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Date : 20121119

Dossier : IMM-913-12

Référence : 2012 CF 1334

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2012

En présence de monsieur le juge en chef

 

entre :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B380

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le défendeur est un citoyen tamoul du Sri Lanka, âgé de 26 ans, qui est arrivé au Canada le 13 août 2010 en tant que passager à bord du MV Sun Sea. Entre autres choses, il prétend qu’il ne peut pas retourner en toute sécurité dans son pays parce qu’il est perçu comme étant un partisan des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (les TLET).

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a accepté sa demande d’asile sur place après avoir tiré les conclusions suivantes :

 

a)      le demandeur appartient à un « groupe social » décrit à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), du fait qu’il est un Tamoul, qui était passager à bord du MV Sun Sea;

b)                  tout porte à croire qu’il serait perçu comme étant « un cadre des TLET » et qu’il serait donc exposé à un risque grave de persécution s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

[3]               Le demandeur soutient que la Commission a commis des erreurs lorsqu’elle a tiré ces deux conclusions. Je partage cet avis.

 

[4]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande sera accueillie.

 

[5]               Bien que, dans ses observations écrites, le demandeur ait soulevé une troisième question, relative à l’équité procédurale, lors de l’audience à la Cour, il a déclaré qu’il n’allait pas de l’avant avec cette question. Par conséquent, cette question ne sera plus débattue dans les présents motifs.

 

I.          Le contexte

 

[6]               De 2005 à 2008, le défendeur vivait dans une région du Sri Lanka contrôlée par les TLET. Toutefois, il a été en mesure d’éviter d’être recruté par les TLET, parce que ces derniers avaient une politique selon laquelle un seul membre de chaque famille était obligé de servir dans leur organisation, et l’un de ses frères était décédé pendant qu’il était un agent au service des TLET.

 

[7]               En septembre 2008, il a été déplacé en raison de l’avancée de l’armée du Sri Lanka. Pendant les quelque huit mois suivants, il a vécu durant de courtes périodes de temps dans plusieurs villes avant d’être emmené dans un camp pour personnes déplacées, camp géré par les autorités du Sri Lanka. À un moment donné, pendant son séjour dans ce camp, on l’a soupçonné d’être un partisan des TLET, et il a subi un interrogatoire. Après plusieurs mois, il a été libéré du camp sur la base de modalités prévoyant notamment une obligation de se présenter régulièrement, malgré qu’il ait perdu la carte indiquant qu’il était exempt de service dans les TLET.

 

[8]               Plusieurs mois plus tard, le défendeur a rencontré un de ses frères; ce dernier l’a aidé à rencontrer un « agent » qui l’a aidé à obtenir un passeport et une place à bord du MV Sun Sea.

 

II.        La décision soumise au contrôle

 

[9]               Après avoir admis l’identité du défendeur, la SPR a déclaré qu’elle avait de « graves préoccupations au regard de la crédibilité » quant à la preuve. En raison de ces préoccupations au regard de sa crédibilité, et de l’absence d’éléments corroborants fiables pour les craintes prétendues du défendeur, la SPR a rejeté ses prétentions telles qu’elles étaient énoncées dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), élément de sa demande d’asile.

 

[10]           Toutefois, la SPR a fait observer qu’« un certain nombre de faits pertinents demeur[aient] ». En particulier, la SPR a déclaré que son lien au MV Sun Sea à titre de passager tamoul « [était] une association antérieure qui ne [pouvait] être modifiée ». Sur la base de cette conclusion, la SPR a décidé qu’il appartenait à un « groupe social » au sens de l’article 96 de la LIPR.

