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Date : 20130307

Dossier : IMM‑2969‑12

Référence : 2013 CF 243

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

SYED WAQAS ALI GILANI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Syed Waqas Ali Gilani, sollicite, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision du 16 mars 2012 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] au Centre d’Immigration Canada à Etobicoke (Ontario) a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, parce qu’il n’avait pas satisfait à l’alinéa 124a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement] qui exige que le demandeur montre qu’il est l’époux d’un répondant et qu’il habite avec ce répondant au Canada.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Le contexte

[3]               Monsieur Gilani est un citoyen du Pakistan et il est arrivé au Canada en 2003. Le 24 mai 2006, il a épousé sa répondante, Rossana De Santis, une résidente permanente du Canada. En janvier 2008, la demande de résidence permanente de M. Gilani a été approuvée en principe.

 

[4]               Plus tard en 2008, Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a reçu un renseignement, dans ce qui est appelé une « lettre de dénonciation », alléguant que le mariage du demandeur était un mariage de convenance et qu’il payait sa répondante conformément à l’accord qu’il avait conclu avec elle. En 2011, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a effectué une enquête, soit en réponse au renseignement reçu ou dans le cadre d’une enquête plus large, qui a mené à l’arrestation du demandeur en octobre 2011.

 

[5]               Après avoir soumis le demandeur à une surveillance, l’ASFC a conclu qu’il ne résidait pas avec son épouse et répondante, mais plutôt avec sa sœur et son beau‑frère. L’ASFC a également conclu que sa facture de téléphone cellulaire était envoyée à l’adresse de sa sœur et que sa voiture était stationnée à cette adresse et qu’elle ne l’était jamais à l’adresse de la résidence de sa répondante. L’ASFC a également souligné que son épouse et répondante, prestataire du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées [POSPH], n’avait pas avisé le POSPH qu’elle était mariée et qu’elle indiquait qu’elle était toujours [traduction] « célibataire ».

 

[6]               Après avoir été libéré de détention à la suite de son arrestation, il est retourné à la résidence de sa répondante. Le 12 octobre 2011, CIC lui a transmis une lettre relative à l’équité procédurale l’informant des allégations selon lesquelles le demandeur ne vivait pas avec sa répondante. En réponse, le demandeur a fourni des observations ainsi que des déclarations prévues par la loi de la part de parents et amis qui ont attesté que le demandeur et sa répondante étaient mariés, mais qu’ils avaient été séparés pendant un certain temps au cours de 2011.

 

[7]               L’agent a eu une entrevue avec le demandeur et la répondante le 15 mars 2012.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[8]               L’agent a conclu que le demandeur avait répondu aux exigences en matière d’admissibilité pour demander la résidence permanente à titre de membre de la catégorie des époux et conjoints de fait au Canada, mais qu’il n’avait pas montré qu’il [traduction] « vit avec (sa) répondante au Canada », comme l’exige l’alinéa 124a) du Règlement.

 

[9]               L’agent a tenu compte des éléments de preuve de l’ASFC et des observations du demandeur en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Dans ses observations, le demandeur expliquait qu’il passait des nuits chez sa sœur pour l’aider avec sa jeune famille et parce qu’elle habitait près du travail du demandeur. Selon le demandeur, il en était également ainsi en raison de certains conflits avec sa répondante à la suite de sa fausse couche en novembre 2010, ce qui a entraîné son départ en janvier 2011. Toujours selon le demandeur, la séparation n’était pas le but de la période pendant laquelle il n’était pas avec la répondante.

 

[10]           L’agent a mentionné les déclarations prévues par la loi provenant des amis et des membres de la famille à l’appui de l’affirmation du demandeur selon laquelle sa répondante et lui étaient mariés et que la période où ils n’étaient pas ensemble était temporaire. Cette période découlait de la fausse couche et d’autres raisons, notamment la proximité de la demeure de sa sœur à son travail et l’aide qu’il apportait à sa sœur et à ses jeunes enfants. L’agent n’a pas accordé de poids à ces déclarations parce qu’elles provenaient de parents qui avaient des liens étroits avec le demandeur et qu’elles étaient intéressées.

