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Date : 20130308

Dossier : IMM‑5351‑12

Référence : 2013 CF 250

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

VIKTOR GALYAS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), de la décision du 7 mai 2012 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande du demandeur visant à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Âgé de 37 ans, le demandeur est originaire de la Hongrie. Il craint d’être persécuté en Hongrie en raison de son origine rom. Une bonne partie des faits relatés ci‑après sont contestés.

[3]               Le demandeur est originaire de la ville de Lakon. Lorsqu’il allait à l’école, il était battu parce qu’il était rom. Il avait dénoncé la chose aux enseignants, mais ils ne faisaient rien. Le demandeur fréquentait un centre de formation professionnelle où il était le seul étudiant d’origine rom. Deux skinheads de sa classe le harcelaient régulièrement. Ils l’ont battu à deux reprises, dont une fois dans une salle de classe. Le demandeur se voyait refuser l’entrée dans des lieux publics en raison de son origine ethnique et il avait du mal à se trouver du travail. Il a eu vent qu’un assassinat motivé par le racisme s’était produit dans une ville proche, et que la Garde hongroise planifiait une attaque dans une autre ville avoisinante. Le demandeur s’est enfui au Canada le 19 novembre 2009 et il a présenté sa demande d’asile à son arrivée à l’aéroport.

[4]               Après son arrivée au Canada, le demandeur s’est fait conseiller par un voisin de se rendre au cabinet d’avocats de Viktor Hohots. Il a rencontré un interprète qui lui a dit d’exposer par écrit les raisons de sa demande et de signer le formulaire de renseignements personnels (FRP) avant de partir. L’interprète n’a pas précisé au demandeur que ce qu’il écrivait tiendrait lieu d’exposé circonstancié dans son FRP; il ne lui a pas non plus expliqué ce qui devait se retrouver dans l’exposé circonstancié d’un FRP ni son importance dans le contexte de la demande d’asile. Le demandeur n’a reçu aucune instruction sur ce qu’il devait écrire, de sorte qu’il a simplement rédigé un paragraphe court et général sur son expérience en Hongrie.

[5]               Avant la date de son audience, le 9 mars 2012, le demandeur a rencontré des interprètes au cabinet de Me Hohots afin de préparer les correctifs à apporter à son FRP. Les interprètes n’ont pas demandé au demandeur de fournir plus de détails au sujet de sa demande d’asile, ni ne lui ont expliqué ce qui devait être inclus dans le FRP ou le rôle de celui‑ci. Le demandeur leur a demandé s’il devait ajouter des renseignements additionnels, mais il lui a été conseillé de n’en rien faire. Le FRP rectifié a été traduit dans la langue du demandeur avant qu’il ne le signe, mais la question 31 du FRP ne lui a pas été lue. Cette question donne des instructions sur ce qui devrait se trouver dans l’exposé circonstancié d’un FRP.

[6]               L’un des interprètes a dit au demandeur d’obtenir des copies de rapports de police ou de rapports médicaux. Il lui a aussi posé quelques questions générales, par exemple s’il avait des frères ou des sœurs. Le demandeur affirme que personne ne lui a dit d’obtenir d’autres documents à l’appui de sa demande, ni ne lui a expliqué quel était le critère à respecter pour présenter une demande d’asile qui puisse être accueillie. Personne non plus n’a dit au demandeur qu’il pouvait obtenir un rapport médical concernant ses troubles de la mémoire, ni que l’aide juridique aurait pu couvrir le coût d’un tel rapport.

[7]               Quelques jours avant son audience, le demandeur a rencontré Vikramjit Uppal, un avocat du cabinet de Me Hohots. La rencontre a duré une vingtaine de minutes. Me Uppal a posé quelques questions au demandeur sur la raison de sa demande d’asile, mais il ne lui a pas demandé de faire le récit détaillé des faits qui l’avaient amené à fuir la Hongrie. Il n’a pas expliqué au demandeur le critère auquel il faut satisfaire pour être accepté comme réfugié, ni ne l’a informé des points sur lesquels il pourrait être interrogé à l’audience.

[8]               Le demandeur n’a jamais rencontré Me Hohots en personne. Il était représenté par Me Uppal à l’audience. Le seul document que Me Uppal a produit en preuve est un document sur la situation en Hongrie. La SPR a conclu que la demande d’asile du demandeur n’avait aucun fondement crédible et que le demandeur n’avait donc pas qualité de réfugié.

[9]               Après avoir pris connaissance de la décision défavorable, le demandeur a décidé d’embaucher un nouvel avocat. Il a également présenté une plainte auprès du Barreau du Haut‑Canada visant Me Hohots et Me Uppal. L’affidavit de Karina Azanza expose la plainte en détail.

[10]           Les deux conseils qui avaient représenté le demandeur ont vigoureusement nié les allégations de représentation incompétente formulées par celui‑ci. Dans une lettre adressée au Barreau du Haut‑Canada (BHC) datée du 18 août 2012, Me Hohots écrit que le demandeur lui‑même avait manqué de diligence à plusieurs reprises et ne s’était pas présenté à un certain nombre de rendez‑vous (voir la pièce K de l’affidavit de Karina Azanza). Contrairement à ce qu’avait déclaré le demandeur, Me Hohots affirme avoir rencontré le demandeur le 19 novembre 2009, également en compagnie de l’interprète du cabinet, M. Sarkozi. Il ajoute que le demandeur avait été mis au fait du processus de demande d’asile au Canada, et qu’on lui avait dit de rédiger un exposé circonstancié détaillé décrivant les incidents de persécution et demandé de rassembler ou d’obtenir des documents à l’appui de sa demande d’asile.

[11]           Dans sa réponse adressée au BHC datée du 20 août 2012 (pièce B de l’affidavit de Karina Azanza), Me Uppal affirme avoir rencontré le demandeur à deux reprises : le 27 février 2012 et le 6 mars 2012, durant une heure chaque fois, pour préparer l’audience. Me Uppal dit avoir donné l’instruction au demandeur d’obtenir des éléments de preuve documentaire, l’avoir préparé à témoigner et l’avoir représenté de façon compétente à l’audience.

[12]           Le demandeur conteste cette version des faits. Il fait remarquer que, dans une lettre que Me Hohots a envoyée à la SPR le 22 décembre 2009 afin d’expliquer pourquoi le FRP du demandeur avait été présenté en retard, il est écrit : [traduction] « nous faisions des démarches pour obtenir le certificat d’aide juridique pour cette famille ». Il est précisé sur le certificat d’aide juridique (page 94 de l’affidavit de Karina Azanza) que le certificat a été délivré le 24 novembre 2009. Le demandeur fait également remarquer que Me Uppal affirme dans sa lettre au BHC que le demandeur était à l’origine le client de M. Jozsef Sarcozi. M. Sarcozi est un consultant en immigration et un traducteur travaillant pour le cabinet de Me Hohots. Le demandeur soutient que le témoignage de Me Uppal et celui de Me Hohots divergent sur la question de savoir qui au sein du cabinet l’a rencontré.

[13]           Me Uppal déclare qu’il était présent lors des rencontres entre le demandeur et les interprètes. Le demandeur affirme que Me Uppal n’a présenté aucun élément de preuve, comme des notes prises durant les rencontres, à l’appui de cette déclaration. Me Hohots prétend qu’il a conseillé au demandeur de se procurer des documents, mais le demandeur soutient que Me Hohots n’a fourni aucun document à l’appui de cette affirmation.

