Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130130

Dossier: ITA-7879-11

Référence : 2013 CF 93

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

 

DANS L'AFFAIRE DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

 

et

 

DANS L’AFFAIRE D’UNE COTISATION OU DES COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL EN VERTU D’UNE OU PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES: LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU, LE RÉGIME DE PENSIONS DU CANADA, LA LOI SUR L’ASSURANCE-EMPLOI,

 

 

LONDON LIFE, COMPAGNIE D’ASSURANCE-VIE

 

Requérante (tierce saisie)

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CANADA

 

Intimée (créancière saisissante)

et

 

PROJEXIA CONSEILS INC.

 

Débitrice judiciaire

 

 

 

 


MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               London Life, compagnie d’assurance-vie, interjette appel de deux ordonnances rendues par le protonotaire Richard Morneau en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], soit une ordonnance en date du 15 août 2012 accueillant la requête intentée par la créancière saisissante, Sa Majesté la Reine [l’intimée] visant l’émission d’une ordonnance définitive de saisie-arrêt ainsi qu’une ordonnance définitive de saisie-arrêt rendue le 24 août 2012. La saisie-arrêt vise la valeur de rachat de onze polices d’assurance-vie dont la titulaire et bénéficiaire est la compagnie Projexia Conseils Inc. [Projexia] qui n'a pas comparu ici.

 

[2]               London Life demande l’annulation des deux ordonnances ou subsidiairement le prononcé d’une nouvelle ordonnance selon laquelle tout montant dû le sera conformément aux contrats d’assurance suivant la survenance du risque ou par l’exercice, par la débitrice judiciaire Projexia de la valeur de rachat des polices.

 

[3]               Le présent appel est rejeté pour les motifs qui suivent.

 

Contexte factuel

[4]               Le 25 septembre 2002, la compagnie Projexia est incorporée. Madame Sylvie Bologna est la seule administratrice et actionnaire de cette compagnie.

 

[5]               Projexia est titulaire et bénéficiaire de onze polices d’assurance souscrites auprès de London Life sur la vie de Mme Bologna, soit : 

 

                               I.      Police n° 8540527-5, émise le 28 mai 1995 dont la prestation de décès est de 90,958,53$ et la valeur de rachat est de 2 622,19$;

                            II.      Police n° 9395052-5, émise le 24 août 1997 dont la prestation de décès est de 159,545,58$ et la valeur de rachat est de 9 074,21$;

                         III.      Police n° 9581633-2 émise le 15 septembre 1997 dont la prestation de décès est de 163,799,44$ et la valeur de rachat est de 24 189,54$;

                         IV.      Police n° 9707404-5 émise le 22 juillet 1998 dont la prestation de décès est de 98,394,78$ et la valeur de rachat est de 5 696,70$;

                            V.      Police n° 9707408-2 émise le 22 juillet 1998 dont la prestation de décès est de 73,843,31$ et la valeur de rachat est de 1 828,97$;

                         VI.      Police n° 9797939-9 émise le 20 mars 1999 dont la prestation de décès est de 147,811,41$ et la valeur de rachat est de 6 525,66$;

                      VII.      Police n° B216414-1 émise le 3 octobre 2002 dont la prestation de décès est de 339,887,70$ et la valeur de rachat est de 10 816,57$;

                   VIII.      Police n° B324863-0 émise le 2 décembre 2003 dont la prestation de décès est de 324,761,30 $ et la valeur de rachat est de 10 126,77$;

                         IX.      Police n° B339599-7 émise le 9 septembre 2004 dont la prestation de décès est de 119,304,18$ et la valeur de rachat est de 3 267,21$;

                            X.      Police n° B358196-3 émise le 28 mai 2004 dont la prestation de décès est de 248,754,97$ et la valeur de rachat est de 6 395,12$;

                         XI.      Police n° B631301-3 émise le 28 mai 2009 dont la prestation de décès est de 106,827,14$ et la valeur de rachat est de 2 634,30$.

 

[6]               Les contrats d’assurance stipulent qu’une demande peut être faite pour obtenir la valeur de rachat :

Rachat en espèces

 

Sur demande par écrit, la London Life paie :

                       

                        a) la valeur de rachat du contrat;

                        b) déduction faite de toute dette.

 

Le paiement est effectué dans les quatre-vingt-dix (90) jours qui suivent la simple renonciation à tous les droits conférés par le contrat.

           

[7]               Des prêts ou des avances sont également disponibles sur demande écrite lorsque les valeurs accumulées atteignent un certain montant. Ces prêts ou avances comportent un intérêt annuel et le tout sera déduit de la prestation payable à la bénéficiaire au décès de la personne assurée. Dans la cause à l’étude, Projexia avait obtenu des avances au moment du recours intenté par l’intimée.  

 

[8]               Le 13 octobre 2011, un certificat est déposé par l’intimée en vertu de l’article 223 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp) [la LIR]. Celui-ci prévoit que Projexia est redevable pour la somme 1 255 298,28$ plus intérêts à l’intimée. Suivant le paragraphe 223(3) des Règles, ce certificat possède la même force qu’un jugement rendu par la Cour.

 

[9]               Exception faite des onze polices d’assurance-vie, l’intimée allègue que Projexia ne possède aucun actif.

 

[10]           Le 1 décembre 2011, sur présentation ex parte d’un dossier de requête déposé par l’intimée alléguant que la créance visée par le certificat n’avait toujours pas été remboursée, le protonotaire Richard Morneau rend l’ordonnance provisoire suivante :

Il est ordonné que toute somme due ou qui deviendrait due par la tierce saisie à la débitrice judiciaire et plus particulièrement, toute somme due ou qui deviendrait due en vertu des polices d’assurance-vie avec valeur de rachat portant les numéros de contrat 8540527-5, 9395052-5, 9581633-2, 9707404-5, 9707408-2, 9797939-9, B216414-1, B324863-0, B339599-7, B358196-3 et B631301-3 détenue par la tierce saisie au nom et pour le compte de la débitrice judiciaire soit saisie arrêtée afin de satisfaire et jusqu’à concurrence de la somme de 1 255 298,28$, plus intérêts […]

 

[11]           Le15 août 2012, le protonotaire Morneau émet une ordonnance définitive de saisie-arrêt (Canada (MRN) c Projexia Consulting Inc, 2012 CF 996 [ordonnance du 15 août]) et enjoint à l'intimée de lui transmettre avant le 22 août 2012 un projet d'ordonnance qui consacrera l'ordonnance provisoire de saisie-arrêt (l’OPSA0) en ordonnance définitive (ODSA). Aux termes de l’ordonnance du 15 août, il rejette les trois prétentions de London Life qu’il résume ainsi aux paragraphes 8-10 :

a)             Le droit de rachat est un droit personnel à la titulaire de la police et un créancier ne peut l’exercer à la place de celui-ci;

b)            Le rachat de toute police s’exerce par demande écrite de la titulaire et tant qu’une telle demande ne lui est pas parvenue, elle n’est pas redevable envers Projexia puisqu’il n’y a pas de créance alors d’échue ou à échoir au sens du sous-alinéa 449(1)a)(i) des Règles;

c)             L’exercice du droit à la valeur de rachat a des conséquences financières importantes pour la titulaire et pour la bénéficiaire.

