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Date : 20120529

Dossier : IMM-8010-11

Référence : 2012 CF 656

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2012

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

AIBEK ONGELDINOV

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Le demandeur, M. Aibek Ongeldinov, est citoyen du Kazakhstan, et il est arrivé au Canada au mois de février 2010. Il a présenté ici une demande d’asile fondée sur son origine ethnique – il est kazak, turc et musulman – et sur des liens allégués avec le parti d’opposition Nagiz Akjol et l’Organisation de libération du Turkestan oriental. La sœur du demandeur, son mari, son enfant et ses beaux‑parents (collectivement appelés les membres de la famille du demandeur) sont venus au Canada à compter de 2008. Même si la demande d’asile du demandeur est distincte de celles des membres de sa famille, il existait évidemment assez de points communs entres elles pour qu’elles soient réunies et entendues ensemble par un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Dans un énoncé de motifs unique, daté du 19 octobre 2011 (la décision), la Commission a accueilli les demandes d’asile des membres de la famille du demandeur, mais elle a rejeté celle du demandeur, jugeant qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

II.        Les erreurs que la Commission aurait commises

 

[2]               Le demandeur recherche l’annulation de la décision, la disant entachée des erreurs suivantes :

 

1.                  les conclusions de la Commission à son sujet sont arbitraires, compte tenu du témoignage des membres de sa famille ainsi que de la décision rendue à leur égard;

 

2.                  la conclusion voulant qu’il ait été « vague » quant au nombre de fois où il a été détenu n’est pas fondée sur la preuve;

 

3.                  la conclusion selon laquelle il était invraisemblable que le demandeur ait pu quitter le Kazakhstan s’il y était recherché par les autorités n’est pas fondée sur la preuve;

 

4.                  la Commission n’a pas donné au demandeur la possibilité de s’exprimer au sujet de la contradiction entre son témoignage et une lettre de son père.

 

III.       Analyse

 

[3]               La présente demande portant sur des questions de fait en matière de crédibilité et sur l’appréciation de la preuve, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.  Selon cette norme, la Cour ne doit pas intervenir dans une décision lorsque celle‑ci fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme l’a établi la Cour suprême du Canada (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47, [2008] 1 RCS 190). Il est de droit constant que la Cour doit tenir compte de la décision dans son ensemble. Il est possible que, prises isolément, des conclusions ne soient pas suffisantes pour justifier le rejet d’une demande d’asile, mais que la conclusion générale de la Commission soit quand même raisonnable, compte tenu de problèmes relevés dans les témoignages et la preuve. C’est ce qui s’est produit ici.

 

[4]               La Commission a fait état, dans sa décision, de tous les éléments de preuve soumis par le demandeur; aucun n’a été omis. Elle a exposé assez brièvement les raisons fondamentales du rejet de la demande d’asile. Elle a écrit, au paragraphe 60 de sa décision :

J’estime que [...] [le] demandeur d’asile n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir qu’il a un profil politique et qu’il serait susceptible d’attirer l’attention sur lui au Kazakhstan. Il a dit qu’il ne s’était pas exprimé et qu’il avait à peine participé à certaines manifestations. Il y a des incohérences quant au moment et au nombre de fois où il a été détenu par les autorités. J’estime qu’il a ajouté les périodes de détention à son récit pour l’embellir. Il a déclaré qu’il craignait d’être arrêté s’il retournait dans son pays parce qu’il est recherché par les autorités, et pourtant, il lui a été permis de quitter le pays. Il est invraisemblable qu’il lui soit permis de quitter le pays s’il était sur la liste des personnes recherchées.

 

 

[5]               Je passe maintenant à l’examen de chacune des erreurs alléguées.

 

A.        Le caractère arbitraire de la décision

 

[6]               Le demandeur s’appuie abondamment, dans son argumentation, sur de prétendues similitudes entre son témoignage et sa preuve et ceux des membres de sa famille, pour soutenir que la Commission a rendu à son sujet des conclusions différentes alors que la preuve était la même, ce qui démontre, à son avis, qu’elle a rejeté arbitrairement sa demande d’asile. Le problème général d’un tel raisonnement découle de ce que le « récit » du demandeur doit pouvoir tenir seul. Le fait est que le demandeur n’a pas fondé sa demande d’asile sur les demandes des membres de sa famille ou sur ses liens avec eux.  Le formulaire de renseignements personnels du demandeur décrit la propre expérience de ce dernier et renferme peu de mentions concernant les membres de sa famille; il n’y avait, devant la Commission, aucun élément de preuve indiquant que le demandeur avait connu des problèmes du fait de ses liens avec eux. La Commission a indiqué très clairement que, même si les demandes avaient été réunies pour l’audition, il y avait trois séries d’allégations à examiner et que l’examen s’en ferait séparément.

