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Date : 20130315

Dossier : T‑182‑13

Référence : 2013 CF 276

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2013

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

 

LA PREMIÈRE NATION DE PEGUIS

ET LE CHEF GLENN HUDSON,

AGISSANT AU NOM DU CHEF

ET DU CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE PEGUIS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

 

[1]               Par avis déposé le 25 janvier 2013, la Première Nation de Peguis et le chef Glenn Hudson, agissant au nom du chef et du conseil de la Première Nation de Peguis (ci‑après collectivement désignés, la PNP ou les demandeurs), ont introduit une demande de contrôle judiciaire (la demande) dans laquelle Sa Majesté la Reine était désignée à titre de partie défenderesse. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de certaines « décisions » qu’aurait prises la partie défenderesse relativement à un bien‑fonds sis à Winnipeg, soit les terres occupées par le casernement Kapyong (le terrain du casernement).

 

[2]               Les parties sont maintenant convenues que la partie défenderesse à la demande de contrôle judiciaire devrait plutôt être le procureur général du Canada (ci‑après désigné, le Canada ou le défendeur).

 

[3]               La Cour est saisie par le défendeur d’une requête sollicitant la radiation de la demande pour plusieurs motifs. Subsidiairement, le Canada sollicite la suspension de la demande en attendant que la Cour d’appel fédérale tranche l’appel (dossier no A‑34‑13) qu’il a formé contre le jugement motivé rendu par le juge Roger Hughes dans l’affaire Première Nation de Long Plain c Canada (Procureur général), 2012 CF 1474, [2012] ACF no 1596 [Long Plain]. La décision Long Plain a été prononcée le 13 décembre 2012 et modifiée le 20 du même mois. Elle portait sur le même bien‑fonds, c’est‑à‑dire les terres du casernement. La PNP est l’une des parties qui ont obtenu gain de cause dans cette instance, où le juge Hughes a conclu que le Canada avait manqué à son obligation de consultation à l’égard d’un certain nombre de Premières Nations, y compris la PNP, avant d’aliéner les terres du casernement. Le juge Hughes a annulé la décision prise par le Canada de vendre ce terrain à un tiers et lui a interdit de le vendre avant de pouvoir démontrer à la Cour qu’il avait rempli son obligation de consulter les quatre Premières Nations signataires du Traité no 1 qui ont obtenu gain de cause.

 

II.        Les questions en litige

 

[4]               Les questions en litige dans la présente requête sont les suivantes :

 

1.                  Convient‑il de radier la demande de la PNP au motif qu’il s’agit d’un abus de procédure pour les raisons qui suivent?

 

a.                   Le défendeur n’a pris aucune décision susceptible de contrôle judiciaire.

 

b.                  La demande est pour la PNP un moyen indirect de compléter le dossier produit devant la Cour d’appel fédérale dans l’appel de la décision Long Plain.

 

c.                   Certaines des mesures de réparation sollicitées dans la demande entrent en conflit direct avec le jugement rendu par la Cour dans l’affaire Long Plain ou leur prononciation aurait pour effet de modifier ce jugement.

 

d.                  Les mesures de réparation demandées à l’égard de l’outrage au tribunal reproché auraient dû l’être – le cas échéant – selon la procédure que prévoient à cette fin les articles 466 à 472 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

 

e.                   La PNP n’a pas désigné comme parties à l’instance les autres « personnes directement touchées », à savoir les autres Premières Nations qui étaient parties à l’affaire Long Plain.

 

2.                  À titre subsidiaire, convient‑il de suspendre la demande en attendant l’issue de l’appel formé contre Long Plain?

[5]               Pour les motifs dont l’exposé suit, j’ai conclu que la demande doit être radiée. Étant donné cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner la requête subsidiaire en suspension de la demande.

 

III.       Le contexte de la demande de contrôle judiciaire

 

[6]               Avant d’entreprendre l’analyse des moyens des parties, il est important de comprendre le contexte de la demande considérée.

