Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130228

Dossier : IMM-6115-12

Référence : 2013 CF 206

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 février 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

FATIHA ALI AMIN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant la décision, en date du 11 avril 2012, d’un agent de l’immigration (l’agent) du Haut-commissariat du Canada à Nairobi (Kenya), rejetant la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse. L’agent en a décidé ainsi après avoir conclu que la demanderesse, son époux et ses filles ne répondent pas aux conditions d’appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à celle des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

 

[2]               La demanderesse sollicite l’annulation de la décision et le renvoi de sa demande à un autre agent de l’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse et sa famille sont originaires d’Éthiopie. Son actuel conjoint est son second mari. Le père de ses deux filles est son ancien mari. La demanderesse a épousé celui qui est aujourd’hui son mari en 2010.

 

[4]               La demanderesse affirme s’être enfuie d’Éthiopie en raison des activités politiques de son ancien mari. Il semblerait que celui-ci ait été recherché par la police en raison de son appartenance au peuple Oromo et de son soutien au Front de libération Oromo (OLF). La demanderesse affirme qu’en 1999, la police, qui ne parvenait pas à retrouver son (ancien) mari, l’a détenue pendant un mois et qu’au cours de cette période de détention, elle a fait l’objet de sévices physiques et sexuels. Après sa remise en liberté, elle a été obligée, pendant deux semaines, de se présenter chaque jour à la police. C’est après cela, qu’avec ses enfants, elle s’est enfuie d’Éthiopie, se rendant à pied jusqu’à Djibouti.

 

[5]               L’actuel mari de la demanderesse affirme avoir, lors de l’élection de 2004, voté pour l’OKKO (Congrès national Oromo). La victoire du parti a, cependant, été refusée par le gouvernement éthiopien qui a arrêté un groupe d’étudiants, y compris le mari de la demanderesse. Ils ont été détenus pendant 15 jours, puis relâchés avec un avertissement. Une fois remis en liberté, son mari est parti pour Djibouti.

 

[6]               À Djibouti, la demanderesse a demandé à être, avec son mari et ses filles, admis au Canada comme réfugiés au sens de la Convention. La demanderesse et son mari ont été interrogés le 21 mars 2012, et, à cette occasion, la demanderesse a fait des déclarations contradictoires au sujet de son ancien mari. Elle a d’abord affirmé qu’il avait été détenu en Éthiopie en 1999, qu’il avait disparu après sa remise en liberté et qu’elle ne savait pas s’il était encore en vie. Elle a, après cela, dit qu’il avait refait surface à Djibouti et qu’ils avaient divorcé en 2005, car il la maltraitait et s’adonnait au khat. Interrogée au sujet de cette contradiction, la demanderesse ne répondit pas et lorsqu’on lui demanda s’il lui était possible d’obtenir de son ancien mari qu’il consente à ce que leurs deux filles se rendent au Canada, elle répondit qu’il avait, après leur divorce, disparu de Djibouti.

 

[7]               La demanderesse a également produit une attestation de l’ONARS (l’Office national d’assistance aux réfugiés et sinistrés) datée de 2003, ainsi qu’une attestation provisoire de l’ONARS, datée de 2004, les deux documents confirmant le statut de réfugié d’elle et de son mari. L’agent, incertain quant à l’authenticité de ces attestations, leur demanda s’il pouvait les vérifier auprès de l’ONARS. La demanderesse et son époux acceptèrent et, le 28 mars 2012, l’agent ajouta aux notes du STIDI, la mention [traduction] « Vérification effectuée : l’ONARS confirme que les attestations concernant la demanderesse principale et son époux ne sont pas authentiques. » L’agent a, le même jour, décidé de rejeter la demande d’asile, la décision étant transmise à la demanderesse par lettre en date du 11 avril 2012.

 

Décision de l’agent

 

[8]               Dans sa lettre du 11 avril 2012, l’agent expliquait à la demanderesse que les renseignements qu’elle avait fournis sur les activités politiques de son ancien mari étaient minces et vagues, alors que ce sont ces activités politiques qu’elle invoquait comme motif de sa crainte d’être persécutée en Éthiopie. Il ajoutait que les attestations produites à l’appui de sa demande n’étaient pas authentiques. Il n’était, par conséquent, pas convaincu que le témoignage de la demanderesse était digne de foi. L’agent précisait également à la demanderesse qu’il lui avait fourni l’occasion de réagir aux préoccupations qu’il éprouvait, qu’il avait pris en compte la réponse qu’elle lui avait donnée, mais qu’il maintenait sa décision. Il a donc conclu que la demanderesse et sa famille ne craignaient pas avec raison d’être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques.

