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Date : 20130130

Dossier : IMM-4453-12

Référence : 2013 CF 102

Montréal (Québec), le 30 janvier 2013

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

 

SARA CRUZ TELEZ

 

 

partie demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

partie défenderesse

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) rendue le 19 avril 2012, rejetant la demande d’asile de la demanderesse.

 

 

I.          Question en litige et norme de contrôle

[2]               La seule question en litige dans le présent dossier a trait à l’allégation d’un manquement aux règles de justice naturelle, découlant du refus de la SPR d’accorder à la demanderesse une remise de l’audience. La décision de la SPR, à cet égard, ne jouit d’aucune déférence et la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43, [2009] 1 RCS 339, Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 aux para 52-54, [2006] 3 RCF 392).

 

II.        Analyse

[3]               Pour les motifs qui suivent, je considère que la décision de la SPR de refuser la demande de remise était déraisonnable et que ce refus a entraîné une violation des règles de justice naturelle.

 

[4]               La demanderesse est représentée par Me Stéphane Handfield. L’audience de la demande a initialement été fixée le 15 novembre 2011. Elle a ensuite été ajournée de façon péremptoire au 26 mars 2012. Le matin de l’audience, Me Éric Taillefer s’est présenté devant la SPR et il a demandé une remise de l’audience au motif que Me Handfield était dans l’impossibilité d’être présent.

 

[5]               Le commissaire a refusé la remise, mais il a suspendu l’audience pour environ une heure pour permettre à Me Taillefer de prendre connaissance du dossier et de se préparer. L’audience s’est ensuite poursuivie. Me Taillefer a ensuite demandé au commissaire la permission de soumettre des représentations écrites après l’audience, ce qui fut fait.

 

[6]               Dans sa décision, la SPR explique pourquoi elle n’a pas accordé la demande de remise. La SPR y indique que Me Taillefer a invoqué l’indisponibilité de Me Handfield sans donner de raison précise. Elle ajoute que Me Taillefer n’a jamais mentionné que Me Handfield était malade, contrairement à ce qui est allégué dans les représentations écrites que Me Taillefer a fait parvenir à la SPR après l’audience, et qu’il s’agit donc d’une « contrevérité ». La SPR a retenu qu’il s’agissait d’une deuxième demande de remise fondée sur l’indisponibilité de Me Handfield et que la date d’audience avait été fixée de façon péremptoire. La SPR a ensuite émis le commentaire suivant :

[6] […] Le tribunal estime que l’attitude raisonnable d’un homme de l’art aurait dû être de corroborer ses allégations au moyen d’un certificat médical, si tant que ce que déclare son représentant dans ses observations était véridique, ce que le tribunal ne croit pas, car jamais, sur l’audience, ce dernier n’avait fait allusion à des empêchements pour raison de santé.

 

[7]               Je considère que, dans les circonstances particulières de la preuve au dossier, la décision de la SPR de ne pas accorder la remise était déraisonnable et les commentaires du commissaire étaient injustes.

 

[8]               Il ressort clairement de la décision que le commissaire était d’avis que Me Taillefer n’avait fourni aucun motif pour justifier la non-disponibilité de Me Handfield. Il en ressort également que le commissaire n’a pas cru que Me Handfield était dans l’impossibilité de se présenter à l’audience pour des raisons de santé.

 

[9]               La transcription de l’audience permet de prendre connaissance des représentations que Me Taillefer a faites au début de l’audience :

PAR LE CONSEIL : (au commissaire président)

 

-                     Oui, merci monsieur le commissaire. Alors, vous pouvez constater que je ne suis pas Me Handfield. C’est l’avocat qui est indiqué au dossier pour Mme Cruz. Il a communiqué avec moi hier après-midi pour me demander de venir faire la remise dans le présent dossier.

 

-                     En gros, pour des raisons personnelles, Me Handfield est indisposé aujourd’hui et peut-être même pour le reste de la semaine, ne pourra pas se présenter. Il s’en excuse, bien sûr.

 

-                     Bon, de mon côté c’est certain que moi, je ne suis pas prêt à procéder parce que de toute façon, je n’ai pas le dossier, il est en possession de Me Handfield présentement.

 

-                     C’est la deuxième remise dans le présent dossier, à ma connaissance, aujourd’hui. Cependant, je vais vous suggérer des dates quand même assez rapprochées pour qu’on puisse procéder sans que le dossier soit retardé (inaudible). Je tiens par contre à mentionner que Me Handfield était prêt à procéder ce matin, c’est vraiment une urgence qui s’est produite en fin de semaine qui fait qu’il a pas pu être là aujourd’hui.

