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Date : 20130116

Dossier : T-1884-11

Référence : 2013 CF 40

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2013

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

FALLAN DAVIS et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

défenderesses

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 18 novembre 2005, Teiohontathe Fallan Davis s’est présentée au poste frontalier canadien de Cornwall (Ontario), et a demandé à être réadmise au Canada. Les échanges subséquents que Mme Davis a eus avec les employés de l'Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] l’ont amenée à déposer une plainte auprès de la Commission canadienne de droits de la personne.

 

[2]               Dans sa plainte, Mme Davis prétend que les agents de l’ASFC ont violé les droits que lui confère l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la LCDP], en la défavorisant à l’occasion de la fourniture de services destinés au public parce qu’elle est une jeune femme autochtone.

 

[3]               Après enquête sur la plainte de Mme Davis, la Commission a renvoyé celle-ci au Tribunal canadien des droits de la personne pour qu’il tienne une audience. L’ASFC a finalement déposé devant le Tribunal une requête en vue d’obtenir le rejet de la plainte parce qu’elle ne fournissait pas des « services » au sens de l’article 5 de la LCDP lorsque ses employés se sont acquittés de leurs tâches en appliquant les dispositions de la Loi sur les douanes, LRC. 1985, c 1 (2e suppl.).

 

[4]               Le Tribunal a rejeté la requête de l’ASFC en concluant que, en soumettant Mme Davis et son véhicule à une première et à une deuxième inspection, les agents de l’ASFC fournissaient bel et bien des « services » au sens de l’article 5 de la LCDP. L’ASFC sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, j'ai conclu que la décision du tribunal était raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

LE CONTEXTE FACTUEL

[6]               Mme Davis est une résidente de la réserve d’Akwesasne près de Cornwall (Ontario). Mme Davis vit au Canada, mais une partie de la réserve où vit sa communauté est située aux États‑Unis, de sorte qu’elle traverse souvent la frontière au point d’entrée de l’Île de Cornwall [PDE] afin de rendre visite à sa famille, d’aller travailler, d’aller reconduire sa fille à l’école, etc. Mme Davis prétend qu’il lui arrive parfois de traverser la frontière dix fois par jour.

 

[7]               Mme Davis affirme que, la journée en question, alors qu’elle retournait chez elle au Canada, un agent de l’ASFC au point d’entrée de l’île de Cornwall lui a ordonné de ranger son véhicule afin qu’une autre inspection soit faite. Au cours de la deuxième inspection, le véhicule de Mme Davis a été inspecté grâce à un Système d'inspection des véhicules et du fret, qui est utilisé pour détecter les compartiments cachés. Le véhicule a également été fouillé par plusieurs agents de l’ASCF, qui ont découvert des marchandises non déclarées d’une valeur de 250 $. Après avoir dit aux agents de l’ASFC qu’elle allait appeler à l’aide la Warrior Society de la nation Mohawk, Mme Davis a reçu l’autorisation d’entrer au Canada sans avoir à acquitter de droits de douane sur ces marchandises.

 

[8]               Dans sa plainte, Mme Davis prétend que, en décidant de lui faire subir une autre inspection, les agents de l’ASFC se sont livrés à un profilage racial en raison du fait qu’elle est une jeune femme autochtone. Elle prétend de plus qu’elle a fait l’objet d’une grande méfiance et qu’elle a été traitée d’une manière agressive de la part des agents de l’ASFC, et que ceux-ci ont proféré des insultes racistes à son endroit. Enfin, Mme Davis prétend que cet incident reflète l’existence d’une discrimination systémique exercée par des agents de l’ASFC contre des membres de sa communauté.

 

[9]               L’ASFC a nié les allégations de Mme Davis.

 

La disposition législative en litige

[10]           L'article 5 de la LCDP prévoit ce qui suit :

 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

 

a) d’en priver un individu;





b
) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

 It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public




(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or
 

(b) to differentiate adversely in relation to any individual,

 

on a prohibited ground of discrimination.

 

[11]           L’article 3 de la LCDP mentionne la race, le sexe et l’âge, comme motifs de distinction illicite.

 

La norme de contrôle applicable

[12]           Avant de se pencher sur la question du bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire, il faut d’abord déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision du Tribunal.

 

[13]           Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur affirme que la question de savoir si les actes posés par les fonctionnaires du gouvernement dans le cadre de l’application des lois fédérales constituent un « service » destiné au public au sens de l’article 5 de la LCDP est contrôlable selon la norme de la décision correcte.