 

[11]           La SPR s’est ensuite fondée sur un rapport publié le 10 août 2010 dans le journal Toronto Star pour tirer la conclusion selon laquelle « tout porte à penser [que le défendeur] sera perçu comme un cadre des TLET s’il est renvoyé au Sri Lanka ». Après avoir brièvement fait référence à la documentation sur la situation du pays, laquelle indiquait que certains combattants des TLET avaient été remis en liberté par le gouvernement, tandis que des milliers d’autres étaient victimes de torture ou même d’exécutions sommaires, la SPR a conclu que le défendeur serait exposé à un risque grave de persécution s’il était renvoyé au Sri Lanka.

 

[12]           Par conséquent, la SPR a accepté sa demande d’asile.

 

III.       La norme de contrôle

 

[13]           Les conclusions de la Commission relativement à la question du lien avec l’un des motifs de protection énoncés à l’article 96 soulèvent une question de droit et une question mixte de faits et de droit. La question de droit consiste à savoir s’il y a des limites au champ d’application de l’expression « groupe social » contenue dans cet article et, si c’est le cas, quelle est l’étendue de ces limites. Il s’agit là d’une question d’interprétation de la loi constitutive de la Commission et de la jurisprudence qui y est liée, et elle ne soulève pas de questions d’une importance capitale pour le système juridique et étrangères au domaine d’expertise de la SPR, de questions touchant véritablement à la compétence, de questions constitutionnelles ou de questions liées à la délimitation des compétences entre deux tribunaux. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 55 à 61 (Dunsmuir); Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, aux paragraphes 30 à 47).

 

[14]           La question mixte de fait et de droit quant au lien consiste à savoir s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve dans le dossier dont la SPR disposait pour lui permettre de conclure que le défendeur appartenait à un groupe social au sens de l’article 96. Cette question aussi est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 à 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 45 à 46; Jimenez Herrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 499, au paragraphe 7; Chekhovskiy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 970, au paragraphe 18 (Chekhovskiy); Jayesekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1393, aux paragraphes 17 à 24).

 

[15]           De même, la question soulevée quant au bien‑fondé de la crainte du défendeur, question qui se rapporte dans une large mesure à certaines conclusions factuelles tirées par la SPR, mais qui comporte aussi des éléments de fait et de droit, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

IV.       Analyse

A.    Le lien

 

[16]           Le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que « les hommes tamouls passagers du navire Sun Sea » constituent un groupe social au sens de l’article 96 de la LIPR. Je partage cet avis.

 

[17]           Aux paragraphes 63 à 70 de l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, (Ward), la Cour suprême a décidé que « l’engagement qu’a pris la communauté internationale de garantir, sans distinction, les droits fondamentaux de la personne », comme le reflète le préambule de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, RT Can 1969 no 6 (la Convention sur les réfugiés), fournit une limite inhérente au champ d’application de la protection prévue par l’article 96. Lorsqu’on applique cette approche au sens de l’expression « groupe social » contenue à l’article 96, la Cour suprême note qu’on « devrait tenir compte des thèmes sous‑jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés ». À cette fin, la Cour suprême a décrit les trois catégories possibles de groupes qui « permettent d’établir une bonne règle pratique en vue d’atteindre ce résultat » :

a)                  les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

b)                  les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association;

c)                  les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

 

[18]           Dans sa décision, la SPR a basé sa conclusion relative au lien sur la troisième des catégories énoncées ci‑dessus, lorsqu’elle a déclaré que le lien du défendeur au MV Sun Sea à titre de passager tamoul « [était] une association antérieure qui ne [pouvait] être modifiée ».

[19]           Le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a tiré cette conclusion, parce que [traduction] « voyager à bord du MV Sun Sea n’a rien à voir avec les droits de la personne ou des pratiques antidiscriminatoires ».