 

[11]           L’agent a tenu compte des explications et des renseignements fournis à l’entrevue du 15 mars 2011 avec le demandeur et sa répondante. Il a conclu que le demandeur ne connaissait pas les renseignements élémentaires concernant la grossesse de la répondante et sa fausse couche et que les réponses du demandeur ne correspondaient pas aux réponses de sa répondante. En ce qui a trait à la facture de téléphone cellulaire, l’agent a conclu que selon toute vraisemblance, celle‑ci était envoyée à l’adresse de la sœur et du beau frère du demandeur parce que le demandeur y vivait, non pas parce que le beau‑frère du demandeur payait la facture. En ce qui concerne le fait que la répondante se désignait comme célibataire aux fins des prestations du POSPH, l’agent a conclu que même si la répondante avait indiqué qu’il s’agissait d’une erreur et qu’elle avait pris des mesures pour la corriger, aucun élément de preuve n’indiquait qu’elle avait agi en ce sens.

 

[12]           L’agent a également souligné que le demandeur avait fourni peu de réponses ou d’explications au moment de son arrestation et que ses réponses et explications au moment de l’entrevue étaient vraisemblablement inventées, car il avait eu le temps de se préparer.

 

[13]           L’agent a clairement déclaré qu’il n’accordait aucun poids à la « lettre de dénonciation », mais qu’il s’appuyait sur les résultats de l’enquête de l’ASFC et sur les observations que le demandeur a fournies en réponse, ainsi que sur l’entrevue.

 

[14]           L’agent a reconnu que le demandeur et sa répondante semblaient avoir habité ensemble après que le demandeur eut été libéré à la suite de sa détention en octobre 2011 et qu’il n’était pas nécessaire qu’un couple passe toutes les nuits ensemble dans la même résidence. L’agent a cependant conclu que le demandeur et sa répondante semblaient ne pas vivre ensemble depuis janvier 2011, ou plus tôt, jusqu’au moment de son arrestation.

 

Les questions en litige

[15]           Le demandeur soutient que la décision devrait être annulée pour quatre motifs. Premièrement, l’agent a, de façon déraisonnable, accordé une faible valeur probante à des éléments de preuve pertinents et corroborants, à savoir les déclarations prévues par la loi émanant des membres de la famille et d’amis. Deuxièmement, l’agent a tiré des conclusions de fait déraisonnables en ce qui a trait à la cohabitation du couple, la grossesse et l’enquête de l’ASFC. Troisièmement, l’agent a tiré des conclusions voilées quant à l’authenticité du mariage et a confondu la cohabitation et l’authenticité. Quatrièmement, l’agent a manqué aux principes d’équité procédurale en ne divulguant pas les détails de la lettre de dénonciation.

 

[16]           Le défendeur soutient que la décision de l’agent était raisonnable compte tenu de son appréciation de tous les éléments de preuve. Il fait de plus valoir que le demandeur demande à la Cour de soupeser à nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle.

 

La norme de contrôle

[17]           Les parties conviennent que suivant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, il existe uniquement deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte pour les questions de droit et la norme de la raisonnabilité pour les questions mixtes de fait et de droit. Une conclusion de cohabitation est une conclusion de fait qui doit être revue selon la norme de la raisonnabilité (Said c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1245, au paragraphe 18 [Said]).

 

[18]           La disposition pertinente du Règlement régissant la catégorie des époux et conjoints de fait est la suivante :

124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

 

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

 

 

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

 

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

124. A foreign national is a member of the spouse or common‑law partner in Canada class if they

 

 

(a) are the spouse or common‑law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

 

(b) have temporary resident status in Canada; and

 

(c) are the subject of a sponsorship application.

 

L’agent a‑t‑il manqué aux principes d’équité procédurale en ne communiquant pas la lettre de dénonciation?

