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Date : 20130307

Dossier : IMM‑7383‑12

Référence : 2013 CF 237

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

MATHEW MUTUA MULI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur conteste la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada portant qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, respectivement. Les questions déterminantes contestées par le demandeur sont les conclusions de la Commission au sujet de la protection de l’État et de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI). 

 

[2]               Je suis d’avis que les constatations faites par la Commission à la lumière du paragraphe 97(1) étaient raisonnables et que la présente demande doit être rejetée.

 

[3]               Le demandeur est un citoyen du Kenya. Lorsqu’il était jeune adolescent, ses parents l’ont envoyé étudier dans une école secondaire en compagnie d’autres membres de sa famille pour qu’il ne soit pas recruté par les « Mungiki », un groupe criminel et un mouvement « politico‑religieux » kényan dont les principes s’opposent généralement aux valeurs occidentales. Ce groupe exerce une influence importante, particulièrement dans les régions rurales et pauvres; l’une des principales tactiques de l’organisation est de recruter des garçons et de jeunes hommes. Comme bon nombre de gangs, il extorque de l’argent aux personnes vulnérables en leur offrant en échange de les « protéger ».

 

[4]               Le demandeur a affirmé qu’au début des années 2000, vers la fin de ses études au collège, ou peu après avoir obtenu son diplôme, il a fondé avec certains membres de sa famille et de sa famille élargie [traduction] « un groupe appelé “Tethya Uthetheke” qui visait principalement à éduquer les jeunes en leur montrant qu’il existe de meilleures façons de gagner sa vie que de s’approprier les biens des personnes qu’ils protègent, à lutter contre les mutilations génitales féminines, et à prôner le droit à l’éducation des filles et l’autonomisation des femmes ». Bref, le groupe cherchait à contrer l’influence des Mungiki.

 

[5]               Le demandeur a déclaré que parce qu’ils avaient fondé ce groupe, les Mungiki ont tué son frère Henry en 2002. Aucun élément de preuve corroborant n’a été produit pour établir le décès de Henry, ou son meurtre par les Mungiki au motif qu’il avait fondé Tethya Uthetheke ou pris part au groupe. De plus, rien n’indiquait que le demandeur ou quelqu’un d’autre avait demandé à la police d’enquêter sur le prétendu meurtre de Henry, ou tenté d’obtenir un rapport de police. Selon le témoignage du demandeur, [traduction] « nous n’avons pas obtenu de rapports de police, ni rien qui ait concerné l’affaire, ce qui à notre avis cachait quelque chose ». Le demandeur a également affirmé que le groupe Tethya Uthetheke [traduction] « avait vu le jour en 2003, c’est le moment où il avait réellement commencé », soit après la mort de son frère. Étonnamment peut‑être, la Commisssion n’a pas mis en doute la crédibilité du demandeur ni l’exactitude de son témoignage au sujet de la mort de son frère.

 

[6]               En 2001, le demandeur a déménagé au Botswana, où il a rencontré son épouse actuelle, et il y résidé jusqu’en 2009. Hormis le prétendu meurtre de son frère et la description d’un incident impliquant le cousin du demandeur et l’épouse de ce cousin en 2004, au sujet duquel aucun lien avec les Mungiki ou Tethya Uthetheke n’a même été allégué, le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur ne fait aucunement mention de cette période ni, plus précisément, des activités de Tethya Uthetheke. Le témoignage du demandeur à l’audience a apporté peu de précisions sur le fonctionnement de Tethya Uthetheke durant cette période ni sur les personnes qui en faisaient partie, et il n’a pas non plus permis de savoir si d’autres incidents s’étaient produits avec les Mungiki. La Commission n’a pas non plus contesté ce témoignage, ou cette absence de témoignage.

 

[7]               En 2009, selon son FRP, le demandeur [traduction] « a eu la chance de se rendre au Canada pour y étudier », malgré les désaccords mortels allégués entre le groupe d’opposition de sa famille et les Mungiki, et il

[traduction]

« a dû renvoyer [son] épouse au Kenya [c.‑à‑d. où les Mungiki étaient actifs], où elle a mis sur pied une petite affaire d’élevage de poulet. Malheureusement, l’affaire n’a duré que huit mois, car les Mungiki ont exigé qu’elle leur verse un montant en échange de leur protection, ce qu’elle ne pouvait se permettre. À l’époque, les Mungiki agissaient de plus en plus comme un organe du gouvernement dénué de scrupules. Elle a été menacée d’excision et a dû fuir dans son quartier d’origine à Makueni où elle habite avec sa tante [nom]. Elle n’a pas pu se rendre à la maison de ses parents, car elle aurait été trop facilement retrouvée ».