 

[20]           Le défendeur n’est pas d’accord. Il maintient que, parce qu’il est un jeune homme tamoul qui a voyagé au Canada à bord du MV Sun Sea, il sera soupçonné par les autorités du Sri Lanka d’avoir des liens avec les TLET et, que par conséquent, il sera exposé à un risque en raison de son appartenance à ce groupe social. Il affirme en outre que : (i) il fait partie de la première des catégories décrites dans l’arrêt Ward et énoncées ci‑dessus, parce qu’il est un jeune Tamoul, et (ii) il appartient à la troisième de ces catégories, parce que le simple fait d’avoir voyagé à bord du MV Sun Sea le met dans un groupe associé par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

 

[21]           Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il affirme qu’être un jeune homme tamoul peut être un fondement suffisant pour déduire qu’il appartient à un groupe social tel qu’il est défini par une caractéristique innée ou immuable, comme cela ressort de la première des trois catégories décrites dans l’arrêt Ward, précité. Toutefois, sur la base des faits précis de l’espèce, le défendeur n’avait pas de crainte de persécution « en raison de » son appartenance à ce groupe social, selon les termes de l’article 96. Cela ressort du fait que la SPR a rejeté ses prétentions énoncées dans son FRP, lesquelles étaient liées à son appartenance à ce groupe, après avoir décrit « de graves préoccupations au regard de la crédibilité » au sujet de sa preuve.

 

[22]           C’est la raison pour laquelle les parties ont mis l’accent, dans leurs observations orales et écrites, sur l’appartenance du défendeur à un groupe plus restreint, à savoir les hommes tamouls du Sri Lanka qui étaient passagers à bord du MV Sun Sea. Le lien entre son appartenance à ce groupe et son allégation qu’il avait raison de craindre d’être persécuté était que les autorités du Sri Lanka le percevraient comme étant affilié aux TLET, du fait qu’il était un passager du MV Sun Sea.

 

[23]           Je ne suis pas d’accord avec la position du défendeur selon laquelle ce groupe restreint constitue un « groupe social » au sens de l’article 96. Je reconnais que le simple fait d’avoir voyagé à bord du MV Sun Sea peut très bien mettre le défendeur dans un groupe associé à un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique. Toutefois, il ressort implicitement de l’approche adoptée dans l’arrêt Ward, précité, que le fait historique d’être venu, volontairement, ensemble, d’une façon spécifique, dans le but ultime de voyager au Canada afin de demander l’asile n’est pas une base suffisante sur laquelle on peut devenir un « groupe social » au sens de l’article 96. Autrement tout groupe de personnes, y compris même une petite famille qui peut être venue ensemble dans ce but, aurait un lien à l’article 96, et les termes « race, religion, nationalité... ou opinion politique » seraient essentiellement superflus (Ward, précité, au paragraphe 61).

 

[24]           Pour faire partie d’un groupe social tel qu’il est décrit à l’article 96, il doit y avoir quelque chose dans le groupe qui est lié à la discrimination ou aux droits de la personne. Ce quelque chose peut comprendre une association pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer ou à modifier cette association. Toutefois, ce quelque chose doit être plus que le simple fait de venir ensemble pour demander l’asile. De plus, ce quelque chose doit être lié à ce que les personnes sont, d’une façon innée ou immuable, contrairement à ce qu’ils font (Ward, précité, aux paragraphes 65 et 66, 69 et 70; Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, aux paragraphes 83 à 86 (Chan) (selon le juge La Forest, opinion dissidente sur une question qui n’a pas été examinée par la majorité).

 

[25]           Dans sa très brève analyse relative à la question du lien, la SPR n’a pas décrit de considérations liées à la discrimination, aux droits de la personne ou au but d’une association si essentielle à la dignité du défendeur qu’on ne devrait pas lui demander de renoncer ou de modifier cette association. Je reconnais que la situation des droits de la personne pour les personnes perçues comme étant [traduction] « des cadres des TLET » a été ultérieurement débattue par la SPR, mais ce débat avait trait à un groupe de personnes plus large, et non pas seulement à ceux qui avaient voyagé à bord du MV Sun Sea.