DÉCISION CONTRÔLÉE

[14]           Par une décision datée du 7 mai 2012, la SPR a conclu que la demande du demandeur était dénuée d’un minimum de fondement au sens du paragraphe 107(2) de la Loi, de sorte qu’il n’avait pas droit à l’asile.

[15]           Pendant toute l’audience, la SPR a relevé un certain nombre d’incohérences entre le témoignage de vive voix du demandeur et l’information contenue dans son FRP. Ainsi, le demandeur a dit dans le cadre de son témoignage qu’il avait été battu au moins cinq fois lorsqu’il était enfant et que ses parents avaient dénoncé la situation à ses enseignants, mais que ceux‑ci s’étaient dits impuissants à corriger la chose. Aucune mention n’est faite dans le FRP des dénonciations de ses parents ni du refus qu’ils auraient essuyé pour des motifs racistes.

[16]           Le demandeur a expliqué que le FRP avait été rédigé à la même date que celle prévue pour le dépôt à la CISR, qu’il ne connaissait pas ces formalités et n’était pas au courant notamment de la possibilité de rectifier son exposé circonstancié. La SPR ne juge pas cette explication satisfaisante. Les demandeurs ont 28 jours pour rédiger leur FRP, et le demandeur était représenté par un conseil. Comme le demandeur a modifié d’autres aspects de son FRP juste avant l’audience, il est évident qu’il était au fait de la possibilité de procéder à des rectifications. Il a aussi dit au début de l’audience que les renseignements de son FRP révisé étaient complets et exacts. La SPR a conclu que le fait que le demandeur n’a pas mentionné le refus présumé d’agir des enseignants pour des motifs racistes minait sa crédibilité.

[17]           Dans le cadre de son témoignage, le demandeur a dit qu’un condisciple avait trébuché devant lui à l’école et avait ensuite agi comme si le demandeur en était le responsable. Un enseignant raciste avait ensuite giflé avec violence le demandeur, s’autorisant de son statut de Rom. Cet incident n’est pas mentionné dans son FRP. Le demandeur a donné la même explication que pour la première omission, et la SPR l’a rejetée pour les mêmes raisons. La SPR était également d’avis que le demandeur considérait, de toute évidence, l’incident comme significatif au moment d’en faire le récit. La SPR a estimé que l’omission de l’incident dans son FRP minait davantage la crédibilité du demandeur.

[18]           Dans son témoignage, le demandeur a dit avoir été battu deux fois à l’école par des confrères. Il a signalé l’incident aux enseignants, mais ceux‑ci n’ont rien fait vu qu’il était d’origine rom. La SPR a constaté qu’il n’en était pas fait mention dans le FRP. De l’avis de la SPR, il s’agissait d’un incident grave qui, s’il s’était vraiment produit, aurait été mentionné dans le FRP. La SPR a estimé qu’une telle omission minait davantage la crédibilité du demandeur.

[19]           Dans le cadre de son témoignage de vive voix, le demandeur a indiqué avoir été battu plusieurs fois par des personnes poussées par le racisme. Or, ainsi qu’il apparaît dans les observations transcrites par l’agent d’immigration au moment du dépôt de sa demande d’asile par le demandeur, ce dernier fait état de diverses menaces, humiliations et insultes à caractère racial, mais il ne mentionne pas des sévices corporels. Le demandeur a expliqué qu’au moment du dépôt de sa demande d’asile, il ne savait pas où il était, qu’il se sentait bizarre, qu’il était apeuré, abasourdi et sur le qui‑vive. La SPR a affirmé qu’elle pouvait comprendre que le demandeur soit décalé à son arrivée au Canada; cependant, même si le demandeur ne pouvait se concentrer sur de petits détails au moment d’énumérer les difficultés auxquelles il s’était heurté dans sa vie, il serait raisonnable de croire qu’il aurait mentionné les coups reçus, sinon au lieu de celles déjà recensées par lui, du moins en sus de celles‑ci. La SPR a conclu que ces incohérences minaient davantage sa crédibilité.

[20]           Le demandeur a par ailleurs dit n’avoir pas confiance dans les services policiers de la Hongrie depuis qu’un ami rom s’était non seulement vu refuser l’accès à un lieu de divertissement par des policiers, mais avait également été pourchassé par ceux‑ci et frappé par l’un d’eux. Il n’a pas été fait mention de cet incident dans le FRP. La SPR a fait remarquer que les directives permettant de rédiger l’exposé circonstancié sont très claires, en ce sens qu’il y a lieu d’indiquer tous les efforts faits en vue de solliciter la protection des autorités ainsi que tous motifs ayant, le cas échéant, fait obstruction à des efforts semblables. Le demandeur a clairement indiqué dans son témoignage que c’était cet incident qui avait miné sa confiance envers la police. La SPR se serait raisonnablement attendue, dans les circonstances, à ce qu’il soit mentionné dans le FRP, et elle a estimé que le fait qu’il ne l’a pas été minait davantage la crédibilité du demandeur.

[21]           Dans le cadre de son témoignage de vive voix, le demandeur a dit ne jamais avoir été menacé par la Garde hongroise et ne pas connaître personnellement quelqu’un qui l’aurait été. Or, dans les observations de l’agent d’immigration, le demandeur semble indiquer avoir été personnellement menacé par la Garde hongroise. Le demandeur a expliqué à l’audience que cela signifie que la Garde hongroise menaçait les Roms en règle générale. La SPR n’a pas jugé cette explication satisfaisante. Les notes de l’agent d’immigration sont assez claires en ce sens que le demandeur y dit craindre la Garde hongroise qui a « attenté à [s]a vie ». En analysant la façon dont les notes sont rédigées, la SPR a estimé que cela semblait être un incident auquel le demandeur d’asile avait été exposé personnellement, plutôt que de constituer une menace contre l’ensemble des Roms. Elle a estimé que cette incohérence minait davantage la crédibilité du demandeur.

[22]           De l’avis de la SPR, en règle générale, le demandeur semblait avoir donné des réponses vagues et évasives tout au cours de son témoignage. La SPR a noté qu’il semblait parfois adapter ses réponses de façon à prévenir toutes questions susceptibles de mettre plus en doute sa crédibilité. Ainsi, lorsque la SPR a fait remarquer qu’il était quelque peu étrange qu’il ne se soit pas adressé à un médecin ou à un policier après les sévices subis aux mains de voyous racistes, dont à une occasion durant plusieurs minutes, le demandeur a dit n’avoir pas été gravement blessé et ne pas croire en la gravité de ces incidents. La SPR a constaté qu’il semblait que le demandeur avait réalisé à l’époque qu’on lui demanderait des documents corroborants et qu’il avait prétendu n’avoir sollicité ni soins médicaux ni l’aide de la police dans l’espoir d’éviter de devoir produire ces documents.

