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Date : 20130312

Dossier : IMM-5798-12

Référence : 2013 CF 229

[Traduction françaisE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2013

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

JUAN ROMAN ARGUETA CALDERON

SILVIA ELIZABETH RINCAND de ARGUETA ALISON GABRIELA ARGUETA RINCAND

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               M. Juan Roman Argueta Calderon a fui le Salvador parce qu’il craignait d’être victime d’extorsion par des gangs. Environ une fois par semaine, des membres de gang exigeaient de l’argent ou des produits venant de la boutique de sa mère à San Salvador. En 2007, lorsque M. Argueta a refusé de faire d’autres versements, un membre du gang a pointé un fusil sur lui et l’a menacé de mort. Sachant qu’un autre homme d’affaires avait été tué pour avoir refusé de se plier aux demandes d’extorsion du gang, M. Argueta a décidé de partir.

 

[2]               Après son départ du Salvador, les membres du gang ont exigé de sa mère des sommes plus élevées. Elle a sollicité l’aide de la police, qui a fini par arrêter et par accuser les hommes responsables. Toutefois, comme elle craignait de témoigner contre eux, ils ont probablement été acquittés. Elle a fermé la boutique et déménagé à Sonsonate, puis à La Union.

 

[3]               M. Argueta et les membres de sa famille ont demandé l’asile au Canada au motif qu’ils seraient pris pour cible par des gangs aux fins d’extorsion s’ils retournent au Salvador. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande, concluant que les demandeurs n’étaient pas persécutés pour des motifs reconnus par la Convention sur les réfugiés; qu’ils seraient exposés à un risque généralisé d’être victimes de criminels, et non personnellement exposés à un risque; et qu’ils pourraient, quoi qu’il en soit, recevoir la protection de l’État du Salvador.

 

[4]               M. Argueta allègue que la Commission a commis une erreur dans son analyse du risque généralisé et de la protection de l’État. Il me prie d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner qu’un autre tribunal réexamine la demande d’asile de la famille.

 

[5]               Je ne vois aucune raison d’annuler la décision de la Commission. La Commission a raisonnablement conclu que M. Argueta et sa famille éprouvaient une crainte généralisée d’être victimes d’extorsion. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner la question de la protection de l’État.

 

II.        La décision de la Commission

 

[6]               La Commission a conclu que la famille de M. Argueta ne faisait pas partie d’un groupe social et qu’il n’y avait aucun autre lien avec un motif reconnu par la Convention sur les réfugiés. Par conséquent, leur demande d’asile ne pouvait être accueillie au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] (voir l’annexe, où sont reproduites les dispositions).

 

[7]               La Commission a ensuite examiné la demande d’asile de la famille Argueta au titre de l’article 97 de la LIPR. La Commission a admis que les membres de la famille pourraient être victime d’extorsion à leur retour au Salvador. Cependant, il s’agit là d’un risque auquel est exposé l’ensemble de la population et non cette famille en particulier. D’ailleurs, M. Argueta a admis qu’il ne craignait pas les membres du gang qui l’avaient menacé ou qui avaient menacé sa mère. Il craignait les gangs qui mènent leurs activités à La Union, la ville où la famille aimerait se réinstaller si elle retourne au Salvador.

 

[8]               La Commission en est venue à la conclusion que, bien que M. Argueta ait été particulièrement ciblé, le risque auquel sa famille était exposée demeurait un risque généralisé. Il se peut que leur situation personnelle fasse augmenter le risque auquel ils sont exposés, mais ce n’est pas suffisant pour conclure qu’il s’agit d’un risque personnalisé. La Commission s’est fondée sur des décisions dans le cadre desquelles la Cour a confirmé des décisions de la Commission concluant que les victimes d’extorsion au Salvador n’étaient pas personnellement exposées au crime. Elle a choisi de ne pas souscrire à un avis de 2002 des Services juridiques de la Commission selon lequel les risques personnalisés qui ne sont pas aléatoires pourraient satisfaire à l’application de l’article 97.

 

[9]               Enfin, la Commission a conclu que l’État du Salvador pouvait leur assurer la protection. Bien la violence commise par les gangs constitue un problème grave et que la famille Argueta pourrait en effet faire l’objet de demandes d’extorsion à son retour, la preuve a révélé que lorsque la mère de M. Argueta a porté plainte auprès de la police, celle‑ci a réagi en menant une enquête, en arrêtant les suspects et en portant des accusations à leur égard. M. Argueta n’avait pas porté plainte auprès de la police relativement aux menaces dont il a fait l’objet. Par conséquent, la famille Argueta n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle l’État pourrait les protéger.

 

III.       La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la famille Argueta était exposée à un risque généralisé?

 

[10]           M. Argueta soutient que cette question doit être examinée selon la norme de la décision correcte, et non celle de la décision raisonnable. Il affirme qu’une approche uniforme est nécessaire en l’espèce, et qu’il vaudrait mieux, pour ce faire, utiliser la norme de la décision correcte. Cela permettrait de garantir, par exemple, que la Commission applique la même démarche que les agents des visas, et que le droit international est appliqué de la même manière dans tous les États.