 

[26]           On ne trouve aucune analyse dans la décision de la SPR, et rien dans le dossier certifié du tribunal ne décrit quoi que ce soit à propos du « groupe social » prétendu d’hommes tamouls qui ont voyagé à bord du MV Sun Sea qui serait lié à la discrimination, aux droits de la personne, ou à la dignité humaine. Selon moi, le fait d’appartenir volontairement à un tel groupe ressemble plus au fait de joindre volontairement une coopérative de chauffeurs de taxi (Chan, précité), ou un groupe formé d’entrepreneurs en construction (Chekhovskiy, précitée, au paragraphe 23), qu’à la décision d’avoir des enfants (Chan, précité) ou de se marier. Devenir un parent ou se marier ne peut pas être considéré comme une simple activité qu’une personne fait, c’est un comportement essentiel à la dignité de la personne (Chan, précité). Aucune personne qui décide d’avoir des enfants ou de se marier ne devrait être forcée de renoncer à son « association volontaire » avec le « groupe » de personnes qui ont pris des décisions semblables. Il ne peut pas en être dit de même des personnes qui joignent volontairement une coopérative de taxi, un groupe formé d’entrepreneurs en construction, ou un groupe de personnes qui ont décidé de voyager au Canada à bord d’un navire en particulier.

 

[27]           Par conséquent, la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les hommes tamouls qui ont voyagé au Canada à bord du MV Sun Sea constituaient un groupe social au sens de l’article 96.

 

[28]           Le défendeur soutient aussi que, bien que cela n’ait pas été une action politique lorsqu’il a embarqué à bord du MV Sun Sea, [traduction] « c’est devenu une question politique lorsque le gouvernement du Sri Lanka a publiquement déclaré l’existence de liens entre le navire et les TLET ». Pour les motifs exposés ci‑dessous, il n’y avait pas de fondement raisonnable, dans les motifs de la SPR ou dans le dossier sous‑jacent de la preuve présenté à l’appui de la demande, pour tirer une telle conclusion.

 

B.     La crainte avec raison d’être persécuté

 

[29]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a tiré des conclusions de fait qui ne sont pas étayées raisonnablement par la preuve. Je partage cet avis.

 

[30]           Premièrement, le demandeur soutient que la SPR a résumé de façon inadéquate un article publié dans le journal Toronto Star le 10 août 2010, sur lequel elle s’est fondée pour conclure que le défendeur craignait avec raison d’être persécuté au Sri Lanka. À cet égard, la SPR a commencé sa brève analyse de l’article par la déclaration suivante :

Le conseil a fourni un document utile ce matin qui établit que le gouvernement du Sri Lanka croit que, du moins c’est ce qu’il a déclaré haut et fort à la population, le Sun Sea fait partie d’une opération entreprise menée au profit des TLET et en vue de secourir ses cadres.

[31]           Toutefois, cela qualifie mal ce que disaient réellement les sources gouvernementales citées ou paraphrasées dans l’article. La seule personne qui a été identifiée dans l’article comme étant un représentant du gouvernement du Sri Lanka est M. Sumith Dassanayake. Il a été décrit comme faisant partie du haut‑commissariat du Sri Lanka à Ottawa. Bien que l’article n’indique pas la position de M. Dassanayake, je suis prêt à supposer (sans nécessairement accepter) qu’il a en réalité fait les déclarations dont on dit qu’il est l’auteur, et qu’il les a faites en tant que représentant du gouvernement du Sri Lanka.

 

[32]           Selon ce qui a été rapporté, M. Dassanayake aurait fait les trois déclarations suivantes :

[traduction]

a)                  « La plupart [des passagers à bord du MV Sun Sea] constituent le noyau dur des TLET (les Tigres tamouls) ».

b)                  « Les Tigres essaient de se regrouper ici et de garder le mouvement actif ».

c)                  Certains ou tous les passagers à bord du MV Sun Sea sont [traduction] « une grave menace à la sécurité du Canada ».