 

 

 

[12]           S’appuyant sur l’arrêt Perron-Malenfant c Malenfant (Syndic de), [1999] 3 RCS 375 [l’arrêt Malenfant], il rejette la première prétention de London Life et conclut que les polices d’assurance en question ainsi que les droits qui s’y rattachent échappent à l’ensemble complet et exhaustif des situations d'insaisissabilité prévues aux articles 2457 et 2458 du Code civil du Québec [CcQ] (para 14 de l’ordonnance ).

 

[13]           Quant au second argument, le protonotaire Morneau invoque Canada (MRN) c Corp. Steckmar, 2004 CF 581 [Corp Steckmar] pour conclure que « […] cette Cour a reconnu par le passé que la procédure de saisie-arrêt sous la règle 449 constitue un recours oblique qui permet à l’intimée  d’exercer les droits de son débiteur, en l’occurrence ici Projexia » (para 17 de l’ordonnance). Il conclut également « qu’il y a pas lieu ici de retenir qu’il n’y a pas eu de demande de rachat écrite de la part de la titulaire Projexia. La procédure de saisie-arrêt permet d’exercer ce droit de Projexia et de le réaliser au profit de sa créancière, la Reine » (para 18 de l’ordonnance).

 

[14]           Vu l’exercice de ce droit de rachat par l’entremise de la saisie-arrêt, le protonotaire Morneau  énonce qu’il était déraisonnable pour London Life de soutenir qu’il n’y a pas de créance « échue ou à échoir » au sens du sous-alinéa 449(1)a)(i) des Règles ou que le droit de rachat est conditionnel à une demande écrite de la part de Projexia (para 19 de l’ordonnance).

 

[15]           Le protonotaire Morneau note ensuite la prétention de London Life selon laquelle l’article 449 des Règles constitue le mauvais véhicule procédural afin d’obtenir les valeurs de rachat des polices d’assurance. S’appuyant sur l’arrêt Malenfant, London Life soumet que l’intimée devait d’abord saisir les contrats d’assurance entre les mains de Projexia pour ensuite formuler en son nom une demande de rachat suivant l’article 428 des Règles. Le protonotaire Morneau écarte cet argument au paragraphe 23 de l’ordonnance :

[b]ien que diverses dispositions du Code civil amènent à comprendre que le contrat de police d’assurance-vie constitue un bien meuble entre les mains du titulaire, ces dispositions ne constituent pas en soi une autorité pour soutenir que l’on doive saisir dans un premier temps ledit contrat avant même de songer à utiliser la procédure de saisie-arrêt sous les règles quant à sa valeur de rachat.

 

[16]           Il ajoute que le paragraphe 57 de l’arrêt Malenfant selon lequel « le syndic a le droit de saisir la police et d’exercer le droit de rachat afin d’en obtenir la valeur de rachat » ne signifie pas que l’intimée devrait « s’engager dans un étapisme » dans le présent dossier impliquant une première procédure distincte consistant à saisir les polices d’assurance (para 24 de lordonnance). De plus, l’article 428 des Règles n’est pas applicable en l’espèce puisque cette règle vise une « situation bien spécifique qui ne correspond pas du tout au mécanisme pour atteindre la saisie d’une valeur de rachat d’une police d’assurance-vie » (para 26 de l’ordonnance).

 

[17]           Quant à la troisième prétention de London Life concernant les conséquences financières importantes découlant de l'annulation des polices, le protonotaire Morneau déclare que cet argument ne pouvait tenir étant donné que Projexia est à la fois titulaire et bénéficiaire des polices qui constituent par ailleurs son seul actif. Il ajoute que « [c]ette situation est loin de celles que le législateur québécois a cherché et a voulu protéger » (para 20 de l’ordonnance).

 

 

 

 

Questions en litige

[18]           Dans le cadre du présent appel, London Life soulève trois questions :

1)      Suivant l’arrêt Malenfant, le créancier a-t-il l’obligation de saisir au préalable la police d’assurance avant d’exercer le droit à la valeur de rachat qui y est rattaché?

2)      Le sous-alinéa 449(1)a)(i) des Règles peut-il servir de fondement à la demande de paiement de la valeur de rachat des polices d’assurance?

3)      Qu’en est-il des conséquences considérables découlant de l’annulation d’une police d’assurance-vie et de l’importance d’appliquer de façon minutieuse la procédure appropriée d’exécution du certificat enregistré en vertu de l’article 223 de la LIR?

 

Remarques préliminaires

A)        La qualité d’agir de London Life

[19]     À titre de remarque préliminaire, l'intimée soumet que London Life n’a plus l’intérêt juridique d’agir dans le présent dossier afin de défendre les intérêts de Projexia, soit pour agir au lieu et place de cette compagnie (Crown Life Insurance Co c Perras, [1953] BR 659 [Crown Life Insurance]). Par ailleurs, Projexia ne s’est pas opposée à la mesure de saisie-arrêt et n’a pas prétendu que ses créanciers ne pouvaient demander versement de la valeur de rachat à sa place.

 

[20]           L’intimée soumet également que les propos du juge Anderson de la Cour supérieure de la Colombie-Britannique dans l’affaire Bel-Fran Investments Ltd v Pantuity Holdings Ltd [1975] BCJ 1150 au paragraphe 16 [Bel-Fran] s’appliquent parfaitement à la présente cause :

 

 

My view is that all the conditions of the term deposit receipt in the case at bar concern only the bank and are mere matters of procedure and administration, and are all satisfied by the service of the garnishing order. The bank would be protected by the Court upon any protest by the defendant that payment had been made without personal delivery of the term deposit receipt […]

 

 

 

[21]           De même, l’intimée plaide que London Life n’a pas l’intérêt juridique pour soulever en lieu et place de l’assurée, soit Mme Bologna, qu’elle ne pourra plus être assurable à l’avenir.