 

[14]           À l’appui de cette prétention, le demandeur invoque la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c Watkin, 2008 CAF 170, [2008] ACF no 710 [Watkin]. Dans cette décision, la Cour a jugé que la question de savoir si les actes reprochés dans cette affaire constituaient des « services » au sens de l’article 5 de la LCDP était une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité, et, donc, une question assujettie à la norme de la décision correcte. Toutefois, la Cour a également souligné que, en renvoyant la plainte de Monsieur Watkin au Tribunal pour instruction, la Commission n’a formulé, quant à la question des « services », aucun motif à l’égard duquel la Cour pourrait faire preuve de retenue.

 

[15]           Normalement, étant donné que la norme de contrôle applicable à la question en litige en l’espèce a déjà été tranchée par un tribunal d’appel, l’affaire serait close : voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57 [Dunsmuir].

 

[16]           Cela dit, l’avocat du demandeur a souligné que la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans Watkin deux mois seulement avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans Dunsmuir. Il a en outre reconnu que la jurisprudence de la Cour suprême a beaucoup évolué depuis ce temps. En effet, l’avocat a affirmé en toute franchise que, compte tenu de la jurisprudence la plus récente de la Cour suprême, il lui serait « difficile » d’affirmer que la norme de la décision correcte est toujours la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la question en litige. Je suis d’accord avec lui.

 

[17]           La question en litige dans la présente instance est une question mixte de fait et de droit. Elle a par ailleurs été tranchée par un tribunal expert – un tribunal qui est autorisé par la loi à trancher des questions de droit : voir les paragraphes 48.1(2) et 50(2) de la LCDP.

 

[18]           Dans la mesure où le Tribunal était tenu d’interpréter les dispositions de la LCDP pour déterminer si les actes en litige en l’espèce constituaient des « services » pour les besoins d’une plainte fondée sur l’article 5, il est maintenant bien établi que les décisions comportant l’interprétation de la loi habilitante d’un tribunal appellent l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable et n’appellera l’application de la norme de contrôle de la décision correcte que dans des cas très précis : voir, par exemple, Smith c Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 RCS. 160, au paragraphe 28 [Smith], et Dunsmuir, précité, aux paragraphes 58-61.

 

[19]           Cette affirmation s’applique tout autant aux décisions du Tribunal canadien des droits de la personne : voir Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 RCS 471 [Mowat].

 

[20]           En outre, notre compréhension de ce qui constitue une « question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité » a également beaucoup évolué depuis que l’arrêt Watkin a été rendu. En effet, dans les décisions qu’elle a rendues depuis Dunsmuir, la Cour suprême a mentionné à maintes reprises que les tribunaux siégeant en contrôle judiciaire doivent se détacher des notions traditionnelles générales de « compétence » et faire montre d’une plus grande retenue à l’égard des décideurs spécialisés qui interprètent leur loi habilitante : voir Mowat, précité, au paragraphe 24; Smith, précité, au paragraphe 28. En effet, dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2008] ACF no 710, au paragraphe 34, la Cour suprême se demande si la catégorie des « véritables questions de compétence » existe vraiment.

 

[21]           Je ferais également remarquer que dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Pankiw, 2010 CF 555, [2010] ACF no 657, la Cour a appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable à une décision rendue par le Tribunal quand à ce qui constitue un service destiné au public au sens de l’article 5 de la Loi.

 

[22]           Peut-être plus important encore, dans Alliance de la fonction publique du Canada c Canada (Agence du revenu), 2012 CAF 7, [2012] ACF no 40, autorisation de pourvoi refusée, [2012] CSCR no102, la Cour d’appel fédérale a récemment statué que la Cour n’a commis aucune erreur en appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable à une décision du Tribunal portant que les mesures de cotisation prises par le ministre du Revenu national en conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu, RCS 1985, c 1 (5e Suppl.) ne sont pas des « services » au sens de l’article 5 de la LCDP : voir le paragraphe 2.

 

[23]           Par conséquent, je suis convaincue que la décision du Tribunal devrait être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Lors de l'examen d'une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s'attacher à la justification, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, et examiner si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir les arrêts Dunsmuir, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59.

 

La décision du tribunal était-elle raisonnable?

[24]           Pour commencer l’analyse, il convient de souligner que la Cour suprême du Canada a affirmé à maintes reprises qu'il convient d'interpréter les lois relatives aux droits de la personne de façon large, libérale et en fonction de leur objet, d'une manière qui concorde avec leurs objectifs prédominants, de façon à garantir que l'on atteint le mieux possible les objectifs réparateurs de ces lois : voir, par exemple, Canada (Procureur général) c Mossop, [1993] 1 RCS 554, [1993] ACS no 20, aux pages 611-612; Insurance Corp. of British Columbia c Heerspink, [1982] 2 RCS 145, 3 C.H.R.R. D/1163; Commission ontarienne des droits de la personne c Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 RCS 536, [1985] ACS no 74; C.N. c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 RCS 1114, [1987] ACS no 42.

