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Date : 20130208

Dossier : IMM-4333-12

Référence : 2013 CF 138

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

RICARDO CRUZ VERGARA

ELSA LUZ DIAZ GUIZA

JUANITA ALEJANDRA CRUZ DIAZ

(alias JUANITA ALEJAND CRUZ DIAZ)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, Ricardo Cruz Vergara, son épouse Elsa Luz Diaz Guiza, et leur fille Juanita Alejandra Cruz Diaz, sont Colombiens. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui leur a refusé la qualité de réfugiés au sens de la Convention et la qualité de personnes à protéger.

[2]               La Commission a rendu sa décision le 11 avril 2012. La présente demande est déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Pour les motifs exposés ci-après, la demande est rejetée.

 

CONTEXTE

 

[3]               Le demandeur principal est avocat de formation. Il a exercé sa profession dans la ville d’Armenia, de 1994 à 2009. En juin 2009, deux hommes l’ont approché et se sont présentés comme membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Dans son formulaire initial de renseignements personnels (FRP), M. Cruz écrivait que les deux hommes lui avaient dit qu’il avait 20 jours pour [traduction] « partir », sans quoi il aurait des ennuis. Il pense qu’il s’agissait de représailles parce qu’il avait obtenu gain de cause pour la partie défenderesse dans un procès que les FARC comptaient gagner. Durant l’audition de sa demande d’asile, il a remplacé le mot [traduction] « partir » par les mots [traduction] « disparaître à jamais ».

 

[4]               Après les menaces, M. Cruz et son épouse ont pris des mesures pour se protéger, eux et leurs enfants, et ont entrepris de vendre leurs biens. À la suite d’autres menaces en août 2009, M. Cruz a présenté, à l’hôtel de ville, une déclaration selon laquelle il devait s’absenter de la ville pour des raisons qui ne dépendaient pas de lui, et la famille est partie pour Bogotá. À Bogotá, M. Cruz a présenté à la Personaria (mot traduit à l’audience par bureau de l’ombudsman) une déclaration dans laquelle il expliquait ce qui était arrivé et sollicitait une aide pour quitter le pays. L’ombudsman a transmis la déclaration au Bureau de l’action sociale. Le 26 août 2009, la famille s’est installée à Vélez, où elle avait de nombreux proches, puis a engagé un avocat pour accélérer leur dossier. Le 25 septembre 2009, l’avocat a informé M. Cruz que le Bureau de l’action sociale avait refusé de l’enregistrer, lui et sa famille, comme personnes déplacées, parce que le Bureau n’avait pas connaissance d’activités menées par les FARC à Armenia, une ville qui était considérée comme sûre et qui était tenue par le gouvernement.

 

[5]               Un appel à l’encontre de cette décision a été déposé le 2 octobre 2009. Le 13 octobre 2009, M. Cruz, son épouse et sa fille mineure ont quitté la Colombie, pour arriver au Canada le 27 octobre 2009, via Buffalo, dans l’État de New York. M. Cruz a une sœur, citoyenne canadienne, qui vit à Essex, en Ontario. Il a laissé une fille majeure à Vélez, car elle ne détenait pas de visa des États-Unis. Les deux autres enfants de M. Cruz issus d’un mariage antérieur, des frères et sœurs ainsi que ses parents demeurent également en Colombie, tout comme la famille de son épouse.

 

[6]               Dans son FRP mis à jour, produit en janvier 2012, M. Cruz écrit que, en septembre 2011, deux ans après leur départ, Esperanza, la sœur de son épouse, lui a écrit pour lui dire que trois personnes qu’elle croyait être des informateurs des FARC s’étaient enquises de lui et de son épouse à Vélez, disant qu’elles avaient un compte à régler avec la famille. Il dit aussi dans son FRP avoir été informé par son avocat que son appel avait été accueilli neuf mois après leur départ et que la famille avait été reconnue par le gouvernement colombien comme des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[7]               Selon le commissaire, les points à décider étaient les suivants : la crainte du demandeur d’asile était-elle objectivement raisonnable (y compris les questions de savoir si l’État en Colombie offrait une protection suffisante, si le demandeur d’asile avait pris tous les moyens raisonnables pour l’obtenir, et s’il avait apporté une preuve claire et convaincante d’une impossibilité d’obtenir une protection), et la ville de Cartagena, en Colombie, offrait-elle une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable?