 

[22]           Pour sa part, London Life allègue qu'elle possède bel et bien un intérêt dans le présent litige au motif que les stipulations des contrats d'assurance-vie doivent être respectées. La naissance d’une créance au profit de la titulaire ou de la bénéficiaire est subordonnée aux stipulations contractuelles contenues aux polices d’assurance. Celles-ci exigent la présentation d’une demande écrite ainsi que la remise d’un formulaire de renonciation avant que London Life ne verse les montants demandés. Afin d’appuyer sa prétention, London Life renvoie la Cour aux contrats d’assurance ainsi qu’aux arrêts Malenfant, Banque Royale du Canada c Nord-Américaine, Cie d’assurance-vie, [1996] 1 RCS 325 [Banque Royale], National Trust Co c Canada, [1998] ACF 968 [National Trust] et DeConinck c Royal Trust Corp of Canada, [1989] 1 CTC 179 [DeConinck].

 

Analyse

[23]           L’argument concernant la qualité d'agir de London Life n’a pas été soulevé avec grande précision devant le protonotaire Morneau. Dans Crown Life Insurance, le débiteur possédait quatre polices d’assurance-vie au moment de la faillite. Le syndic réclamait la valeur de rachat des polices d’assurance-vie auprès de la compagnie d’assurance comme faisant partie des actifs du failli. Il a présenté une requête en ce sens à la Cour supérieure du Québec. À cela, le failli s’est opposé en indiquant que la valeur de rachat des polices d’assurance était un droit personnel.  La Cour supérieure annula les quatre polices d’assurance et ordonna que la valeur de rachat soit payée au syndic de faillite.

 

[24]           La compagnie d’assurance interjeta appel de ce jugement. Cependant, le failli n’étant pas partie à cet appel, la Cour d’appel examina la décision de la Cour supérieure et statua qu’il y avait chose jugée entre le failli et le syndic de faillite. La Cour d’appel conclut que le failli avait implicitement acquiescé à l’ordonnance en ne la portant pas en appel. Par conséquent, l’appel de la compagnie d’assurance fut rejeté.

 

[25]           Dans le présent dossier, il ne s’agit pas de procédures de faillite. Néanmoins, un certificat a été enregistré en vertu de l’article 223 de la LIR pour la somme de 1 255 298,28$ plus intérêts. Ce certificat possède la même force qu’un jugement rendu par la présente Cour et est donc exécutable à l’encontre de Projexia. Pour cette raison, les principes énoncés par la Cour d'appel du Québec dans Crown Life Insurance sont applicables en l’espèce.

 

[26]            Que ce soit la débitrice judiciaire (Projexia) ou la créancière saisissante (l'intimée) qui demande le rachat des polices d’assurance, pour London Life, le résultat est le même; le rachat est demandé et les polices deviennent échues. London Life ne peut donc soutenir qu’elle subit un préjudice, car de toute façon, elle doit débourser les valeurs de rachat.

 

[27]           London Life ne peut également avancer qu’elle possède l’intérêt d’agir en l’espèce en raison des avances demandées par Projexia sur les polices d’assurance. Les stipulations contractuelles suivantes sont contenues dans les onze polices d’assurance-vie :

Rachat en espèces : sur demande par écrit, la London Life paie :

                                    - la valeur de rachat du contrat

                                    - déduction faite de toutes dettes.

 

 

                        Dettes : la dette à une date quelconque représente :

                                    - les avances de primes et les prêts en espèces,

                                    - déduction faite des paiements effectués pour réduire la dette

                                    - addition faite des intérêts jusqu’à cette date.

 

[28]           Que London Life verse la valeur de rachat des polices d’assurance à Projexia ou à l’intimée, le montant des dettes (ce qui comprend aussi les prêts et avances et intérêts) sera déduit de la valeur de rachat des polices d’assurance. Ainsi, London Life ne subit aucun préjudice.

 

[29]           Enfin, lorsque London Life plaide par écrit que le versement des valeurs de rachat entraînera l’annulation des polices d’assurance, ce qui engendra des conséquences financières importantes pour l'assurée en l'empêchant de contracter de nouvelles polices d’assurance similaires, la Cour est d’avis que London Life plaide pour autrui et n'a pas l'intérêt voulu pour soulever cet argument.

 

[30]           Seule, cette conclusion suffit pour que la présente requête soit rejetée. Cependant, au cas où la Cour ferait erreur, elle juge opportun de continuer l'analyse et discuter du mérite de la requête.

 

 

 

 

B)        La norme applicable lors d’un appel d’une ordonnance d’un protonotaire

[31]           Les principes applicables lorsqu'il s'agit de décider d’un appel d’une ordonnance d’un protonotaire ont été établis dans Canada c Aqua-Gem Investments Ltd [1993] 2 CF 425 [Aqua-Gem] et reformulés dans Merck & Co Inc c Apotex Inc, 2003 CAF 488 [Merck & Co]. Les critères se retrouvent au paragraphe 19 de Merck & Co, où le juge Décary, écrivant pour la Cour d’appel fédérale mentionne : […]

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a)         l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,

b)         l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

 

[32]           Au paragraphe 22, le juge Décary explique l'importance du mot « déterminant » employé par le juge MacGuigan dans Aqua-Gem. À cela, le juge Décary adopte les motifs minoritaires du juge Issac dans Aqua-Gem (qui n’ont pas été contestés par le juge MacGuigan) :

À mon avis, on ne saurait raisonnablement dire qu'est compatible avec l'objectif de la loi, la norme de révision qui soumet toutes les décisions de protonotaire attaquées à l'instruction de novo quelles que soient les questions concernées et peu importe si ces décisions statuent au fond sur les droits des parties. Pareille norme n'économise ni les ressources judiciaires ni le temps des juges. Dans chaque cas, elle obligerait le juge des requêtes à reprendre l'affaire depuis le début. En outre, elle réduirait la fonction de protonotaire à un rôle d'"étape" préliminaire sur le chemin de la procédure qui mène au juge des requêtes. Je ne pense pas que ce soit là le résultat voulu par le législateur.