 

[7]               Le jugement Long Plain portait sur une demande de contrôle judiciaire par laquelle la PNP et six autres Premières Nations, toutes signataires du Traité no 1 (ci‑après collectivement désignées « les Premières Nations signataires du Traité no 1 »), sollicitaient l’annulation de la décision prise par le défendeur de vendre les terres du casernement à la Société immobilière du Canada Limitée (la Société immobilière du Canada). Cette demande était fondée sur la thèse que le défendeur avait manqué à son obligation de consulter les Premières Nations signataires du Traité no 1 avant de transférer le titre de propriété des terres en question. L’une des Premières Nations signataires du Traité no 1 s’est désistée. Sur les six Premières Nations qui sont restées parties à la demande de contrôle judiciaire, quatre ont en fin de compte obtenu gain de cause – soit la Première Nation de Long Plain, la Première Nation anishinabe de Roseau River, la Première Nation de Swan Lake et la PNP –, et les deux autres – la Première Nation de Sagkeeng et la Première Nation ojibway de Sandy Bay – ont été déboutées. La Cour n’a pas prononcé de mesures de réparation différentes selon l’une ou l’autre des quatre parties gagnantes : elle a rendu un seul jugement d’application générale, qui annulait la décision d’aliéner les terres du casernement et interdisait aux défendeurs de le vendre tant qu’ils n’auraient pas « réussi à démontrer à la Cour qu’ils [s’étaient] acquittés véritablement de leur obligation de consulter les demanderesses ».

 

[8]               Je souligne encore une fois que la demande de contrôle judiciaire ici considérée met en cause le même défendeur et la vente éventuelle du même terrain.

 

[9]               Immédiatement après avoir pris connaissance de la décision et des motifs du jugement Long Plain, la PNP a commencé à adresser des demandes par écrit au défendeur concernant les terres du casernement. Le ou vers le 18 décembre 2012, elle lui a communiqué une offre d’achat de ces terres, accompagnée d’une demande renseignements. Elle lui a par la suite envoyé d’autres lettres. La PNP affirme que ces communications sont restées sans réponse. Ce n’est pas entièrement vrai : l’avocat du Canada a répondu – d’une manière qui toutefois ne satisfaisait pas la PNP – à chacune des lettres en question. La dernière réponse de l’avocat du défendeur, en date du 10 janvier 2013, était la suivante :

[TRADUCTION]

La Couronne continue d’examiner ses options à la suite du jugement du juge Hughes. Quand une décision sera prise à cet égard, elle vous sera communiquée à vous et aux avocats des autres demanderesses gagnantes. D’ici là, je n’ai rien à ajouter concernant les questions que vous avez soulevées.

 

[10]           Comme on l’a vu plus haut, le Canada a interjeté appel du jugement Long Plain le 25 janvier 2013. En outre, les deux demanderesses déboutées ont formé des appels incidents. Comme la décision Long Plain ne date que de décembre 2012, il n’est pas étonnant que l’appel principal et les appels incidents n’en soient encore qu’aux étapes préliminaires.

 

[11]           La PNP soutient qu’il existe des éléments d’information pertinents pour ses droits sur les terres du casernement qui rendent sa revendication y afférente encore plus solide que les droits à elle reconnus par la décision Long Plain. Elle entend par là l’entente sur les droits fonciers issus de traités qu’elle a conclue avec le Canada le 29 avril 2008 (l’EDFIT de la PNP). La PNP avait demandé à la Cour l’autorisation de verser cette entente au dossier de preuve porté devant le juge Hughes. Or, sur le point de cette entente, le protonotaire Lafrenière a rendu le 13 septembre 2011 une ordonnance qui interdisait le dépôt de ce document au motif qu’il n’était pas antérieur à la décision contestée. Le juge Hughes n’a donc pas pris en considération l’EDFIT de la PNP. Celle‑ci soutient que son EDFIT devrait être déposée devant la Cour d’appel pour l’instruction de l’appel contre la décision Long Plain.