 

[25]           Toutefois, cette méthode d’interprétation ne permet aucune interprétation qui serait incompatible avec le texte de la loi : Nouveau-Brunswick (Commission des droits de la personne) c Potash Corporation of Saskatchewan Inc., 2008 CSC 45, [2008] 2 RCS 604, au paragraphe 19.

 

[26]           La demanderesse s’appuie fortement sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Watkin à l’appuie de sa prétention selon laquelle les actes en litige posés par les agents de l’ASFC ne constituent pas un « service » au sens de l’article 5 de la LCDP. Selon la demanderesse, le Tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte des principes énoncés dans Watkin, et en ne suivant pas la méthode analytique dégagée par la Cour d’appel fédérale dans cette affaire.

 

[27]           Afin de mettre en contexte les observations formulées par la demanderesse, il faut d’abord tenir compte de ce que la Cour d’appel fédérale avait à dire dans Watkin à propos de l’interprétation qu’il convient de donner au terme « services » tel qu’il est utilisé à l’article 5 de la LCDP.

 

[28]           L’affaire Watkin découle d’une plainte en matière de droits de la personne déposée par un actionnaire d’une société qui commercialisait et vendait des produits phytopharmaceutiques destinés tant à la consommation humaine qu’à la consommation animale. Il était allégué dans la plainte que Santé Canada avait accordé un traitement préférentiel aux entreprises asiatiques et à une entreprise exploitée par une Première Nation en réglementant les produits phytopharmaceutiques asiatiques de façon moins rigoureuse que les produits non asiatiques ou les produits vendus par les Premières Nations.

 

[29]           Dans Watkin, on reprochait à Santé Canada d’avoir sommé la société à laquelle appartenait le plaignant de cesser la promotion et la vente de certains produits et d’avoir ordonné le rappel, puis la saisie, des produits en question.

 

[30]           La Cour d’appel fédérale a expressément rejeté l’avis exprimé dans les premières affaires relatives aux droits de la personne comme Bailey et al c Ministre du Revenu national (1980), 1 C.C.D.P. D/193 et LeDeuff c Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (1987), 8 C.C.D.P. D/3690, à la page D/3693 (conf. par (1989), 9 C.C.D.P. D/4479), suivant lequel toutes les mesures prises par le gouvernement dans l'exercice d'une fonction prévue par la loi constituent des « services » au sens de l'article 5 parce qu'elles sont prises par la fonction publique pour le bien public : voir Watkin, précité au paragraphe 32.

 

[31]           La Cour d’appel fédérale a conclu que, en appliquant la Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F-27, de la manière qui lui est reprochée, Santé Canada ne fournissait pas des « services [...] destinés au public » au sens de l'article 5 de la LCDP. Selon la Cour, « [l]es agissements en question sont des mesures coercitives destinées à assurer le respect de la Loi. Le fait que ces mesures ont été prises dans l'intérêt public n'en fait pas des « services » : Watkin, précité, au paragraphe 22.

 

[32]           La Cour a ajouté que les « services » visés à l'article 5 de la LCDP, s'entendent de « quelque chose d'avantageux qui est “offert” ou “mis à la disposition” du public » et comportent quelque chose qui s’inscrit « dans le cadre d'une relation publique »: Watkin, précité, au paragraphe 31.

 

[33]           Selon la Cour d’appel fédérale, les mesures visant à faire respecter la loi sont offertes ou mises à la disposition du public et ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une relation publique. Par conséquent, les mesures d'application de la loi de Santé Canada ne sont pas des « services » au sens de l'article 5 de la LCDP : Watkin, précité, au paragraphe 31.

 

[34]           Par analogie, la demanderesse prétend que les agents de l’ASFC auxquels Mme Davis a eu affaire le 18 novembre 2005 s’acquittaient de leur mandat d’application de la loi conféré par la Loi sur les douanes. Aucun des agissements en litige en l’espèce ne comportaient quelque chose d’avantageux offert à Mme Davis. Les agissements des agents de l’ASFC étaient plutôt des mesures coercitives visant à garantir que Mme Davis se conforme aux dispositions de la Loi sur les douanes.