 

[8]               Le commissaire a relevé que le conflit armé en Colombie avait duré plus de quatre décennies et que, malgré une diminution des violences, le nombre de Colombiens déplacés à l’intérieur ou à l’extérieur du pays demeurait élevé. Il a écrit que, selon le HCNUR, divers groupes étaient exposés à un risque particulier de persécution, notamment les juges et autres personnes intervenant dans l’administration de la justice, et que les FARC et autres groupes avaient commis de nombreuses violations des droits de la personne, notamment par l’intimidation de juges, de procureurs et de témoins.

 

[9]               Le commissaire a analysé ensuite la viabilité de la PRI proposée. Citant la jurisprudence pertinente, il a expliqué qu’une PRI doit être réaliste, réalisable et accessible, mais que, dans la mesure où il était objectivement raisonnable pour un demandeur d’asile de s’installer dans la région de la PRI sans craindre la persécution, il n’importait pas de savoir si cette région était attrayante ou convenable pour le demandeur d’asile. La question était de savoir si l’on devrait s’accommoder de cette région avant de songer à se rendre dans un autre pays pour y trouver refuge. Il a énoncé le double critère et fait observer que la charge de la preuve reposait toujours sur le demandeur d’asile.

 

[10]           Le demandeur d’asile avait témoigné à l’audience qu’il ne pouvait pas compter vivre en paix à Cartagena parce que les FARC étaient présentes partout dans le pays et que, comme avocat, où qu’il aille, il lui faudrait s’enregistrer et s’annoncer, ce qui risquait d’éveiller l’attention des FARC. Le commissaire a estimé que cela n’était pas probable. Les FARC n’avaient pas proféré d’autres menaces après que le demandeur d’asile avait quitté Armenia, et elles n’avaient pas mis à exécution leurs menaces initiales quand il n’avait pas quitté la ville dans le délai de 20 jours. Prié de s’en expliquer, le demandeur d’asile n’avait pas directement répondu. Son conseil avait affirmé que l’État colombien ne pouvait pas offrir de protection contre les FARC et que les FARC étaient présentes à Cartagena; sans doute était-ce vrai, a reconnu le commissaire, mais le demandeur d’asile n’avait pas montré qu’il était une cible permanente des FARC.

 

[11]           Le commissaire a aussi considéré que le demandeur n’avait pas bien expliqué pourquoi il avait, dans son exposé circonstancié, remplacé le mot [traduction] « partir » par les mots [traduction] « disparaître à jamais », qui modifiaient le sens des menaces. Selon lui, le demandeur avait tenté d’embellir sa demande d’asile en affirmant que les FARC avaient leur propre jargon et qu’il avait pensé qu’une traduction littérale serait source de confusion.

 

[12]           Le commissaire a accordé très peu de poids à la lettre de la belle-sœur de M. Cruz selon laquelle des individus louches avaient été à la recherche de la famille en septembre 2011. Il n’apparaissait pas vraisemblable au commissaire, selon la prépondérance des probabilités, que les FARC aient pu vouloir retrouver le demandeur d’asile deux ans après son départ d’Armenia, la lettre ne renfermait aucun renseignement pouvant être corroboré, et les FARC, en tant qu’organisation, disposaient de moyens décroissants qu’elles n’allaient vraisemblablement pas employer pour rechercher le demandeur d’asile dans un autre endroit fort éloigné de la ville où les menaces initiales avaient été proférées.