 

[9]               Dans les notes consignées le 28 mars 2012 au STIDI, l’agent indiquait que la demanderesse avait répondu de manière vague aux questions concernant l’action de son ancien mari au sein de l’OLF, et qu’elle [traduction] « n’était pas en mesure de dire pourquoi elle pensait qu[e] [son ancien mari] était membre de l’OLF, si ce n’est en raison de son origine ethnique ». L’agent fit également état des déclarations contradictoires de la demanderesse au sujet de son ancien mari, et de ce qu’elle avait dit de la maltraitance dont elle avait fait l’objet de sa part. Il a conclu que, dans la mesure où elle s’était remariée et qu’elle n’entretenait plus de contact avec son ancien mari, elle ne semblait pas être une « femme en péril ».

 

[10]           L’agent fit ensuite part de ses doutes concernant l’authenticité des attestations de l’ONARS qui lui avaient été présentées, précisant que ses [traduction] « doutes avaient été confirmés par l’autorité compétente pour délivrer ce type de documents ».

 

[11]           En ce qui concerne les déclarations contradictoires de la demanderesse au sujet de son ancien mari, l’agent expliqua que la demanderesse avait peut-être voulu dire qu’elle ne savait pas si son ancien mari était toujours en vie après qu’il eut disparu pour la deuxième fois à Djibouti. En ce qui concerne ces contradictions, il accorda à la demanderesse le bénéfice du doute.

 

[12]           Les autres préoccupations qu’éprouvait l’agent subsistèrent cependant et il conclut que, compte tenu de la manière vague dont la demanderesse avait répondu quant au motif de sa crainte d’être persécutée, et compte tenu des faux documents produits quant au statut de la demanderesse à Djibouti, et à la date de son arrivée là-bas, les principaux éléments de sa demande inspiraient de forts doutes quant à leur crédibilité. L’agent n’était donc pas convaincu du bien-fondé de sa crainte d’être persécutée en raison de ses opinions politiques prétendues.

 

[13]           Les demandes concernant les filles de la demanderesse, ayant le même fondement que celle de la mère, ont été rejetées pour les mêmes motifs. La demande présentée par le mari de la demanderesse n’a, elle non plus, pas été jugée crédible et, compte tenu des renseignements qu’il a fournis au sujet de sa détention en Éthiopie, et compte tenu des conditions ayant cours dans ce pays, l’agent n’était pas convaincu du bien-fondé de sa crainte d’être persécuté en raison de ses opinions politiques prétendues.

 

Questions en litige

 

[14]           Selon la demanderesse, la présente affaire soulève les questions suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce?

            2.         Était-il, de la part de l’agent, déraisonnable de ne pas tenir compte, dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse, des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

            3.         La non-divulgation d’éléments de preuve extrinsèques, et le fait de ne pas avoir donné la possibilité d’y répondre, ont-ils entraîné un manquement à l’obligation d’équité?

 

Observations écrites de la demanderesse

 

[15]           Selon la demanderesse, l’agent n’a ni pris en compte, ni appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, et en particulier la directive concernant les femmes provenant de cultures où les hommes ne parlent pas de leurs activités à leurs parents de sexe féminin, ce qui fait qu’elles ne sont pas à même d’expliquer les expériences de leurs parents de sexe masculin. Il aurait donc été, de la part de l’agent, déraisonnable de ne pas tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, et du contexte culturel dans lequel se situe la demanderesse. La conclusion à laquelle l’agent a abouti relativement à la crédibilité, en partie fondée sur le fait que la demanderesse n’était pas au courant des activités politiques de son ancien mari, était par conséquent abusive.

 

[16]           La demanderesse fait par ailleurs valoir que, selon les notes du STIDI, entre l’entrevue du 21 mars 2012, et les observations consécutives à l’entrevue ajoutées à ces notes le 28 mars 2012, l’agent a reçu, au sujet de la demanderesse, une communication de l’ONARS. Cette communication n’a cependant pas été transmise à la demanderesse, et elle n’a pas eu la possibilité d’y répondre.