 

[35]           Par conséquent, la demanderesse prétend que le Tribunal a commis une erreur en ne suivant pas l’arrêt Watkin, et que, en conséquence, sa conclusion que les agissements de l’ASFC ont été commis dans le contexte de la prestation d’un service était déraisonnable.

 

[36]           Dans ses motifs, le Tribunal a examiné de façon assez détaillée les observations formulées par les parties relativement à l’importance de la décision Watkin. Le Tribunal a expliqué que la décision de la cour d’appel fédérale se distinguait par ses faits et n’était donc pas déterminante quant à la question en litige en l’espèce. En effet, il ressort clairement de la décision du Tribunal qu’il a accepté l’argument de la Commission voulant que [traduction] « [l]a relation entre [Mme Davis] et l’ASFC est différente sur le plan qualitatif de la relation entre les parties dans Watkin » : décision du Tribunal, au paragraphe 18.

 

[37]           Cette conclusion était tout à fait raisonnable, car le contexte factuel qui a donné lieu à la plainte de Mme Davis est bien différent du contexte factuel de l’affaire Watkin dont la Cour d’appel fédérale était saisie. En effet, il s’agit en l’espèce d’autres agents, à l’emploi d’un autre organisme, dont les activités sont assujetties à un régime législatif tout à fait différent.

 

[38]           L’argument de la demanderesse repose sur une vision très étroite de l’affaire. Les actes posés par les agents de l’ASFC dans le cadre de l’exécution du mandat d’application de la loi qui leur est conféré par la Loi sur les douanes ne peuvent pas être dissociés du contexte plus large dans lequel ces actes ont été posés et des autres aspects du mandat de l’ASFC qui sont entrés en jeu dans le cadre du processus.

 

[39]           En l’espèce, Mme Davis s’est présentée à un point d’entrée au Canada. Elle recherchait bel et bien « quelque chose d'avantageux » pour elle, à savoir sa réadmission au Canada. C’est dans ce contexte qu’elle est entrée en contact avec des agents de l’ASFC et les événements qui ont eu lieu se sont produits « dans le cadre d’une relation publique », comme il est dit dans Watkin.

 

[40]           Il n’est pas donné à entendre, dans Watkin, que Santé Canada était tenu d’aider des vendeurs dans le cadre de la vente de produits réglementés. En revanche, comme le Tribunal l’a souligné, la facilitation de la circulation des personnes à la frontière fait expressément partie du mandat conféré par la loi à l’ASFC. Le paragraphe 5(1) de la Loi sur l'Agence des services frontaliers du Canada, LC 2005, c 38, prévoit que l’ASFC « est chargée de fournir des services frontaliers intégrés contribuant à la mise en œuvre des priorités en matière de sécurité nationale et de sécurité publique et facilitant le libre mouvement des personnes et des biens [...] qui respectent toutes les exigences imposées sous le régime de la législation frontalière ».

 

[41]           Il convient également de souligner que la disposition susmentionnée fait mention de la fourniture de « services frontaliers intégrés » en décrivant cet aspect du mandat de l’ASFC. 

 

[42]           De plus, dans ses propres publications, l’ASFC se présente comme offrant des services destinés au public. Par exemple, le site Web de l’ASFC comprend une section intitulée « Servir nos clients » et comprend un engagement envers « l’excellence du service ». Le site mentionne que les clients de l’ASFC comprennent notamment les citoyens canadiens, les résidents permanents et les visiteurs au Canada.

 

[43]           Le site Web comprend également un document intitulé « Notre engagement de service » dans lequel il est mentionné que l’ASFC s'engage à fournir le « meilleur service possible ». De plus, la section de ce document intitulée « Aidez-nous à vous aider » mentionne clairement que l’« engagement de service » de l ASFC s’applique spécifiquement aux vérifications effectuées aux postes frontaliers.

 

[44]           Par conséquent, l’exigence formulée au paragraphe 31 de Watkin voulant que « quelque chose d’avantageux » est « offert » à titre de service et est « mis à la disposition du public » a manifestement été satisfaite au vu du dossier en l’espèce.

 

[45]           Cela ne veut pas dire que tout ce que l’ASFC fait constituera nécessairement un service destiné au public au sens de l’article 5 de la LCDP. L’agence exécutera peut-être des activités d’application de la loi qui ne satisferont pas au critère relatif aux « services » qui a été établi par la Cour d’appel fédérale dans Watkin. Il n’est toutefois pas nécessaire ou opportun, en l’espèce, de tenter de déterminer ces activités. Chaque situation donnant lieu à une plainte en matière de droits de la personne devra être examinée en fonction des faits qui lui sont propres afin de déterminer si les agissements en litige constituent des « services » au sens de l’article 5 de la Loi.

