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Date : 20130402

Dossier : IMM‑5765‑12

Référence : 2013 CF 325

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2013

En présence de madame la juge Snider

 

 

Entre :

 

JORGE ROJAS MARQUEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Contexte

 

[1]               Le demandeur, M. Jorge Rojas Marquez, est un citoyen du Mexique qui a tout d’abord présenté une demande d’asile au Canada en raison de risques auxquels une organisation criminelle l’expose. De plus, pour la première fois lors de son audience, le demandeur a également soutenu qu’il courait un plus grand risque en raison de son identité indigène. Dans une décision datée du 1er mai 2012, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention suivant l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), ni celle de personne à protéger suivant l’article 97 de la Loi.

 

[2]               La Commission n’a tout simplement pas cru le demandeur. Dans sa décision, la Commission a conclu de façon générale que la demande d’asile n’avait pas un minimum de fondement. Pour tirer cette conclusion générale et rejeter la demande d’asile, la Commission a tiré une série de conclusions clés :

 

                     Le fait que le demandeur a mis 18 mois pour présenter sa demande d’asile démontrait une absence de crainte subjective.

 

                     La prétention du demandeur concernant son identité indigène a été rejetée parce qu’il a omis d’identifier ce risque plus tôt et de présenter des éléments de preuve fiables à l’appui de cet aspect particulier de sa demande d’asile.

 

                     La demande d’asile du demandeur fondée sur l’article 96 de la Loi est rejetée parce que la situation du demandeur, victime d’un crime, n’a aucun lien avec un motif de la Convention.

 

                     En ce qui a trait à la demande d’asile fondée sur l’article 97 de la Loi, le demandeur n’a pas fourni « des éléments de preuve clairs et convaincants » selon lesquels son oncle avait des liens avec un gang criminel, ce qui aurait fait du demandeur une cible de vengeance.

 

                     Le demandeur n’a pas réfuté la présomption selon laquelle la protection de l’État était adéquate.

 

II.        Questions en litige

 

[3]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision et allègue les erreurs susceptibles de contrôle suivantes :

 

1.                  Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité ne sont pas claires. La Commission a omis d’exposer les raisons pour lesquelles elle rejetait des éléments particuliers de l’explication du demandeur concernant son retard à présenter une demande d’asile.

 

2.                  La conclusion de la Commission relativement à « l’absence de minimum de fondement » est déraisonnable puisque les éléments de preuve au dossier étaient suffisants pour étayer une décision favorable.

 

3.                  La Commission a refusé de recevoir des documents particuliers pertinents sans prendre en considération les facteurs énumérés à l’article 30 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 (les Règles de la SPR).

 

4.                  La Commission a ignoré des éléments de preuve pertinents en ce qui a trait à la protection de l’État au Mexique.

 

III.       Analyse

 

A.        Conclusions quant à la crédibilité

 

[4]               La principale question que soulève le demandeur porte sur le fait que la Commission n’a pas suffisamment motivé ses conclusions quant à la crédibilité et sa décision dans son ensemble. Bien que les parties reconnaissent que la décision n’est pas bien rédigée, une mauvaise rédaction ne rend pas une décision déraisonnable. Après avoir examiné la décision et le dossier, y compris la transcription, j’estime que la décision de la Commission dans son ensemble était raisonnable.

 

[5]               La Commission a fourni plusieurs exemples concrets des doutes qu’elle entretenait quant à la crédibilité du demandeur. En voici des exemples :

 

                     La Commission a fait remarquer de façon générale que le témoignage du demandeur était vague et qu’il n’avait pas fourni des documents à l’appui de ses allégations.

 

                     La Commission a tiré une inférence défavorable du fait pour le demandeur d’avoir mis un an et demi à présenter une demande d’asile. Elle a tiré une deuxième inférence défavorable de l’explication du demandeur selon laquelle il a tardé à obtenir des documents, compte tenu de son propre aveu qu’il n’était pas en mesure d’étayer certains aspects de sa demande d’asile. La Commission a conclu que le comportement du demandeur était incompatible avec une crainte subjective.

 

                     Le demandeur a soutenu à l’audience qu’il ne comprenait pas l’espagnol, alors qu’il a déclaré dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) que cette langue était celle qu’il comprenait le mieux. Le demandeur a tout d’abord allégué à l’audience que le dialecte qu’il comprenait était le nahuatl, mais a plus tard avoué qu’il pouvait parler l’anglais. La Commission a tiré des inférences défavorables de ces éléments de preuve contradictoires.