 

 

 

[33]           Le juge Décary poursuit au paragraphe 23 en indiquant :

On ne devrait par conséquent pas conclure trop rapidement qu'une question, si importante soit-elle, est déterminante. On doit cependant se garder de s'abstenir de trancher de novo une question déterminante simplement parce qu'on a naturellement tendance à s'en remettre aux protonotaires pour les questions de procédure

 

[34]           Dans Peter G White Management Ltd c Canada, 2007 CF 686 au paragraphe 2, le juge Hugessen précise que :

[…] le simple fait que le recours présenté au protonotaire aurait pu avoir une influence déterminante sur l'issue du principal ne veut pas dire que le juge doive reprendre l'affaire de novo. Il ressort clairement de l'examen des décisions, et particulièrement de l'arrêt clé de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Aqua-Gem (référence omise) que ce n'est pas le recours présenté, mais plutôt l'ordonnance que le protonotaire rend qui doit avoir une influence déterminante sur l'issue du principal pour que le juge ait à examiner l'affaire de novo. […]

 

En bref, sauf circonstances extraordinaires, la décision d'un protonotaire de ne pas radier une déclaration n'a pas d'influence déterminante sur l'issue du principal. Le choix de la norme de contrôle est dicté par l'ordonnance qui a été prononcée, et non par celle qui aurait pu l'être.

 

 

[35]           Cette interprétation du juge Hugessen a été suivie à plusieurs reprises par la suite (Ridgeview Restaurant Limited c Canada (Procureur Général), 2010 CF 506 aux paragraphes 20-24).

 

[36]           Dans la présente cause, il est évident que les ordonnances contestées ont une influence déterminante sur l'issue du principal car sans appel, il n’y aurait plus de litiges entre les parties : London Life serait dans l'obligation de débourser les valeurs de rachat des polices d'assurance à l'intimée. La Cour doit donc procéder à une analyse de novo.

 

1)         Suivant l’arrêt Malenfant, le créancier a-t-il l’obligation de saisir au préalable la police d’assurance avant d’exercer le droit à la valeur de rachat qui y est rattaché?

 

Arguments de la requérante

[37]           London Life indique d’abord que les onze polices d’assurance-vie faisant l’objet du présent litige sont des contrats d’assurance-vie tels que définis aux articles 2389 et 2393 du CcQ. Par ailleurs, ces polices sont également des biens meubles, tel que défini par les articles 905 et suivant du CcQ. London Life a également remis à la titulaire la police d’assurance-vie en application de l’article 2400 du CcQ. London Life n’est donc pas en possession des polices.

 

[38]           Plusieurs droits se rattachent aux contrats d’assurance-vie, notamment le droit à la prestation d’assurance-vie, le droit de percevoir des avances sur police, le droit à la valeur de rachat et le droit de participation aux bénéfices. Il s’agit de biens meubles incorporels, tel que reconnaît entre autres le Règlement sur le registre des droits et réels mobiliers, c CcQ, r 8.

 

[39]           London Life allègue que sa position n’est pas reflétée adéquatement au paragraphe 8 de l’ordonnance du 15 août. En effet, la position de London Life au sujet de l’arrêt Malenfant ne repose pas sur l’argument selon lequel l’exercice du droit à la valeur de rachat est personnel au titulaire de la police d’assurance-vie, la Cour suprême ayant clairement écarté cette théorie.

 

[40]           Au paragraphe 68 de ses prétentions écrites, London Life soumet que les enseignements de l’arrêt Malenfant sont les suivants :

 

i)                    Les articles 2457 et 2458 du CcQ constituent un code complet et exhaustif des situations d’insaisissabilité en matière de police d’assurance-vie, faisant en sorte que seules les situations prévues par ces deux articles rendent insaisissable une police d’assurance-vie;

ii)                  Normalement, la nature personnelle ou non d’un droit peut influer sur la capacité du créancier de saisir ce droit et de l’exécuter. Cependant, tous les droits conférés par une police d’assurance sont saisissables; par conséquent, la police d’assurance-vie qui n’est pas visée par les articles 2457 et 2458 du CcQ est saisissable, y compris le droit à la valeur de rachat de la police qui y est rattaché;

iii)                Le syndic de faillite de Carole Malenfant avait le droit de saisir la police d’assurance-vie de même que le droit à la valeur de rachat qui y est rattaché, et subséquemment à exercer celui-ci. (Soulignement de la Cour).

 

 

[41]           London Life plaide que l’arrêt Malenfant a mis en lumière l’obligation pour un créancier de saisir la police d’assurance-vie avant d’exercer le droit à la valeur de rachat .Voir notamment le paragraphe 57 de cette décision où le juge Gonthier s’exprime ainsi :

En conclusion, eu égard à leur libellé, à leur historique législatif et à la politique qui les sous-tend, je crois que le législateur québécois a voulu adopter, aux art. 2552 et 2554, un code complet et exclusif régissant l'insaisissabilité des contrats d'assurance-vie qui supplanterait les règles plus générales prévues ailleurs dans le Code civil ou dans la jurisprudence. Ce code provincial exclusif d'insaisissabilité est visé par l'al. 67(1)b) de la Loi sur la faillite. Étant donné que la police de l'intimée ne répond pas aux critères de l'une ou l'autre des deux seules dispositions prévoyant l'insaisissabilité, le syndic a le droit de saisir la police et d'exercer le droit de rachat afin d'en obtenir la valeur de rachat (souligné par London Life).

 

[42]           London Life fait ensuite valoir que le litige à la base de l’arrêt Malenfant opposait le syndic de faillite de Carole Malenfant à la faillie Carole Malenfant dans un contexte où le syndic avait déjà la saisine des biens de la faillie conformément à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985 c B-3 [LFI]. Suivant les paragraphes 4 et 15 de l’arrêt Malenfant :

[4] […] Le 16 avril 1993, le syndic appelant avise la Compagnie qu'il exerce le droit de racheter la police au nom de l'intimée et que la Compagnie doit en conséquence résilier la police et en verser la valeur de rachat au syndic.

 

[15] […] L'article 2554 déclare insaisissables les droits du preneur et du bénéficiaire "[t]ant que la désignation d'un bénéficiaire à titre irrévocable subsiste". Là encore, la police de l'intimée n'est pas insaisissable en vertu de la loi, étant donné que la désignation de l'intimée comme bénéficiaire n'a jamais été faite à titre irrévocable et ne bénéficie pas de la présomption d'irrévocabilité de [page386] l'art. 2547 du Code civil. Par conséquent, les art. 2552 et 2554 n'ont pas pour effet, en vertu de l'al. 67(1)b) de la Loi sur la faillite, d'exclure des biens qui sont transmis au syndic de faillite les droits attachés à la police d'assurance-vie de l'intimée (souligné par London Life).

 

 

[43]           London Life ajoute que ce raisonnement correspond aux enseignements de l’arrêt Banque Royale selon lequel tous les biens (saisissables ou insaisissables) se trouvant dans le patrimoine du failli tombent sous la possession du syndic de faillite en vertu de la LFI.