 

[13]           Le commissaire a examiné en détail la zone d’influence des FARC en se fondant sur une preuve documentaire contrastée. Il a conclu que, grâce à l’aide et aux sommes considérables offertes par les États-Unis, la Colombie avait pu prendre le contrôle de régions du pays auparavant non gouvernées et assurer la sécurité d’une partie beaucoup plus importante de la population.

 

[14]           Le demandeur d’asile avait témoigné que les FARC avaient infiltré partout les organismes gouvernementaux et qu’il était très risqué de s’en remettre à la police. Le commissaire a estimé que cela ne s’accordait pas avec la preuve documentaire. Le demandeur d’asile n’était d’ailleurs jamais allé voir la police. Il avait plutôt déposé une demande auprès de la Personaria, ou ombudsman, pour être reconnu comme personne déplacée dans son propre pays, et il avait fait appel du refus initial de cette demande. Puisque son appel avait été accueilli, bien que neuf mois après son départ du pays, c’était la preuve que la protection offerte par l’État était acceptable. Le témoignage du demandeur d’asile montrait qu’il n’avait pas tenté d’obtenir une protection de manière à pouvoir demeurer en Colombie; son intention était plutôt de quitter la Colombie pour obtenir l’asile au Canada. Au lieu de rester en Colombie pour bénéficier des programmes gouvernementaux offerts aux personnes déplacées, il avait quitté le pays avant de connaître l’issue de son appel. Sa demande d’aide adressée à l’État avait pour objet de faciliter sa fuite et de lui donner la possibilité d’obtenir une protection à l’étranger.

 

[15]           Le commissaire a pris acte de la preuve produite par le conseil, une preuve qui attestait des faits de corruption et des violations des droits de la personne au sein de la police colombienne, mais il a estimé que, même si la protection offerte par l’État en Colombie n’était pas parfaite, elle était adéquate, que la Colombie faisait de réels efforts pour enrayer la criminalité, et que la police colombienne était à la fois disposée et apte à protéger les victimes.

 

[16]           Le commissaire a conclu que le demandeur d’asile n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État, n’avait pas montré qu’il risquait la persécution et n’avait pas évoqué d’obstacles objectivement raisonnables à son installation à Cartagena.

 

POINTS LITIGIEUX

 

[17]           Les documents écrits produits par les parties soulèvent les questions suivantes :

a.       La conclusion du commissaire relative à la PRI était-elle déraisonnable?

b.      Le commissaire a-t-il négligé ou écarté de façon déraisonnable des éléments de preuve importants montrant que le demandeur d’asile avait des raisons objectives de craindre toujours la persécution?

c.       La conclusion du commissaire sur l’existence d’une protection de l’État était-elle déraisonnable parce qu’il a négligé ou écarté des éléments de preuve importants produits par le demandeur?

 

[18]           Il s’agit là de questions qui appellent toutes l’application de la norme de la décision raisonnable : Lopez c Canada (MCI), 2012 CF 1022, aux paragraphes 21, 24 et 25; Jackson c Canada (MCI), 2012 CF 1098, au paragraphe 26; Andrade c Canada (MCI), 2012 CF 1490, aux paragraphes 6 à 10.

 

[19]           Au début de l’audition de la présente demande, l’avocat du défendeur a reconnu que, dans le résumé de ses impressions sur la demande d’asile, le commissaire n’avait exprimé des doutes que sur la crédibilité de la lettre de la belle-sœur du demandeur. Au moment de rendre sa décision après examen des observations écrites, il avait exprimé ses doutes sur les raisons données par le demandeur pour justifier la modification qu’il avait apportée à la dernière minute à son FRP, ce qui entamait la crédibilité de la demande d’asile. Ayant négligé d’en faire mention à la clôture de l’audience, il avait privé les demandeurs de l’occasion de dissiper ses doutes dans leurs observations écrites postérieures à l’audience, a reconnu le défendeur.