 

[17]           L’agent n’a pas cherché à savoir où et comment la demanderesse avait obtenu les attestations en question. Si la demanderesse s’est procuré ces documents auprès de l’ONARS, on ne saurait lui reprocher le fait qu’ils n’aient pas été délivrés en bonne et due forme. L’agent a par ailleurs indiqué que la demanderesse avait eu la possibilité de répondre aux préoccupations qu’il éprouvait, mais cela n’a pas été le cas, car la demanderesse n’a appris que l’ONARS avait confirmé les doutes éprouvés par l’agent que lorsqu’elle a reçu le dossier certifié du tribunal. Et enfin, les notes du STIDI font allusion à la communication avec l’ONARS, mais la demanderesse ne connaît toujours pas la teneur de cette communication. Selon la demanderesse, le défendeur prévoit, tant dans sa lettre de refus que dans le Guide de l’immigration, qu’un demandeur a la possibilité de répondre, et il est donc légitime de s’attendre au respect de cette procédure.

 

[18]           Selon la demanderesse, à condition qu’on la trouve crédible, il existe, compte tenu des persécutions qu’elle a subies par le passé, et notamment de l’agression sexuelle dont elle a fait l’objet pendant sa période de détention, de fortes raisons de lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.

 

Observations écrites du défendeur

 

[19]           Le défendeur fait valoir que ce que la demanderesse sollicite de la Cour, c’est une réévaluation de la preuve, fonction qu’il n’appartient pas à la Cour d’exercer dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[20]           Selon le défendeur, aucune des demandes d’asile présentées par la demanderesse n’est fondée sur la crainte d’être persécutée en raison de son sexe; ces demandes reposent, plutôt, sur l’affiliation alléguée de son ancien mari à un certain groupe politique. En l’occurrence, il n’y avait, par conséquent, aucune obligation d’appliquer les Directives. La demanderesse a été interrogée au sujet des activités politiques de son ancien mari, car c’était, selon elle, pour cela qu’elle avait quitté l’Éthiopie, et la demanderesse a répondu savoir qu’il était partisan de l’OLF puisqu’il appartenait au peuple Oromo. Le défendeur relève en outre que, lorsqu’on lui a demandé, au cours de l’entrevue, si des gens de sa famille étaient membres ou partisans d’un parti politique ou d’un groupe religieux, la demanderesse a répondu que non. Il était donc, de la part de l’agent, raisonnable d’évaluer comme il l’a fait la crédibilité de la demanderesse.

 

[21]           En ce qui concerne la question du manquement prétendu à l’équité procédurale, le défendeur rappelle que l’agent a, dès le début de l’entrevue, exprimé les doutes que lui inspiraient les attestations, et demandé s’il pouvait vérifier ces documents auprès de l’ONARS. Il n’y a rien dans les notes du STIDI qui indique que la demanderesse ou son mari ait répondu aux doutes exprimés par l’agent, et les notes en question ne contiennent aucune ambiguïté quant à l’objet des doutes éprouvés par l’agent. Contrairement à ce que prétend la demanderesse dans ses observations, son mari et elle savaient, lors de l’entrevue, que la validité des attestations était en doute. L’agent leur a largement donné la possibilité de s’expliquer et de participer pleinement à l’examen de leurs demandes en leur exprimant, dès le début de l’entrevue, les doutes qu’il éprouvait. Il n’y a eu, par conséquent, aucun manquement à l’équité procédurale.

 

Réponse de la demanderesse

 

[22]           Selon la demanderesse, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe comportent quatre volets, les deux premiers concernant les motifs de persécution invoqués, les deux autres concernant la preuve et la procédure. Le défendeur affirme, essentiellement, que les directives concernant la preuve et la procédure peuvent raisonnablement être laissées de côté, la seule partie des directives devant être prise en compte étant ce qui motive effectivement la crainte d’être persécuté. Mais la demanderesse soutient que rien dans la jurisprudence ne justifie un tel morcellement et que la proposition avancée sur ce point par le défendeur a quelque chose d’artificiel.