[23]           La SPR a conclu que le demandeur manquait de crédibilité en général et elle n’a tout simplement pas cru, selon la prépondérance des probabilités, que les événements importants que le demandeur aurait vécus s’étaient réellement produits. La SPR a en outre remarqué que le demandeur a les cheveux foncés et la peau blanche, alors que les Roms sont souvent reconnus à leur peau foncée. Le conseil a fait valoir que le demandeur était légèrement bronzé, ce qui ne pouvait être le cas des Hongrois de race blanche. Le demandeur a dit que ce qui faisait de lui un Rom était son comportement et d’autres traits physiques, tels ses sourcils. La SPR n’a pas trouvé ces explications satisfaisantes. Elle ne connaissait aucun indice objectif qui pourrait laisser croire que les Hongrois ne peuvent être bronzés. En outre, bien qu’elle ait admis que certains Roms ont parfois un teint clair, voire la peau blanche, elle ne disposait pour établir l’origine ethnique du demandeur que de son témoignage, qui n’était pas crédible. La SPR a estimé, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’était pas d’origine rom. À ce titre, la demande d’asile présentée en vertu de l’article 96 de la LIPR est rejetée.

[24]           La SPR a également conclu, aux termes du paragraphe 107(2) de la LIPR, qu’il n’y avait pas d’élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable; elle doit donc faire état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile.

QUESTIONS EN LITIGE

[25]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

1)                  Y a‑t‑il eu manquement à la justice naturelle en raison de l’incompétence reprochée aux anciens conseils du demandeur?

2)                  La SPR qui a conclu que le demandeur n’était pas Rom a‑t‑elle eu raison de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité?

NORME DE CONTRÔLE

[26]           La Cour suprême du Canada, dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, a décidé qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse relative à la norme de contrôle dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la norme de contrôle applicable.

[27]           La première question porte sur le droit du demandeur de présenter l’intégralité de sa cause, ce qui est une question d’équité procédurale (voir Xu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 718; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 RCS 817 [Baker], au paragraphe 22). Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 100 : « Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. » De plus, dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale a statué comme suit : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » La norme de contrôle applicable au premier point en litige est celle de la décision correcte.

[28]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle applicable à une conclusion quant à la crédibilité était la raisonnabilité. Dans Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, en outre, le juge Max Teitelbaum a statué (au paragraphe 21) que les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité étaient au cœur de son rôle de juge des faits, de sorte qu’elles étaient assujetties à la norme de la raisonnabilité. Finalement, dans l’arrêt Negash c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1164, le juge David Near affirmait, au paragraphe 15, que la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la crédibilité est celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle applicable au second point en litige est celle de la décision raisonnable.

[29]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse porte sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[30]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Preuve

107 (2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

 

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

No credible basis

107 (2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

 

ARGUMENTS

Le demandeur

L’incompétence des conseils

[31]           Le demandeur affirme que le critère qui permet de déterminer si l’incompétence des conseils constitue un manquement à l’équité procédurale est exposé au paragraphe 26 de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c G.D.B., 2000 CSC 22. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans cet arrêt, « il faut démontrer, dans un premier temps, que les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence, et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté ».

[32]           Le demandeur soutient qu’il a été représenté de façon incompétente par ses anciens conseils pour les raisons suivantes :

a.             Aucun avocat n’a aidé le demandeur à rédiger son FRP, et l’adjoint qui a aidé le demandeur ne lui a pas expliqué ce que devait contenir le FRP ni l’importance du contenu pour sa demande, et n’a pas traduit les instructions à son intention.

b.            Aucun des membres du personnel du cabinet de Me Hohots n’a dit au demandeur qu’il devait obtenir des documents corroborant sa demande, comme des rapports de police ou des rapports médicaux.

c.             Aucun des membres du personnel du cabinet de Me Hohots n’a mis le demandeur au fait du critère juridique qu’il devrait respecter pour que sa demande d’asile soit accueillie, entre autres la nécessité d’établir qu’il ne pourrait se prévaloir de la protection de l’État en Hongrie.

d.            Ni Me Hohots ni ses employés n’étaient convenablement préparés pour l’audience du demandeur, et leur conduite et leur inaction ont été nuisibles pour les raisons suivantes :

                                            i.                  ils n’ont ménagé une rencontre entre le demandeur et un avocat que quelques jours avant l’audience;

                                          ii.                  ils n’ont pas obtenu un compte rendu complet des faits à l’origine de la demande du demandeur préalablement à l’audience;

                                        iii.                  ils n’ont pas questionné le demandeur à l’audience sur des points qui auraient pu aider à établir son origine rom devant la SPR; ils ont plutôt affirmé que le demandeur est Rom parce qu’il porte un nom rom, bien qu’aucun élément de preuve ne semble appuyer cette déclaration;

                                        iv.                  ils n’ont pas dit au demandeur qu’il serait tenu de répondre à des questions au sujet du formulaire qui avait été rempli par des agents d’immigration lorsqu’il avait présenté sa demande d’asile, et ils ne l’ont pas préparé adéquatement.

[33]           Le demandeur fait remarquer qu’aucun de ses anciens conseils ne prétend précisément l’avoir éclairé sur la définition de « réfugié ». Me Uppal affirme qu’il a informé le demandeur de la nécessité d’obtenir des documents lors de leur rencontre du 6 mars 2012, trois jours avant l’audience. Me Hohots déclare que le demandeur s’est fait conseiller d’obtenir les documents, mais ne donne pas davantage de détails. Me Uppal soutient en outre avoir dit au demandeur que les notes de l’agent d’immigration pourraient être pertinentes, mais le demandeur fait remarquer que les notes du 6 mars 2012 fournies par Me Uppal ne contiennent aucune référence explicite aux notes de CIC.

[34]           Le demandeur affirme que la Cour a conclu qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale dans des affaires similaires. Dans la décision El Kaissi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1234, le juge Near constate qu’il y avait eu une erreur judiciaire parce que le conseil n’avait pas aidé le demandeur à remplir son FRP et avait laissé cette tâche à son adjoint, n’avait rencontré le demandeur que deux jours avant l’audience, et avait omis de produire une lettre faisant état d’un mandat d’arrêt qui s’est révélé essentiel pour la demande d’asile du demandeur.

[35]           Dans Memari c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1196, l’avocate a été jugée incompétente en raison de l’effet combiné de sa représentation incompétente. L’interprète avait fait des erreurs dans l’exposé circonstancié et l’avocate n’avait pas révisé la version anglaise avec le demandeur avant de la présenter. Comme l’avocate ignorait que l’exposé circonstancié contenait des erreurs, elle n’a pas demandé la permission de le rectifier. Elle a en outre omis d’obtenir un rapport médical corroborant la prétention que le demandeur avait souffert de blessures. La Cour a conclu que la représentation inadéquate de l’avocate « était suffisamment grave pour compromettre le bien‑fondé de la décision de la Commission ».

[36]           Dans T.K.M. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 927, la Cour a jugé que le représentant était incompétent en raison de sa conduite lors de l’audience de la demanderesse, car « [q]uand un demandeur retient les services d’un représentant, il incombe à ce dernier d’informer son client des éléments de preuve qui seront exigés ».

[37]           Bien que la décision ait été prise dans un contexte de motifs d’ordre humanitaire, la Cour, dans la décision K.I.K. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 687, a conclu que le conseil était incompétent parce qu’il n’avait pas dit au demandeur que l’établissement économique est pertinent dans le cadre d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et qu’une erreur judiciaire s’était produite parce que, en refusant sa demande, l’agent avait précisément fait référence au défaut de produire une telle preuve.