 

[20]           Lorsque se pose une question d’équité procédurale, la Cour doit déterminer si le processus suivi par le décideur répondait au niveau d’équité requis compte tenu de l’ensemble des circonstances : voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

 

[21]           J’aborderai la question de l’équité en même temps que la conclusion relative à la PRI.

 

ANALYSE

 

a.      La conclusion du commissaire relative à la PRI était-elle déraisonnable?

 

[22]           Les demandeurs font valoir que la conclusion relative à la PRI n’était fondée sur à peu près rien d’autre que les conjectures de la SPR concernant l’attitude probable des FARC. Le commissaire a accepté la totalité du FRP sauf l’information d’après laquelle les FARC étaient encore à la recherche du demandeur deux ans après son départ. Rien ne montrait que les FARC savaient que le demandeur avait quitté le pays, de sorte que le commissaire n’était pas à même de récuser l’idée selon laquelle les FARC étaient encore à sa recherche. Selon les demandeurs, il a mis en doute, à tort, la crédibilité de M. Cruz en tirant argument des changements apportés à son FRP; les règles de la Commission autorisent explicitement la modification d’un FRP, et une explication vraisemblable avait été donnée de la modification.

 

[23]           Les demandeurs affirment aussi que, d’après l’information figurant dans le Cartable national de documentation que détient la Commission, il n’existe pas en général de PRI en Colombie, et cela parce que le rayon d’action des FARC s’étend à tout le pays. Cependant, le document du HCNUR de mai 2010 à l’origine de cette information rattache celle-ci à la persécution exercée par les agents de l’État ou tolérée par les autorités publiques, notamment au moyen de la corruption.

 

[24]           Le commissaire n’a pas douté de la véracité du récit du demandeur sur la persécution qu’il avait subie à Armenia, encore qu’il se soit interrogé sur la raison pour laquelle les FARC n’avaient pas mis à exécution leurs menaces initiales quand le demandeur n’avait pas quitté la ville immédiatement. Le commissaire a analysé en détail la zone d’influence des FARC, ce qu’il n’aurait pas fait s’il avait refusé de croire qu’elles avaient au départ pris le demandeur pour cible.

 

[25]           Si le commissaire a conclu à un embellissement de la demande d’asile, ce n’est pas parce que le demandeur avait, au début de l’audience, remplacé le mot [traduction] « partir » par les mots [traduction] « disparaître à jamais », c’est plutôt que le commissaire doutait de l’explication du demandeur, au cours de son témoignage, quand il disait que l’expression [traduction] « disparaître à jamais » était celle employée par les FARC lorsqu’elles disaient à quelqu’un de quitter tout simplement la Colombie. Cet éclaircissement n’avait pas été donné lors de la modification de l’exposé circonstancié du FRP en janvier 2012, mais au tout début de l’audience. Prié de s’en expliquer, M. Cruz avait déclaré :

[traduction] Je ne voulais pas être aussi explicite ou... ni utiliser les mêmes mots dans la forme écrite, parce qu’ils n’auraient sans doute pas été interprétés ou traduits de la bonne manière, car il s’agit d’expressions qui... qui n’ont pas de traduction... de traductions littérales.

 

[26]           Le commissaire avait bien dit, à ce stade de l’audience, qu’il ne saisissait pas cette explication et, selon lui, le sens des mots de remplacement formait un élément essentiel de la demande d’asile. À son avis, M. Cruz aurait dû employer les mots de remplacement soit dans l’exposé circonstancié initial de son FRP, soit dans la version modifiée produite deux mois avant l’audience. Le commissaire a donné à M. Cruz une autre occasion d’expliquer pourquoi il ne l’avait pas fait, et M. Cruz a répondu ainsi :

[traduction] Les lieux où... quand des circonstances comme celles que nous... que nous avons dû traverser, nous... avons perdu le... le sentiment d’être arrivés à certaines choses, et pour... pour tenter d’être plus clair, on agit de la manière opposée, et c’est ce qui s’est produit dans ce cas-ci. Un grand nombre des mots employés par les membres des FARC, par ces guérilléros, sont des mots qui leur sont propres, ou des expressions qu’ils utilisent, ce sont des mots qui sont employés uniquement par eux.

