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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130319

Dossier : IMM-7797-12

Référence : 2013 CF 284

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

CHARLES KOKANAI MZITE

 

 

 

demandeur

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 13 juillet 2012,  par laquelle Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a jugé que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada au sens de l’alinéa 115 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

[2]               Après avoir examiné la décision faisant l’objet du présent contrôle, les observations écrites et orales des avocats et les dossiers de requête déposés par les parties, je n’ai aucune hésitation à conclure que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. La décision de CIC a été rédigée de façon méticuleuse et répond clairement aux observations du demandeur tout en appliquant les concepts juridiques exigés dans de telles circonstances.

 

[3]               Les faits du dossier parlent d’eux-mêmes. Le demandeur a entretenu des relations d’ordre privé avec quatre femmes différentes et même si chacune d’elles lui a demandé s’il était séropositif, il a répondu par la négative et a eu des relations sexuelles avec chacune d’elles. Lors de l’une de ses relations sexuelles, il a transmis le virus à l’une des femmes. Il a été déclaré coupable de quatre chefs d’accusation d’agression sexuelle grave. CIC était d’avis qu’il constitue toujours un danger pour le public au Canada. Pour les besoins d’un contrôle judiciaire, je ne vois aucune raison, sur le plan du droit ou des faits, de ne pas souscrire à cette conclusion. De plus, CIC a conclu que la situation au Zimbabwe avait beaucoup changé, que le profil du demandeur avait changé avec le temps et qu’il n’avait plus aucune appartenance politique. Elle  a également conclu que les soins médicaux offerts au Zimbabwe aux personnes séropositives sont adéquats. Par conséquent, CIC a conclu qu’il était peu probable que le demandeur soit exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque de torture, après son renvoi dans son pays d’origine. Je n’ai relevé aucune lacune dans l’analyse faite par CIC pour en arriver à cette conclusion. Enfin, CIC a également conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était à ce point établi au Canada, que ce soit sur le plan social ou économique, que son renvoi au Zimbabwe lui occasionnerait des difficultés excessives. Je le répète, l’analyse faite par CIC est conforme à ce qui est exigé sur le plan juridique dans une telle situation. La Cour ne voit aucune raison d’intervenir.

 

 

A.        Résumé des faits

[4]               Le demandeur a obtenu l’asile en 2002 et il réside depuis au Canada. En 2009, il a été déclaré coupable d’infractions criminelles graves. CIC veut maintenant expulser le demandeur du Canada, et ce, en application de l’article 115 de la LIPR.

 

[5]               Le demandeur est devenu membre d’une troupe de danse au Zimbabwe en 1992. Le demandeur a épousé sa première épouse en 1993. Ils se sont séparés en 1997.  L’épouse est décédée en 2000 et, comme l’a mentionné le demandeur à son procès criminel pour agressions sexuelles graves, le VIH /sida a peut-être causé sa mort.

 

[6]               En mai 2001, le demandeur est venu au Canada avec l’aide d’une Canadienne qu’il avait rencontrée au Zimbabwe. Il prévoyait d’abord demeurer six mois au Canada. La relation qu’il a entretenue avec cette femme a duré deux semaines. Ils ont créé une troupe de danse à Victoria (C.‑B.). Celle-ci a acquis de la notoriété et elle a été invitée à se produire devant Oprah Winfrey en 2007.

 

[7]               En juillet 2001, le demandeur a subi, à Victoria (C.‑B.), un test de dépistage du VIH qui a révélé qu'il était séropositif, mais il ne s’est jamais rendu à la clinique afin d’obtenir les résultats. Le demandeur prétend qu’il a téléphoné à la clinique et qu’on lui a dit que tout était correct et qu’on lui a demandé de se présenter afin d’obtenir des conseils après examen, ce qu’il n’a pas fait.

 

[8]               Six mois après son arrivée, le demandeur a demandé l’asile en raison de ses opinions politiques. Le demandeur a refusé de devenir membre du parti politique au pouvoir au Zimbabwe, Le Zimbabwe African National Union-Population Front [ZANU PF ou Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique]. Il a cessé s’assister aux réunions de ce parti politique et a commencé à assister aux réunions de l’opposition, le Movement for Democratic Change [MDC ou mouvement pour le changement démocratique]. Selon lui, ses absences des réunions du ZANU PF ont été remarquées, car il est bien connu au Zimbabwe étant donné qu’il appartient à une troupe de danse populaire. Le parti au pouvoir voulait qu’il l’appuie publiquement.