[38]           Le demandeur fait remarquer qu’il a fourni un affidavit détaillé à l’appui de sa demande qui décrit ses interactions avec ses anciens conseils et les employés de ceux‑ci. Il a également produit des copies de la plainte visant ses anciens conseils qu’il avait déposée auprès du BHC.

[39]           Le demandeur fait également valoir qu’il apparaît clairement à la lecture de l’exposé circonstancié de son FRP qu’il l’a rédigé sans être représenté. Voici l’intégralité du contenu du FRP du demandeur :

[traduction]

 

Je m’appelle Galyos Viktor [sic]. Je suis né le 21 octobre 1975. J’ai quitté mon pays à cause de leur [sic] immense racisme et discrimination. Depuis que je suis enfant, j’éprouve des difficultés parce que je suis tsigane, j’ai été humilié, victime de discrimination, menacé et battu. J’ai eu des problèmes avec des organisations qui haïssent et tuent les Tsiganes. Par exemple, la Garde hongroise ou les skinheads, bien que la majorité de la population juge les Tsiganes et fasse de la discrimination à leur endroit. J’ai eu du mal à me trouver un emploi [sic] j’ai appelé à un endroit pour savoir s’ils avaient un poste à pourvoir, ils m’ont dit oui et m’ont demandé si je pouvais venir pour une entrevue, ce que j’ai fait, dès qu’ils ont vu la couleur de ma peau ils ont dit que le poste n’était plus vacant et qu’ils me rappelleraient si un autre poste s’offrait. Ils ne nous permettaient jamais d’entrer dans les clubs et quand j’allais au restaurant [sic] ils me disaient que je ne pouvais pas y entrer parce que je suis tsigane. Je suis venu dans ce pays avec de grands espoirs de ne plus faire l’objet de discrimination en raison de qui je suis.

 

 

[40]           Les directives sur les éléments à mentionner dans l’exposé circonstancié du FRP figurent dans les instructions à la question 31. Le demandeur affirme que personne n’a traduit les instructions à son intention ni ne les lui a expliquées. Selon les instructions, le demandeur doit exposer en ordre chronologique tous les événements importants et les raisons qui l’ont amené à demander l’asile au Canada. Il doit aussi exposer les détails des interactions qu’il a eues avec les autorités et décrire les mesures qu’il a prises pour trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine.

[41]           Le demandeur fait valoir que ses anciens conseils auraient dû, en prenant connaissance du contenu de l’exposé circonstancié, se rendre compte que le demandeur avait vécu des événements importants qui devaient être expressément mentionnés dans le FRP. Il avait écrit : [traduction] « j’ai été humilié, victime de discrimination, menacé et battu ». L’exposé circonstancié mentionne que des actes de persécution ont été commis de façon générale, mais il ne précise aucunement les incidents particuliers. Le demandeur affirme qu’il ne peut être allégué qu’il a omis d’informer ses conseils de la survenue de ces événements parce qu’ils sont exposés dans son FRP. Par ailleurs, des conseils compétents auraient précisé dans l’exposé circonstancié si le demandeur avait demandé la protection de l’État en Hongrie.

[42]           Le demandeur reconnaît que la preuve présentée à la Cour comporte de nombreuses allégations contradictoires, notamment en ce qui a trait aux rencontres entre le demandeur et différentes personnes travaillant au cabinet de Me Hohots. Le demandeur souligne que les témoignages de ses deux anciens conseils sont contradictoires. Or, le contenu du FRP déposé ne peut toutefois être contesté. Il ressort clairement de l’examen du FRP que ce dernier n’est pas conforme aux exigences pour ce qui est des éléments qui auraient dû y figurer s’il avait été rempli par un demandeur représenté par un conseil compétent. Le FRP ne contient absolument aucune précision sur les actes de persécution dont le demandeur a été victime, de sorte que la SPR a conclu qu’il n’était pas crédible. Le demandeur affirme que cette constatation s’impose au vu du dossier.

[43]           De plus, les anciens conseils ne semblent pas contester la prétention du demandeur selon laquelle il a dû rédiger lui‑même l’exposé des motifs de sa demande d’asile, ou qu’après l’avoir rédigé, il ne se soit pas fait dire que ce qu’il avait écrit n’était pas conforme à ce qu’on s’attendait à trouver dans l’exposé circonstancié d’un FRP, ni ne s’est fait dire qu’il aurait dû y ajouter des détails supplémentaires. Le rôle des conseils semble s’être limité à traduire l’exposé du demandeur du hongrois au français et à le présenter à la SPR.

[44]           Me Hohots reconnaît qu’il a laissé le demandeur rédiger son propre exposé circonstancié et le remettre à son cabinet. Me Uppal confirme aussi que le demandeur a rédigé son exposé circonstancié, et il compare le rôle de conseil à celui d’un agent de police qui recueille la déclaration d’un témoin. Il affirme que le demandeur ne devrait pas se plaindre au sujet d’un FRP qu’il a rempli lui‑même, et qu’il lui incombait de décrire les faits avec exactitude. Les conseils ne semblent pas contester le fait qu’ils n’ont jamais conseillé au demandeur de modifier son FRP en y ajoutant des précisions supplémentaires; ils reprochent plutôt au demandeur de n’avoir pas soulevé la question lui‑même.

[45]           Les anciens conseils reconnaissent que le FRP du demandeur n’était pas assez détaillé et qu’ils ne l’ont pas fait remarquer au demandeur. Ils reconnaissent également que le fait de ne pas inclure assez de détails dans un FRP peut nuire à l’issue d’une demande d’asile. Les conseils dont le demandeur avait retenu les services devaient aider ce dernier à présenter sa demande; or, l’exposé circonstancié du FRP est manifestement lacunaire et ne fournit pas de détails, bien qu’il mentionne que le demandeur a été [traduction] « humilié, victime de discrimination, menacé et battu ». Selon le demandeur, il ressort clairement du dossier que ses anciens conseils ne l’ont pas représenté adéquatement, ce qui a entraîné une erreur judiciaire.

[46]           Le demandeur souligne que la SPR s’est fondée sur l’omission de certains événements précis dans le FRP pour conclure qu’il n’était pas crédible. Dans la décision, la SPR a examiné chacun des incidents de persécution évoqués par le demandeur à l’audience, puis a conclu que le demandeur n’était pas crédible quant à chacun d’entre eux, car il ne les avait pas mentionnés dans son FRP. La SPR a certes soulevé d’autres points de préoccupation, mais sa décision repose en bonne partie sur les conclusions qu’elle a tirées des omissions. La SPR s’est essentiellement fondée sur les omissions pour discréditer chaque incident de persécution évoqué par le demandeur à l’audience.

[47]           La situation en l’espèce est très semblable à celle exposée dans la décision El Kaissi, précitée. Au paragraphe 21 de cette décision, la Cour statue qu’il « y a inévitablement manquement à l’équité procédurale lorsque l’incompétence de son conseil empêche un demandeur d’asile de produire une preuve importante, apte à convaincre la Commission, celle‑ci tirant de ce fait des conclusions défavorables quant à la crédibilité, lesquelles imprègnent la décision tout entière ». En l’espèce, ce sont les omissions dans le FRP du demandeur qui ont été les facteurs déterminants sur lesquels la SPR s’est fondée pour conclure que le demandeur n’était pas crédible, ce qui a entraîné le rejet de sa demande.