 

[44]           Par conséquent, London Life prétend au paragraphe 74 de son argumentation écrite que l'interprétation par l'intimée des enseignements de l’arrêt Malenfant n'est pas suffisante pour disposer du présent litige puisque :

 

a)             Le dispositif adopté par la Cour suprême ne prévoit pas que le créancier est en droit de saisir la valeur de rachat auprès de l’assureur;

b)            Plutôt, le dispositif adopté par la Cour suprême prévoit que le créancier est autorisé à saisir la police d’assurance-vie auprès de son débiteur et, une fois cette saisie exécutée, il peut alors exercer le droit à la valeur de rachat rattaché à la police d’assurance-vie en lien et place du débiteur saisi;

c)             Sur ce dernier point, nous notons que le syndic, qui avait effectivement la saisie de la police d’assurance-vie, devait néanmoins s’assurer que ce bien était saisissable avant de pouvoir exercer légitimement le droit à la valeur de rachat au profit des créanciers; la Cour suprême a donc statué que le syndic devait d’abord saisir la police avant d’exercer la valeur de rachat, la saisie du bien en tant que tel étant une étape formelle à laquelle on ne peut déroger;

d)            Nous ajoutons, par ailleurs, que cette étape préalable de saisie de la police est conforme aux enseignements de l’arrêt Banque Royal du Canada lequel précise que le syndic (et donc, le créancier saisissant) doit analyser le caractère saisissable du bien en vertu des lois provinciales avant de saisir le bien.

 

[45]           Donc, l'intimée devrait en premier lieu saisir les polices d'assurance avant de pouvoir exercer le droit aux valeurs de rachat et ensuite procéder à faire une demande écrite au nom du titulaire des polices et compléter le formulaire de renonciation. 

 

Arguments de l’intimée

[46]           Pour sa part, l'intimée allègue que la saisie-arrêt est le seul moyen dont elle dispose pour saisir une valeur de rachat d’une police d’assurance-vie.

 

[47]           Il est d’abord incorrect de prétendre que le créancier, qui veut faire une demande pour obtenir la valeur de rachat à la place de son débiteur, doive au préalable avoir la copie de la police de ce dernier puisque ce faisant, il devrait procéder à une étape qui n’est même pas imposée à son débiteur par le contrat d’assurance. En effet, l’assurée n’a pas d’obligation contractuelle de remettre à London Life sa copie de la police avant de demander le versement de la valeur de rachat. Le créancier devrait être en mesure de faire la démarche au même titre que son débiteur.

 

[48]           L'étape préalable préconisée par London Life n'étant pas exigée par la loi, il est difficile de concevoir que le juge Gonthier, dans l’arrêt Malenfant, ait eu à l’esprit la saisie physique d’une police d’assurance-vie comme condition préalable à la demande de paiement de la valeur de rachat et il serait absurde qu'une telle exigence découle de cet arrêt.

 

Analyse

[49]           Dans Malenfant, il s'agissait d'une faillite alors que dans la présente cause Projexia n'a pas fait cession de ses biens et n'a pas été déclarée en faillite. Néanmoins, le certificat en vertu de l’article 223 de la LIR pour la somme de 1 255 298,28$ plus intérêts a été enregistré. Ce certificat est exécutoire à l’encontre de Projexia.

 

[50]           Or, mis à part la valeur de rachat contenue aux onze polices d’assurance-vie décrites au paragraphe 5 du présent jugement, Projexia ne possède aucun actif. Il est donc peu surprenant que l’intimée veuille obtenir la valeur de rachat de ces polices.

 

[51]           Les parties concèdent que Malenfant a réglé la question de la saisissabilité des valeurs de rachat des polices d'assurance-vie similaires à celles en cause. Le présent litige réside donc dans la façon que l'intimée doit s’y prendre pour l’obtention de ces valeurs.

 

[52]           Le paragraphe 224(1) de la LIR sous la note marginale « saisie-arrêt » prévoit que :

S’il sait ou soupçonne qu’une personne est ou sera, dans les douze mois, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle-même, est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi […] le ministre peut exiger par écrit de cette personne que les fonds autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés, sans délai si les fonds sont immédiatement payables, sinon au fur et à mesure qu’ils deviennent payables, au receveur général au titre de l’obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente loi.

Where the Minister has knowledge or suspects that a person is, or will be within one year, liable to make a payment to another person who is liable to make a payment under this Act (in this subsection and subsections 224(1.1) and 224(3) referred to as the “tax debtor”), the Minister may in writing require the person to pay forthwith, where the moneys are immediately payable, and in any other case as and when the moneys become payable, the moneys otherwise payable to the tax debtor in whole or in part to the Receiver General on account of the tax debtor’s liability under this Act.

 

 

 

[53]           La présente Cour ne peut souscrire à la l’interprétation de l’arrêt Malenfant que propose London Life. Afin de supporter sa prétention, London Life insiste beaucoup sur l’avant-dernière phrase du paragraphe 57 de cet arrêt : « […] le syndic a le droit de saisir la police d’assurance et d’exercer le droit de rachat afin d’en obtenir la valeur de rachat ».  La Cour est d’avis que la Cour suprême ne fait que répondre aux questions qui lui étaient présentées sans pour autant établir une procédure en étapes. La Cour suprême n’indique nulle part dans ce paragraphe (ni même dans son jugement) que la saisie d’une police d’assurance est une obligation préalable à l’obtention de la valeur de rachat. Avec égard, la Cour estime que l’imposition d’une telle procédure par étapes porterait atteinte au caractère d’urgence relatif à la saisie-arrêt. D'ailleurs, dans l’arrêt Malenfant, le syndic de faillite possédait déjà la saisine des biens du failli; pourquoi serait-il alors obligé de saisir la police d’assurance? Voilà un argument de plus militant contre la thèse de London Life.

 

2)         Le sous-alinéa 449(1)a)(i) des Règles peut-il servir de fondement à la demande de paiement de la valeur de rachat des polices d’assurance?

 

Arguments de la requérante

[54]            London Life plaide que le sous-alinéa 449(1)a)(i) des Règles ne peut servir de fondement à la demande de paiement de la valeur de rachat des polices. Suivant cette disposition, trois conditions doivent être respectées afin qu’une saisie-arrêt devienne applicable, soit : (i) il doit y avoir une créance, (ii) cette créance soit être échue ou à échoir et (iii) un tiers doit être redevable de cette créance.

 

[55]           Or, dans le présent cas, Projexia n’a aucune créance échue ou à échoir à l’encontre de London Life et cette dernière ne lui devait rien au moment de la saisie-arrêt. Afin d'obtenir les valeurs de rachat, l'intimée doit saisir les polices d’assurance-vie tel qu'énoncé précédemment et procéder à une demande écrite auprès de la requérante.