 

[7]               Le fait que le demandeur s’appuie sur les résultats auxquels ont mené les témoignages des membres de sa famille et sur les décisions de la Commission à leur égard est que le contrôle judiciaire ne porte pas sur ces conclusions. La décision de la Commission n’est pas arbitraire simplement parce qu’elle diffère, relativement au demandeur, de celles qui ont été rendues à l’égard des membres de sa famille, en particulier lorsqu’on examine la preuve soumise par le demandeur.

 

[8]               La demande d’asile du demandeur reposait sur son profil politique, lequel lui aurait valu d’être emprisonné et de subir d’autres mauvais traitements aux mains des autorités. Toutefois, lorsqu’il a été interrogé à l’audience, le demandeur a reconnu qu’il n’avait : (a) aucun document établissant son appartenance à une organisation ou à un parti politique, (b) aucun certificat médical pouvant confirmer qu’il avait été maltraité par les autorités, (c) aucune lettre indiquant qu’il avait des liens avec un parti politique ou qu’il avait été blessé; (d) aucun document, hormis une carte d’étudiant, pour montrer qu’il fréquentait l’université. Cette preuve étaye la conclusion de la Commission qu’il n’avait pas de profil politique susceptible d’attirer l’attention des autorités. Je reconnais que la Commission aurait pu faire mention de l’absence de documents de façon plus détaillée, mais il lui était certainement possible de conclure, compte tenu de l’absence de documents auxquels on pourrait raisonnablement s’attendre, que le demandeur n’avait pas de profil politique.

 

B.        Témoignage vague

 

[9]               La Commission indique dans ses motifs que le demandeur « a été vague quant au nombre de fois où il a été détenu. Il a finalement dit qu’il avait été détenu quatre fois » (non souligné dans l’original). Selon le demandeur, la transcription n’étaye pas la conclusion que son témoignage était vague. Je ne suis pas de cet avis.

 

[10]           Le demandeur signale l’extrait suivant du témoignage :

[traduction]

AGENT DU TRIBUNAL :  Bon, je ne vous suis pas. Combien de fois exactement avez‑vous été détenu par la police turque et combien de fois par la police kazakhe?

 

DEMANDEUR D’ASILE : En Turquie, deux fois. Et au Kazakhstan, trois ou quatre fois.

 

AGENT DU TRIBUNAL :  Vous rappelez-vous si c’était trois ou quatre fois, monsieur?

 

DEMANDEUR D’ASILE : J’ai été pris quatre fois.

 

[11]           La réponse finale semble avoir été fournie rapidement, mais il est certain que le demandeur a d’abord donné une réponse différente, qui pouvait être qualifiée de « vague ». Cette réponse initiale vague, bien qu’elle soit un point mineur, étaye la conclusion générale de la Commission, sans compter qu’une transcription ne saurait remplacer l’écoute en temps réel du témoignage. Le mot « vague » pourrait se rapporter en partie à la façon dont les réponses ont été données. Il s’agit d’un type d’appréciation qui ne peut être fait que par le tribunal qui entend le témoignage. Il n’y a pas là d’erreur susceptible de contrôle.

 

C.        Conclusion relative à l’invraisemblance

 

[12]           Le demandeur trouve à redire à la conclusion de la Commission selon laquelle il n’est pas vraisemblable que les autorités lui aient permis de quitter le pays s’il était sur la « liste des personnes recherchées ». Il signale d’abord que la Commission n’a pas tiré de semblable conclusion à l’égard des membres de sa famille, même si eux aussi alléguaient qu’ils avaient été arrêtés et avaient quand même été autorisés à quitter le pays. Pour les motifs exposés ci‑dessus, la situation des membres de la famille du demandeur est tout simplement dénuée de pertinence.

 

[13]           Le demandeur fait également valoir que cette conclusion est [traduction] « déraisonnable par elle‑même ».