 

[12]           Il apparaît donc que les vraies raisons pour lesquelles la PNP a formé la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes : 1) les demandeurs veulent une « police d’assurance » pour le cas où la Cour d’appel infirmerait la décision du juge Hughes et où le Canada réagirait en cédant immédiatement les terres du casernement à la Société immobilière du Canada; et 2) les demandeurs veulent produire devant la Cour d’appel les éléments de preuve contenus dans l’EDFIT de la PNP. L’avocat de cette dernière, au moment des plaidoiries, a admis en toute franchise que tel était le cas. Pour ce qui concerne la deuxième raison, les demandeurs veulent que la présente demande soit instruite en premier, de manière à pouvoir ensuite obtenir, le cas échéant, la réunion de l’appel contre la décision qui l’aurait tranchée à l’appel visant la décision Long Plain. Autrement dit, ils souhaitent complémenter le dossier produit devant la Cour d’appel en déposant des pièces qui n’ont pas été admises dans celui de la première demande de contrôle judiciaire. Je tiens compte de ces motifs fondamentaux des demandeurs dans mon interprétation de leur avis de demande et des documents qu’ils ont produits en réponse à la présente requête en radiation.

 

[13]           La PNP sollicite dans son avis de demande les mesures de réparation suivantes :

 

1.                  une conclusion déclarant que le Canada a agi de manière illégale et déraisonnable en refusant d’entrer en discussion avec elle au sujet des terres du casernement;

 

2.                  une ordonnance enjoignant au Canada de vendre les terres du casernement aux mêmes conditions que celles convenues avec la Société immobilière du Canada, sous réserve de droits concurrents garantis à d’autres Premières Nations signataires du Traité no 1 par l’EDFIT de la PNP;

 

3.                  subsidiairement, une ordonnance enjoignant aux parties d’engager immédiatement la procédure de règlement des différends que prévoit l’EDFIT de la PNP;

 

4.                  une ordonnance portant que l’injonction prononcée par le juge Hughes dans Long Plain interdit la vente des terres du casernement restera en vigueur jusqu’à ce que l’affaire trouve sa conclusion, soit par la vente des terres du casernement à la PNP, soit à l’issue de la procédure de règlement des différends que prévoit l’EDFIT de la PNP;

 

5.                  une conclusion déclarant que la décision par laquelle le Canada continue à refuser de consulter la PNP constitue un refus d’obéir au jugement du juge Hughes.

 

IV.       Analyse

 

[14]           Il est acquis aux débats que la radiation d’une demande de contrôle judiciaire est subordonnée à des conditions rigoureuses. Il n’est fait droit à une requête en radiation d’une telle demande que dans les cas les plus évidents, lorsque l’avis de demande se révèle fondamentalement vicié (David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588, [1994] ACF no 1629, à la page 600; Beatty c Canada (Procureur général), 2003 CF 1029, [2003] ACF no 1303, aux paragraphes 7 à 9). Il faut ranger parmi ces cas ceux où une décision n’avait pas été rendue et ceux où la question mise en litige avait déjà été débattue (Beatty, précitée, au paragraphe 9).

 

[15]           Commet un abus de procédure la partie qui met en litige un point pour l’essentiel identique à une question déjà débattue dans une instance antérieure, en invoquant des faits et des éléments de preuve qui coïncident en grande partie avec ceux de cette instance (Khadr c Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2004 CF 1145, 266 FTR 20, au paragraphe 11).

 

[16]           Après avoir lu les documents relatifs à la requête et entendu les observations des parties et après avoir tenu compte du critère applicable à la radiation d’une demande de contrôle judiciaire à la présente étape préliminaire, je suis convaincue qu’il convient de radier la demande.

