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Date : 20130115

Dossier : T-662-12

Référence : 2013 CF 36

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

RASPER INNOCENT ATUTORNU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, datée du 9 mars 2012, par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de citoyenneté canadienne pour une enfant adoptée par un citoyen canadien. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

Les faits

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire porte sur Believe Nyuimedi Atutornu (Mme Atutornu), une ressortissante du Ghana âgée de 18 ans. Le demandeur est son oncle. Le demandeur est né au Ghana, a quitté ce pays en 1998 pour étudier en Belgique, puis est devenu citoyen canadien en 2006.

 

[3]               Mme Atutornu est née au Ghana, le 6 août 1994. Ses parents biologiques sont Daniel Atutornu, le frère du demandeur, et Dorothy Adanuvor. Au départ, Daniel Atutornu a nié être le père, et Dorothy Adanuvor a été incapable de s’occuper de Mme Atutornu. Par conséquent, en 1998, le demandeur et son épouse ont adopté Mme Atutornu conformément à la coutume de leur village. Après que le demandeur eut quitté le Ghana, Mme Atutornu, alors âgée de deux ans, a vécu avec l’épouse et la mère du demandeur. En 2001, l’épouse du demandeur a elle aussi quitté le Ghana, mais Mme Atutornu a continué de vivre avec sa grand-mère.

 

[4]               En 2009, le demandeur est retourné au Ghana en raison du décès de sa mère. C’est alors qu’il a officiellement adopté Mme Atutornu. Le 9 octobre 2009, le demandeur a obtenu une ordonnance d’adoption provisoire d’un tribunal de circuit du Ghana. L’ordonnance prévoyait que Mme Atutornu était adoptée provisoirement pour deux ans puis, si aucune objection n’était soulevée, définitivement.

 

[5]               Le demandeur a aussi entamé le processus d’obtention de la citoyenneté pour Mme Atutornu. Pour ce faire, il a fourni deux certificats de naissance détaillés. Selon le certificat daté du 20 octobre 2009, et donc postérieur à l’ordonnance d’adoption, le demandeur et son épouse sont les parents de Mme Atutornu. Le registraire des naissances et des décès a certifié qu’il s’agit d’une copie authentique.

 

[6]               Selon le certificat de naissance plus récent, daté du 5 septembre 2009, Daniel Atutornu et Dorothy Adanuvor sont les parents de Mme Atutornu. Le registraire des naissances et des décès a indiqué, en cochant une case, que ce certificat de naissance est [traduction] « un faux, car les détails ne concordent pas avec les détails inscrits au registre ».

 

[7]               L’agent d’immigration a envoyé une lettre d’équité procédurale datée du 29 novembre 2011, pour donner au demandeur l’occasion de fournir des éléments de preuve supplémentaires jusqu’au 29 janvier 2012. Dans cette lettre, l’agent a aussi expliqué que l’ordonnance d’adoption provisoire n’était pas suffisante pour prouver l’existence de l’adoption de Mme Atutornu.

 

[8]               En réponse, le demandeur a dit être prêt à fournir les résultats de tests d’ADN pour démontrer que Mme Atutornu était vraiment sa nièce et il a demandé une prorogation de délai de deux mois. L’agent d’immigration n’a pas répondu au demandeur.

 

[9]               Le demandeur a quand même obtenu les résultats de tests d’ADN qui démontrent que Daniel Atutornu et Dorothy Adanuvor sont les parents biologiques de Mme Atutornu. Le demandeur a aussi obtenu une ordonnance d’adoption définitive. L’agent d’immigration n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve, car il n’avait pas accordé de prorogation de délai au demandeur.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[10]           Dans une décision datée du 9 mars 2012, l’agent d’immigration a rejeté la demande de citoyenneté canadienne pour les motifs suivants, en application du paragraphe 5.1(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 :

(1)                L’adoption n’a pas créé un véritable lien affectif parent‑enfant entre l’adoptant et l’adopté, car les droits des parents biologiques n’ont pas été éteints. L’agent d’immigration a souligné que le demandeur avait seulement fourni une ordonnance d’adoption provisoire et non une ordonnance définitive.

(2)                L’adoption n’a pas été faite conformément au droit du lieu de l’adoption, c’est-à-dire le Ghana. Là encore, l’agent d’immigration a mentionné l’absence d’ordonnance d’adoption définitive. De plus, l’agent d’immigration a affirmé que le tribunal ghanéen s’était fondé sur un faux document, à savoir le certificat de naissance selon lequel les parents biologiques étaient les parents de l’enfant.

(3)                L’agent d’immigration n’était pas convaincu que l’adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut relatif à l’immigration, car il estimait que la preuve au dossier n’était pas fiable.