 

[8]               Le dossier n’établit pas clairement pourquoi le demandeur a « dû » renvoyer sa femme au Kenya au début de 2009, sur le territoire des Mungiki. De plus, compte tenu du fait que les Mungiki auraient menacé de mutiler sa femme après qu’il soit parti, qu’ils auraient poursuivi son épouse et tenté de la « retrouver », il est difficile de comprendre pourquoi le demandeur est resté au Canada, où il étudiait la comptabilité et travaillait à temps partiel grâce à un visa d’étudiant, sans interruption. Quelle que soit la raison, voici ce qui se serait produit ensuite d’après le FRP :

[traduction]

Tandis que mon épouse se cachait toujours à Makueni avec nos enfants, nous avons poursuivi notre campagne avec Tethya Uthetheke, ma sœur Elizabeth et moi. Malheureusement, Elizabeth a été tuée par les Mungiki le 7 octobre 2010 à Nairobi. Elle a été attaquée dans son sommeil chez elle, à Huruma Estate.

 

[9]               En guise de preuve du meurtre d’Elizabeth par les Mungiki, le demandeur a présenté à la Commission un [traduction] « permis d’inhumer » délivré par la République du Kenya, sur lequel il est seulement indiqué qu’Elizabeth est décédée en octobre 2010. La cause du décès ne figure pas sur le document, et aucun élément de preuve indépendant n’a démontré qu’elle avait trouvé la mort aux mains des Mungiki. Même le témoignage du demandeur à cet égard repose sur des ouï‑dire.

 

[10]           Même si sa sœur avait été brutalement assassinée par les Mungiki en raison de sa participation au groupe Tethya Uthetheke, qu’il avait cofondé, et même si son épouse et ses enfants se trouvaient toujours au Kenya et qu’ils avaient déjà été expressément menacés par les Mungiki et contraints de se cacher d’eux, le demandeur est resté au Canada pour étudier la comptabilité et travailler à temps partiel durant l’automne et l’hiver 2010, jusqu’au printemps 2011, sans statut.

 

[11]           Ensuite, en avril 2011, le demandeur a présenté une autre demande de visa d’étudiant pour le Canada. Le visa lui a été accordé le 6 juin 2011 et il était valide jusqu’au 30 septembre 2011. Dans la semaine qui a suivi la délivrance du visa, le demandeur s’est rendu au Kenya en avion [traduction] « pour voir [son] épouse et [ses] enfants parce que son épouse était terrifiée depuis la mort de [sa] sœur [Elizabeth] » survenue quelque huit mois plus tôt.

 

[12]           Il affirme que deux incidents se sont produits tandis qu’il se trouvait au Kenya. Premièrement, il a été attaqué à son domicile une nuit par des jeunes qui étaient selon lui des Mungiki. Ils lui ont volé son passeport et ont pris la fuite lorsque les voisins se sont réveillés. Il prétend s’être rendu au poste de police du quartier et avoir signalé l’incident. L’agent de police lui a demandé s’il avait de l’argent, car s’il le payait, l’agent de police tenterait de retrouver son passeport. Le demandeur dit en avoir déduit que l’agent de police l’obtiendrait des Mungiki s’il le payait. Il l’a fait et il a retrouvé son passeport.

 

[13]           Deuxièmement, lors d’une visite chez son père, il a été attaqué par « cousin John » et par sept hommes qui lui ont demandé pourquoi sa femme n’avait pas payé les frais de protection. C’est à ce moment qu’il a appris que son cousin John faisait partie des Mungiki. Lorsqu’il leur a dit que son épouse ne leur verserait pas d’argent, ils l’ont battu. Selon sa déclaration : [traduction] « ils m’ont entaillé les doigts de la main droite avec une machette tandis que j’essayais de me protéger la tête; j’ai également été frappé par un objet contondant jusqu’à sombrer dans l’inconscience ». Il affirme avoir été transporté à l’hôpital du district de Matuu après avoir obtenu un formulaire P3 de la police au poste de police de Matuu, car il ne pouvait pas se rendre à l’hôpital sans rapport de police. Il déclare avoir été admis pour deux jours. Une fois remis sur pied, il est reparti pour le Canada.

 

[14]           Son témoignage oral différait grandement de son compte rendu figurant sur son Formulaire de renseignements personnels (FRP), sur une multitude de détails; or, la Commission n’a relevé aucune de ces différences. La Commission n’a pas non plus noté le fait que ces rapports de police ne mentionnent pas les Mungiki ni le cousin John, et qu’ils font plutôt référence à des personnes [traduction] « inconnues ».

 

[15]           Le demandeur affirme que les Mungiki veulent tuer sa famille et lui‑même pour avoir soutenu Tethya Uthetheke et ne pas les avoir soutenus financièrement, qu’il est incapable d’obtenir la protection de l’État, et qu’il n’y a pas de possibilité de refuge intérieur (PRI) au Kenya. La Commission a conclu à l’existence de la protection de l’État et à la PRI au Kenya.