 

[33]           La seule autre référence, dans l’article du Toronto Star, à une déclaration qui aurait été faite pour le compte du gouvernement du Sri Lanka était dans la phrase suivante extraite de l’article : [traduction] « Bien que le gouvernement du Sri Lanka ait averti que le MV Sun Sea était engagé dans un vaste trafic de droits de la personne, les experts en droits de la personne soutiennent que les personnes à son bord étaient des réfugiés légitimes ». Dans cet article, il n’y a aucune indication sur la personne qui a fait cette déclaration, prétendument pour le compte du gouvernement du Sri Lanka.

 

[34]           Comme il en ressort clairement, aucune des déclarations mentionnées ci‑dessus ne dit réellement ni n’établit encore moins que le gouvernement du Sri Lanka croyait que le MV Sun Sea était une opération menée au profit des TLET en vue de secourir ses « cadres ». Il appert que cette déclaration précise a été rapportée comme faite par M. Rohan Gunaratna, qui est décrit comme étant à la tête d’un centre de recherche à Singapour, et un expert des Tigres tamouls.

 

[35]           Le défendeur reconnaît que la SPR a [traduction] « tiré certaines conclusions erronées de l’article du [Toronto Star] », mais il maintient que [traduction] « le cœur de la décision [de la SPR] est étayé par l’article ». Je suis enclin à être d’accord que la première déclaration faite par M. Dassanayake, et citée au paragraphe 32 a) ci‑dessus, peut raisonnablement être interprétée comme donnant à penser que le MV Sun Sea était une opération menée au profit des TLET et faite dans le but de secourir ses « cadres ».

 

[36]           Toutefois, je ne suis pas d’accord avec le défendeur lorsqu’il déclare qu’il était [traduction] « parfaitement logique » que la SPR conclût, sur la seule base des déclarations rapportées dans l’article du Toronto Star, que « tout porte à penser [que le défendeur] sera perçu comme un cadre des TLET s’il est renvoyé au Sri Lanka ». De la même façon, je ne suis pas d’accord avec les observations de l’avocat du défendeur, lors de l’audition de la présente demande, selon lesquelles il était raisonnable que la SPR conclût essentiellement, sur la base des déclarations rapportées dans l’article du Toronto Star, qu’il y avait une possibilité sérieuse que toute personne qui voyageait au Canada à bord du MV Sun Sea et qui était obligée de retourner au Sri Lanka soit torturée ou autrement persécutée par les autorités du Sri Lanka à son arrivée.

 

[37]           Comme cela est souligné au paragraphe 32 ci‑dessus, on a simplement rapporté que M. Dassanayake avait déclaré que la plupart des passagers à bord du MV Sun Sea constituaient [traduction] « le noyau dur des TLET ». On n’a pas rapporté qu’il avait déclaré que toute personne à bord du MV Sun Sea était perçue comme faisant partie de ce groupe de personnes. Même s’il était vrai que le gouvernement du Sri Lanka croyait que la plupart des passagers qui sont arrivés au Canada à bord du MV Sun Sea constituaient le noyau dur des TLET, la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a omis de débattre la question de savoir s’il y avait une possibilité sérieuse que le défendeur soit (i) perçu comme faisant partie de ce groupe de personnes, contrairement à un autre groupe de passagers à bord du MV Sun Sea, à savoir ceux qui constituent le noyau dur des TLET, ou (ii) torturé ou autrement persécuté, soit en raison de cette perception ou dans le but de fournir des renseignements sur d’autres passagers qui ont voyagé à bord du MV Sun Sea.

 

[38]           Je reconnais que la preuve même du défendeur relative à son expérience au Sri Lanka avait été déclarée non crédible. Cependant, cela ne dispense pas la SPR de son obligation d’examiner les aspects supplémentaires qui faisaient partie de son profil particulier de risque, et d’expliquer pourquoi elle a cru, sur la base de ce profil, qu’il craignait avec raison d’être persécuté. Cela était particulièrement important en l’espèce, étant donné la preuve, contenue dans le dossier certifié du tribunal, selon laquelle les personnes qui avaient un niveau d’engagement bas dans les TLET étaient libérées de façon routinière, après une courte période d’interrogatoire qui pouvait inclure une détention. Contrairement à l’affirmation du défendeur, il n’incombait pas au demandeur de prouver que le défendeur ne serait vraisemblablement pas perçu comme un « cadre des TLET », et qu’il n’avait pas de raison de craindre d’être persécuté s’il était obligé de retourner au Sri Lanka.