 

                     Le demandeur a tenté de présenter plusieurs documents à l’audience; il a affirmé que les documents étaient [traduction] « toute sa vie ». La Commission a souligné que l’explication du demandeur concernant les raisons pour lesquelles les documents étaient présentés tardivement était vague. Elle a également tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur parce qu’il embellissait la réalité et qu’il ergotait.

 

                     La Commission a tiré une inférence défavorable de l’emportement du demandeur au milieu de l’audience qui disait qu’on ne l’écoutait pas en raison de son apparence physique, liée à race indigène. Selon la Commission, cet emportement était une tentative d’éviter de répondre à la question de savoir s’il avait communiqué avec la police. Elle a de plus indiqué qu’il dramatisait indûment la situation. La Commission a conclu que cet incident démontrait que le demandeur n’était pas digne de confiance.

 

                     La Commission a tiré une inférence défavorable du témoignage du demandeur et de l’absence de preuve corroborante concernant sa prétention fondée sur son origine ethnique indigène qui n’a été soulevée ni dans son FRP ni dans les notes au point d’entrée.

 

[6]               À mon avis, la Commission a fourni des motifs non équivoques à l’égard de sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas crédible.

 

[7]               Plus particulièrement, l’analyse de la Commission quant au retard à présenter une demande d’asile est raisonnable. Je reconnais que la Commission a mal présenté la preuve lorsqu’elle a souligné que le demandeur avait des parents au Canada, ce qui contredit son FRP dans lequel il est indiqué que ses parents résident tous aux États‑Unis. De plus, la Commission a mal énoncé le droit lorsqu’elle a qualifié le risque auquel était exposé le demandeur en fonction de son ascendance indigène comme une demande d’asile présentée sur place. Aucune de ces erreurs n’est importante en ce qui a trait à la conclusion pertinente, qui était tout simplement que le retard du demandeur à présenter une demande d’asile était incompatible avec une crainte subjective de persécution. La Commission a tiré une inférence défavorable des 18 mois qui se sont écoulés avant que le demandeur présente sa demande d’asile – retard que le demandeur a principalement attribué à son besoin de réunir des éléments de preuve – ainsi que de la présentation tardive de documents et de son omission d’étayer certaines parties de sa demande d’asile. Cette conclusion appartenait aux issues possibles acceptables.

 

[8]               La déclaration de la Commission, au paragraphe 11 des motifs, selon laquelle « ce dernier [le demandeur] n’a présenté aucun document pour étayer ses allégations » n’est pas tout à fait exacte. Cependant, cette phrase n’est pas suffisante pour rendre l’ensemble de la conclusion quant à la crédibilité déraisonnable. Quoi qu’il en soit, dans le corps de la décision, la Commission renvoie à certains documents qui ont été présentés (par exemple, le rapport du Dr Pilowsky et un rapport médical concernant le frère du demandeur). Cela montre que la Commission savait que le demandeur avait en effet présenté certains documents à l’appui de sa demande. S'il est vrai que la Commission aurait dû préciser les allégations qui n’étaient pas étayées, ce qui aurait vraisemblablement expliqué ce commentaire, la conclusion quant à la crédibilité n’a pas été tirée sans que la Commission ne tienne compte de la preuve présentée par le demandeur.

 

[9]               En conséquence, vu les préoccupations importantes en matière de crédibilité qu’a mentionnées clairement la Commission – dont la plupart ne sont pas contestées par le demandeur et qui sont toutes étayées dans le dossier – la conclusion quant à la crédibilité dans son ensemble est raisonnable. Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité étaient étayées de façon suffisante et appartenaient aux issues possibles acceptables.

 

B.        Absence de minimum de fondement

 

[10]           Le demandeur soutient également que la conclusion de la Commission selon laquelle il y avait absence de minimum de fondement est déraisonnable, étant donné que la Commission semble avoir accepté que l’identité indigène du demandeur était crédible et que certains événements qu’il a décrits dans son témoignage.

 

[11]           Le juge Rennie a récemment déclaré que « s’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foi quelconque qui est susceptible d’étayer une reconnaissance positive, il n’est pas loisible à la Commission de conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement, même si, au bout du compte, elle conclut que cette demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités » (Levario c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 314, 9 Imm LR (4th) 198, au paragraphe 19 [Levario], souligné dans l’original). Dans Levario, le juge Rennie a conclu que la conclusion d’absence d’un minimum de fondement tirée par la Commission était déraisonnable parce que cette dernière avait admis que le demandeur était bisexuel, un risque étayé par une abondante preuve documentaire (Levario, précité, aux paragraphes 17 à 21).