 

[56]           London Life plaide que le produit d’une assurance-vie, contrairement à un compte bancaire, ne crée pas de relation « débiteur-créancier » entre les parties (Maritime Cie d’assurance c Canada, [1997] 3 CTC 2561 [Maritime Cie d’assurance] au paragraphe 7). Des distinctions semblables ont été faites dans Delaire v Delaire [1996] SJ 514 (dans le cas d’une société de fiducie administrant un RÉER et son bénéficiaire), et le même raisonnement a été appliqué dans Re Blisss, Kirsh and Doyle et al, [1983] OJ 3247.

 

[57]           Ainsi donc, en l’absence d’une saisie des polices d'assurance permettant au créancier de demander la valeur de rachat à l'assureur, ce dernier n'a pas d'obligation de payer, en l’absence d'une créance échue. Tout autre raisonnement violerait les règles contractuelles en matière de polices d'assurance-vie.

 

[58]           London Life cite Choken c Bande indienne de Lake St Martin, 2004 CAF 248, aux paragraphes 20 et 22:

[20][i]l est raisonnable de dire que les termes « créances échues ou à échoir », pris dans le contexte d'une procédure de saisie-arrêt, s'appliquent à une somme d'argent qui est exigible ou qui le deviendra dans l'avenir par suite d'une obligation existante et certaine et dont on peut obtenir le paiement immédiatement ou plus tard par voie d'action […]

 

[22] […] l’existence d’une créance est subordonnée au fait que le créancier a légalement droit au paiement sans condition.

 

[59]           Dans le même sens, l’auteur David Norwood s’exprime en ces mots : (Norwood, David et Wier, John P, Norwood On Life Insurance Law, 3e ed, Toronto, Carswell, 2002) :

Garnishment is clearly not available to force surrender of an in-force policy since there is no enforceable debt currently due and owing from the insurer where the insured himself has not demanded surrender. There is no debit in praesenti to surrender […] The forced pay-out of money in a current bank account in a bank may be argued to be in nature of performance of the essence of the banking contract, whereas surrender of a life insurance policy is cancellation of the contract and its insurance benefits upon the happening of the event insured against The insurer may pay a cash surrender value for this release, but forcing surrender would destroy the basic purpose of the contract.

 

[60]           London Life soumet qu’il n'existe aucune créance ici puisque le droit à la valeur de rachat n’a pas été exercé conformément aux stipulations contractuelles des polices d’assurance et que l’assurée n’est pas décédée. Il n’y a donc aucun « créancier » ni « débiteur » (Maritime Cie d’assurance au para 16). La valeur de rachat d’une police d’assurance n’est pas une dette payable et par conséquent, il n’existe aucune obligation de la part de l’assureur de payer celle-ci en l’absence d’une demande du titulaire à cet effet (Bank of Nova Scotia v Robson, [1987] OJ 1693); National Trust; DeConinck au para 14).

 

[61]            London Life poursuit en déclarant que le recours approprié est la saisie-exécution prévue à l’article 580 et suivant du Cpc. En effet, suivant les paragraphes 56(3) et (4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985 c F-7, de même que l’article 448 des Règles, le droit provincial est applicable en matière d’exécution des ordonnances de la présente Cour ainsi qu’à l’exécution des certificats enregistrés en vertu de l’article 223 de la LIR (voir Newcourt Financial Ltd c Canada, 2004 CAF 91; Canada c Piccott, 2004 CAF 291; Canada (MRN) c Banque Nationale du Canada, 2004 CAF 92). 

 

Arguments de l’intimée

[62]           London Life admet aux paragraphes 46 à 48 de ses prétentions écrites qu’elle deviendra redevable envers le titulaire de la police aussitôt que ce dernier lui aura transmis une demande écrite. Or, l’intimée soumet qu’une saisie-arrêt en vertu des Règles équivaut à une demande du débiteur judiciaire suivant Canada c Bidner, [1984] ACF 1114 [Bidner] où le juge Hugessen écrit : « [n]ous sommes tous d'avis que la division de 1ère instance a erré en droit en décidant qu'une dette payable sur demande était une dette conditionnelle. Au contraire, une dette payable sur demande est une dette qui est immédiatement exigible et la signification de la saisie-arrêt dans le présent cas a opéré demande » (Soulignement de l’intimée).

 

[63]           La Cour d’appel de l’Alberta est parvenue à la même conclusion quant à l’effet des saisies-arrêts administratives transmises par l’Agence du revenu Canada. Dans Hutterian Brethen Church et al v Provincial Treasurer of Alberta et al, 80 DTC 6228, cette Cour explique qu’une saisie-arrêt administrative envoyée conformément au paragraphe 224(1) de la LIR équivaut à une demande du déposant de retirer les sommes détenues par l’institution bancaire dans ses certificats de placements à terme. Il en est de même pour un dépôt à terme rachetable avant échéance, mais non transférable suivant Bel-Fran, supra au para 21.

 

[64]           London Life appuie sa prétention à l’effet qu’elle n’est pas débitrice de Projexia avec la thèse de l’auteur David Norwood. Or, ce dernier constate lui-même à la page 356 de l’ouvrage mentionné précédemment que l’arrêt Malenfant a eu pour effet de rendre saisissable une valeur de rachat au Québec :

But in the process, the Court’s overthrow of the « personal right » doctrine seems to have exposed an unprotected beneficiary in Quebec to attack by ordinary creditors where the doctrine has long been recognized as a shield barring exigibility.

 

 

[65]            Quoi qu’il en soit, l’interprétation que propose London Life au paragraphe 91 de ses prétentions écrites des mots « créance échue ou à échoir » à l’article 449 des Règles a été rejetée dans In Re Gero (1979), 79 DTC 5228 [In Re Gero]. Le juge Walsh de la présente Cour a statué que :

On a strict interpretation of Rule 2300 of the Rules of this Court it is arguable that these sums are not debts 'owing or accruing' to the judgment debtor unless and until he requests the trust companies to make payment to him, but it would be contrary to the whole principle of garnishment proceedings to adopt such an interpretation and hence provide a means for an individual to shelter his assets from seizure by his creditors.

 

[66]           En fait, la saisie-arrêt constitue une forme particulière d’action oblique qui permet au créancier, en vertu de l’article 1627 du CcQ d’exercer les droits et actions du débiteur (Corp Steckmar, supra para 13, aux para 33-35 et 38). En l’espèce, toutes les conditions de l’action oblique sont remplies et, de toute évidence, Projexia continue toujours de négliger de requérir le paiement des valeurs des rachats alors qu’il s’agit de son seul actif. 

