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Date : 20130125

Dossier : IMM-4378-12

Référence : 2013 CF 76

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

MOHAMMAD ASHAR MALIK

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Pour des raisons indépendantes de la volonté des participants, des parties et de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), le dossier de preuve pour la présente affaire est un véritable fouillis, et ce, à cause des multiples interventions et des sources de preuve incertaines et peu fiables. Cet état de fait a entraîné un déni de justice naturelle, ce qui exige que l’affaire soit entendue de nouveau. Les faits de l’espèce sont fort inhabituels.

 

[2]               La préoccupation principale de la Cour est l’intérêt de l’enfant, qui a été confié à une société d’aide à l’enfance (SAE). La garde du demandeur a été remise à une SAE. Un représentant a été désigné (le représentant désigné) pour agir au nom du demandeur. Le demandeur a été placé en service d’accueil et il y est toujours.

 

II.        LES FAITS

[3]               Le demandeur est citoyen du Pakistan. Il avait dix ans lorsqu’il est arrivé au Canada et a rempli son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Sa mère et l’une de ses sœurs sont encore au Pakistan et son père et quatre autres de ses sœurs vivent aux États-Unis, pays dont son père est citoyen. Le père du demandeur n’a pas pu venir au Canada pour être présent lors de l’audition de la demande d’asile, car il avait été accusé d’infractions criminelles liées aux stupéfiants et il avait dû rendre son passeport.

 

[4]               Le demandeur est venu au Canada alors qu’il se rendait aux États-Unis pour y vivre avec son père. Le 21 juin 2011, alors qu’il voyageait avec la petite amie de son père, le demandeur a été arrêté par les autorités d’immigration canadiennes.

 

[5]               Par la suite, avec l’aide de son représentant désigné, le demandeur a déposé une demande d’asile et a rempli un FRP. La demande d’asile était fondée sur l’appartenance du demandeur à un groupe social précis en raison de la richesse de son père ainsi que sur l’âge et le sexe du demandeur.

 

[6]               Selon le FRP, les renseignements qui y figurent ont été obtenus du demandeur et de ses parents par l’avocat et le représentant désigné du demandeur. Le FRP explique que le demandeur a fait l’objet de plusieurs menaces et a été victime d’au moins une tentative d’enlèvement. Il semble que ces gestes soient attribuables à la perception selon laquelle le père du demandeur est un homme riche qui vit aux États-Unis.

 

[7]               Le FRP fait aussi état de menaces proférées à l’endroit de la mère du défendeur, de plusieurs incidents où ce dernier a été battu, de demandes d’argent et de menaces d’enlèvement. La famille a porté plainte à la police, mais rien n’a été fait. La famille a donc établi un plan pour que le demandeur quitte le pays et aille vivre avec son père aux États-Unis. Malgré l’état du dossier, il ne fait aucun doute que ni le demandeur ni sa famille ne voulaient que le demandeur reste au Canada et encore moins qu’il y demande l’asile.

 

[8]               À l’audience de la CISR, outre le demandeur lui-même, l’avocat du demandeur, le représentant désigné, un agent de traitement des cas de la SAE et un observateur de la SAE étaient présents aux côtés du demandeur. Toutefois, après s’être identifié, le demandeur a quitté la salle d’audience et a été absent de l’audience tout au long des témoignages.

 

[9]               Ces témoignages étaient un enchevêtrement de ouï-dire fondé sur du ouï-dire. Le représentant désigné et l’agent de traitement des cas ont témoigné au sujet des conversations qu’ils avaient eues avec le demandeur. Fait important, puisque le père du demandeur, qui a témoigné par téléphone, se trouvait aux États-Unis durant la période où les incidents en cause avaient eu lieu, il n’avait aucune connaissance directe de ce qui était arrivé au Pakistan. La mère du demandeur n’a pas témoigné.

 

[10]           La décision de la CISR reposait sur la question de la crédibilité. La CISR a reconnu qu’il s’agissait d’une demande inhabituelle et [traduction] « très difficile à trancher ». La CISR a aussi admis que l’évaluation de la crédibilité posait problème.

 

[11]           Malgré son observation sur la difficulté d’évaluer la crédibilité en l’espèce, la CISR a dit avoir des préoccupations importantes au sujet de la crédibilité du père du demandeur. Le père du demandeur a reconnu qu’il avait une connaissance limitée des incidents survenus au Pakistan parce qu’il n’y était pas durant cette période, mais la CISR tout de même rejeté cette explication quant aux incompatibilités entre le témoignage du père et le FRP, affirmant que le père était la source du récit consigné dans le FRP.

 

[12]           Le dossier comprend une discussion confuse et vague quant à la question de savoir si le demandeur avait été empoigné et blessé lors d’une tentative d’enlèvement ou s’il a dit avoir été battu.

 

[13]           Il ne serait pas vraiment utile que la Cour reprenne l’ensemble de l’analyse extrêmement détaillée du récit attribué au demandeur. Il suffit de dire que la conclusion défavorable de la CISR quant à la crédibilité est fondée sur la connaissance indirecte – aux deuxième ou troisième degrés – que le père avait des faits ainsi que sur le contenu du RPF rempli par des personnes qui agissaient au nom du demandeur et qui s’étaient servis de diverses sources d’information. Même le représentant désigné et l’agent de traitement des cas de la SAE ne savaient pas s’il y avait bel et bien eu enlèvement ou simplement tentative d’enlèvement.

 

III.       ANALYSE

[14]           Bien que la détermination de la crédibilité et les conclusions de fait de la CISR soient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190), le caractère équitable de l’audience est une question de droit qui est assujettie à la norme de la décision correcte.

 

[15]           Il ne fait aucun doute que les personnes qui ont épaulé le demandeur ont fait de leur mieux pour l’aider. Cependant, l’âge du demandeur et la connaissance imprécise des faits qu’avait le père du demandeur leur ont compliqué la tâche.

 

[16]           La CISR s’est égarée dans une analyse des incohérences, souvent mineures, mais qui, dans une affaire normale, sont pertinentes à l’égard de la crédibilité. Toutefois, en l’espèce, ces incohérences découlaient de circonstances échappant au contrôle de qui que ce soit.

 

[17]           Ici, l’élément manquant était le témoignage du demandeur. La question du témoignage des enfants est abordée dans l’une des directives du président de la CISR, la Directive no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure (entrée en vigueur le 30 septembre 1996), laquelle reconnaît qu’il est important de faire preuve de prudence lorsqu’un enfant témoigne. L’équité procédurale exige, au minimum, la tenue d’une nouvelle audience où le demandeur témoignera, une protection qui ne lui a pas été accordée en l’espèce. Il sera alors plus vieux. Il aura aussi connaissance des questions en litige et des témoignages antérieurs. Il reviendra à la CISR de déterminer l’influence que ces facteurs et d’autres facteurs pourraient avoir sur la crédibilité.

 

IV.       CONCLUSION

[18]           Par conséquent, la Cour accueillera la demande de contrôle judiciaire, annulera la décision et renverra l’affaire à la CISR pour faire l’objet d’un nouvel examen par un autre commissaire.

 

[19]           Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire est renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen par un autre commissaire.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4378-12

 

INTITULÉ :                                      MOHAMMAD ASHAR MALIK

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Alyssa Manning

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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