 

[9]               En novembre 2001, le demandeur a épousé une femme (plaignante no 1) qu’il avait rencontrée à l’aéroport, au Canada, en mai 2001. Il a nié être séropositif et il a eu des rapports sexuels non protégés avec elle. Leur relation a pris fin en mai 2002.

 

[10]           En avril 2002, le demandeur a commencé à fréquenter une autre femme (plaignante no 2) qui lui a également demandé s’il était séropositif. Il a répondu qu’il ne l’était pas.

 

[11]           Le 7 octobre 2002, la Section du statut de réfugié a conclu que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention. Le 3 avril 2003, il a demandé l’asile.

 

[12]           À l’été 2003, le demandeur a commencé à fréquenter une autre femme (plaignante no 3). Une fois de plus, il s’est fait demander s’il était séropositif et il a répondu qu’il avait subi un test pour l’immigration et qu’il ne l’était pas.

 

[13]           À l’été 2004, le demandeur a une fois de plus commencé à fréquenter une autre femme (plaignante no 4), et il lui a dit à elle aussi qu’il n’était pas séropositif.

 

[14]           En août 2004, la plaignante no 3 a subi un test de dépistage du VIH qui a révélé qu'elle était séropositive et elle l’a dit au demandeur le mois suivant. En novembre 2004, le demandeur a de nouveau obtenu un résultat positif à un test de dépistage du VIH.

 

[15]           En juillet 2006, le demandeur a présenté ses excuses à la plaignante no 3 et lui a dit qu’il avait dit qu’il avait obtenu un résultat positif en 1995 lorsqu’il avait présenté une demande de visa pour la Chine.

 

[16]           Le 6 septembre 2007, le demandeur a été arrêté et incarcéré. Il est demeuré incarcéré depuis lors. Interrogé par des agents, il a admis savoir qu’il était séropositif depuis 1995. Il a fait l’objet de quatre chefs d’accusation d’agression sexuelle grave pour lesquelles il a plaidé non coupable.

 

[17]           De septembre 2007 à avril 2009, pendant qu’il était en détention dans un établissement provincial, le demandeur a suivi au complet les cours de réadaptation suivants : [traduction] « Aplanir les obstacles », « Rapports respectueux », « Programme de prévention de la violence » et « Programme de gestion de l’abus sexuel ».

 

[18]           Le demandeur a été déclaré coupable des quatre chefs d’accusation d’agression sexuelle grave et, le 31 mars 2009, il a été condamné à dix ans d’emprisonnement avec réduction accordée pour la période passée sous garde. Le juge du procès a souligné que le demandeur était en relation et qu’il était donc en situation de confiance avec toutes ses victimes et qu’il les a donc trompées et qu’il n’a pas fait preuve d’empathie envers elles.

 

[19]           Le 29 avril 2009, le demandeur a fait l’objet d’un rapport établi en vertu de l’article 44 de la LIPR en raison de ses condamnations au criminel.

 

[20]           Le 19 mai 2009, la Section de l’immigration a pris une mesure d’expulsion contre le demandeur en raison de son interdiction de territoire pour grande criminalité.

 

[21]           Le 12 juin 2009, un rapport d’évaluation psychologique concernant le demandeur a été délivré par le Service correctionnel du Canada. Le 30 juin 2009, l’agent de libération conditionnelle Leblanc a dressé un profil criminel et des rapports de plan correctionnel concernant le demandeur. Un deuxième rapport d’évaluation psychologique a été délivré le 16 mai 2011 en prévision de l’examen de la Commission des libérations conditionnelles.

 

[22]           Le 5 octobre 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada a délivré un mandat pour le renvoi du demandeur du Canada. Le mandat a été exécuté à l’Établissement Mountain, où le demandeur purgeait sa sentence.

 

[23]           Le 7 septembre 2006, la demande de résidence permanente présentée par le demandeur a été refusée parce que celui-ci ne s’était pas conformé à de nombreuses demandes de se soumettre à un examen médical.

 

[24]           Le 10 juin 2011, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté à l’unanimité l’appel interjeté par le demandeur contre ses déclarations de culpabilité.

