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Date : 20130125

Dossier : IMM-6593-12

Référence : 2013 CF 77

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2013

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

P.M.

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                   Introduction

 

[1]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule, qui est arrivé au Canada en 2010 et qui était l’un des 492 passagers à bord du NM Sun Sea. Il nie toute implication au sein des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), un groupe désigné comme une organisation terroriste au Canada. Il demande néanmoins l’asile au Canada au motif qu’il est exposé à un risque de persécution, parce qu’il sera perçu comme une personne liée aux TLET, et ce, en raison du fait qu’il est arrivé au Canada à bord du NM Sun Sea. De plus, il prétend qu’il est exposé à un risque aux mains des autorités sri-lankaises, qui vont sans doute le persécuter en tant que demandeur d’asile qui a voyagé à bord du NM Sun Sea et qui a été tenu de retourner au Sri Lanka.

 

[2]               Dans une décision datée du 12 juin 2012, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile que le demandeur avait présentée au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La Commission a reconnu que le demandeur n’avait aucun lien avec les TLET et elle a tiré un certain nombre d’autres conclusions clés :

 

                     Le demandeur aurait pu déménager à Jaffna, une possibilité de refuge intérieur, et y vivre en toute sécurité;

 

                     Le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution s’il retournait dans son pays en tant que Tamoul dont la demande d’asile a été rejetée;

 

                     Il est peu probable que le demandeur soit exposé à un risque fondé sur son association apparente avec les TLET en raison de son arrivée au Canada à bord du NM Sun Sea (la demande d’asile présentée sur place).

 


II.                Les questions en litige

 

[3]               Le demandeur sollicite l’annulation de cette décision. Il soulève les questions en litige suivantes :

 

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a omis de tenir compte de la preuve essentielle, pertinente et probante relative à demande d’asile présentée sur place par le demandeur?

 

2.                  L’analyse effectuée par la Commission quant à la demande présentée sur place était-elle déraisonnable, du fait que cette analyse reposait sur des renseignements erronés, sur des hypothèses qui n’étaient pas étayées par la preuve et sur des conjectures déraisonnables?

 

[4]               J’ai conclu que la décision devrait être confirmée, et ce, pour les motifs qui suivent.

 

III.             La norme de contrôle applicable

 

[5]               La norme de contrôle applicable à la décision est la raisonnabilité. Lorsque cette norme s’applique, le rôle de la cour de révision est de se demander « si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47). La cour de révision doit aussi examiner « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

IV.             Analyse

 

A.                La première question en litige : l’omission de tenir compte de la preuve

 

[6]               La Cour peut présumer que la SPR a tenu compte de toute la preuve, et la Commission n’a pas l’obligation de renvoyer expressément à chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés (Yu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1157, 66 Imm LR (3d) 153, au paragraphe 8; Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, 253 DLR (4th) 606, au paragraphe 90). Cependant, la SPR peut commettre une erreur susceptible de contrôle si elle omet de mentionner les éléments de preuve essentiels à la demande d’asile du demandeur qui contredisent son raisonnement ou sa conclusion (Iordanov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 145 FTR 289, [1998] ACF no 367 (CF 1re inst), au paragraphe 11); Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425 (CF 1re inst), aux paragraphes 15 à 17, et 27).

 

[7]               Dans le contexte d’un dossier renfermant de multiples éléments de preuve documentaire concernant la situation dans le pays, la Commission n’a pas à citer chacun de ces documents. Toutefois, la Commission commet une erreur si elle omet de mentionner les éléments essentiels d’une preuve cruciale qui va à l’encontre des conclusions qu’elle tire (Osorio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 37, [2012] ACF no 36, au paragraphe 41).

 

[8]               Le demandeur affirme que la Commission a fait fi d’un article, écrit au début de l’année 2012 et publié sur le site Web du ministère de la Défense du Sri Lanka, qui portait principalement sur une organisation nommée « Congrès tamoul canadien » (le CTC) (dossier certifié du tribunal (DCT), aux pages 1510 à 1512). On y alléguait que le CTC servait de paravent aux TLET et qu’il visait à promouvoir les objectifs des TLET, par l’entremise d’actions sur le plan des droits de la personne. Le passage pertinent mentionne ce qui suit (DCT, volume 8, à la page 1511) :

[traduction]