 

[14]           Dans sa décision, la Commission s’est reportée au document daté du 8 avril 2011 du Département d’État des États‑Unis sur le Kazakhstan, tiré du Country Reports on Human Rights Practices for 2010, qui figurait dans le cartable national de documentation sur le Kazakhstan. À la page 292 du dossier certifié du Tribunal, on peut lire l’extrait suivant de ce rapport :

[traduction]

Le gouvernement n’exige pas de visa de sortie pour les voyages temporaires des citoyens mais, il y a eu des cas où il a pu refuser que des citoyens quittent le pays, notamment si des poursuites judiciaires criminelles ou civiles étaient pendantes contre eux, s’ils faisaient l’objet de peines d’emprisonnement non purgées ou s’ils étaient astreints au service militaire.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[15]           Le demandeur fait valoir que, puisqu’il ne faisait pas l’objet de « poursuites judiciaires » au moment de son départ, ce passage ne permet pas de soutenir la conclusion relative à l’invraisemblance.

 

[16]           Le bon sens et la rationalité me disent qu’une personne qui a eu des démêlés sérieux avec les autorités aurait du mal à quitter le pays sous sa propre identité. En l’espèce, pourtant, le demandeur a nié avoir eu quelque problème à quitter le Kazakhstan. Ce recours au bon sens est appuyé par le Rapport, lequel a été porté à la connaissance du demandeur.

 

[17]           De plus, il s’agissait tout simplement là d’un problème supplémentaire du témoignage du demandeur ayant mené à la conclusion générale de la Commission.

 

[18]           Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle.

 

D.        La lettre du père

 

[19]           Peu après l’audience, le demandeur a déposé des observations écrites ainsi qu’une lettre qui aurait été envoyée par son père et qui affirmait que le demandeur avait été arrêté et détenu en juillet 2009. Voici comment la Commission a évalué cette lettre :

Le père de l’autre demandeur d’asile a produit une lettre selon laquelle il a été arrêté et détenu pendant deux semaines après son retour en Turquie en juillet 2009. Il est également indiqué dans la lettre qu’il a encore été arrêté en décembre 2009, mais la durée de la détention n’est pas précisée. J’estime qu’il s’agit d’une lettre intéressée et qu’elle ne correspond pas à l’exposé circonstancié énoncé dans le FRP; je ne lui accorde donc aucune importance.

 

[Note de bas de page omise]

 

[20]           Dans son témoignage, le demandeur avait déclaré avoir été arrêté au mois de juin 2009, non juillet 2009 comme l’écrit son père. Le demandeur fait valoir que les contradictions dans la lettre auraient dû lui être signalées.

 

[21]           En règle générale, la Commission doit signaler les contradictions aux demandeurs d’asile avant de fonder sur elles une conclusion négative quant à la crédibilité (Guo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1185 (QL) (1re inst.); Torres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 212, [2002] ACF no 277). Toutefois, l’omission de le faire ne constitue pas toujours une erreur susceptible de contrôle (Ngongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1627, (QL) (1re inst.)). La question de savoir si une contradiction doit être signalée expressément à un demandeur d’asile dépend des faits de chaque affaire.

 

[22]           S’agissant des faits de la présente espèce, la première chose à signaler est que la Commission ne s’est pas appuyée sur cette contradiction pour tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Elle a plutôt conclu, compte tenu des contradictions entre la lettre du père et le FRP du demandeur, que la lettre elle‑même ne constituait pas un élément de preuve fiable ou convaincant. Il s’agit d’une conclusion que la Commission pouvait raisonnablement tirer.

 

[23]           Deuxièmement, la lettre a été fournie à l’avocat du demandeur après l’audience. La contradiction dans les dates d’arrestation est d’une évidence flagrante, et l’avocat du demandeur aurait pu l’expliquer dans ses observations finales.

 

[24]           Dans les circonstances, la Commission n’était pas tenue de rouvrir l’audience pour permettre au demandeur de répondre à cette contradiction manifeste. Il n’y a pas eu d’erreur susceptible de contrôle.

 

IV.       Conclusion

 

[25]           En résumé, la Commission a conclu que le récit du demandeur n’établissait tout simplement pas l’existence d’éléments constitutifs de persécution au sens des articles 96 ou 97 de la LIPR. Le fait que les membres de la famille du demandeur ont pu rassembler des éléments de preuve différents et obtenir l’acceptation de leur demande d’asile ne fait pas disparaître les faiblesses de la preuve présentée par le demandeur.  J’estime que la décision rendue par la Commission au sujet du demandeur est raisonnable; elle fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[26]           Aucune des parties n’a soumis de question pour certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8010-11

 

INTITULÉ :                                      AIBEK ONGELDINOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 29 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laoura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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