[48]           Dans son affidavit, le demandeur dit que s’il avait mieux compris ce qui devait être prouvé dans une demande d’asile, il aurait pu décrire ses interactions passées avec la police en Hongrie et témoigner au sujet de son identité rom. S’il avait su que les notes de l’agent d’immigration pouvaient être pertinentes, il aurait pu affirmer dans son témoignage que l’interprète l’avait assisté par téléphone, et qu’on ne lui avait pas relu formulaire avant de le lui faire signer. Si son ancien conseil avait eu une meilleure connaissance du contexte de sa demande, il aurait pu poser des questions à l’audience pour l’amener à témoigner sur ces autres points.

[49]           Le demandeur ajoute que s’il avait su quels documents seraient utiles au traitement de sa demande, il aurait pu apporter une lettre rédigée par l’un de ses amis qui avait déjà été battu par un agent de police, des lettres de membres de sa famille confirmant qu’il est un Rom et qu’il avait été battu à l’école pour cette raison, ainsi qu’un rapport psychologique traitant des difficultés qu’il avait eues à livrer son témoignage à l’audience. Le demandeur fait valoir que s’il avait eu une occasion valable de présenter son témoignage de vive voix et ses éléments de preuve documentaires à la SPR, celle‑ci aurait pu parvenir à une conclusion différente. Par conséquent, il soutient qu’il y a eu erreur judiciaire.

La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas un Rom

[50]           Bien que le demandeur soutienne que le manquement à l’équité procédurale entraîné par l’incompétence des conseils justifie qu’il soit fait droit à la présente demande, il ajoute que la conclusion de la SPR selon laquelle il n’est pas un Rom n’est pas raisonnable, car elle est fondée sur des hypothèses, des conjectures et le profilage racial.  

[51]           La Cour d’appel fédérale a statué que la SPR commet une erreur en fondant ses conclusions sur des hypothèses ou conjectures uniquement (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Satiacum, [1989] FCJ n505 (CAF)). La SPR réitère sa conclusion selon laquelle le demandeur n’est pas crédible, mais se fonde également sur sa constatation selon laquelle le demandeur a « la peau blanche ».

[52]           Le demandeur prétend que la Cour a annulé des décisions dans lesquelles des conclusions défavorables au sujet de l’identité d’une personne reposent sur des généralisations, des stéréotypes et le profilage racial. Dans Szostak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 938, aux paragraphes 20 à 24, la Cour conclut ce qui suit :

[…] à l’occasion du contrôle de décisions de la section du statut de réfugié rendues dans des cas où les revendicateurs affirmaient être des Roms, où la question était de savoir s’ils étaient ou non des Roms, et où la section du statut de réfugié avait fondé sa décision sur l’apparence physique et autres caractéristiques propres à ceux qui comparaissaient devant elle.

 

Dans l’affaire Pluhar, précitée, le juge Evans s’est exprimé ainsi, aux paragraphes 10 et 11 de sa décision :

 

À mon avis, la Section du statut du réfugié a commis une erreur de droit en fondant effectivement sa décision sur son appréciation selon laquelle Mme Pluharova n’avait pas le teint foncé, surtout qu’elle ne prétendait pas être « experte » en la matière. Il est fondamentalement dangereux pour les membres de la Commission de décider si les gens dans un autre pays percevraient un revendicateur comme étant d’une origine ethnique particulière en se fondant uniquement sur l’observation de la personne en cause par les membres de la Commission.

Certes, il peut y avoir des situations dans lesquelles il sera tout à fait évident d’après l’apparence d’une personne qu’elle n’est pas d’une origine ethnique particulière. Toutefois, puisque Mme Pluharova avait les cheveux noirs et un teint « bronzé », le « sens commun » du tribunal ne constituait pas un fondement suffisamment sûr pour apprécier une question aussi délicate. On ne peut pas classer le teint simplement comme « clair » ou « foncé » : il y a toute une gamme entre ces deux extrêmes. Il se peut que des racistes soient capables d’identifier une personne comme membre d’un groupe minoritaire au moyen de caractéristiques physiques qui ne seraient pas nécessairement apparentes aux gens dans d’autres pays.

Dans l’affaire Mitac, précitée, le juge Lutfy a fait siens les propos tenus par le juge Evans dans l’affaire Pluhar. Il a ensuite fait porter son attention sur la preuve dont disposait le tribunal, et il a conclu que la Commission avait tiré certaines de ses conclusions sans tenir compte des documents qui étaient devant elle. Il a également critiqué l’absence d’un interprète rom.

À mon avis, les affaires concernant des revendicateurs roms ne sont pas différentes de toute autre affaire dont peut être saisie la section du statut de réfugié et où l’identité est une question à trancher. Les formations de la section du statut de réfugié doivent tirer leurs conclusions en matière d’identité en se fondant sur la preuve produite, qu’il s’agisse d’écrits ou de témoignages. De plus, les inférences doivent être fondées sur la preuve et être raisonnables, comme cela a été souligné dans l’affaire Aguebor c. MEI (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

Ce principe permet de tenir en échec les généralisations, les classifications, les profils raciaux, les moyennes et les idées préconçues. En l’espèce, à l’exception de la langue et du niveau d’instruction, le tribunal n’avait devant lui aucune preuve documentaire portée à la connaissance de la Cour qui pût constituer un solide fondement permettant de dire l’identité de ce revendicateur, qui affirmait être un Rom et qui a témoigné des risques qu’entraînaient [traduction] « les caractéristiques physiques propres aux Roms de Pologne » (dossier certifié, page 541) et dit sa préoccupation à propos du dialecte qu’il parlait (dossier certifié, page 588).

 

 

[53]           Dans Vodics c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783, le juge Douglas Campbell souligne au paragraphe 17 que le témoignage sous serment d’un demandeur concernant son origine ethnique est présumé véridique et ne peut être réfuté par des présomptions stéréotypées :

[…] Si l’on présume donc de la véracité du témoignage sous serment portant sur l’origine ethnique, le fait que le déclarant ne correspond pas à la façon dont le décideur comprend l’origine ethnique ne constitue pas, en l’absence du niveau de certitude exigé, une preuve digne de foi permettant de réfuter la présomption. Par conséquent, le simple fait qu’une personne fait exception à un profil ethnique, même pour plusieurs facteurs, ne permet pas de conclure qu’elle n’est pas la personne qu’elle prétend être. Il se pourrait fort bien que, en l’absence d’une preuve admissible et digne de foi contraire à l’allégation de l’origine ethnique, par exemple une évaluation digne de foi du lignage ethnique, des aveux ou une autre preuve contraire directe, il faille accepter la déclaration sous serment de la personne même ou son origine ethnique.

 

 

[54]           Selon le demandeur, la Cour a même affirmé que de fonder une conclusion quant à l’origine ethnique sur des présomptions stéréotypées est suffisant en soi pour justifier l’annulation d’une décision. Dans Kotkova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1706, aux paragraphes 3 et 4, la Cour s’est exprimée comme suit :

Pour appuyer son opinion selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible et qu’elle pouvait obtenir la protection de l’État, le Commissaire a mentionné entre autres ce qui suit, dans sa décision :

 

[...] De plus, la revendicatrice en apparence, ne semble pas Juive et elle‑même a admis que ses traits physiques n’indiquent pas qu’elle est Juive. Suite à cette analyse du profil de la revendicatrice, le Tribunal a voulu savoir comment les gens pouvaient l’identifier comme Juive?

