Dans un tel contexte, le fait que le demandeur principal ait attendu de faire sa demande peut raisonnablement mener à conclure à une absence de crainte subjective.

 

[52]           L’inférence défavorable quant à la crédibilité tirée par la SPR apparaît raisonnable du point de vue global du caractère raisonnable. Même si la SPR a pu agir déraisonnablement en exigeant d’obtenir des attestations de tierces parties dans les circonstances préalablement décrites, ces aspects de l’analyse de la crédibilité réalisée par la SPR n’étaient toutefois pas déterminants. Cela dit, d’autres aspects de l’analyse de la crédibilité de la SPR étaient manifestement déterminants et répondent à la norme du caractère raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 16 à 18).

 

2) La SPR a‑t‑elle à tort conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque après avoir demandé l’asile au Canada?

 

[53]           La SPR a également eu raison de conclure que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque après avoir demandé l’asile au Canada.

 

[54]           Le demandeur principal a renvoyé la SPR à trois éléments de preuve sur la situation dans le pays à cet égard. Dans le premier élément, un rapport sur la situation dans le pays réalisé par le gouvernement australien, on peut lire [traduction] « [qu’il] n’est pas certain si les autorités ou les forces paramilitaires iraniennes soutenant le régime prêtent aux rapatriés des opinions politiques antigouvernementales ou allant à l’encontre de la République islamique simplement parce qu’ils ont demandé l’asile à l’étranger » (DT, à la page 268). Dans le second élément, un rapport d’Amnesty international, il est écrit que [traduction] « [l]es demandeurs d’asile déboutés risquent de se faire arrêter s’ils retournent en Iran, particulièrement s’ils ont été forcés de revenir, auquel cas les autorités sont informées de leur demande d’asile » (DT, à la page 267). Le troisième élément, un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, cite un article de journal rédigé par un ancien juge de la Cour Suprême de l’Iran selon lequel les demandeurs d’asile déboutés pourraient être poursuivis en justice pour avoir fabriqué de toutes pièces des récits de persécution alléguée. Les éléments susmentionnés ne justifient sûrement pas la conclusion à laquelle la SPR est parvenue au sujet des demandeurs, à la différence du manque de crédibilité et de vraisemblance décelé dans l’exposé des facteurs déterminants du demandeur principal qui appuie très certainement la conclusion.

 

[55]           Étant donné que le demandeur s’oppose à ce raisonnement, la Cour doit réévaluer la preuve. Dans Arbelaez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1129, la juge Elizabeth Heneghan a conclu qu’il n’appartient pas à la Cour d’intervenir lorsque la SPR a évalué et soupesé les éléments de preuve contradictoires sur la situation dans le pays (au paragraphe 13). En l’espèce, la SPR a soupesé l’information, certes sommaire, extraite des rapports sur la situation dans le pays et conclu que les demandeurs ne risqueraient pas d’être persécutés parce qu’ils avaient fait une demande d’asile. La décision de la SPR est fondée sur le fait que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié en raison d’un manque de crédibilité du fait que les allégations sont dénuées de logique inhérente, étant donné que des incohérences et des invraisemblances y ont été décelées. La Cour ne peut pas intervenir en soupesant de nouveau la preuve.

 

X. Conclusion

[56]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs est rejetée. Aucune question de portée générale n’est proposée aux fins de certification.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4276‑12

 

INTITULÉ :                                                  REZA KHAZAEI
SHIRIN SHEIKH HARANDI c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 8 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 9 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudette Menghile

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Margarita Tzavelakos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudette Menghile

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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