 

[11]           Il demeure, cependant, que la question de savoir si un demandeur est exposé à un risque généralisé est une question mixte de fait et de droit. Elle exige d’interpréter les dispositions applicables de la LIPR, à savoir le sous-alinéa 97(1)b)(ii), et d’analyser les éléments de preuve pertinents relatifs à la situation du demandeur. De toute évidence, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable (Rodriguez c (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 11, au paragraphe 26).

 

[12]           M. Argueta prétend que la conclusion de la Commission selon laquelle sa famille est exposée à un risque généralisé est déraisonnable. La Commission semble penser que les menaces personnelles provenant de criminels ne peuvent constituer un risque personnalisé. Pourtant, la Cour a conclu par le passé que des menaces d’extorsion peuvent servir de fondement à une demande d’asile au titre de l’article 97 (voir Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 238, et Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 705).

 

[13]           La preuve dont disposait la Commission montrait clairement que M. Argueta ne craignait pas le gang qui l’avait menacé au Salvador. Il a prévu de déménager à La Union, et les autres membres de sa famille qui s’y trouvent n’ont pas fait l’objet de menaces depuis 2010. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle la famille Argueta, tout comme le reste de la population du Salvador, est exposée à un risque généralisé d’extorsion n’était pas déraisonnable, au vu de la preuve présentée.

 

[14]           M. Argueta soutient par ailleurs que la conclusion subsidiaire de la Commission, selon laquelle il serait exposé à un risque généralisé même s’il avait été particulièrement pris pour cible, était déraisonnable. Pour en arriver à cette conclusion, la Commission s’est prétendument appuyée sur un certain nombre de décisions rendues par la Cour : Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213; Ventura De Parada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 845; Rodriguez Perez c Canada Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1029; Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31; Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 345 et Paz Guifarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182.

 

[15]           Ces décisions montrent clairement que la menace répandue de criminalité n’étayera pas une demande d’asile au titre de l’article 97. Toutefois, lorsque la menace est plus ciblée et fondée sur le profil unique du demandeur d’asile (Munoz, précitée) ou sur l’aggravation des menaces contre la famille du demandeur d’asile (Tobias Gomez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1093), la Cour a infirmé la décision de la Commission selon laquelle la demande d’asile n’est pas visée par l’article 97.

 

[16]           À mon avis, bien que l’énoncé du droit de la Commission – le fait qu’une personne ayant été particulièrement ciblée puisse être exposée à un risque généralisé – ait pu être maladroit et ne rendait pas compte de l’orientation générale de la jurisprudence, la conclusion selon laquelle M. Argueta est exposé à un risque généralisé n’était pas déraisonnable, au vu de la preuve. La situation de M. Argueta ne permet pas de conclure qu’il serait personnellement exposé à un risque d’extorsion à son retour au Salvador.

 

[17]           En outre, le fait que la Commission ne s’estimait pas liée par l’avis juridique de 2002 des Services juridiques ne rend pas sa décision déraisonnable. La Commission s’est raisonnablement fondée sur la jurisprudence de la Cour.

 

IV.       Conclusion et décision

 

[18]           La conclusion de la Commission selon laquelle M. Argueta et sa famille étaient exposés à un risque généralisé au Salvador appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, elle n’était pas déraisonnable et je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[19]           L’avocat de M. Argueta a proposé la certification des questions suivantes :

 

a.       Pour l’application du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, si un demandeur d’asile a été particulièrement ciblé et qu’il a toujours le profil qui a mené au fait d’être pris pour cible, le demandeur d’asile est-il exposé à un risque généralisé ou personnellement exposé à un risque?

b.      Si un demandeur d’asile a été personnellement pris pour cible par un gang particulier, la crainte d’un risque à l’égard du même gang, même si ce n’est pas nécessairement de la part des mêmes membres, est-elle suffisante pour faire en sorte que le demandeur soit personnellement exposé à un risque à son retour?

 

[20]           Comme je l’ai déjà mentionné, la principale conclusion de la Commission est que M. Argueta est exposé à un risque commun au sein de la population en général. Sa mention subséquente de la possibilité que M. Argueta ait été particulièrement ciblé n’était donc pas essentielle à sa conclusion. Par conséquent, comme les questions proposées concernent la conclusion subsidiaire de la Commission, elles ne peuvent être certifiées. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est formulée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Aryane Bouchard

 

 

 


Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

Définition de « réfugié »

  96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :


a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Immigration and Refugee Protection Act SC 2001, c 27

 

Convention refugee

  96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5798-12

 

INTITULÉ :                                      JUAN ROMAN ARGUETA CALDERON, ET AL

                                                            c

                                                            Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 4 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 12 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LES DEMANDEURS

Alexander Menticoglou

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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