Qu’elle soit exprimée consciencieusement ou non, ce genre d’opinion toute faite se fonde entièrement sur l’apparence d’une personne et est malheureusement telle qu’elle encourage des préjugés inacceptables contre les Juifs; elle ne peut être utilisée dans le but de discréditer la crainte exprimée par la demanderesse d’être persécutée du fait de sa religion juive. À mon avis, dans les circonstances, ce genre de commentaire entache de nullité toute la décision en cause.

 

 

[55]           Le demandeur a dit à l’audience qu’il peut être reconnu en tant que Rom. Dans l’affidavit présenté à l’appui de sa demande, il conteste la conclusion de la SPR selon laquelle il a « la peau blanche ». Il déclare en outre : [traduction] « les gens du peuple rom se reconnaissent comme Roms en raison des origines et des coutumes communes, et non des ressemblances physiques ».

[56]           Le demandeur fait valoir qu’il est injuste et problématique de tirer des conclusions factuelles d’après l’apparence physique d’un demandeur, particulièrement des conclusions qui visent à classer la couleur de la peau d’un demandeur dans des catégories telles que « peau blanche » et « peau foncée », comme c’est le cas dans la décision. La SPR s’est livrée à un profilage racial en concluant que la peau du demandeur se situe dans la catégorie « blanche » et que celui‑ci ne présente pas les caractéristiques stéréotypées d’une personne d’origine ethnique rom de la Hongrie.

[57]           Comme dans la décision Kotkova, précitée, cette erreur est suffisante pour justifier une ordonnance annulant la décision dans son ensemble. Si la SPR n’était pas arrivée à cette conclusion erronée, elle aurait dû tenir compte des autres éléments de preuve relatifs à la persécution dont le demandeur a fait l’objet en Hongrie (Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1350).

Le défendeur

            L’incompétence des conseils

 

[58]           Le défendeur fait valoir que le demandeur tente à présent de jeter le blâme du rejet de sa demande d’asile sur ses anciens conseils, alors qu’il s’est fait répéter par ceux‑ci d’étayer sa demande de documents pertinents et qu’il savait qu’il pouvait rectifier son FRP puisqu’il l’avait fait une fois. Ainsi, ses allégations d’incompétence visant les conseils ne satisfont pas au critère permettant d’établir qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[59]           Le défendeur ajoute qu’une allégation d’incompétence visant un conseil n’est pas un motif suffisant pour justifier l’intervention de la Cour. Dans Frenkel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 96, la Cour a affirmé ce qui suit au paragraphe 11 :

D’une manière générale, il n’appartient pas aux tribunaux de connaître des allégations d’incompétence visant un avocat : voir Williams c. M.E.I. (1994), 74 F.T.R. 34 à la p. 38. Dans certaines circonstances extraordinaires, l’incompétence de l’avocat peut soulever un problème de justice naturelle. Mais c’est au requérant qu’incombe la lourde tâche de démontrer que sa cause s’inscrit dans le cadre de cette exception : voir, par exemple, Sheika c. Canada (1990), 71 D.L.R. (4th) 604 à la p. 611 (C.A.F.); Huynh c. M.E.I. (1994), 21 Imm. L.R. 18 aux p. 21 et suivantes (C.F. 1re inst.); Shirwa c. M.E.T. (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 123 aux p. 128 et suivantes (C.F. 1re inst.); et Drummond c. M.C.I. (A‑771‑92) décision non publiée rendue le 11 avril 1996 par le juge Rothstein qui a résumé l’état du droit sur la question :

 

« […] La jurisprudence dit cependant qu’en règle générale lorsqu’un avocat est librement choisi, c’est l’organisme d’accréditation tel le Barreau du Haut‑Canada [...], et non les tribunaux, qui a le mandat de s’occuper de l’incompétence d’un avocat; [...] Cependant, dans des cas extraordinaires, la compétence de l’avocat peut soulever une question de justice naturelle. Il faut alors que les faits soient précis et clairement prouvés; […] (page 2). »

[…] Les requérants n’ont pas démontré l’existence en l’espèce de circonstances exceptionnelles dans lesquelles l’incompétence de l’avocat est démontrée avec netteté et précision, justifiant ainsi un nouvel examen du fait d’un manquement à l’une ou l’autre des exigences de la justice naturelle.

 

 

[60]           Le défendeur souligne que le demandeur n’a pas fait part de ses préoccupations au sujet de l’incompétence de son représentant dès le début de l’audience. Si le demandeur avait des réserves quant à la façon dont il était représenté et dont les conseils menaient l’instance ou sur les observations qu’ils présentaient en son nom, il aurait dû soulever ces problèmes « à la première occasion » lors de l’audience. Voir Dragomirov c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF n337 (CAF); Jasiel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1234; Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 949 (CAF).

[61]           Le défendeur souligne que le critère permettant d’établir que la représentation incompétente d’un conseil a entraîné un manquement à l’équité procédurale est très rigoureux (Betesh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 173; El Ghazaly c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1329). En règle générale, le client doit assumer la responsabilité de son choix de conseil, et ce type d’allégation n’est fondé que dans les cas les plus exceptionnels (Cove c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 266 (CAF)).

[62]           Un demandeur doit établir trois éléments afin de démontrer qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison du travail du conseil : i) il doit corroborer l’allégation en avisant l’ancien conseil et en lui donnant la possibilité de répondre; ii) il doit établir que les actes ou les omissions du conseil relevaient de l’incompétence, indépendamment de la sagesse rétrospective; et iii) il doit établir que le résultat aurait été différent n’eût été l’incompétence. Voir l’arrêt G.D.B., précité. Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas établi que ses conseils étaient incompétents ou que l’issue de sa demande d’asile aurait été différente n’eût été leur incompétence (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 269, aux paragraphes 17 à 21).

[63]           Le deuxième élément a été décrit comme l’exigence de « rendement » au moyen de laquelle le demandeur doit établir que le travail du conseil relevait de l’incompétence. Ce critère est rigoureux et le demandeur doit établir qu’il y a eu « incompétence extraordinaire » (Julien c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 351, au paragraphe 36).

[64]           Pour le troisième élément, le demandeur doit établir « qu’il existe une probabilité raisonnable que, sans cette prétendue incompétence, l’issue de l’audience initiale aurait été autre » (Yang, paragraphe 26). Ainsi, ce n’est que lorsque le demandeur a « agi avec diligence » qu’il peut obtenir réparation (Goudarzi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 425, au paragraphe 46). Lorsque le demandeur est partiellement responsable, parce qu’il n’a pas agi avec diligence, par exemple, il n’a pas droit à réparation (Gomez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 568, au paragraphe 28).

[65]           Le défendeur prétend que le demandeur n’a pas établi que ses anciens conseils étaient incompétents ou que l’issue aurait été différente s’ils avaient agi autrement. Le demandeur doit démontrer qu’il existe une probabilité raisonnable que l’issue aurait été différente, n’eût été l’incompétence de ses représentants (Parast c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 660).

[66]           En l’espèce, les deux conseils ont nié les allégations du demandeur et ils affirment l’avoir rencontré à diverses occasions, lui avoir expliqué la procédure de demande d’asile, et lui avoir dit d’obtenir des documents pour corroborer sa demande d’asile. Me Uppal a affirmé qu’il avait préparé le demandeur en vue de l’audience et qu’il l’y avait représenté de façon compétente.