 

[25]           Le 21 octobre 2011, la Commission nationale des libérations conditionnelles a refusé au demandeur la libération conditionnelle totale et la semi-liberté. Elle a conclu qu’il est [traduction] « un délinquant sexuel non traité, qui n’a aucune introspection et qui a commis des crimes très graves qu’il ne reconnaît pas avoir commis ou en porter la responsabilité ». La Commission des libérations conditionnelles a conclu que le demandeur présente un grand risque de récidive.

 

[26]           Le 13 juillet 2012, un agent de CIC a conclu que le demandeur a commis un crime grave et constitue un danger pour le public au Canada au sens de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR

 

[27]           Le demandeur suit des traitements afin de diminuer sa charge virale et sa capacité de transmettre le VIH.

 

B.        Résumé de la décision de CIC

[28]           CIC a décidé que le demandeur, ayant été déclaré coupable de quatre chefs d’agression sexuelle grave, était interdit de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

 

[29]           En ce qui concerne la question de savoir si le demandeur représente un risque inacceptable pour le public, CIC a renvoyé à Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1997) 212 NR 63, 147 DLR (4th) 93 (CAF) [Williams], comme point de départ de son analyse de la situation du demandeur.

 

[30]           CIC a d’abord examiné la décision par laquelle le demandeur a été déclaré coupable. Il a été établi qu’il n’avait pas révélé qu’il était séropositif quand on lui a posé la question et qu’il a eu des rapports sexuels non protégés avec ses victimes et que l’une d’elles a été infectée et que cela aura des conséquences graves pour le reste de sa vie.

 

[31]           CIC a également examiné le rapport sur le profil criminel émanant du Service correctionnel du Canada dans lequel il était mentionné que le problème du demandeur avait trait à son attitude envers les femmes et le sexe. En outre, le rapport faisait état de l’insouciance dont avait fait preuve le demandeur en refusant de prendre les précautions nécessaires lorsqu’il avait eu des rapports sexuels et en disant aux victimes qu’il n’y avait aucun problème.

 

[32]           Enfin, CIC a estimé que le demandeur a commis ses infractions dans le contexte de liaisons amoureuses, et une fois, dans le contexte du mariage, et que, après qu’il leur ait menti, les quatre femmes se sont exposées à des risques.

 

[33]           CIC a conclu que le comportement du demandeur démontre qu’il ne fait pas de cas du bien‑être des autres et que, à plus d’une reprise, il a menti à ses partenaires par égoïsme. Elle a estimé qu’il faudrait davantage que les cours de réadaptation qu’il a suivis pendant qu’il était en détention pour qu’il accepte son état de santé et soit honnête à ce sujet. CIC a de plus pris en compte le fait que le demandeur eût fait l’objet d’une enquête avant celle qui a mené à son arrestation, mais qu’elle n’avait débouché sur aucune accusation, car il n’a pas pu être prouvé que le demandeur avait eu des rapports sexuels non protégés ou qu’il avait tenté d’infecter la prétendue victime. CIC a précisé que le demandeur ne saurait être tenu de répondre à une allégation qui n'a pas été soulevée contre lui.

 

[34]           CIC a conclu que le demandeur avait pris l’habitude de cacher la vérité quant à son état de santé et que tant qu’il ne serait pas franc à ce sujet, il constituait un danger pour le public. CIC a pris en compte l’opinion de Susan Craigie, de la Positive Living Society, qui décrit le demandeur comme étant un atout pour le Canada, compte tenu de ses talents dans le domaine culturel et compte tenu du fait qu’il vient d’un pays où le VIH est pandémique. CIC, toutefois, a conclu que le demandeur n’est pas la personne décrite par Susan Craigie car il tait son état de santé lorsqu’il a des relations intimes. CIC a également tenu compte du fait que le demandeur a interjeté appel de ses déclarations de culpabilité et qu’il ne semble pas avoir assumé la responsabilité de ses actes.

 

[35]           Le 21 octobre 2011, le demandeur a subi une évaluation en vue d’obtenir la libération conditionnelle et on lui a refusé la libération conditionnelle totale et la semi-liberté. Dans les motifs de refus, il a été mentionné que le demandeur a contredit une grande partie de la preuve utilisée pour le déclarer coupable, qu’il a nié toutes les accusations et qu’il a prétendu que ce n’était qu’en 2004 qu’il a su qu’il était séropositif, même s’il avait auparavant dit à la police qu’il savait depuis 1995 qu’il était séropositif. La Commission a estimé que les déclarations du demandeur soulevaient de sérieux doutes quant à sa crédibilité et qu’il était un délinquant sexuel non traité qui  ne fait preuve d’aucune empathie envers ses victimes.