[19]           L’agent a clairement déclaré qu’il n’accordait aucun poids à la « lettre de dénonciation ». Il s’est appuyé sur l’enquête de l’ASFC, dont les résultats ont été communiqués au demandeur dans la lettre relative à l’équité procédurale envoyée en octobre 2011. En outre, le contenu de la lettre de dénonciation, même si aucun poids n’y a été accordé, a été communiqué au demandeur et à sa répondante lors de l’entrevue et ces derniers ont eu la possibilité d’y répondre. Comme l’a souligné le juge Mosley dans Wang c Canada, 2011 CF 812 au paragraphe 13, il n’est pas nécessaire de communiquer une « lettre de dénonciation » si l’on porte les allégations à la connaissance du demandeur :

[13]      De plus, la prétention de la demanderesse voulant que l’omission de lui communiquer, ou de communiquer à son époux, la lettre ou les détails de celle‑ci constituait un manquement à l’équité procédurale est sans fondement. Il a été conclu qu’une « lettre malicieuse anonyme » n’a pas nécessairement à être communiquée à un demandeur, tant et aussi longtemps qu’on porte à sa connaissance les allégations contenues dans la lettre : D’Souza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 57, 321 F.T.R. 315, au paragraphe 14. C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Au cours de l’entrevue de l’époux de la demanderesse, l’agente des visas a explicitement mentionné que Citoyenneté et Immigration Canada avait reçu une lettre anonyme et lui a donné la possibilité de répondre à ses préoccupations : voir la décision de l’agente des visas, dossier de la demande, pages 50‑52. L’on ne peut affirmer qu’il y a eu des manquements à la justice naturelle.

 

 

[20]           En l’espèce, il n’y a pas non plus eu de manquement à l’équité procédurale.

 

L’agent a‑t‑il tiré des conclusions voilées concernant l’authenticité du mariage?

[21]           Le demandeur soutient que l’agent a assimilé les exigences relatives à l’authenticité d’un mariage et l’exigence de cohabitation et qu’il a tiré des conclusions voilées concernant l’authenticité du mariage. Je ne suis pas d’accord. Même si l’agent a mentionné que le rapport de l’ASFC indiquait que le [traduction] « couple ne vit pas ensemble dans le cadre d’une relation conjugale authentique », il ressort clairement de l’enquête de l’ASFC et de la décision de l’agent dans son ensemble qu’il a mis l’accent sur l’exigence de la cohabitation. De plus, il est bien établi que le non‑respect de l’une des exigences de l’article 124 du Règlement entraîne le rejet de la demande. Si l’époux et la répondante ne vivent pas ensemble, le demandeur n’est pas admissible.

 

[22]           Voici ce qu’a déclaré le juge Russell au paragraphe 34 de Said :

34        […] S’il n’y avait pas cohabitation, alors le parrainage n’était pas possible. Elle n’avait aucune raison de se demander si le mariage était ou non authentique et s’il visait ou non principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi, selon ce que prévoit l’article 4 du Règlement. L’agente n’avait pas à se demander pourquoi le mariage avait été contracté, mais plutôt si le demandeur et sa répondante vivaient ensemble à la date de la demande. Je ne vois aucune erreur de l’agente sur cet aspect.

 

[35]      […] Par ailleurs, le juge Shore écrivait, dans la décision Laabo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 C.F. 1268, au paragraphe 27, que le fait de ne pas remplir l’une des conditions de l’alinéa 124a) du Règlement rend irrecevable la demande de résidence permanente. Que leur mariage soit ou non authentique, il reste que, comme l’a conclu avec raison l’agente, le demandeur et sa répondante ne vivaient pas ensemble. Cela suffit à exclure le demandeur de la catégorie des époux au Canada.

 

[23]           Dans Mandbodh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 190, [2010] ACF no 216, le juge Boivin a mentionné les critères prévus à l’article 124 du Règlement et a souligné ce qui suit au paragraphe 11 :

[11] Le nonrespect par le demandeur d’une des conditions d’obtention de la résidence permanente est fatal à sa demande. Essentiellement, la demanderesse demande à la Cour de tenir compte des questions soulevées par l’agent et des explications qu’elle a fournies en réponse puis de réévaluer ces explications afin d’en arriver à une conclusion différente, ce qui n’est pas le rôle de la Cour.

 

L’agent a‑t‑il rejeté des éléments de preuve corroborants?