 

... Et ces traductions littérales peuvent être source de confusion.

 

 

[27]           M. Cruz est un homme instruit et, même s’il témoignait avec l’aide d’un interprète en langue espagnole, ses réponses figurant dans la transcription sont en général claires et adaptées aux questions posées. À mon avis, il était loisible au commissaire de conclure que l’explication donnée par lui pour justifier le changement apporté à son exposé circonstancié n’était ni claire ni adaptée. Je suis également convaincu que les demandeurs ont été pleinement à même de présenter leur demande d’asile et d’expliquer pourquoi la PRI proposée ne convenait pas. Ils étaient représentés par un conseil d’expérience. Le commissaire a commis une erreur en signalant, à la fin de l’audience, qu’il doutait seulement de la crédibilité de la lettre de la belle-sœur du demandeur, mais cette erreur n’a eu aucun effet déterminant sur sa décision.

 

[28]           Il était à prévoir que le commissaire étudierait l’existence d’une PRI ailleurs en Colombie. M. Cruz n’a pas produit une preuve claire et convaincante montrant que les FARC étaient présentes à Cartagena et qu’il serait pour elles une cible dans cette ville. Il a dit que les FARC avaient infiltré des organismes gouvernementaux partout dans le pays, mais ce n’est pas ce que l’on peut lire dans la documentation relative au pays. D’après le dossier que j’ai devant moi, la conclusion du commissaire selon laquelle le demandeur disposait d’une PRI était raisonnable. Cette conclusion suffit pour me permettre de statuer sur la demande de contrôle judiciaire, mais j’exposerai brièvement mes conclusions sur les autres points.

 

2. Le commissaire a-t-il négligé ou écarté de façon déraisonnable des éléments de preuve importants montrant que le demandeur d’asile avait des raisons objectives de craindre toujours la persécution?

 

[29]           Le commissaire ayant admis que les premières menaces avaient bien été proférées, les demandeurs font valoir qu’il était déraisonnable qu’il n’accorde pas davantage de poids à la preuve documentaire objective qui confirmait que les FARC ont coutume de persécuter les gens qui exercent un rôle dans l’administration de la justice. Ils affirment aussi que le commissaire a commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’il a accordé peu de poids à la déclaration de la belle‑sœur du demandeur, qui affirmait que des agents des FARC s’étaient enquis du demandeur en septembre 2011.

 

[30]           Il ressort clairement des motifs du commissaire qu’il a pris en compte l’ensemble de la preuve produite par les demandeurs, y compris les documents sur le pays. Il a explicitement pris acte des rapports contrastés se rapportant à la zone d’influence des FARC. Cependant, il lui incombait d’évaluer les affirmations, les observations et les rapports. Par leurs arguments sur cet aspect, les demandeurs voudraient simplement que la Cour apprécie à nouveau la preuve. Ce n’est pas là le rôle de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire.

 

[31]           Je reconnais avec les demandeurs que l’on ne pouvait espérer qu’ils expliquent pourquoi les FARC avaient décidé de ne pas exercer de représailles contre M. Cruz après que celui-ci eut passé outre à leurs premières menaces dans le délai de 20 jours. Cependant, au vu de l’ensemble de la preuve, y compris la lettre de sa belle-sœur, il était loisible au commissaire de conclure que les FARC ne s’intéressaient plus à M. Cruz. Des documents tels que la lettre de la belle-sœur doivent être évalués d’après ce qu’on peut y lire et non d’après ce qui n’y apparaît pas, mais, selon la jurisprudence, un commissaire n’est pas tenu d’accepter tels documents sans réserve s’ils ne cadrent pas avec l’ensemble de la preuve. Ici, le commissaire a soigneusement évalué l’ensemble de la preuve ainsi que les observations reçues.