 

[36]           Dans le rapport d’évaluation psychologique du demandeur, il était fait mention de sa participation à la sensibilisation au sida au Zimbabwe et de son intention de devenir un activiste de la lutte contre le VIH.

 

[37]           CIC a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur constituait un danger présent ou futur pour le public au Canada et que sa présence au Canada constituait un risque inacceptable.

 

[38]           CIC a ensuite procédé à une évaluation des risques afin de déterminer si le demandeur serait exposé à des risques s’il retournait au Zimbabwe et a conclu que son renvoi du Canada ne violerait pas les droits que lui garantit l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi sur le Canada de 1982 (R.-U.), c 11. CIC a examiné un certain nombre de rapports sur l’état actuel des droits de la personne au Zimbabwe et a conclu que la preuve indique que la situation a changé au cours des dix dernières années. En outre, un accord de partage du pouvoir qui a atténué les rivalités entre les principaux partis politiques a été conclu en 2008.  

 

[39]           CIC a estimé que même si des articles ont été publiés dans des journaux du Zimbabwe, le demandeur n’a pas démontré qu’il serait susceptible d’intéresser les autorités. Dans sa demande d’asile initiale, le demandeur a mentionné dans son formulaire de renseignements personnels que sa famille avait été ciblée. Dans les observations qu’il a formulées, son avocat a mentionné que sa famille avait récemment fait l’objet de menaces. Toutefois, le demandeur n’a soumis aucun élément de preuve corroborant cette déclaration, et même si c’était le cas, il ne serait pas déraisonnable de la part du demandeur de déménager dans une autre ville.

 

[40]           CIC a de plus souligné que même s’il était possible que le demandeur soit interrogé à son arrivée au Zimbabwe, il n’avait pas appuyé l’opposition depuis son arrivé au Canada et il était donc peu susceptible d’être ciblé à titre d’opposant au ZANU PF ou en raison des crimes qu’il avait commis au Canada. En outre, malgré que les droits de la personne soient parfois violés au Zimbabwe, la preuve ne suffit pas à établir que le demandeur risquerait d’être torturé à son retour.

 

[41]           CIC a également conclu qu’il semblait que même si la liberté d’expression était parfois limitée, le demandeur avait accès à des mécanismes juridiques afin de revendiquer les droits que lui garantissait la constitution. En outre, il est parti depuis 10 ans et sa troupe mène ses activités à partir de Victoria (C.-B.), et les couvertures médiatiques qui ont eu lieu au Zimbabwe ont porté sur ses condamnations au criminel et non pas sur ses allégeances politiques.

 

[42]            Enfin, le demandeur n’a pas démontré qu’il est une « personne à protéger » parce qu’il ne recevrait pas les soins nécessaires au traitement du VIH au Zimbabwe. En effet, la preuve documentaire démontre que les personnes séropositives ont accès à des soins adéquats.

 

[43]           En conclusion, CIC a conclu que le demandeur ne courait pas le risque d’être persécuté ou de subir des traitements inhumains s’il était renvoyé au Zimbabwe et que les risques auxquels il pourrait être exposé l’emportaient nettement sur le danger qu’il constituait pour la société canadienne.

 

[44]           CIC a évalué la situation du demandeur en fonction de motifs d’ordre humanitaire. Elle a souligné que le demandeur avait occupé des emplois différents pendant qu’il se trouvait au Canada, qu’il était célibataire, qu’il n’avait personne à sa charge et qu’il ne subvenait aux besoins financiers de personne.

 

[45]           En ce qui concerne l’existence de traitements antirétroviraux au Zimbabwe, CIC a conclu qu’ils sont offerts à prix abordable par plusieurs sources : les hôpitaux gouvernementaux, les cliniques privées et un certain nombre d’ONG. Par conséquent, le demandeur recevrait un traitement adéquat s’il retournait au Zimbabwe et il n’a pas démontré que retourner au Zimbabwe lui occasionnerait des difficultés excessives. Les renseignements ne suffisent pas pour écarter, selon la prépondérance des probabilités, le danger que constitue le demandeur pour la société canadienne.