[24]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en rejetant des éléments de preuve corroborants qui appuyaient sa prétention selon laquelle sa répondante et lui étaient mariés depuis six ans et que même s’ils avaient été séparés pendant presque un an, il ne s’agissait pas d’une séparation permanente et que la situation découlait du conflit à la suite de sa fausse couche. Le demandeur fait valoir que l’agent a commis une erreur en accordant aux déclarations prévues par la loi émanant des membres de la famille une faible valeur probante parce que les déclarations étaient intéressées et qu’elles provenaient de personnes qui avaient des liens étroits avec le demandeur. Le demandeur prétend de plus que l’agent n’a pas tenu compte des déclarations provenant des amis. Invoquant Ugalde c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2011] ACF no 647 [Ugalde], le demandeur soutient que des éléments de preuve ne peuvent être rejetés uniquement parce qu’ils sont intéressés. Le demandeur souligne que ceux qui ont présenté les déclarations sont les mieux placés pour décrire la relation et les raisons pour lesquelles le demandeur a vécu séparé de sa répondante.

 

[25]           Le défendeur soutient que l’agent avait le droit d’accorder une faible valeur aux déclarations prévues par la loi et qu’il ne l’a pas fait uniquement au motif que les déclarations provenaient de membres de la famille et d’amis qui entretenaient des liens étroits avec le demandeur. Le défendeur fait valoir que l’agent a analysé le contenu des déclarations, a mentionné ces renseignements dans sa décision et a soupesé ces renseignements avec les éléments de preuve qu’a fournis l’enquête de l’ASFC.

 

[26]           Voici ce qu’a déclaré le juge de Montigny dans Ugalde :

[26]      Toutefois, la jurisprudence a établi que, selon les circonstances, la preuve ne doit pas être écartée simplement parce qu’elle provient de personnes liées aux intéressés : R c. Laboucan, 2010 CSC 12, au par. 11. Comme le souligne avec raison l’avocate du défendeur, l’arrêt Laboucan a été rendu dans une affaire criminelle; cependant, la jurisprudence de la Cour en matière d’immigration a établi le même principe. En effet, selon plusieurs décisions en matière d’immigration, le fait d’accorder peu de poids à la preuve parce qu’elle émane d’un ami ou d’un membre de la famille constitue une erreur.

 

[27]      Par exemple, dans l’affaire Kaburia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 516, la juge Dawson a statué, au paragraphe 25, que « le fait qu’une lettre a été sollicitée ou qu’elle a été écrite par un parent n’est pas suffisant en soi pour en invalider le contenu ». De même, le juge Phelan a fait observer ce qui suit dans la décision Shafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 714, au paragraphe 27 :

 

L’agente n’attache guère de valeur probante au témoignage par affidavit des deux autres témoins parce qu’il émane d’un ami intime de la famille et d’un cousin. Elle n’explique pas qui d’autre que des amis et des parents devrait donner ce genre de témoignage.

 

De même, dans la décision Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 226, au paragraphe 31, la juge Mactavish a déclaré ce qui suit :

 

S’agissant de la lettre du président de l’organisation, je ne comprends pas la critique de la Commission lorsqu’elle dit que la lettre était intéressée, puisqu’il est probable que tout élément de preuve présenté par un revendicateur sera utile pour son cas et pourrait par conséquent être qualifié d’« intéressé ».

 

[28]      À la lumière de cette jurisprudence, dans les circonstances, je ne crois pas qu’il était raisonnable que l’agente accorde à cette preuve une faible valeur probante simplement parce qu’elle émanait des membres de la famille des demandeurs. L’agente aurait sans doute préféré des lettres écrites par des personnes n’ayant aucun lien avec les demandeurs et ne se souciant pas de leur bien‑être. Cependant, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne n’ayant aucun lien avec les demandeurs soit en mesure de fournir ce genre de preuve à propos de ce qui est arrivé aux demandeurs au Mexique. Les membres de la famille des demandeurs ont été témoins de leur persécution alléguée, alors ce sont les personnes les mieux placées pour témoigner au sujet de ces événements. De plus, comme les membres de leur famille ont eux‑mêmes été ciblés après le départ des demandeurs, il est opportun qu’ils décrivent eux‑mêmes les événements qu’ils ont vécus. Par conséquent, il était déraisonnable que l’agente n’ajoute pas foi à cette preuve simplement parce qu’elle émanait de personnes liées aux demandeurs.