 

[23]           La demanderesse admet qu’il n’est pas nécessaire de se référer aux Directives dans la mesure où elles sont appliquées pour l’essentiel, mais lorsque, comme c’est le cas en l’occurrence, on s’écarte des directives, on est, juridiquement, tenu d’expliquer pourquoi. La demanderesse cite Sy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 379, [2005] ACF n462, qui, selon elle, pose le principe que l’obligation de prendre en compte les considérations d’ordre culturel lorsqu’il s’agit d’évaluer la crédibilité d’une revendicatrice de statut ne s’applique pas uniquement lorsque celle-ci craint d’être persécutée en raison de son sexe.

 

[24]           Selon la demanderesse, l’obligation de divulguer les éléments de preuve extrinsèques et de donner la possibilité d’y répondre ne s’applique pas seulement aux éléments de preuve extrinsèques dont la recherche n’a pas été signalée. Le seul fait d’avoir dit à la demanderesse que ses documents feraient l’objet d’une vérification, ne lui a aucunement permis de savoir ce qu’entraînerait cette vérification. Le seul fait d’avertir la demanderesse qu’il y aurait une vérification ne lui procurait pas l’occasion de répondre aux résultats de la vérification, car pour être en mesure de répondre à un document émanant d’un tiers, il lui fallait pouvoir effectivement le consulter ou, à tout le moins, s’en voir remettre un résumé explicatif. Le seul fait de savoir qu’un tel document va être produit n’offre pas au demandeur l’occasion raisonnable d’y répondre.

 

Analyse et décision

 

[25]           Première question en litige

      Quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce?

            Lorsque la jurisprudence a précisé la norme de contrôle applicable à une question particulière, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57, [2008] 1 RCS 190).

 

[26]           La Cour a examiné au regard de la norme de la décision raisonnable le fait de ne pas avoir pris en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (voir MDGD c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 855, au paragraphe 12, [2011] ACF n1050; et Cornejo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 261, aux paragraphes 16 à 18, [2010] ACF n295). En examinant la décision de l’agent au regard de la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit pas intervenir, à moins qu’il soit parvenu à une conclusion dénuée de transparence, de justification et d’intelligibilité et qui n’appartient pas aux issues acceptables compte tenu de la preuve produite (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339). Ainsi que la Cour l’a rappelé dans l’arrêt Khosa, précité, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer l’issue qui serait à son avis préférable, pas plus qu’il ne lui appartient de soupeser à nouveau les éléments de preuve (paragraphes 59 et 61).

 

[27]           Il est bien établi en droit qu’en ce qui concerne les questions d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (voir Khosa, précité, au paragraphe 43). S’agissant de questions de cet ordre, la cour de révision n’a pas à faire preuve de déférence envers le décideur (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[28]           J’entends maintenant aborder la troisième question soulevée.

 

[29]           Troisième question en litige

            La non-divulgation d’éléments de preuve extrinsèques, et le fait de ne pas avoir donné la possibilité d’y répondre, ont-ils entraîné un manquement à l’obligation d’équité?

 

            Selon la jurisprudence de la Cour, en règle générale, lorsqu’un agent possède de l’information extrinsèque dont le demandeur n’est pas au courant, ce dernier devrait avoir l’occasion de dissiper chez l’agent les réserves découlant de cette preuve (voir Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 145, au paragraphe 7, [2012] ACF n203; et Gu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 522, aux paragraphes 23 à 25, [2010] ACF n624). Citons, parmi les éléments de preuve extrinsèques n’ayant pas été communiqués au demandeur, et ayant pour cela entraîné une violation de son droit à l’équité procédurale, des contrats commerciaux frauduleux (voir Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 41, [2007] ACF n65), des renseignements fournis par un responsable de l’ancien employeur de la demanderesse (voir Kniazeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268, [2006] ACF n336), et l’appréciation défavorable que le gouvernement de l’Ontario avait portée sur un projet d’entreprise (voir Muliadi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 CF 205 (CA)). Les demandeurs n’ont, dans aucune de ces affaires, eu l’occasion de répondre à des éléments de preuve extrinsèques considérés comme essentiels aux décisions prises par l’agent. À l’inverse, dans Pan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 838, [2010] ACF n1037, le fait qu’un agent ait pris en compte la preuve que les états financiers de la demanderesse avaient été établis par un certain cabinet d’expertise comptable n’a pas été jugé contraire à l’équité procédurale, car il n’a pas fondé sur cette preuve sa décision finale.