[67]           Le défendeur fait valoir que, vu les lettres dans lesquelles les conseils recommandent au demandeur d’obtenir des preuves documentaires (voir l’affidavit de Karina Azanza), le demandeur doit prendre une certaine part de responsabilité en ce qui concerne les documents corroborants à l’appui de sa demande qui n’ont pas été présentés. Puisque le demandeur n’a pas lui‑même agi avec diligence, il n’a pas démontré que l’issue de l’audience aurait été différente, n’eût été le travail de son avocat.

[68]           Le défendeur souligne que le FRP original du demandeur avait été rectifié avant l’audience, ce qui concorde avec l’affirmation des anciens conseils selon laquelle la représentation avait été compétente. Le demandeur savait donc, contrairement à ce qui figure à son affidavit, qu’il pouvait mettre à jour ou rectifier son FRP avant l’audience. Le demandeur reconnaît également qu’il a rencontré Me Uppal avant l’audience en vue de se préparer à celle‑ci, et que rien dans la transcription ne démontre que le conseil a agi avec incompétence à l’audience. En fait, la transcription montre que le conseil a abordé les principales questions présentées à la SPR : les doutes quant à la crédibilité émanant des omissions dans le FRP, la protection de l’État, et la discrimination ou la persécution à l’encontre des Roms en Hongrie.

[69]           En outre, le témoignage de vive voix du demandeur contredisait ce qu’il avait déclaré aux agents d’immigration à son arrivée. Par conséquent, il est encore plus incertain que l’issue aurait été différente, n’eût été l’incompétence alléguée des conseils. En outre, aucune preuve documentaire, comme des rapports de police ou des rapports médicaux, ne corrobore objectivement les allégations du demandeur.

La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas un Rom

[70]           Le défendeur affirme que le demandeur laisse effectivement entendre qu’il y a eu partialité de la part de la SPR, car elle a tiré des conclusions défavorables sur son identité rom en s’appuyant sur des généralisations et des stéréotypes et en se livrant au profilage racial. Dans Newfoundland Telephone Co. c Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 RCS 623, la Cour suprême du Canada a déclaré que le critère de la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur.

[71]           Dans R. c R.D.S., [1997] 2 RCS 484, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit aux paragraphes 112 et 113 :

[…] la jurisprudence anglaise et canadienne appuie avec raison la prétention de l’appelant selon laquelle il faut établir une réelle probabilité de partialité car un simple soupçon est insuffisant. […]

 

Peu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C’est une conclusion qu’il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l’intégrité judiciaire. De fait, l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice toute entière. Voir la décision Stark, précitée, aux par. 19 et 20. Lorsqu’existent des motifs raisonnables de formuler une telle allégation, les avocats ne doivent pas redouter d’agir. C’est toutefois une décision sérieuse qu’on ne doit pas prendre à la légère.

 

 

[72]           La Cour suprême du Canada a également traité du critère rigoureux au paragraphe 76 de Wewaykum Indian Band c Canada, [2003] 2 RCS 259 :

Premièrement, il convient de répéter que la norme exige une crainte de partialité fondée sur des motifs sérieux, vu la forte présomption d’impartialité dont jouissent les tribunaux.  À cet égard, le juge de Grandpré a ajouté ces mots à l’expression maintenant classique de la norme de la crainte raisonnable :

 

Toutefois, les motifs de la crainte doivent être sérieux et je [. . .] refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse et tatillonne ».

 

(Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, précité, p. 395)

 

 

[73]           Le défendeur allègue que les conclusions de la SPR au sujet de l’identité du demandeur ne sont ni partiales ni fondées sur des généralisations, des stéréotypes ou le profilage racial. Ayant décidé que le demandeur n’était pas crédible, la SPR s’est tout simplement demandé si le demandeur était un Rom comme il le prétendait. Pour ce faire, la SPR a tenu compte des observations des conseils et des explications formulées par le demandeur à l’audience quant aux autres éléments de preuve dont la SPR disposait pour déterminer s’il était Rom, dont la pigmentation de la peau, les cheveux, les traits faciaux et le nom de famille du demandeur. La SPR a ensuite conclu à juste titre que bien « que certains Roms ont parfois un teint clair, voire la peau blanche, [la SPR] ne dispose pour établir l’origine ethnique du demandeur d’asile que de son témoignage, qui n’est pas crédible ». Par conséquent, le défendeur affirme que l’argument du demandeur devrait être rejeté.

[74]           De plus, les questions concernant la crédibilité et le poids à accorder à la preuve relèvent de la SPR à titre de juge des faits (Brar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] ACF no 346). La SPR est la mieux placée pour évaluer le témoignage de vive voix du demandeur (Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 673, au paragraphe 17). De nombreuses incohérences ont été relevées entre le témoignage de vive voix du demandeur, l’exposé circonstancié du FRP et les notes de l’agent d’immigration. Le défendeur soutient que les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR sont par conséquent raisonnables.

Réplique du demandeur

            L’incompétence des conseils

[75]           Le demandeur fait remarquer que dans Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 604, la Cour d’appel fédérale a explicitement statué qu’une décision relative au statut de réfugié peut être annulée en raison de l’incompétence de l’avocat. Par conséquent, l’affirmation du défendeur selon laquelle une allégation d’inconduite n’est pas un motif suffisant pour justifier l’intervention de la Cour et « les demandeurs sont tenus responsables du choix de leurs conseillers » n’est pas fondée.

[76]           Le demandeur ajoute que rien ne l’obligeait à soulever la question de l’incompétence des conseils à l’audience. Aucune des décisions invoquées par le défendeur à cet égard ne traite de la question de l’incompétence d’un avocat. Dans l’affaire Dragomirov, le demandeur s’opposait à la preuve présentée à la SPR à l’audience à l’appui de sa demande d’asile. Dans Jasiel et Yassine, il est question d’objections aux procédures de la SPR soulevées par les demandeurs devant la Cour fédérale qui n’avaient pas été soulevées devant la SPR. Le demandeur prétend que le défendeur n’a cité aucune jurisprudence qui étaie réellement son affirmation selon laquelle un demandeur doit soulever la question de l’incompétence de l’avocat à l’audience portant sur sa demande d’asile.

[77]           Quoi qu’il en soit, le demandeur affirme que la première occasion de formuler ses réserves quant à la compétence de ses anciens conseils ne s’est pas présentée à l’audience de sa demande d’asile. Dans son affidavit, le demandeur déclare n’avoir pris la mesure de l’incompétence de ses anciens conseils qu’après avoir rencontré son nouveau conseil.

[78]           En réponse à l’affirmation du défendeur selon laquelle un contrôle judiciaire au motif de l’incompétence de l’avocat n’est autorisé que dans des « circonstances extraordinaires », le demandeur fait valoir qu’il s’agit effectivement de circonstances extraordinaires. Le demandeur invoque de nouveau la jurisprudence précitée montrant que la Cour a accueilli des demandes de contrôle judiciaire dans des circonstances similaires (El Kaissi; Memari; K.I.K.). Le demandeur ajoute que son cas est extraordinaire, car il y a un lien évident entre les motifs de refus de la SPR et la représentation incompétente de la part de ses conseils. Ce sont les omissions dans le FRP du demandeur qui ont amené la SPR à conclure que pratiquement aucune de ses allégations n’était crédible. Même si le demandeur a présenté une modification à son FRP avant l’audience, il ne pouvait pas savoir qu’il aurait dû l’enrichir de détails, car aucun conseil ne lui avait expliqué ce que devait contenir un exposé circonstancié en bonne et due forme. Le demandeur n’avait aucune raison de penser que son exposé circonstancié n’était pas conforme aux exigences de la SPR.