(Non souligné dans l’original.)

 

 

[27]           La Cour a examiné d’autres décisions dans les circonstances particulières et réitéré que des éléments de preuve ne devraient pas être écartés uniquement parce qu’ils sont intéressés. Dans un autre passage pertinent dans Ahmed, la juge Mactavish applique ce principe :

[32]      Cela dit, malgré les failles que montrent les conclusions de la Commission sur la valeur probante de la lettre en ce qui a trait à la nature du rôle de M. Ahmed au sein du Anjuman Hussainia, ces conclusions n’étaient pas manifestement déraisonnables. La Commission a relevé que la lettre avait été écrite longtemps après les présumés incidents, et qu’elle ne faisait état d’aucune des réalisations ou des responsabilités de M. Ahmed au sein de l’organisation Anjuman. Par ailleurs, les doutes de la Commission à propos des ennuis que connaissait M. Ahmed avec le SSP ne reposaient pas uniquement sur cette lettre. La Commission mettait en doute plusieurs aspects de sa revendication, notamment l’existence même d’un atelier de confection, et le niveau de la participation de M. Ahmed à la manifestation. Il n’était donc pas manifestement déraisonnable pour la Commission de ne pas accorder beaucoup de crédit à cette lettre.

 

 

[28]           De même, dans Ray c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] ACF no 927, au paragraphe 39, le juge Teitelbaum a déclaré que le fait d’accorder peu de valeur probante à des documents parce qu’ils sont intéressés constitue une erreur, mais que l’attribution d’une faible valeur probante pouvait reposer sur d’autres fondements.

 

[29]           Les deux questions que soulève le demandeur concernant les déclarations sont liées : celle de savoir si l’agent a accordé une faible valeur probante uniquement en raison de la source des déclarations ou pour d’autres motifs après en avoir analysé le contenu et celle de savoir si l’agent était tenu de mentionner chaque déclaration.

 

[30]           L’agent a mentionné les déclarations prévues par la loi émanant de parents et amis et il a indiqué qu’il accordait peu de poids à [traduction] « ces documents ». Rien dans le dossier n’indique que l’agent a ignoré certaines déclarations.

 

[31]           Le demandeur soutient que même si l’agent dit qu’il a examiné tous les éléments de preuve, il a ignoré les déclarations à l’appui émanant des amis. Le demandeur invoque Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425, où le juge Evans a souligné ceci, au paragraphe 17 : « Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. »

 

[32]           J’aimerais également citer les propos tenus par le juge Near dans Karayel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1305, concernant l’applicabilité de ce principe :

[16]      Le demandeur cite la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264, pour appuyer la proposition selon laquelle la Commission a commis une erreur susceptible de révision en ne reconnaissant pas au moins que l’existence de certains éléments de preuve contredisent la conclusion qu’elle a tirée au sujet de sa crédibilité. Cepeda est une décision clé souvent citée dans le cadre d’un contrôle judiciaire lorsque la Commission a tiré une conclusion qui diffère de l’information contenue dans un élément de preuve produit par le demandeur. Dans ce contexte particulier, il est important de se rappeler que le principe général qui se dégage de l’évolution de la décision Cepeda, qui est devenue une référence d’application générale en matière de preuve documentaire, est que plus la valeur probante d’une preuve est importante, plus la Cour sera susceptible de conclure que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette preuve (Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, 282 NR 394, par. 9).

 

 

[33]           En l’espèce, l’agent n’a pas fait de déclaration générale à propos des déclarations prévues par la loi. Il a mentionné les déclarations émanant des parents et amis à la fois de façon générale et de façon précise. L’agent a mentionné les déclarations prévues par la loi provenant des membres de la famille relativement à l’explication du demandeur à propos du fait qu’il passait les nuits à la résidence de sa sœur. Il a également mentionné la déclaration émanant du beau‑frère concernant l’adresse sur la facture de téléphone cellulaire du beau‑frère et la déclaration de la répondante concernant le fait qu’elle se désignait comme célibataire aux fins des prestations du POSPH.

