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Date : 20120125

Dossier : IMM-2065-12

Référence : 2013 CF 79

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2013

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

MUHAMMAD AYAZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Muhammad Ayaz, est un citoyen du Pakistan qui craint d’être persécuté dans ce pays, car il est un musulman de confession zikrie-mehdvie (zikrie). Dans la décision datée du 6 février 2012, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Pour en venir à cette conclusion, la Commission a jugé que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans des régions autres que celle de la ville où il aurait été persécuté.

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de cette décision.

 

[3]               La décision est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, le rôle de la Cour est de décider de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 (Dunsmuir)). Elle doit aussi examiner « […] la justification de la décision [ainsi que] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). En dépit du haut degré de retenue dont il faut faire preuve à l’égard du décideur dans la présente affaire, je conclus que l’intervention de la Cour est justifiée.

 

[4]               La Commission a cru le récit du demandeur quant à sa persécution aux mains d’un mollah local dans le quartier de l’un des bureaux de son entreprise et elle semble avoir reconnu qu’un mandat d’arrestation le visant, relatif à des accusations de blasphème, avait été délivré par la police dans le district de Baldia (Baldia), à Karachi. La Commission a reconnu que le demandeur craignait d’être exposé à un risque dans d’autres régions, en raison des accusations de blasphème. Pour statuer que le demandeur ne serait pas persécuté dans une PRI située à l’extérieur de Baldia, la Commission a tiré deux conclusions cruciales. En ce qui concerne les accusations de blasphème, la Commission a conclu qu’il était « peu probable que les autorités des autres régions du pays en viennent à connaître ces accusations ou souhaitent réellement y donner suite » (décision, paragraphe 22). Dans l’éventualité où le demandeur devait être arrêté relativement aux accusations de blasphème, la Commission a tiré la conclusion suivante :

Toute conjecture voulant qu’il n’ait pas droit à un procès équitable est grandement hypothétique, tout particulièrement compte tenu des éléments de preuve objectifs indiquant que de nombreux procès‑verbaux introductifs sont non fondés, faux et consignés à des fins de harcèlement et, en fin de compte, sont jugés frivoles puis sont rejetés.

(Décision, paragraphe 24.)

 

[5]               Ces deux conclusions posent d’épineux problèmes.  

 

[6]               Le demandeur ne conteste pas la conclusion de la Commission selon laquelle les adhérents à la confession zikrie peuvent faire l’objet de discrimination, mais qu’ils ne sont pas persécutés dans toutes les régions du Pakistan. Le demandeur reconnaît aussi que la Commission a appliqué le bon critère à deux volets en ce qui concerne la PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, 140 NR 138 (CA). Cependant, comme l’a souligné le demandeur lors de l’audience devant la Commission, le litige concerne l’accusation de blasphème, et non seulement sa crainte du mollah dans sa région locale. L’accusation de blasphème, dont la Commission a reconnu l’existence, soulève tout simplement un risque beaucoup plus grave.

 

[7]               La Commission a bien cerné le fait que, au Pakistan, les mandats délivrés dans une région ne sont pas automatiquement transférés dans les autres régions. Il existe un processus d’enregistrement des mandats dans les autres régions. Cependant, selon le Code de procédure pénale du Pakistan, un mandat peut être exécuté partout au pays. La Commission n’avait devant elle aucun élément de preuve lui permettant de conclure que les mandats ne sont pas couramment transférés ou que les policiers des autres régions n’y ont pas électroniquement accès. Pour étayer sa conclusion que les accusations ne seraient pas renvoyées ailleurs qu’à Baldia, la Commission se fonde sur la « nature des prétendues accusations ». La Commission ne semble pas avoir tenu compte de la gravité des accusations de blasphème contre une personne se réclamant d’une religion minoritaire dans un pays où l’intolérance religieuse est notoire. La Commission a aussi mentionné que le « profil » du demandeur était un autre motif pour lequel les accusations ne seraient pas connues ailleurs qu’à Baldia. Bien que la Commission ait reconnu que les accusations découlaient d’un différend commercial, la Commission a omis d’aborder le fait que ce différend avait entraîné des accusations de blasphème, ce qui constitue une allégation très sérieuse à l’endroit du demandeur, peu importe les circonstances qui la sous‑tendent.

 

[8]               La deuxième partie de la décision de la Commission – selon laquelle le demandeur pourra bénéficier de l’application régulière de la loi – n’est simplement pas intelligible. Même si les accusations devaient être ultimement rejetées, le demandeur sera exposé à passer un temps considérable en prison avant d’être acquitté. La Commission ne s’est pas penchée sur le traitement réservé à une personne ayant le profil du demandeur, soit une personne appartenant à une minorité religieuse qui était accusée de blasphème. Pourtant, le dossier dont la Commission était saisie comprenait une preuve documentaire importante et crédible, portant que les tribunaux pakistanais ne protègent pas les droits des minorités religieuses, que les personnes visées par de telles accusations peuvent passer de longues périodes en détention et que la torture des détenus est monnaie courante. La Commission a commis une erreur en faisant abstraction de cette preuve pertinente et probante.  

 

[9]               De plus, il ne s’agit pas d’une affaire où un demandeur, dans le contexte d’un contrôle judiciaire, choisit des extraits de preuve qu’il n’avait pas invoqués lors de l’audience. Au cours de l’audience devant la Commission, le conseil du demandeur a abondamment et spécifiquement fait référence à cette preuve. On aurait dû en tenir compte.

 

[10]           Pour ces motifs, je conclus que la décision de la Commission ne possède pas les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel. Je tiens à souligner que je ne conclus pas que l’on aurait dû accorder l’asile au demandeur; il s’agit d’une question qui sera tranchée par un tribunal différemment constitué de la Commission, qui comprendra pleinement la nature de la demande d’asile et qui procédera à une appréciation de la preuve.

 

[11]           Aucune des parties ne propose de question à des fins de certification.

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvelle décision.

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.  

 

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2065-12

 

INTITULÉ :                                      MUHAMMAD AYAZ

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 21 JANVIER 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 25 JANVIER 2013

 

COMPARUTIONS :

 

M. Ram Sankaran

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Camille Audain

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

ZL

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