 

Protection de l’État

[16]           Dans ses conclusions écrites, le demandeur soutient qu’il a

[traduction]

effectué toutes les démarches nécessaires pour obtenir la protection de l’État au Kenya avant de quitter le pays. Le demandeur a signalé les incidents à la police. Il allègue aussi que les institutions concernées n’ont pas réagi adéquatement compte tenu de l’urgence des actes faisant l’objet de sa plainte, et que si le demandeur avait attendu plus longtemps, sa vie aurait été menacée. Le frère et la sœur du demandeur ont été assassinés et les meurtres n’ont pas été résolus par la police.

 

[17]           À la lumière du dossier, je suis d’avis que le demandeur n’a pas effectué toutes les démarches raisonnables pour demander la protection de l’État au Kenya. Tout d’abord, rien ne laisse penser que lui ou quiconque ait fait quoi que ce soit pour attirer l’attention de la police sur le prétendu meurtre de Henry en 2002. De même, aucun élément de preuve ne donnait à croire que la police avait fait quoi que ce soit après le prétendu meurtre d’Elizabeth en 2010, même si le demandeur prétend que le fils d’Elizabeth a signalé son décès.

 

[18]           Le demandeur lui‑même n’a pas fait de réelle tentative pour obtenir la protection de l’État après les deux incidents dans lesquels il a été impliqué en 2011. La première tentative – lorsqu’il a signalé le vol de son passeport – n’a été faite qu’auprès des autorités locales. L’allégation de complicité ou de corruption formulée par le demandeur au sujet d’un agent de police du poste de police de Matuu n’est rien d’autre qu’une tentative ratée de faire appel à l’appareil de protection étatique à l’échelle locale. Il est bien établi que cela ne constitue pas une preuve suffisante d’impossibilité d’obtenir la protection de l’État : voir par exemple Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, aux paragraphes 32 à 36. Au sujet du deuxième incident, beaucoup plus grave, les éléments de preuve fournis par le demandeur ne permettent pas de savoir quelles mesures celui‑ci a réellement prises pour obtenir la protection de l’État. Bien qu’il ait produit une demande de rapport de police qui aurait été faite le 3 juillet 2011, le lendemain de son agression, elle ne fait état que de quelques appareils électroniques volés le 2 juillet 2011; il n’y a absolument aucune indication qu’un rapport de police aurait été rédigé au sujet de l’agression, beaucoup plus grave.

 

[19]           Il figure à plusieurs endroits sur le formulaire P3 que des personnes « inconnues » auraient agressé le demandeur, même si le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il savait à l’époque qu’il s’agissait de son cousin John qui l’avait retracé et qui avait orchestré l’agression. Ce fait contredit l’affirmation du demandeur selon lequel il aurait dénoncé son cousin John à la police. Quoi qu’il en soit, si l’on choisit de s’en tenir à son témoignage oral, sa seconde tentative n’était rien de plus qu’une tentative auprès des autorités locales, et en outre effectuée au même poste de police dont il prétendait avoir découvert qu’il était de mèche avec les Mungiki. Ainsi, objectivement, le demandeur n’a pas fait la preuve qu’il avait épuisé tous les recours dont il disposait au Kenya pour obtenir la protection de l’État.

 

[20]           À la lumière des faits exposés, la Commission a eu raison de conclure que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection d’État.

 

Possibilité de refuge intérieur

[21]           L’argument du demandeur relativement à la PRI est laconique : la Commission n’a pas relevé que le cousin John, [traduction] « chef des Mungiki », attend le demandeur au Kenya et retrouvera sa trace [traduction] « en faisant appel à des contacts communs ». Par conséquent, [traduction] « la région du pays où le demandeur pourrait se réinstaller importe peu ».

 

[22]           La réponse toute simple est que la Commission a été mise devant des éléments de preuve contredisant sa prétention. Malgré la capacité alléguée du cousin John à retrouver le demandeur où qu’il fût au Kenya, l’épouse et la famille du demandeur avaient vécu en sécurité au Kenya avant les incidents les plus récents. Même si la Commission ne l’a pas expressément fait, elle était sans conteste en droit de conclure que le cousin John ne constituait pas en réalité une menace au sens où le demandeur tentait de le faire croire. 

 

[23]           De plus, la Commission, en citant des rapports indépendants, montre de façon crédible les régions géographiques où les Mungiki sont actifs et conclut raisonnablement que l’organisation n’est pas implantée dans l’ensemble du Kenya. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il n’existe pas de PRI. Il ne l’a tout simplement pas fait.

 

[24]           La présente demande doit être rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7383‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  MATHEW MUTUA MULI c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 26 février 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 7 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hamza Kisaka

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nimanthika Kaneira

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HAMZA N. H. KISAKA

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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