 

[34]           Bien que l’agent n’ait pas mentionné de façon précise chacune des déclarations prévues par la loi émanant des amis, il a mentionné qu’il avait pris en compte tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés. Il faut rappeler que le contenu des déclarations était semblable et que le fait que le demandeur et sa répondante n’étaient pas ensemble depuis au moins janvier 2011 n’était pas contesté.

 

[35]           L’agent a reconnu que les déclarations avaient pour but de fournir des explications concernant la période pendant laquelle le demandeur n’était pas avec sa répondante, mais compte tenu de son appréciation de tous les éléments de preuve, à la fois pour et contre, il a accordé peu de poids aux déclarations. Comme le défendeur le soutient, l’agent avait le droit de soupeser tous les éléments de preuve appuyant la demande et tous les éléments de preuve qu’avait fournis l’enquête de l’ASFC et les entrevues et d’accorder peu de poids aux déclarations prévues par la loi. La Cour ne peut pas soupeser à nouveau la preuve.

 

[36]           Je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent a ignoré ou écarté des déclarations ou leur a attribué une faible valeur probante uniquement parce que les déclarations émanaient de la sœur du demandeur et de son beau‑frère ainsi que de voisins.

 

[37]           Dans Kornas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2010 CF 517, le juge O’Reilly a examiné le caractère raisonnable de la décision d’une agente, laquelle avait conclu que le demandeur et sa conjointe répondante ne vivaient pas ensemble et avait conclu que même si des éléments de preuve appuyaient la prétention selon laquelle le couple vivait ensemble, il y avait des éléments de preuve contraire. La décision de l’agente qui examinait tous les éléments de preuve n’était pas déraisonnable, car elle appartenait aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

 

L’agent a‑t‑il tiré des conclusions de fait déraisonnables?

[38]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en tirant des conclusions de fait déraisonnables à l’égard de trois questions importantes : la cohabitation du couple, la grossesse et les résultats de l’enquête de l’ASFC.

 

La cohabitation

[39]           Premièrement, le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte du Guide opérationnel OP 2 qui s’applique et fournit des indications aux agents à propos de la signification du mot « cohabitation ». Le Guide OP 2 souligne que bien que la cohabitation signifie vivre ensemble de façon continue, certaines séparations temporaires et de courte durée sont envisagées. Le demandeur fait valoir que même s’il demeurait chez sa sœur après la fausse couche, il passait également du temps avec sa répondante et les enfants de celle‑ci. De plus, comme l’indiquent les déclarations statutaires, la séparation était temporaire. Le demandeur prétend en outre que l’agent a omis de prendre en compte le fait que le couple avait vécu ensemble de façon continue après qu’il a été libéré de sa détention à la suite de son arrestation en octobre 2011.

 

[40]           Le défendeur convient que le Guide opérationnel OP 2 prévoit des exceptions à la cohabitation, telles que les absences temporaires et de courte durée en raison du travail et de la maladie, mais non en raison de problèmes relationnels. L’agent a fondé ses conclusions quant à la cohabitation sur tous les éléments de preuve. Étant donné que l’agent a conclu que la répondante n’avait pas été enceinte et qu’elle n’avait pas eu de fausse couche, l’explication présentée concernant la séparation n’a pas été acceptée. De plus, une séparation de plus de dix mois n’est pas une séparation de courte durée et selon l’évaluation de l’agent, elle n’était pas temporaire.

 

[41]           Le défendeur fait également valoir que les notes du SSOBL, dont l’agent a tenu compte et qui font partie des motifs de la décision, comprennent des renseignements qui ont raisonnablement mené à la conclusion selon laquelle le couple ne vivait pas ensemble et qui étaient tous présentés dans la lettre relative à l’équité procédurale.