 

[30]           En l’espèce, la demanderesse et son époux ont été, au cours de l’entrevue, mis au courant des doutes qu’éprouvait l’agent quant à l’authenticité des attestations de l’ONARS. Dans les notes qu’il a consignées, le 21 mars 2012, au STIDI, l’agent précise qu’il a [traduction] « fait état des doutes qu’il éprouvait à l’égard des documents, demandé à la demanderesse principale et à son mari s’il pouvait vérifier les documents auprès de l’ONARS et qu’ils ont répondu oui » ajoutant plus loin qu’il [traduction] « avait, dès le début de l’entrevue, fait part des doutes qu’il éprouvait quant à l’authenticité des documents ».

 

[31]           Plus tard, dans les notes consignées le 28 mars 2012 au STIDI, l’agent a inscrit la mention [traduction] « [v]érification effectuée : l’ONARS confirme que les attestations concernant la demanderesse principale et son époux ne sont pas authentiques», ajoutant qu’il a [traduction] « fait part des doutes que lui inspirait le document, [s]es doutes étant confirmés par l’autorité compétente pour délivrer ce type de documents ». L’inauthenticité des attestations a alors compté parmi les motifs portant l’agent à rejeter la revendication de la demanderesse.

 

[32]           Le défendeur soutient que l’agent a, dès le début de l’entrevue du 21 mars 2012, mis la demanderesse et son époux au courant des préoccupations qu’il éprouvait, donnant amplement aux intéressés l’occasion de s’expliquer et de participer pleinement à l’examen de leur demande. C’est exact, mais là n’est pas la question. Ce qui est en cause c’est le fait que l’agent aurait alors reçu de l’ONARS des renseignements sur lesquels il s’est en partie fondé pour rejeter la revendication de la demanderesse, et auxquels celle-ci n’a pas eu la possibilité de répondre. Le dossier ne permet d’ailleurs pas de connaître la nature des renseignements transmis à l’agent par l’ONARS, ou de savoir comment l’ONARS a pu confirmer le manque d’authenticité des attestations. Les notes du STIDI ne permettent pas de savoir à quels arguments la demanderesse avait à répondre (d’autant plus qu’elle n’avait même pas été mise au courant de ce nouvel élément), et ne permettent pas non plus à la Cour d’évaluer de manière satisfaisante le caractère raisonnable de la décision. Selon la jurisprudence citée plus haut, l’agent a manqué à l’équité procédurale, et la décision devrait être renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[33]           Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenu au sujet de la troisième question en litige, il n’y a pas lieu pour moi de me pencher sur la deuxième.

 

[34]           La demanderesse me soumet, en vue de leur certification, deux questions de portée générale :

[traduction] 

 

1.         L’obligation juridique de prendre en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe concerne-t-elle uniquement, pour les demandes de visa présentées au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières, les demandes fondées sur la crainte d’être persécuté en raison de son sexe?

 

2.         Lors d’une demande de visa présentée au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, le bureau des visas qui prend en compte des éléments de preuve extrinsèques satisfait-il à l’obligation d’équité qui lui incombe en faisant savoir qu’il entend recourir à des éléments de preuve extrinsèques, et en en indiquant la source, dans la mesure où il ne divulgue pas les éléments extrinsèques qu’il a obtenus et ne donne pas la possibilité d’y répondre?

 

 

[35]           Le défendeur, qui n’a pas souhaité me soumettre de question, s’oppose à la certification des questions soumises par la demanderesse.

 

[36]           Je ne suis pas disposé à certifier l’une ou l’autre de ces questions, car elles n’abordent ni l’une ni l’autre des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage (1994), 176 NR 4 (CAF), [1994] ACF n1637, au paragraphe 4).

 

[37]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agent est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

« John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables en l’espèce

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

[. . .]

 

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

 

 

 

145. Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

 

139. (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

 

. . .

 

(e) the foreign national is a member of one of the classes prescribed by this Division;

 

 

 

145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6115-12

 

INTITULÉ :                                      FATIHA ALI AMIN

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 21 février 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 28 février 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christine Singh

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.