 

[46]           Il suffit de dire, comme je l’ai déjà expliqué, que le Tribunal, au vu du dossier dont il était saisi, pouvait raisonnablement tirer la conclusion selon laquelle les agents de l’ASFC ont posé les actes en litige en l’espèce dans le contexte de la prestation d’un service destiné au public. En conséquence, la décision du Tribunal appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[47]           Cette conclusion est suffisante pour trancher la présente demande. Je souligne toutefois que le Tribunal a fourni des motifs additionnels pour conclure que l’ASFC fournissait en l’espèce des services destinés au public. Ces motifs additionnels méritent d’être commentés.

 

[48]           Le Tribunal a invoqué le Règlement sur les enquêtes sur les droits de la personne en matière des douanes et de l'accise, DORS/83-196 [Règlement EDPDA], qui fixe les modalités de conduite des enquêtes sur les plaintes touchant les droits de la personne relativement aux douanes. Selon le Tribunal, ce règlement [traduction] « établit un droit public de déposer des plaintes en vertu de la LCDP relativement à la manière dont les agents de l’ASFC traitent les voyageurs dans le cadre de l’application du droit fédéral en matière de douanes et d’accise ».

 

[49]           Je suis d’accord avec la demanderesse pour affirmer qu’il n’était pas raisonnable de la part du Tribunal d’invoquer le Règlement EDPDA. Comme la Commission l’a reconnu à juste titre, le droit de déposer des plaintes en matière de droits de la personne est établi par la LCDP elle-même et non pas par le Règlement EDPDA.

 

[50]           De plus, bien que l’article 3 du Règlement EDPDA comprenne une mention relative aux plaintes reçues par la Commission relativement à des actes posés par des agents de l’ASFC dans le cadre de l’application d’une loi, un examen du Règlement révèle que ces actes sont de nature procédurale. C’est ce qui ressort du titre intégral du Règlement, c’est-à-dire le Règlement fixant les modalités de conduite des enquêtes sur les plaintes touchant les droits de la personne relativement aux douanes et à l’accise. Le Règlement ne vise pas à interpréter le terme « services » au sens où il est employé à l’article 5 de la LCDP et il ne confère aucun droit fondamental.

 

[51]           C’est également à tort que le Tribunal a invoqué les protocoles d’entente conclus entre la Commission et l’ASFC. Comme il est souligné par l’auteur de l’affidavit, les protocoles d’entente définissent [traduction] « les procédures, les rôles, les responsabilités et les délais visant à guider l’examen et le traitement des plaintes déposées contre l’ASFC et la Commission [...] ».  Les protocoles font également mention de mesures que les deux organismes prendraient afin d’empêcher la discrimination.

 

[52]           Encore une fois je le répète, ces documents (tous les deux sont postérieurs à l’incident qui est à l’origine de la plainte en matière de droits de la personne qui a été déposée par Mme Davis) ne visent pas à interpréter le terme « services » au sens où il est employé à l’article 5 de la LCDP et il ne confère aucun droit fondamental au plaignants à cet égard. En outre, il n’aurait pas été loisible aux parties d’élargir ou de circonscrire d’un commun accord la signification d’un terme employé dans une loi, en l’espèce le terme « services ».

 

[53]           Compte tenu de ma conclusion relative au caractère raisonnable de la conclusion que le Tribunal a tirée en se fondant sur le critère établi par la Cour d’appel fédérale dans Watkin, ces erreurs n’ont toutefois aucune incidence sur l’issue de l’affaire. Pour la même raison, il n’est pas nécessaire d’analyser les arguments formulés par la demanderesse relativement au fait que le Tribunal a invoqué des décisions rendues par des tribunaux et des cours provinciales dans lesquelles des actes d’application de la loi posés par la police ont été qualifiés de « services » aux fins de l’application de lois portant sur les droits de la personne.

 

Dispositif

[54]           Pour ces motifs, j’ai conclu que la conclusion du Tribunal selon laquelle l’ASFC fournissait bel et bien un « service » destiné au public lorsqu’elle a eu des contacts avec Mme Davis le 18 novembre 2005, était raisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Conformément à l’entente conclue entre les avocats, aucuns dépens ne sont adjugés.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR STATUE ce qui suit

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1884-11

 

INTITULÉ :                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

                                                            FALLAN DAVIS ET AUTRES

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 9 janvier 2013

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 16 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sean Gaudet

Laura Tausky

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brian Smith

Sarah Pentney

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WILIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DEMANDERESSE

DIVISION DES SERVICES DU CONTENTIEUX

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Canada)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

 

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