 

C. Analyse :

[46]           Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la raisonnabilité car les questions en litige sont la conclusion de CIC que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada ainsi que son évaluation des risques. Je vais commencer l’analyse en examinant les arguments soumis par le demandeur. Je souligne que les observations formulées par le défendeur ont été utiles pour les besoins de la présente analyse.

 

[47]           Le demandeur prétend que CIC a commis trois erreurs lorsqu’elle a conclu qu.il constituait un danger pour le public au Canada.

 

[48]           Premièrement, CIC a commis une erreur en s’attardant sur le comportement passé du demandeur en vue d’évaluer s’il constituait un danger pour le public. Le demandeur prétend que ses condamnations antérieures ne prouvent pas qu’il constituera, dans l’avenir, un danger pour le public au Canada. Il reproche à CIC de n’avoir accordé aucun poids au fait qu’il a suivi plusieurs cours de réadaptation pendant qu’il était en détention, ni à une déclaration faite par le psychologue du Service correctionnel du Canada qui a dit qu’il présente un faible risque de récidive. Le demandeur prétend de plus que dans l’évaluation qu’elle a faite de sa situation, CIC aurait dû ne pas tenir compte de toute enquête non concluante à son sujet, car elle ne peut pas démontrer qu’il a une propension à commettre des infractions d’ordre sexuel. Je ne souscris pas à cette prétention. L’analyse effectuée par CIC est conforme à la jurisprudence de la Cour : afin d’évaluer le danger pour l’avenir, CIC devait examiner le comportement et l’attitude passés du demandeur ainsi que son comportement au moment de la décision. C’est exactement ce qui a été fait (voir Williams, précité, et Randhawa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 310, 79 Imm. L.R. (3d) 44. CIC a également pris en compte les évaluations psychologiques qui comprennent le faible risque de récidive. Il est manifeste que le demandeur ne souscrit pas à la conclusion de CIC sur ce point, mais le rôle de la Cour ne consiste pas à réexaminer la preuve, mais à juger du caractère raisonnable de la décision.

 

[49]           Deuxièmement, le demandeur prétend que CIC a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve relatifs à son comportement dans l’avenir. CIC n’a pas tenu compte du fait qu’il se trouvait dans la collectivité entre 2004 et 2007 et que rien ne prouve qu’il a infecté qui que ce soit ou qu’il a eu des rapports sexuels non protégés non consensuels avec une autre personne au cours de cette période de temps. Le demandeur prétend qu’il s’agit d’un indice clair de son comportement futur. Il ajoute que CIC n’a pas dûment tenu compte du fait que sa charge virale est presque indétectable en raison du traitement qu’il suit présentement et qui diminue sa capacité de transmettre le virus. L’appelant invoque l’arrêt R c Mabior, 2012 CSC 47, 103 WCB (2d) 905 [Mabior], qui a récemment été rendu par la Cour suprême et dans lequel il a été décidé  qu’une faible charge virale est susceptible de réduire la possibilité de transmission du VIH. Le demandeur prétend donc que CIC a omis d’examiner des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions. Je ne souscris pas à cette prétention. Comme CIC l’a fait remarquer, la preuve révèle que la période de 2004 à 2007 a été source de problèmes. La preuve indique qu’il a cherché activement à avoir des relations avec d’autres femmes (il est fait mention de certaines d’entre elles dans la décision de CIC).  En ce qui concerne l’argument concernant sa faible charge virale, CIC n’en a pas fait explicitement mention, mais la Cour reconnaît depuis longtemps dans sa jurisprudence qu’il existe une présomption selon laquelle tous les éléments de preuve sont dûment pris en compte (voir Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF 598 (CAF)). De plus, il ressort de l’analyse que CIC a accordé plus d’importance à d’autres types de preuve comme les condamnations au criminel, la décision de la Commission des libérations conditionnelles et le refus constant du demandeur d’avouer ses gestes. Il y a lieu de souligner que l’une des quatre femmes en cause a été infectée par le demandeur. L’analyse faite par CIC est raisonnable, car elle porte principalement sur le comportement du demandeur, lequel a plus d’importance que sa charge virale actuelle.