[79]           En réponse à l’affirmation du défendeur selon laquelle on ne peut savoir avec certitude si l’issue de la demande d’asile du demandeur aurait été différente n’eût été l’incompétence alléguée des conseils, le demandeur soutient qu’il n’est pas tenu de démontrer que l’issue « aurait été différente » n’eût été l’incompétence. La Cour a statué dans Memari que « “l’erreur judiciaire” doit prendre la forme d’un manquement à l’équité procédurale – la fiabilité de l’issue du procès ayant été compromise – ou toute autre forme évidente ». La jurisprudence montre clairement qu’il faut uniquement établir que la fiabilité de l’issue a été compromise (K.I.K., paragraphe 16; El Kaissi, paragraphe 16).

Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité

[80]           Le demandeur affirme que l’argument du défendeur selon lequel la SPR avait raison de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité ne constitue pas la question en litige en l’espèce. La conclusion qu’il y a eu atteinte au droit à la justice naturelle du demandeur suffit à faire droit à cette demande de contrôle judiciaire, peu importe que la décision ait été raisonnable n’eût été l’incompétence des conseils.

La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas un Rom

[81]           Selon le défendeur, le demandeur donne en fait à entendre que la SPR a fait preuve de partialité. Le demandeur soutient que ce n’est pas le cas, et qu’il n’a pas besoin de répondre au critère en matière de partialité pour que son argument soit retenu. Dans aucune des affaires de la Cour citées par le demandeur dans lesquelles il est conclu que la SPR a fait erreur en s’appuyant sur des hypothèses stéréotypées la Cour n’estime nécessaire de répondre au critère en matière de partialité afin de justifier l’annulation de la décision (Szostak; Pluhar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1318; Vodics; Kotkova). Quoi qu’il en soit, le demandeur soutient qu’une personne raisonnablement renseignée percevrait de la partialité de l’arbitre à la lumière de ses conclusions relatives à la couleur de la peau et à l’origine ethnique du demandeur.

[82]           Le défendeur avance que cet aspect de la décision était raisonnable, car la SPR a fondé sa conclusion sur la preuve dont elle disposait, y compris [traduction] « la pigmentation de la peau, les cheveux, les traits faciaux et le nom de famille du demandeur ». Cela dit, le défendeur n’a cité aucune jurisprudence selon laquelle il convient que la SPR fonde ses conclusions relatives à la crédibilité sur la couleur de la peau et l’apparence physique d’un demandeur dans de telles circonstances ou dans toute autre circonstance. En revanche, le demandeur a relevé de nombreuses autres décisions dans lesquelles il a été statué que de telles conclusions sont déraisonnables et peuvent justifier l’annulation de l’ensemble d’une décision.

ANALYSE

[83]           Comme le défendeur le fait remarquer, le critère permettant d’établir qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence de l’avocat est très rigoureux. Voir par exemple El Ghazaly, précitée, au paragraphe 20. L’incompétence ne constitue un manquement à la justice naturelle que dans des circonstances extraordinaires. Voir l’arrêt Memari, précitée, au paragraphe 36.

[84]           Il est généralement reconnu que si un demandeur souhaite établir un manquement à l’équité procédurale sur ce point, il doit :

a.                   corroborer l’allégation en avisant l’ancien conseil et en lui donnant la possibilité de répondre;

b.                  établir que les actes ou les omissions de l’ancien conseil relevaient de l’incompétence, indépendamment de l’avantage de l’analyse et de la sagesse rétrospectives;

c.                   établir que le résultat aurait été différent n’eût été l’incompétence.

Voir, par exemple, Memari, précitée, Nizar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 557, et Brown c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1305.

 

[85]           Le défendeur affirme que, d’après les faits en l’espèce, le demandeur n’a pas établi que ses anciens conseils étaient incompétents ou que le résultat aurait été différent. Je ne consens pas.

[86]           Les anciens conseils mettent en doute les éléments de preuve fournis par le demandeur, mais, à mon avis, il ne peut y avoir lieu de contester les lacunes qui ressortent de l’exposé circonstancié du FRP du demandeur, lesquelles corroborent manifestement son allégation selon laquelle il a été laissé seul pour préparer cet important document, sans être conseillé sur le contenu qui devait y figurer ni sur ce que la SPR s’attend à trouver dans un tel exposé. Un avocat compétent aurait su que l’exposé circonstancié du demandeur n’était pas conforme aux exigences de la SPR et qu’il serait extrêmement préjudiciable pour le demandeur à l’audience. Quiconque possède une certaine expérience devant la SPR sait que celle‑ci tire constamment et implacablement des conclusions défavorables de l’omission d’incidents importants dans le FRP et que, lorsqu’un demandeur est représenté par un avocat, elle ne considère pas que le manque de connaissances sur les éléments à inclure dans le FRP constitue une explication raisonnable. À cet égard, le FRP du demandeur était destiné à entraîner une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[87]           Selon les éléments de preuve dont je dispose, il n’est pas contesté que le demandeur a dû rédiger son FRP par lui‑même et que, après qu’il l’a fait, personne ne lui a dit que son exposé n’était pas conforme aux exigences énoncées à la question 31 quant à ce qui doit figurer dans l’exposé circonstancié du FRP.

[88]           Je suis également d’avis que la représentation incompétente, du moins en ce qui concerne le FRP, a amené la SPR à juger non crédible la crainte d’être persécuté en Hongrie alléguée par le demandeur, et que le résultat aurait fort bien pu être différent si le demandeur avait eu de l’assistance pour rédiger un FRP satisfaisant aux exigences de la SPR. D’après les motifs de la SPR, celle‑ci a conclu que le demandeur n’était pas crédible après avoir examiné chacun des incidents de persécution évoqués par ce dernier, puis constaté qu’aucun d’entre eux n’était mentionné dans le FRP. Je conviens avec le demandeur que les conclusions fondées sur un FRP inadéquat ont des incidences sur l’ensemble de la décision. De plus, le demandeur a clairement établi dans son affidavit qu’il aurait pu ajouter des éléments de preuve additionnels à l’appui de sa demande si ses anciens conseils lui avaient donné les consignes adéquates.

[89]           Je suis convaincu qu’il s’agit de l’un de ces cas exceptionnels, comme ceux exposés dans les décisions El Kaissi et Memari, précitées, où le travail incompétent des anciens conseils s’est révélé déterminant dans l’évaluation de la demande par la SPR et où la représentation inadéquate a été suffisamment grave pour entacher la décision de la SPR.

[90]           Le demandeur soulève d’autres questions, mais il n’y a pas lieu de se pencher sur celles‑ci, car j’estime que la présente affaire doit être renvoyée pour un nouvel examen.

[91]           Les conseils des parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, ce qui est également l’avis de la Cour.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour un nouvel examen.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5351‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  VIKTOR GALYAS

 

                                                                        ‑   et   ‑

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 7 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 8 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aisling Bondy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Suran Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aisling Bondy

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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