 

[39]           En résumé, je suis convaincu que la déclaration que la SPR semble avoir attribuée à M. Dassayanake, ainsi que les trois déclarations qu’on dit qu’il a faites, et la déclaration rapportée avoir été faite par une source gouvernementale non identifiée (évoquée au paragraphe 33 ci‑dessus), ne peuvent raisonnablement pas étayer les conclusions tirées par la SPR quant au risque auquel le défendeur serait exposé et au bien‑fondé de sa crainte d’être persécuté. Selon moi, ces conclusions n’appartiennent pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », et elles ne sont pas adéquatement justifiées et intelligibles, vu la preuve contenue dans le dossier dont la SPR disposait (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[40]           Plus fondamentalement, il était déraisonnable que la SPR se base uniquement sur des déclarations générales rapportées dans un article de journal pour tirer la conclusion selon laquelle le défendeur craignait avec raison d’être persécuté au Sri Lanka. De la même façon qu’il serait habituellement déraisonnable de rejeter une demande d’asile uniquement sur la base de déclarations non corroborées rapportées dans un article de journal, il est, de façon similaire, habituellement déraisonnable d’accepter une telle demande uniquement sur cette base.

 

[41]           En ce qui a trait à l’observation du défendeur relative à son opinion politique perçue, elle aussi fondée uniquement sur une déclaration qui aurait été faite par M. Dassayanake, selon laquelle [traduction] « la plupart [des passagers à bord du MV Sun Sea] constituent le noyau dur des TLET », cette observation est rejetée pour les mêmes motifs que ceux énoncés ci‑dessus.

 

[42]           Vu ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner les observations du défendeur relatives aux risques auxquels sont exposées les personnes qui sont perçues comme étant des cadres des TLET, ou qui peuvent établir qu’il y a une possibilité sérieuse qu’elles soient perçues en tant que tels par les autorités du Sri Lanka.

 

[43]           J’ajouterais simplement, en passant, que dans son FRP, et lors de son témoignage, le défendeur a mentionné qu’il avait été remis en liberté après une courte période de temps chaque fois qu’il avait été interrogé par les autorités du Sri Lanka, qu’il avait été photographié de nombreuses fois, et qu’il avait été enregistré sur vidéo au moins une fois. Cela donne à penser qu’il était connu des autorités du Sri Lanka et qu’il n’était pas perçu comme faisant partie du noyau dur des TLET.

 

 

V.        Conclusion

 

[44]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, les conclusions de la SPR quant au lien du défendeur avec un « groupe social » au sens de l’article 96 de la LIPR, et à sa crainte avec raison d’être persécuté par les autorités du Sri Lanka s’il était renvoyé dans ce pays étaient déraisonnables.

 

[45]           Par conséquent, la décision de la SPR d’accueillir la demande d’asile du défendeur sera annulée. L’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen, en conformité avec les présents motifs de jugement.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE en ces termes : la décision par laquelle la SPR a accueilli, le 10 janvier 2012, la demande d’asile du défendeur, en vertu de l’article 96 de la LIPR, est annulée et renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu’il procède à un nouvel examen, en conformité avec les présents motifs.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LLM., M.A.Trad.jur.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-913-12

 

INTITULÉ :                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                  c

B380

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Vancouver (Colombie-Britannique)        

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 30 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge en chef Crampton

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 19 novembre 2012      

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Jennifer Dagsvik

POUR LE DEMANDEUR

 

Shepherd Moss

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Shepherd Moss

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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