 

[11]           L’agent d’immigration a dit qu’il ne pouvait déterminer avec certitude la nature véritable de la relation entre les personnes concernées par l’adoption. À cet égard, l’agent d’immigration a souligné que la mère du demandeur avait demandé la résidence permanente au Canada, mais qu’elle n’avait pas identifié Daniel Atutornu comme son fils dans cette demande. L’agent d’immigration a aussi affirmé que, lors d’une entrevue avec un autre agent d’immigration, Daniel Atutornu n’avait pas nié être le père de Mme Atutornu.

 

[12]           L’agent a mentionné l’intention du demandeur de fournir les résultats de tests d’ADN, mais il a conclu que cet élément de preuve n’aurait pas eu un lien direct avec le faux certificat de naissance. Il a reproché au demandeur de ne pas avoir fourni le certificat de naissance abrégé, lequel aurait été délivré peu de temps après la naissance de Mme Atutornu. La mère biologique de cette dernière a dit qu’elle ne retrouvait pas ce certificat abrégé.

 

La question en litige

 

[13]           En l’espèce, la question déterminante est de savoir si l’agent d’immigration a respecté les exigences de l’équité procédurale. Cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Je me suis aussi penché sur la manière dont l’agent d’immigration avait traité les éléments de preuve, une question qui est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

 

L’analyse

 

[14]           L’agent d’immigration n’a pas donné au demandeur une occasion équitable de répondre à ses préoccupations.

 

[15]           L’agent d’immigration a mis en doute l’authenticité des liens entre Mme Atutornu, ses parents biologiques, sa grand-mère et ses parents adoptifs. Les résultats des tests d’ADN auraient eu une valeur probante relativement à ces préoccupations. Néanmoins, l’agent d’immigration a affirmé que ces éléments de preuve n’auraient pas eu de lien direct avec la question du « faux » certificat de naissance. Cette appréciation de la preuve est déraisonnable. La preuve génétique était pertinente relativement à l’exactitude du certificat de naissance.

 

[16]           Puisque le certificat de naissance abrégé avait été perdu, la preuve génétique était le seul moyen dont le demandeur disposait pour répondre aux préoccupations de l’agent d’immigration. En refusant de proroger le délai pour une courte période, l’agent d’immigration a empêché le demandeur d’avoir une possibilité équitable de répondre à ces préoccupations.

 

[17]           Par ailleurs, je conclus que la décision elle-même est déraisonnable.

 

[18]           D’abord, pour ce qui est du « faux » certificat de naissance, le registraire des naissances et des décès a indiqué que les détails inscrits sur ce certificat ne correspondaient pas à ceux qui figurent au registre. À la lumière du dossier, il existe une explication évidente que l’agent d’immigration n’a pas considérée : le certificat de naissance qui comporte le nom des parents adoptifs porte une date postérieure à celle de l’ordonnance judiciaire qui opéré un transfert du statut légal de parent. Compte tenu de l’ordonnance d’adoption, le registraire a peut-être conclu que le certificat de naissance original n’était plus valide. Il est vrai qu’en principe, la Cour reconnaît que les documents officiels délivrés par des États étrangers sont authentiques et font foi de la véracité de leur contenu, mais, dans les circonstances, l’agent devait tenir compte de l’explication donnée par le demandeur. Cela est d’autant plus vrai dans les cas où, comme en l’espèce, un document est considéré comme « faux » parce qu’il ne correspond pas aux renseignements inscrits au registre et non pas parce qu’il s’agit d’une copie falsifiée. L’agent d’immigration a agi déraisonnablement en faisant une fixation sur le terme « faux » sans tenir compte de l’explication du registraire et des circonstances.

 

[19]           Ensuite, je ne vois pas quelle pertinence il faudrait accorder au fait que, dans sa demande de résidence permanente, la mère du demandeur n’avait pas indiqué que Daniel Atutornu est son fils. Il ne fait aucun doute que cette omission aurait été pertinente dans l’évaluation de sa propre demande, mais elle ne devrait pas empêcher Mme Atutornu d’obtenir la citoyenneté canadienne. La question de savoir si Daniel Atutornu et le demandeur sont vraiment frères n’est pas pertinente en l’espèce. Ce qui importe, c’est que Daniel Atutornu est le père biologique de Mme Atutornu et qu’il ne s’oppose pas à son adoption par le demandeur. Je conclus sur ce point en mentionnant que cette omission semble moins grave lorsque l’on reconnaît que la mère du demandeur a aussi omis d’identifier quatre autres de ses enfants dans sa demande, un fait que l’agent d’immigration n’a pas mentionné.

 

[20]           Enfin, l’agent a agi déraisonnablement en fondant sa décision sur le fait que l’ordonnance d’adoption était provisoire à ce moment-là. Comme le montre l’ordonnance elle-même et comme il avait été expliqué à l’agent, l’ordonnance d’adoption est devenue définitive le 9 octobre 2011.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision est annulée. L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                             T-622-12

 

INTITULÉ :                                      RASPER INNOCENT ATUTORNU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 4 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                           Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rasper Innocent Atutornu

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Khatidja Moloo

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

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