 

A.        L’absence de décision susceptible de contrôle judiciaire

 

[17]           La spécification d’une « décision » susceptible de contrôle judiciaire est une condition fondamentale que doit remplir l’auteur de toute demande de cette nature. Or, à mon sens, la PNP n’a spécifié aucune décision ou mesure du défendeur qui pourrait pour l’instant faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[18]           Il suffit pour s’en convaincre d’examiner le passage suivant de l’avis de demande de la PNP :

[TRADUCTION]

La présente est une demande de contrôle judiciaire de la décision qu’a prise le défendeur de ne pas consulter ou de ne pas consulter valablement la [PNP] au sujet des [terres du casernement], ou de ne pas aliéner ce terrain conformément à l’[EDFIT de la PNP], et de refuser de reconnaître les droits que ladite entente garantit à la PNP, ainsi que du défaut du Canada de se conformer au jugement motivé rendu par Monsieur le juge Hughes [dans l’affaire Long Plain]. [Non souligné dans l’original.]

 

[19]           L’examen du dossier permet de conclure que le Canada n’a pas pris la décision de ne pas consulter la PNP au sujet de la vente des terres du casernement. Le facteur primordial que le Canada doit prendre en considération est que le jugement Long Plain lui interdit d’aliéner ce terrain à l’heure actuelle. La description la plus exacte qu’on puisse donner de la réaction qui a été celle du Canada jusqu’à maintenant est qu’il examine ses options, compte tenu de la décision Long Plain, et qu’il n’est pas en mesure de discuter pour l’instant de la vente des terres du casernement avec les demandeurs. Il ne s’agit là ni d’un refus ni d’une inexécution.

 

[20]           En outre, le jugement du juge Hughes n’a pas assorti de délais l’obligation de consultation sur l’aliénation des terres du casernement. Le défendeur explique qu’il ne peut prendre aucune décision concernant cette aliénation à moins que le jugement du juge Hughes ne soit annulé ou tant qu’il n’aura pas consulté toutes les parties à la demande de contrôle judiciaire Long Plain qui obtiendront en fin de compte gain de cause. Pour le moment, étant donné les appels incidents, il n’existe pas de cadre dans lequel mener des consultations ou accepter des offres d’achat des terres du casernement. Les droits de toutes les parties à l’appel doivent d’abord être déterminés. Autrement dit, le Canada n’a pas décidé de ne pas consulter ou de ne pas aliéner les terres du casernement parce qu’il ne serait ni possible ni raisonnable de prendre une telle décision à l’heure actuelle.

[21]           De même, je ne vois aucune décision par laquelle le défendeur aurait refusé de reconnaître les droits que garantit l’EDFIT à la PNP.

 

[22]           S’il y a eu défaut de [TRADUCTION] « se conformer » au jugement du juge Hughes, cette inobservation est une question d’exécution et ne peut en bonne règle faire l’objet d’une nouvelle demande de contrôle judiciaire. La PNP essaie, par la voie de la présente demande, d’obtenir l’exécution des dispositions d’un jugement : il n’y a pas là de décision susceptible de contrôle. Elle soutient que si le Canada voulait reporter l’exécution des obligations de consultation que lui fixe le jugement Long Plain, il aurait dû former une requête en sursis à l’exécution de cette partie dudit jugement sous le régime de l’article 398 des Règles des Cours fédérales. Même en supposant que tel soit le cas, la nature des mesures de réparation que recherche la PNP ne s’en trouve pas changée.

 

[23]           Les demandeurs expliquent dans leurs observations écrites que la décision [TRADUCTION] « de ne pas consulter ou de ne pas consulter valablement » se rapporte à des omissions reprochées au défendeur depuis 2004 (exposé des faits et du droit, paragraphe 58). La difficulté que présente cette thèse est que le défaut de consultation antérieur au moment de la décision de céder les terres du casernement à la Société immobilière du Canada a été examiné par la Cour fédérale dans Long Plain et le sera de nouveau dans le cadre de l’appel de ce jugement. La seule « décision » qui serait en théorie susceptible de contrôle dans la présente demande serait un refus de consultation postérieur au moment dont il est question; or la PNP ne peut spécifier aucune décision de non‑consultation qui remplirait cette condition.