 

[50]           Troisièmement, le demandeur prétend que CIC a commis une erreur en tirant une conclusion négative du fait qu’il exerce son droit d’interjeter appel de ses condamnations. Le demandeur prétend que sa décision d’interjeter appel de ses déclarations de culpabilité n’indique pas qu’il n’éprouve aucun remord ou qu’il constitue un danger pour le public; elle reflète plutôt la politique de dépénalisation de la non-communication de maladies sexuellement transmissibles. Il prétend que ses motifs d’ordre politique sont confirmés par sa participation à un groupe qui fournit de l’aide aux personnes atteintes du VIH/sida. Une lecture de la décision n’étaye pas le point de vue du demandeur, car aucune conclusion négative n’a été tirée du fait qu’il a interjeté appel.

 

[51]           Le demandeur prétend également que CIC a commis une erreur en concluant que le demandeur ne serait exposé à aucun risque de persécution s’il retournait au Zimbabwe. La conclusion de CIC voulant que les articles concernant le demandeur sont « régionaux” et ne démontrent donc pas qu’il sera ciblé par les autorités lors de son retour au Zimbabwe est déraisonnable. Il ajoute qu’un certain nombre d’articles portant sur lui ont été publiés dans des journaux au Zimbabwe, à savoir le Herald, un journal appartenant au gouvernement du Zimbabwe et que les articles figurant sur Internet peuvent être consultés par les autorités du Zimbabwe. Le demandeur est d’avis que la couverture médiatique suivie dont ont fait l’objet les poursuites criminelles intentées contre lui au  Canada a contribué à sa notoriété au Zimbabwe. Je ne souscris pas à cette opinion. Il ressort de l’examen de ces articles que les médias ne s’intéressent à lui qu’en rapport avec le procès relatif au VIH qu’il a subi  au Canada et non pas en rapport avec son passé politique. Les médias n’ont jamais fait aucune mention de questions de nature politique en rapport avec le demandeur. La conclusion de CIC selon laquelle l’incidence de ces articles n’était pas aussi importante que le demandeur le prétend est raisonnable.

 

[52]           Le demandeur prétend que la conclusion de CIC selon laquelle il ne jouit d’aucune notoriété au Zimbabwe est erronée et mène à conclure, à tort, qu’il ne serait pas reconnu à son arrivée à l’aéroport, qu’il ne serait pas pris pour cible au Zimbabwe et que la situation qui règne au Zimbabwe ne pose aucun risque pour lui. Je le répète, l’analyse de CIC est juste. Le tableau que brosse le demandeur de sa notoriété, bien qu’il serve ses intérêts aux fins de la présente procédure en contrôle judiciaire, n’est pas conforme à la réalité. Le demandeur demande encore une fois à la Cour de réévaluer la preuve. Comme il a déjà été mentionné, il n’y a pas lieu pour une cour de justice de faire cela.

 

[53]           À l’audience, l’avocat du demandeur a prétendu que la lettre émanant de Susan Craigie, de la Positive Living Society, ne figure pas dans le dossier du tribunal et que, par conséquent, cela démontre qu’elle n’a pas été complètement prise en compte. L’avocat a également prétendu que c’était parce que son avocat lui avait dit de ne discuter de rien relativement aux condamnations au criminel, qu’il n’avait pas dit au Service correctionnel qu’il avait de l’empathie envers les victimes. Quant au premier point, la décision fait mention de cette lettre et même à des extraits du passage dont l’avocat du défendeur a fait mention dans l’une des observations qu’il a formulées au CIC. De plus, le contenu de la lettre, à mon avis, n’a aucune incidence sur l’une ou l’autre des questions en litige, car il ne porte que sur les talents culturels du demandeur et sur son statut de personne provenant d’un pays où sévit une pandémie de VIH. En ce qui concerne le deuxième point qui a été soulevé, il convient de souligner que la même attitude est décrite dans le rapport de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui a été délivré après le rejet des appels. Par conséquent, je conclus que la décision de CIC sur ces points est raisonnable.

 

[54]           Pour l’ensemble de ces motifs, je conclus que la conclusion de CIC selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, l’évaluation des risques qu’elle a faite quant à la situation du demandeur et l’analyse qu’elle a faite des motifs d’ordre humanitaire sont raisonnables.

 

[55]           Les parties ont été invitées à formuler des questions à certifier, mais elles ne l'ont pas fait.

 

 

 

                                                                                                           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

                                                                                                           


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7797-12

 

INTITULÉ :                                      CHARLES KOKANAI MZITE c  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 27 février 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NOËL.

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Golden

POUR LE DEMANDEUR

 

Banafsheh Sokhansanj

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Golden, LLB
Canada Immigration Law Services

Victoria (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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