Les enquêtes en cours révèlent que le CTC a facilité les opérations de plusieurs millions de dollars des TLET visant le passage de clandestins à bord du NM Ocean Lady (76 membres d’équipage et passagers) et du NM Sun Sea (492 membres d’équipage et passagers). Les TLET, qui sont dirigés par deux anciens Tigres des mers, soit Ravishankar Kanagarajah, du Canada, et Shanmugasundaram Kanthaskaran, du Royaume‑Uni, ont aussi facilité le passage au Canada de plus de 200 membres et dirigeants des TLET, ainsi que leur famille […] Les enquêtes révèlent de plus que, non seulement le CTC a bel et bien fourni de l’aide financière et juridique à l’équipage et aux passagers membres des TLET, mais qu’ils les ont aussi présentés comme étant d’authentiques réfugiés, et non comme des terroristes. Lors de l’arrivée de dirigeants importants des TLET et de leur famille à Vancouver, Poopalapillai [le directeur des relations publiques du CTC] et son équipe ont pris, dès le lendemain, l’avion en direction de Vancouver pour prendre la défense des agents des TLET et pour contrer les efforts déployés par le Canada afin d’élaborer une législation sévère. Gary Anandasangaree, du CTC, agissait à titre de conseiller juridique.

 

[9]               Dans l’affaire dont je suis saisie, la Commission a reconnu le caractère essentiel de cet élément de preuve. La Commission a énoncé que « [n]ul doute que l’arrivée du NM Sun Sea [avait] grandement suscité l’intérêt du public et des autorités gouvernementales du Sri Lanka, de même que du Canada » (décision, au paragraphe 74). La SPR a de plus expliqué que « des préoccupations [avaient] été exprimées par les autorités canadiennes et sri-lankaises quant aux antécédents des migrants arrivés au Canada à bord du NM Sun Sea et à leurs motifs » (décision, au paragraphe 71).

 

[10]           Dans la même veine, la Commission a cité d’autres articles que le conseil avait invoqués, lesquels concernaient les liens de certains passagers du NM Sun Sea avec les TLET. Un des articles, daté du 6 mars 2012 et publié par le Secrétariat présidentiel du Sri Lanka, expliquait qu’un des passagers du NM Sun Sea avait admis avoir travaillé pour le compte des TLET avant son arrivée au Canada, et mentionnait que 15 autres passagers étaient des membres prétendus des TLET (décision, au paragraphe 68, qui renvoyait au DCT, volume 8, à la page 1525). Le deuxième article, qui remontait à 2011, avait été publié sur le ministère de la Défense du Sri Lanka. Cet article expliquait que l’un des migrants du NM Sun Sea avait reconnu faire partie des TLET (décision, au paragraphe 68, qui renvoyait au DCT, volume 4, à la page 658).

 

[11]           En résumé, je ne suis pas convaincue que la Commission a fait fi des documents en question. On a examiné l’essentiel de ces documents, et ce n’était pas incompatible avec les conclusions de la Commission. Cette preuve démontre, tout au plus, que le NM Sun Sea était associé aux TLET et que certains des passagers, mais pas tous, pouvaient faire partie des TLET ou avoir des liens avec cette organisation. Cependant, la question est de savoir si, au vu de la totalité de la preuve, il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur lui‑même ne serait pas exposé à un risque en raison de liens perçus avec les TLET. Comme je l’explique plus loin, la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur dans la présente affaire ne serait pas perçu comme quelqu’un faisant partie des TLET à son retour au Sri Lanka. Le fait qu’elle n’ait pas renvoyé à certains documents en particulier n’a aucune incidence quant à l’issue de la présente affaire.

 

B.                 La deuxième question en litige : la conclusion déraisonnable quant à la demande présentée sur place

 

[12]           Le demandeur a présenté à la Commission (et à la Cour) le raisonnement suivant à l’appui d’une conclusion selon laquelle il serait exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté à son retour au Sri Lanka :

 

1.                  La preuve dont disposait la Commission démontrait clairement que les représentants du gouvernement du Sri Lanka avaient systématiquement recours à la torture des détenus pour obtenir des informations ou des aveux.

 

2.                  Tous les Tamouls qui étaient à bord du NM Sun Sea et qui seront renvoyés au Sri Lanka seront soumis à un interrogatoire pour établir s’ils pourraient avoir des liens avec les TLET ou des renseignements liés aux membres des TLET qui étaient responsables de cette opération de passage de clandestins.

 

3.                  Par conséquent, il existe plus qu’une simple possibilité qu’il soit exposé à la torture systémique à son retour au Sri Lanka.

 

[13]           La faille dans l’argumentation du demandeur découle de sa troisième étape. La Commission a reconnu les violations des droits de la personne de la part du gouvernement du Sri Lanka, et le fait que le demandeur serait détenu et interrogé à son retour. Cependant, la Commission a refusé de conclure qu’il existait une possibilité sérieuse que le demandeur en l’espèce soit exposé à un risque de torture à son retour au Sri Lanka. La Commission a conclu que, étant donné les circonstances propres au demandeur, les autorités du Sri Lanka ne concluraient probablement pas qu’il était lié aux TLET. Par conséquent, il n’y avait pas plus qu’une simple possibilité qu’il soit détenu pendant une longue période et qu’il soit exposé à un risque de torture.