 

B.        Un moyen indirect de complémenter le dossier d’appel

 

[24]           Comme l’a admis la PNP, l’une des raisons principales de l’introduction de la présente demande est la volonté de faire en sorte que son EDFIT puisse être produite devant la Cour d’appel. Ce n’est certainement pas là un motif de contrôle judiciaire. En outre, c’est pure conjecture que de penser que la Cour d’appel envisagerait même de réunir l’appel d’une décision sur cette question à l’appel du jugement Long Plain.

 

C.        Le conflit avec la décision Long Plain

 

[25]           Ainsi qu’elle le précise dans l’énoncé des mesures de réparation recherchées, la PNP demande une ordonnance enjoignant au défendeur de lui vendre les terres du casernement aux mêmes conditions que celles convenues avec la Société immobilière du Canada, sous réserve de droits concurrents garantis à d’autres Premières Nations signataires du Traité no 1 par l’EDFIT de la PNP. J’admets que cette dernière reconnaît les droits des autres Premières Nations intéressées. À mon avis, cependant, une telle ordonnance battrait en brèche la disposition du jugement Long Plain qui interdit la vente des terres du casernement tant que n’auront pas été valablement consultées toutes les quatre les Premières Nations signataires du Traité no 1 qui ont obtenu gain de cause. Même s’il n’y a pas contradiction directe, une telle ordonnance mettrait en branle un processus distinct et très peu efficace pour régler la question des terres du casernement qui pourrait mener à un résultat contradictoire.

 

[26]           En outre, dans le cadre de la présente demande, la PNP sollicite une ordonnance qui entraînerait nécessairement la vente des terres du casernement en sa faveur (sous réserve des droits des autres Premières Nations intéressées). Or ce n’est très certainement pas là une conséquence nécessaire des consultations ordonnées par le jugement Long Plain. Celui‑ci pourrait avoir pour résultat que, après des consultations valables, les terres du casernement soit cédées à la Société immobilière du Canada, comme il était d’abord envisagé, ou à un autre tiers. Le jugement Long Plain n’a absolument pas pour effet d’obliger le Canada à céder les terres du casernement à la PNP ou à une quelconque autre Première Nation signataire du Traité no 1. Par conséquent, l’ordonnance sollicitée par la PNP dans le cadre de la présente demande entrerait en conflit avec le jugement Long Plain ou le modifierait dans les faits.

 

D.        L’outrage au tribunal

 

[27]           La PNP sollicite également, dans sa demande, une ordonnance pour outrage au tribunal contre le défendeur au motif qu’il n’aurait pas respecté le jugement Long Plain. Sans me prononcer sur le bien‑fondé de cette thèse, que je n’admets pas, je signale que toute procédure pour outrage au tribunal doit être intentée sous le régime des articles 466 à 472 des Règles des Cours fédérales.

 

[28]           Le juge Noël a souligné la gravité des allégations d’outrage au tribunal au paragraphe 13 de la décision Orr c Première Nation de Fort Mckay, 2012 CF 1436, [2012] ACF n1650 :

La procédure d’outrage au tribunal est très grave et exige une observation rigoureuse des différentes phases énoncées dans les Règles. L’issue de ce type de procédure peut avoir des conséquences considérables pour l’auteur prétendu de l’outrage. En effet, si une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, elle risque d’être incarcérée pendant une période de moins de cinq ans, ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance. Il est également possible que cette personne ait à payer une amende, qu’elle soit tenue d’accomplir un acte ou de s’abstenir de l’accomplir et qu’elle soit condamnée aux dépens (voir l’article 472 des Règles des Cours fédérales). [Non souligné dans l’original.]

 

[29]           La gravité des accusations d’outrage au tribunal et des sanctions y afférentes commande l’application d’une procédure tout à fait particulière. Cette procédure est fixée par les Règles. On ne peut glisser une allégation d’outrage au tribunal dans une demande de contrôle judiciaire.