 

[…]

 

-                     C’est certain, monsieur le commissaire, permettez-moi de vous interrompre, que vous n’êtes pas tenu de respecter le choix de l’avocat de madame et je comprends que c’est (inaudible), je comprends tout à fait. Cependant, c’est vraiment des circonstances hors du contrôle de Me Handfield qui font (inaudible)….

 

[10]           Le dossier de la demanderesse comprend un affidavit de Me Taillefer dans lequel il précise avoir informé le commissaire, au retour d’une pause, que Me Handfield n’était pas disponible pour des raisons de santé. Son affidavit contient les paragraphes suivants :

2. Au téléphone, le 26 mars 2012, Me Handfield m’informe qu’il est malade et ne pourra pas se présenter à son audience avec la demanderesse. Il me demande de le représenter afin d’obtenir une remise et me donne des dates rapprochées pour la tenue de l’audience;

[…]

 

4. J’indique au tribunal sur enregistrement que je fais une demande de remise. J’explique la situation en indiquant que celle-ci était hors du contrôle de la demanderesse. À l’origine, j’explique que Me Handfield ne peut être présent pour des raisons personnelles;

 

5. Le tribunal rejeta la demande de remise sous prétexte que la date d’audience était péremptoire et que la demanderesse le savait, et Me Handfield aussi. J’ai demandé une suspension de 10 minutes pour m’entretenir avec Me Handfield et la demanderesse pour la suite des choses. Cette pause est accordée;

 

6. Au retour de la suspension, je souligne au commissaire que la remise est pour une raison médicale. Cependant, suite à l’écoute de l’enregistrement, force est de constater que nous n’avons pas été enregistrés à ce moment.

 

[11]           Le dossier comprend également l’affidavit d’une amie de la demanderesse, Mme Mélanie Da Silveira Correira, qui était présente à l’audience et qui confirme qu’au retour de la pause, Me Taillefer a informé le commissaire que Me Handfield était malade.

 

[12]           Dans l’argumentation écrite que Me Taillefer a présentée à la SPR après l’audience, il a indiqué que Me Handfield n’avait pu se présenter à l’audience du 26 mars 2012 pour des raisons de santé.

 

[13]           Dans les circonstances, je considère qu’il était déraisonnable et injuste de la part du commissaire de remettre en doute la véracité du motif de demande de remise invoqué par Me Taillefer au nom de Me Handfield. Je conviens que lors de son intervention initiale, Me Taillefer n’a pas précisé que Me Handfield était malade. Il a toutefois clairement indiqué au commissaire que Me Handfield était indisposé, qu’il s’agissait d’une urgence et de circonstances hors de son contrôle. J’estime donc qu’il était déraisonnable de conclure que Me Taillefer n’avait donné aucun motif pour justifier l’absence de Me Handfield. Si le commissaire jugeait que les représentations de Me Taillefer étaient trop vagues, il n’avait qu’à lui demander de préciser davantage la nature de l’indisponibilité de Me Handfield.

 

[14]           Rien ne me permet non plus de remettre en doute les déclarations assermentées de Me Taillefer et de Mme Da Seilveira Correira qui confirment que Me Taillefer a précisé, au retour de la pause, que Me Handfield était malade. Il semble toutefois que cette intervention ait été faite avant que l’enregistrement de l’audience ne reprenne après la pause.

 

[15]           Je considère enfin que le commissaire allait un peu loin en déclarant que Me Handfield aurait dû produire un certificat médical pour justifier son absence.

 

[16]           Je reconnais que la SPR exerce un pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle décide d’accorder ou non une remise et qu’elle doit considérer les éléments pertinents, dont ceux énumérés à l’article 48 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228. Je reconnais également que la SPR est maître de sa procédure. Je considère toutefois que, dans les circonstances particulières de ce dossier, en écartant les motifs invoqués au soutien de la demande de remise, la SPR a omis de considérer tous les facteurs qui étaient pertinents aux fins de décider si une remise devait ou non être accordée.

 

[17]           Je suis par ailleurs d’accord avec les principes avancés par le défendeur. Le refus d’accorder une remise de l’audience n’est pas en soi suffisant pour annuler la décision de la SPR. La demanderesse doit démontrer que le refus de reporter l’audience a entraîné une violation des principes de justice naturelle ou des règles d’équité (Wagg c Canada, 2003 CAF 303 au para 19, [2004] 1 RCF 206; Javadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 278 au para 25 (disponible sur CanLII); Julien c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 351 au para 28, 366 FTR 160). De plus, le droit à l’avocat n’est pas absolu et que le seul fait d’avoir été représenté par un avocat ayant moins d’expérience n’entraîne pas nécessairement une violation des principes de justice naturelle.