 

3. La conclusion du commissaire sur l’existence d’une protection de l’État était-elle déraisonnable parce qu’il a négligé ou écarté des éléments de preuve importants produits par le demandeur?

 

[32]           Sur cet aspect, les demandeurs estiment que le commissaire a commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’il s’est fondé à l’excès sur le Cartable national de documentation et n’a pas tenu compte de la preuve produite par eux concernant leur pays. D’après eux, le commissaire a conclu de façon déraisonnable que, puisque l’appel formé par le demandeur avait été admis par les autorités colombiennes, la protection offerte par l’État était adéquate. Au contraire, soutiennent-ils, l’existence d’une importante population de personnes déplacées montre que l’État colombien n’a pas d’emprise sur son territoire.

 

[33]           Les demandeurs n’ont pas cherché à obtenir la protection de la police ou d’autres instances d’application de la loi en Colombie. Ils se sont plutôt adressés à la Personaria, ou ombudsman, pour obtenir une aide qui faciliterait leur départ du pays. Cette aide n’ayant pu être obtenue immédiatement, ils ont quand même quitté leur pays, profitant de leurs visas des États-Unis pour rejoindre la frontière canadienne.

 

[34]           L’admission du gouvernement colombien selon laquelle il y a des personnes déplacées à l’intérieur même du pays était, selon le commissaire, le signe que l’État colombien reconnaissait la nécessité d’offrir une protection sociale à ces personnes. Il était raisonnablement loisible au commissaire de tirer cette conclusion. En outre, comme l’affirme le défendeur, le commissaire, après examen de l’état actuel des FARC, a estimé que, sur une période de dix ans, la Colombie avait pu inverser le déclin de la protection qu’elle offrait et apporter la sécurité à une partie beaucoup plus importante de sa population.

 

[35]           La jurisprudence récente de la Cour confirme le caractère raisonnable de décisions selon lesquelles l’État colombien avait offert une protection adéquate à ceux qui s’étaient trouvés dans une situation semblable à celle du demandeur et dont la sécurité avait été menacée par les FARC. Cette jurisprudence est recensée dans la décision Andrade c Canada (MCI), 2012 CF 1490, au paragraphe 18. Comme on peut le lire au paragraphe 20 de cette décision, la Cour a annulé des décisions de la SPR relativement à la protection de l’État en Colombie uniquement lorsqu’il a été établi que la SPR avait omis d’évaluer correctement les antécédents ou le « profil » du demandeur d’asile et lorsque le demandeur d’asile se retrouvait dans l’un des groupes qui, d’après la preuve documentaire, pouvaient être exposés à un risque en Colombie, par exemple « les juges et d’autres personnes associées au système de justice ».

 

[36]           Le demandeur principal fait partie de la catégorie des personnes « associées au système de justice » puisqu’il avait exercé la profession d’avocat, mais il ne constituait pas pour autant un risque pour les FARC. Les menaces dont il avait été l’objet auraient, selon les allégations, résulté de la déception des FARC à l’issue d’un procès dont elles avaient espéré qu’il favoriserait un de leurs collaborateurs. Le commissaire a tenu compte de cet élément. Sa conclusion selon laquelle les demandeurs auraient probablement pu obtenir de l’État colombien une protection s’ils avaient recherché cette protection appartenait aux issues possibles raisonnables.

 

[37]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4333-12

 

INTITULÉ :                                      RICARDO CRUZ VERGARA

                                                            ELSA LUZ DIAZ GUIZA

                                                            JUANITA ALEJANDRA CRUZ DIAZ

                                                            (alias JUANITA ALEJAND CRUZ DIAZ)

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 30 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 8 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alla Kikinova

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Brad Bechard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ALLA KIKINOVA

Loeback Law Firm

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                   

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