 

[12]           La situation en l’espèce est différente de celle que la Cour a analysée dans Levario. Dans Levario, la Commission a admis certains éléments de preuve présentés par le demandeur d’asile, lesquels montraient clairement l’existence d’un risque qui était étayé par la preuve documentaire. Cependant, en l’espèce, la Commission a raisonnablement mis en doute la crédibilité du risque du demandeur à cause de ses origines indigènes et de la vengeance aux mains de Los Zetas et de son oncle.

 

[13]           Le demandeur a présenté des documents sur la situation du pays, des certificats de décès et des renseignements médicaux. Toutefois, en l’absence d’éléments de preuve établissant un lien entre ces documents et un risque particulier auquel est exposé le demandeur, on pourrait soutenir que ces documents ne sont pas pertinents. Les certificats de décès et les notes de médecin ne fournissent aucun renseignement outre la nature des blessures, qui auraient pu être causées de bien d’autres manières. En l’absence du récit du demandeur pour établir un lien entre ces documents et la possibilité de risque auquel il est exposé, il serait raisonnable de considérer que ces documents n’ont aucune valeur probante.

 

[14]           En résumé, je ne peux pas conclure que la décision de la Commission concernant l’absence de crédibilité du demandeur ou celle concernant l’« absence de minimum de fondement » est déraisonnable. La Commission a rendu une décision qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle.

 

C.        Documents présentés de façon tardive

 

[15]           Le demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur en rejetant les documents présentés pour la première fois à l’audience sans dûment prendre en considération l’article 30 des Règles de la SPR, ce qui soulève une question d’équité procédurale. Contrairement à la prétention du demandeur, il existait des motifs importants pour refuser les documents outre le fait qu’ils aient été présentés de façon tardive.

 

[16]           Chaque demande visant à faire accepter des documents présentés tardivement doit être examinée en fonction de son contexte factuel particulier. À mon avis, la Commission n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale compte tenu des faits de l’espèce. Bien que la décision de la Commission ne soit pas rédigée de façon claire, j’estime que la Commission a examiné plus que la question de la tardiveté des documents. Plus particulièrement, la Commission a mentionné plusieurs documents dans sa décision, montrant de ce fait que leur nature et leur objet avaient été pris en compte. La Commission a également estimé que le demandeur n’était pas en mesure de fournir une explication suffisante concernant les raisons pour lesquelles les documents étaient présentés de façon tardive alors qu’il avait eu tout le temps voulu pour les réunir.

 

[17]           Il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle.

 

D.        Protection de l’État

 

[18]           Le demandeur fait valoir que la Commission a ignoré des éléments de preuve pertinents concernant le caractère inadéquat de la protection de l’État. Je tiens tout d’abord à préciser que la conclusion d’absence de minimum de fondement tirée par la Commission permet de trancher l’affaire. Puisqu’elle n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle à l’égard de cet aspect de la demande d’asile, la question de la protection de l’État n’est pas déterminante. Néanmoins, après avoir examiné le dossier, j’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur comme l’allègue le demandeur.

 

[19]           Prise dans son ensemble, l’analyse de la Commission quant à la protection de l’État est raisonnable. Il appartient à la Commission d’apprécier les éléments de preuve. Certes, l’analyse de la Commission quant à la protection de l’État est brève et n’est pas présentée de façon idéale, mais il en ressort clairement qu’elle s’est penchée sur les considérations pertinentes du dossier du demandeur. Le récit du demandeur comporte plusieurs incidents de violence à la suite desquels les membres de sa famille ont craint pour leur vie et se sont réinstallés ailleurs. Dans ce contexte, le demandeur a fait relativement peu de tentatives pour obtenir la protection de l’État et a fait preuve d’une absence de diligence pour vérifier les mesures prises par la police après le décès de son père et de son oncle. En conséquence, la conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas pris toutes les mesures raisonnables et n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État appartient aux issues possibles.

 

III.       Conclusion

 

[20]           En résumé, la décision de la Commission est raisonnable et il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale qui justifierait l’intervention de la Cour. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a soumis de question à des fins de certification.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM‑5765‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  JORGE ROJAS MARQUEZ c
le ministre de la citoyenneté
et de l’immigration

 

 

Lieu de l’audience :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        la juge SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 2 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Luis Antonio Monroy

 

POUR LE DEMANDEur

 

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luis Antonio Monroy

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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