 

[42]           L’agent a conclu de façon raisonnable que le demandeur ne vivait pas avec sa répondante. Lors de son entrevue, le demandeur a indiqué qu’il était [traduction] « parti » après janvier 2011. Ces explications concernant les raisons pour lesquelles il résidait chez sa sœur et son beau‑frère n’ont pas été reconnues comme étant crédibles, compte tenu des réponses évasives qu’il avait fournies au moment de son arrestation et du fait qu’il a fourni des réponses qui ne correspondaient pas à celles de sa répondante au moment de l’entrevue. L’agent n’a pas reconnu que la répondante avait été enceinte et, par conséquent, l’explication concernant la période pendant laquelle le demandeur et la répondante ont été séparés était sans fondement et aucune autre raison crédible n’a été présentée. La répondante n’avait pas pris de mesures pour informer le POSPH qu’elle était mariée et les dossiers du POSPH ont confirmé qu’elle continuait d’être désignée comme célibataire. Lors de l’entrevue suivant son arrestation, le demandeur avait avoué qu’il avait dit ne pas subvenir à ses besoins pour qu’elle puisse continuer à être admissible aux prestations du POSPH.

 

La grossesse

[43]           Le demandeur soutient qu’aucun élément de preuve ne permettait à l’agent de mettre en doute la grossesse et la fausse couche de la répondante. Il fait valoir que la visite aux urgences de l’hôpital en raison de douleurs abdominales étaye l’état de la répondante. De plus, lors de l’entrevue, le demandeur et la répondante ont tous deux répondu aux questions de l’agent concernant la grossesse.

 

[44]           Le défendeur soutient qu’il n’y avait aucun élément de preuve médicale pour corroborer l’affirmation selon laquelle la répondante avait été enceinte et qu’elle avait fait une fausse couche. Le dossier médical relatait simplement que la répondante avait indiqué qu’un test de grossesse avait fourni un résultat positif, suivi d’un résultat négatif. La fausse couche n’était pas l’objet de la visite à l’hôpital. En outre, le demandeur et la répondante ont, à l’entrevue, fourni des réponses contradictoires quant à leur intention d’avoir des enfants.

 

[45]           La conclusion de l’agent selon laquelle la répondante n’avait pas été enceinte n’est pas déraisonnable. Bien que l’agent ne mentionne pas précisément l’absence de preuve médicale fiable à laquelle on pourrait s’attendre pour établir la grossesse ou la fausse couche de la répondante, l’agent a souligné qu’il n’était pas convaincu compte tenu, des [traduction] « documents fournis ». En outre, la répondante et le demandeur ont donné des réponses très différentes concernant la période depuis laquelle ils tentaient de concevoir un enfant.

 

Trop grande importance accordée à l’enquête de l’ASFC

[46]           Le demandeur soutient que l’agent a accordé une trop grande importance à l’enquête de l’ASFC et n’a pas fourni de détails ou de dates concernant la surveillance dont il avait fait l’objet.

 

[47]           Comme l’a souligné le défendeur, toutes les allégations découlant de l’enquête de l’ASFC étaient énoncées dans la lettre relative à l’équité procédurale et le demandeur a fourni des observations en réponse à celle‑ci. Par conséquent, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

 

[48]           En ce qui concerne l’observation du demandeur selon laquelle l’agent a accordé une trop grande importance à l’enquête de l’ASFC, il n’appartient pas à la Cour de soupeser la preuve de nouveau. L’agent a tenu compte de la lettre de l’ASFC et des notes du SSOBL et il lui était loisible d’accorder une plus grande valeur probante à ces éléments de preuve qu’aux éléments de preuve fournis par le demandeur.

 

Conclusion

[49]           La décision de l’agent, selon laquelle le demandeur n’a pas montré qu’il « vit avec (son) répondant au Canada » comme l’exige l’alinéa 124a) du Règlement, était raisonnable. Malgré certains éléments de preuve contradictoires, l’agent a justifié ses conclusions, qui étaient mentionnées dans les motifs et fondées sur son appréciation de tous les éléments de preuve.

 

[50]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.  

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La requête est rejetée.

 

2.         Il n’y a aucune question aux fins de certification.

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2969‑12

 

INTITULÉ :                                                  SYED WAQAS ALI GILANI c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 22 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 7 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tara McElroy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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