 

[67]           De plus, l’argument de London Life selon lequel une demande écrite est nécessaire pour que la valeur de rachat puisse être considérée comme une créance équivaut à anéantir l’effet de l’arrêt Malenfant. Il serait par ailleurs pour le moins étonnant que le juge Gonthier ait eu à l’esprit que l’effet de sa décision puisse être contourné par l’exigence d’une « demande écrite » à n’être formulée que par le seul débiteur. En ce sens, il souligne l’importance d’une valeur de rachat à deux reprises, soit aux paragraphes 39, 41 et 51 :

[39] […] Pour un créancier, le droit le plus précieux dans la police d'assurance-vie en vigueur de son débiteur est celui d'obtenir la valeur de rachat de cette police. Dans la présente affaire, par exemple, la valeur de rachat s'élève à 84 900 $. En fait, il s'agit du seul droit, dans une police d'assurance-vie en vigueur, qui peut donner lieu à une réalisation immédiate de valeur pour le créancier saisissant. (souligné par l’intimée)

 

[41] […] le droit de rachat, comme nous l'avons vu, est le principal élément du contrat d'assurance-vie que ces dispositions protègent. […] Le législateur a choisi de protéger de la saisie deux catégories particulières de polices parce qu'il considérait qu'elles étaient exposées à un risque important, à savoir le risque que les créanciers, qui, autrement, disposaient généralement du droit de racheter une police d'assurance-vie, mettent fin à une police en exerçant ce droit.

 

[51] Dans ce contexte, il est contraire au bon sens de présumer que, dans ses dispositions relatives à l'insaisissabilité, le législateur a voulu demeurer silencieux au sujet de l'élément le plus précieux d'une police d'assurance-vie pour les créanciers -- sa valeur de rachat. […] Il est beaucoup plus logique de conclure que le législateur a voulu mettre cette valeur à la disposition des créanciers, à moins que les polices elles-mêmes ne soient insaisissables. (souligné par l’intimée)

 

 

[68]           L’intimée ajoute que par une simple clause contractuelle, une compagnie d'assurance pourrait se mettre à l'abri des enseignements de l’arrêt Malenfant au sujet de la saisissabilité des valeurs de rachat. L’intimée rejette également la proposition que pour exercer sa créance, elle serait tenue de remplir le formulaire de renonciation exigé par London Life.

 

[69]           Dans Robitaille c Hins-Dion, [1979] 1 RCS 359 [Robitaille] la Cour suprême devait déterminer si Mme Robitaille pouvait bénéficier d’une clause d’insaisissabilité qui se trouvait dans une police d’assurance-vie payable aux ayants droit. Au paragraphe 7, le juge Pigeon écrit pour la Cour :

Devant nous l'avocat de l'intimée a soutenu qu'il fallait donner effet à la clause d'insaisissabilité même envers l'assuré et sa succession parce que rien ne l'interdit. Il n'a cependant rien cité à l'appui de cette prétention qui est tout simplement insoutenable. En effet, il est tout à fait évident que l'on ne peut pas par un contrat mettre ses biens à l'abri de saisie par ses créanciers à moins d'une disposition spéciale comme celle que l'on trouve dans la Loi des régimes supplémentaires de rentes (SQ 1965, c 25, art. 31).

 

 

 

 

 

 

[70]           Le véhicule procédural de saisie-arrêt est donc approprié vu la nature même du litige (Charles Belleau « L’exécution forcée des jugements » (2011) Collections de droit 2011-2012, École du Barreau du Québec, Vol 2). La procédure de saisie-arrêt permet d’exercer et de mettre en œuvre le droit du débiteur et de le réaliser au profit du créancier.

 

Analyse

[71]           La présente Cour est d’avis que le sous-alinéa 449(1)a)(i) des Règles, soit la saisie-arrêt, est applicable en l’espèce et que les conditions qui y sont prévues sont remplies pour les motifs qui suivent.

 

[72]           D’abord, la Cour partage l’avis du protonotaire Morneau à savoir que la saisie-arrêt est le véhicule procédural approprié en l’espèce, ce qu’il a amplement démontré dans sa décision Corp Steckmar. L’article 569 du Cpc énonce également la différence entre la saisie-arrêt et la saisie-exécution :

569. Le créancier peut faire saisir-exécuter les biens meubles du débiteur qui sont en la possession de ce dernier, ceux qu'il possède lui-même, ainsi que ceux qui sont en la possession d'un tiers qui consent à la saisie.

 

Il peut, dans tous les cas, faire saisir-arrêter entre les mains d'un tiers les sommes et effets dus ou appartenant à son débiteur.

 

Le créancier peut aussi faire saisir-exécuter les biens immeubles que le débiteur possède.

 

[73]           Cet article prévoit explicitement que l’intimée peut faire saisir-arrêter entre les mains de London Life les sommes appartenant à Projexia.

 

[74]            L’article 1627 du CcQ prévoit que « le créancier dont la créance est certaine, liquide et exigible peut, au nom de son débiteur, exercer les droits et actions de celui-ci, lorsque le débiteur, au préjudice du créancier, refuse ou néglige de les exercer ». Ici, au moment de la saisie-arrêt en main tierce, Projexia n'avait toujours pas exercé ses droits pour obtenir les valeurs de rachat afin de payer la créance de 1 255 298,28$ due à l'intimée. Celle-ci était donc en droit de le faire à sa place (Malenfant au para 57).

 

[75]           En signifiant la saisie-arrêt à London Life, l'intimée empêcha Projexia d’exercer elle-même ce droit qui lui aurait permis de mettre à l'abri de ses créanciers les valeurs de rachat dans les différentes polices d'assurance-vie (Robitaille; In Re Gero). La Cour considère donc que la saisie-arrêt constitue une forme « d’action oblique » (voir à cet effet Corp Steckmar aux paras 33-40).

 

[76]           C’est à juste titre que London Life a fait remarquer à la Cour que dans la décision Canada (MRN) c Corp Steckmar » [2004] CF 1568 (soit la décision en appel confirmant l’ordonnance du protonotaire Morneau dans Corp Steckmar du 19 avril 2004), au paragraphe 30: « [l]es parties s'entendent pour dire qu'il s'agit d'une obligation à terme. La tierce saisie reconnaît sa dette envers la débitrice mais le conflit consiste justement dans le terme, c'est-à-dire quand précisément cette obligation deviendra exigible ».