 

E.         Les parties devant être désignées à titre de parties défenderesses

 

[30]           L’article 303 des Règles des Cours fédérales, fait également valoir le défendeur, prévoit que le demandeur doit désigner à titre de défendeur toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée. Or nous avons dans la présente espèce sept Premières Nations signataires du Traité no 1. Le juge Hughes a conclu que trois de ces Premières Nations (en plus de la PNP) avaient un droit défendable sur les terres du casernement. Par conséquent, ces trois Premières Nations au moins, et peut‑être aussi les deux Premières Nations déboutées qui se pourvoient incidemment en appel contre la décision Long Plain, devraient également être parties à la présente demande.

 

[31]           La PNP ne s’oppose pas à ce que les Premières Nations signataires du Traité no 1 soient désignées à titre de parties défenderesses ou intervenantes dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, mais elle ajoute que cette désignation devrait être subordonnée à certaines conditions, soit celles que les tiers ne puissent obtenir de dépens que du défendeur et que leur participation ne retarde pas le règlement de l’instance.

 

[32]           L’article 303 des Règles des Cours fédérales précise qui peut être désigné à titre de défendeur dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. La disposition est très simple : toute personne « directement touchée » par toute décision qui découlera de la demande doit être désignée à ce titre. Or la PNP semble reconnaître que les autres Premières Nations signataires du Traité no 1 seraient directement touchées par toute décision qui résulterait de leur demande. En fait, il est évident que toutes les Premières Nations signataires du Traité no 1 qui ont obtenu gain de cause devant le juge Hughes seraient directement touchées. En outre, la question de savoir si les deux Premières Nations qu’il a déboutées sont directement touchées dépendra de l’issue de leur appel incident. La PNP n’est pas apte à dicter les conditions auxquelles les autres Premières Nations signataires du Traité no 1 pourraient participer à la demande de contrôle judiciaire. Quant à moi, elles jouiraient de tous les droits que les Règles des Cours fédérales garantissent aux défendeurs.

 

V.        Conclusion

 

[33]           Pour les motifs dont l’exposé précède, je suis disposée à radier la demande au motif qu’il s’agit d’un abus de procédure. Le défaut fondamental de cette demande est qu’elle ne spécifie pas de décision susceptible de contrôle. Je crois qu’on pourrait peut‑être corriger certains de ses autres défauts par des modifications de l’avis de demande. Par exemple, les demandeurs pourraient désigner les autres Premières Nations signataires du Traité no 1 à titre de parties défenderesses et retrancher certains éléments de la liste des mesures de réparation recherchées. Cependant, le vice qui entraîne le rejet de la demande est l’absence de décision, de mesure ou d’omission qu’on puisse attaquer par la voie d’une demande de contrôle judiciaire avec des chances de succès. La demande est par conséquent vouée à l’échec. Il ne serait tout simplement pas justifiable de gaspiller encore des ressources judiciaires à l’examen d’un litige qui se prolongerait ainsi à l’excès, en particulier si l’on considère que les parties débattent pratiquement des mêmes questions dans l’appel de Long Plain.

 

[34]           Il ne sera pas nécessaire d’examiner la requête subsidiaire du défendeur sollicitant une suspension jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel interjeté contre Long Plain. Je dirai cependant que les raisons qui militent en faveur d’une suspension me paraissent extrêmement convaincantes.

 

[35]           Ma décision n’a pas pour effet d’empêcher les demandeurs d’introduire une autre demande de contrôle judiciaire dans le cas où le Canada prendrait une mesure ou une décision susceptible d’un tel contrôle. J’espère cependant que, s’ils le font, ils seront beaucoup mieux au fait des Règles des Cours fédérales et des mesures de réparation qu’il est possible ou non de solliciter. La demande de contrôle judiciaire considérée dans la présente requête est regrettablement infondée. On attendrait davantage d’un avocat aussi expérimenté que Me Rath.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  L’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada y soit désigné à titre de partie défenderesse au lieu de Sa Majesté la Reine.

 

2.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

3.                  Les dépens sont adjugés au défendeur.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑182‑13

 

 

INTITULÉ :                                                  LA PREMIÈRE NATION DE PEGUIS et autres c
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 11 mars 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 15 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey R.W. Rath

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jeff Dodgson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rath & Company

Avocats

Priddis (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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