 

[14]           La question est de savoir si la Commission disposait d’une preuve lui permettant de tirer cette conclusion. Je suis d’avis que c’était le cas. À titre d’exemple, on avait présenté à la Commission une preuve concernant le sort des autres demandeurs d’asile déboutés renvoyés dans leur pays, et elle en a fait mention. La Commission a signalé que, malgré deux enquêtes concernant les antécédents du demandeur, les autorités du Sri Lanka « s’étaient assuré[es] que le demandeur […] n’avait aucun lien avec les TLET » (décision, au paragraphe 33) et qu’elles « étaient d’avis qu’il ne présentait aucun risque pour la paix et la stabilité de leur pays » (décision, au paragraphe 35). La Commission a aussi mentionné le fait, non contesté, que les autorités canadiennes avaient conclu, en se fondant sur les entrevues conduites par l’Agence canadienne des services frontaliers, que le demandeur n’avait aucun lien avec les TLET. La Commission a logiquement tenu pour acquis que ce fait allait être connu des autorités sri‑lankaises. De plus, la Commission a examiné certaines déclarations générales portant que « tout Sri-Lankais ayant fui le pays de façon irrégulière doit être un partisan des TLET » (décision, au paragraphe 70) et elle a expliqué pourquoi elle n’y attribuait pas de poids.

 

[15]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a formulé l’hypothèse que sa décision constituerait, pour les autorités sri-lankaises, une preuve convaincante qu’il ne faisait pas partie des TLET. Ce faisant, il omet de tenir compte de l’ensemble du contexte dans lequel on fait référence à la décision canadienne. La suggestion, formulée par la Commission, que le demandeur montre la décision de la Commission le concernant aux autorités sri-lankaises n’était pas déraisonnable dans le contexte de la décision dans son ensemble. Comme l’ont supposé la Commission et le demandeur, les autorités sri-lankaises allaient savoir que le demandeur s’était rendu au Canada à bord du NM Sun Sea, et elles allaient logiquement conclure qu’il avait demandé l’asile. Donc, en théorie, la décision de la Commission ne pouvait l’exposer davantage à un risque et elle pourrait être utile pour démontrer pourquoi les autorités canadiennes croyaient que le demandeur ne faisait pas partie des TLET. Bien qu’il n’y ait pas de preuve que la décision de la Commission aura nécessairement une force probante auprès des autorités sri-lankaises, la Commission a reconnu que le gouvernement du Sri Lanka allait conduire sa propre enquête indépendante, et que cette hypothèse n’était formulée qu’à titre de possibilité.

 

[16]           Pour étayer sa prétention, le demandeur m’a fourni un certain nombre de décisions de la Commission, dans lesquelles différents commissaires avaient conclu, en adoptant, allègue‑t‑il, le raisonnement qu’il propose, que les demandeurs d’asile à bord du NM Sun Sea étaient des réfugiés au sens de la Convention. Le problème réside dans le fait que ces décisions de la Commission n’ont pas valeur de précédent, et ce, pour une excellente raison. Chaque affaire doit être examinée selon la situation qui lui est propre. Par exemple, dans l’une des affaires invoquées par le demandeur, le tribunal avait conclu que le demandeur d’asile avait le profil d’une personne soupçonnée d’avoir les liens avec les TLET, ce qui exacerbait le risque auquel il aurait été exposé à son retour.

 

[17]           En outre, et il s’agit d’un facteur encore plus important, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Il est possible de parvenir à des conclusions différentes à partir de faits similaires. Je reconnais que le demandeur a mis de l’avant un raisonnement logique à l’appui de la conclusion qu’il était exposé à un risque, en raison de son arrivée au pays à bord du NM Sun Sea. Cela ne signifie toutefois pas que le raisonnement adopté par la Commission était déraisonnable. L’existence d’un éventail d’issues possibles est la caractéristique principale de la norme de la raisonnabilité et elle constitue la fondation de la déférence envers les décideurs. La question de savoir si le demandeur en l’espèce serait exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution était une question factuelle qui relevait de la Commission. Malgré le fait qu’il soit possible que moi, ou qu’un autre commissaire, ayons pu parvenir à une conclusion différente, il était raisonnablement loisible à ce tribunal de la Commission d’en arriver à cette décision, au vu du dossier de preuve en l’espèce. La Cour ne devrait pas intervenir.

 

V.                Conclusion

 

[18]           La décision n’est pas déraisonnable et elle ne devrait pas être annulée.

 

[19]           Aucune partie ne propose de question en vue de la certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6593-12

 

INTITULÉ :                                      P.M.

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 17 JANVIER 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 25 JANVIER 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Gabriel Chand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chand & Company Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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