 

[77]           Malgré cette distinction relevée par London Life, la Cour considère que les modalités figurant au sous-alinéa 449(1)a)(i) des Règles sont respectées ici.

 

[78]           Assujettir les droits de l’intimée à procéder à une saisie-arrêt en main tierce à des dispositions contractuelles telles que plaidé par London Life, ne peut être retenu suivant Robitaille au para 7:

[…] En effet, il est tout à fait évident que l'on ne peut pas par un contrat mettre ses biens à l'abri de saisie par ses créanciers à moins d'une disposition spéciale comme celle que l'on trouve dans la Loi des régimes supplémentaires de rentes (SQ 1965, c 25, art. 31).

 

[79]           La Cour croit que l'intimée a raison d'invoquer l’arrêt Bidner selon lequel la signification de la saisie-arrêt à London Life dans le présent cas équivaut à une demande d’obtention de la valeur de rachat des polices d’assurance-vie. Il est reconnu dans cet arrêt qu’« une dette payable sur demande est une dette qui est immédiatement exigible ». Pour ces raisons, la saisie-arrêt en main tierce est justifiée.

 

3)         Qu’en est-il des conséquences considérables découlant de l’annulation d’une police d’assurance-vie et de l’importance d’appliquer de façon minutieuse la procédure appropriée d’exécution du certificat enregistré en vertu de l’article 223 de la LIR?

 

Arguments de la requérante

[80]           London Life conteste la conclusion du protonotaire Morneau figurant au paragraphe 20 de l’ordonnance du 15 août selon laquelle : « le fait que le rachat entraîne ici l’annulation des polices ne peut porter comme argument en l’espèce ». London Life n'est pas d'accord non plus avec le paragraphe 24 de cette ordonnance selon lequel l’impossibilité de procéder à la saisie-arrêt prévue par l’alinéa 449(1)a) des Règles n’est qu’un « étapisme » (voir paras 113-114 des prétentions écrites de London Life).

 

[81]           London Life soumet aussi que des conséquences pratiques et financières considérables découlent du droit de saisir-arrêter la valeur de rachat de la police d’assurance-vie, et de ce fait, au-delà de l’importance à allouer aux enseignements de la jurisprudence et aux dispositions applicables en l’espèce, ces conséquences pratiques et financières devraient faire l’objet d’une attention particulière de la présente Cour.

 

[82]           Au paragraphe 117 de ses prétentions écrites, London Life signale les conséquences suivantes :

a)             En exigeant de se faire rembourser la valeur de rachat, le titulaire relève notamment l’assureur de son obligation de verser la prestation de décès et il prive ainsi son bénéficiaire ou sa succession d’une protection financière importante;

b)            L’annulation de la police affecte donc une tierce partie au contrat, soit le bénéficiaire - ou la succession du titulaire en l’absence d’une désignation de bénéficiaire - qui se voit priver du droit éventuel de recevoir la prestation de décès lors de la réalisation du risque;

c)             Une telle éventualité entraîne également la possibilité que l’assuré ne soit plus assurable en raison de son âge ou de sa condition de santé, de telle sorte que le titulaire pourrait se voir refuser l’émission d’une nouvelle police pour remplacer celle résiliée suite au paiement de la valeur de rachat;

d)            En l’espèce, London Life, qui a versé à la titulaire des avances sur police, est présentement créancière d’intérêts sur ces avances. Ces intérêts cesseront d’être accumulés au moment où la valeur de rachat sera remboursée.

 

 

[83]           London Life soumet, en guise d’illustration, que dans l’affaire Maritime Cie d’assurance, le juge Bowie a tenu compte dans son raisonnement des conséquences financières néfastes pouvant découler du paiement de la valeur de rachat d’une rente émise par un assureur, autant pour le créancier que son bénéficiaire. La demande de valeur de rachat aurait eu pour effet d’annuler le contrat de rente en cette cause.

 

[84]            La situation s’avère la même ici: le remboursement de la valeur de rachat de la police d’assurance-vie entraîne son annulation. Ainsi, le remboursement empêcherait définitivement la titulaire de bénéficier des autres avantages prévus par la police d’assurance-vie et elle ne pourrait plus les exercer. Ceci reflète l’importance d’appliquer de façon minutieuse la procédure appropriée d’exécution du certificat enregistré en vertu de l’article 223 de la LIR.

 

[85]           En définitive, London Life plaide que la requête de l’intimée pour l’émission d’une ordonnance définitive de saisie-arrêt et les ordonnances rendues en l’instance par le protonotaire Morneau sur la base de cette requête sont non fondées en fait et en droit. 

 

Analyse

[86]            Lors de sa plaidoirie orale, London Life a peu insisté sur les conséquences alléguées au paragraphe 117 de ses prétentions écrites ci-haut mentionnées. La Cour ne souscrit pas à ces arguments car à l’exception de l’alinéa d), London Life plaide pour autrui, c'est-à-dire pour Projexia, la bénéficiaire et titulaire des polices d'assurance-vie. Quant à l’alinéa d) du paragraphe 117,  London Life pourra déduire des sommes qu'elle devra verser à l'intimée les avances, prêts et intérêts qu’elle aura déboursés à Projexia.

 

[87]           London Life a soutenu à l'audience que le rejet du présent appel engendrerait des conséquences désastreuses pour l'industrie de l'assurance-vie au Québec en ce sens que tous les contrats d'assurance-vie devront être révisés et modifiés.  La Cour est d’avis que cet argument ne peut faire échec à l'exercice par l'intimée d'une saisie-arrêt en main-tierce pour tenter de récupérer sa créance à l'encontre de Projexia.

 

[88]           Finalement, la Cour donne raison à l'intimée et confirme les ordonnances du protonotaire Morneau en date des 15 et 24 août 2012.

 

[90]      Les parties ont convenu qu’une somme de 2 500$ à titre de frais en plus des déboursés serait octroyée à la partie gagnante.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

1.                  Le présent appel soit rejeté.

2.                  La requérante devra payer à l'intimée la somme de 2 500$ à titre de frais en plus des déboursés.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        ITA-7879-11

 

INTITULÉ :                                      LIR c. PROJEXIA CONSEILS INC.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

& JUGEMENT:                               LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 30 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Louis Sébastien

Me Dominique Castagne

POUR LA CRÉANCIÈRE JUDICIAIRE

Me Denis A. Lapierre

Me Isabelle N. Tremblay

POUR LA TIERCE-SAISIE, LONDON LIFE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA CRÉANCIÈRE JUDICIAIRE

Sweibel Novek S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

POUR LA TIERCE-SAISIE, LONDON LIFE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.