 

[18]           La demanderesse doit démontrer que le fait qu’elle ait dû procéder avec un avocat autre que celui qu’elle avait choisi pour la représenter a eu un impact sur sa capacité de présenter sa preuve ou ses arguments.

 

[19]           En l’espèce, la demanderesse soutient qu’en l’absence de Me Handfield, elle n’a pas été en mesure de faire valoir équitablement ses intérêts et ses arguments, notamment en regard du volet de sa demande qui a trait à sa crainte reliée au fait qu’elle est une femme. La demanderesse soutient que Me Taillefer n’était pas préparé pour la représenter, qu’il ne connaissait pas le dossier, qu’il n’avait pas tout le dossier en sa possession et qu’il n’avait que très peu d’expérience, dont aucune dans un dossier comme le sien.

 

[20]           Le défendeur soutient pour sa part que la demande d’asile et la preuve ne démontrent pas clairement que la demanderesse voulait invoquer une crainte de retour fondée sur le fait qu’elle est une femme. Il soutient également que la demanderesse n’a pas précisé la preuve qu’elle aurait souhaité présenter à cet égard et qui aurait pu permettre à la SPR de reconnaître que sa situation personnelle, en tant que femme, pouvait engendrer pour elle un risque si elle devait retourner au Mexique.

 

[21]           Je conviens que le récit de la demanderesse joint à son Formulaire de renseignements personnels (FRP) est axé uniquement sur une crainte de représailles liées à la dénonciation qu’elle aurait faite des pratiques frauduleuses d’une collègue.

 

[22]           Par ailleurs, la demanderesse a précisé, à la question 28 de son FRP, qu’elle demandait l’asile à titre de réfugiée, parce qu’elle craignait être persécutée du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social. La preuve documentaire qu’elle a déposée contient aussi des documents qui traitent de façon générale de la violence faite aux femmes au Mexique. La demanderesse n’a toutefois pas témoigné sur cet aspect de sa réclamation de sorte qu’aucune preuve ne permet de relier cette documentation générale à sa situation personnelle. Dans les représentations écrites produites après l’audience, la demanderesse a toutefois plaidé sa crainte liée au fait qu’elle est une femme, célibataire avec un enfant et fait état de certains éléments de la preuve documentaire traitant de la violence faite aux femmes.

 

[23]           La SPR a mentionné, au paragraphe 17 de sa décision, que la demanderesse n’a pas témoigné à l’égard de menaces ou risques liés au fait qu’elle soit une femme. C’est justement ce que soulève Me Handfield en prétendant que Me Taillefer ne connaissait pas suffisamment bien le dossier de la demanderesse et que, si c’est lui qui avait été présent à l’audience, ce volet de la crainte aurait été abordé dans le témoignage de la demanderesse.

 

[24]           À la lumière du dossier, j’estime qu’il n’est pas impossible qu’en présence de Me Handfield, la demanderesse aurait été invitée à témoigner sur le volet de sa demande lié à sa crainte en tant que femme, célibataire et mère d’un enfant. Il m’est impossible de présumer le contenu d’un tel témoignage et je préfère me ranger du côté de la prudence, parce que le dossier contient certains éléments qui laissent entendre que la demanderesse avait l’intention d’invoquer une crainte fondée sur le fait qu’elle est une femme. Comme ce volet n’était pas détaillé dans le FRP de la demanderesse, il n’est pas impossible que Me Taillefer n’ait pas pensé questionner la demanderesse sur ce volet. Je considère donc qu’en ayant été dans l’obligation de procéder sans la présence de Me Handfield, la demanderesse a peut-être été privée de l’occasion de présenter de la preuve pour soutenir son allégation de crainte fondée sur le fait qu’elle est une femme, mère et célibataire.

 

[25]           Pour tous ces motifs, la demande sera accueillie. Je tiens par ailleurs à préciser que malgré l’absence de Me Handfield, la demanderesse a eu l’occasion de témoigner en détail relativement à sa crainte fondée sur un risque de représailles en raison de la dénonciation qu’elle a faite des agissements frauduleux d’une collègue du Parti révolutionnaire institutionnel. Ce volet de la décision n’est pas remis en cause. Le dossier est donc renvoyé à la SPR pour que la crainte de la demanderesse, fondée sur le fait qu’elle est une femme, soit évaluée par un nouveau panel.

 

[26]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et le présent dossier ne soulève aucune question qui devrait être certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est partiellement cassée et le dossier est retourné à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour que l’allégation de risque de la demanderesse, fondée sur le fait qu’elle est une femme, soit évaluée par un autre panel. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4453-12

 

INTITULÉ :                                      SARA CRUZ TELEZ

                                                            c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 29 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                     le 30 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphane Handfield

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Émilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphane Handfield

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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