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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130408

                                                                                                                     Dossier : IMM-6371-12

Référence : 2013 CF 353

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

SASIKUMAR PATHMANATHAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite l’annulation d’une décision rendue la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) par laquelle celle-ci a conclu qu’il n’est pas un réfugié ou une personne à protéger.

 

[2]               La Commission a mal interprété des éléments de preuve importants. J'accueille donc la présente demande de contrôle judiciaire.

 

La demande d'asile du demandeur

 

[3]               Le demandeur est un citoyen tamoul du Sri Lanka.  Dans sa demande d’asile, il a décrit l’expérience vécue par sa famille durant la guerre civile. Le père du demandeur a été tué par l’armée sri lankaise et il s’est déplacé d’un lieu à un autre avec sa mère, ses frères et ses sœurs, et a vécu dans des régions contrôlées par les Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul (les TLET).

 

[4]               Lorsqu’ils ont tenté d’échapper à un attentat, les TLET ont obligé la mère du demandeur à le laisser chez une tante. À la fin des années 90, les TLET lui ont fait creuser et réparer des fosses. En 1999, il a réussi à rejoindre sa famille à Colombo et a poursuivi ses études. Cette année-là, son frère aîné a été arrêté et battu parce qu’on l’accusait d’appuyer les TLET. Après avoir été libéré, le frère du demandeur s’est enfui du Sri Lanka pour venir au Canada où il a demandé l’asile.

 

[5]               Le demandeur a commencé à étudier à l’université en 2004. En juin 2008, il y a une explosion mortelle à l’extérieur de son université. La police a arrêté le demandeur ainsi qu’un certain nombre d’autres étudiants tamouls. Le demandeur a été libéré au bout d’environ six heures, après que la police eut vérifié son identité, pris ses empreintes digitales et sa photo. Il est arrivé, à d’autres occasions, que le demandeur soit détenu à des points de contrôle avec d’autres Tamouls.

 

[6]               En septembre 2008, le demandeur a obtenu un visa d’étudiant pour étudier en génie au Royaume-Uni. Il a expliqué qu’il voulait poursuivre ses études et savait qu’il serait en sécurité pendant au moins deux ans en Angleterre. Il ne planifiait pas retourner au Sri Lanka parce que, selon lui, il serait admissible au statut de résident permanent à la fin de son programme. Toutefois, en 2010, la politique en matière d’immigration a changé et il n’était plus admissible.

 

[7]               Le demandeur affirme qu'il avait peur de retourner au Sri Lanka. Il craignait de se faire extorquer par des groupes, à savoir le groupe Karuna et le Parti démocratique populaire de l'Eelam [Eelam Peoples Democratic Party] (EPDP), qui aident le gouvernement à identifier les partisans des TLET. Il croyait qu’il se verrait refuser l’asile au Royaume-Uni et son frère lui a conseillé de venir au Canada.

 

[8]               Le demandeur est arrivé au Canada, en septembre 2010, muni d’un visa d'étudiant. Il a présenté une demande d’asile le 5 novembre 2010. À l’audience, il a expliqué qu’il avait peur de l’armée sri‑lankaise, de la police, du groupe Karuna Group et de l’EPDP.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[9]               Dans une décision datée du 1er juin 2012, la Commission a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur.

 

[10]           Premièrement, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible, même si elle avait dit à l’avocat du demandeur, à la fin de l’audience, que [traduction] « le demandeur était, de façon générale, crédible quant aux points importants ». Vraisemblablement, le raisonnement de la Commission dans cette section porte également sur l’absence de crainte subjective, même si la Commission utilise à maintes reprises le mot « crédibilité ».

 

[11]           Cette conclusion négative quant à la crédibilité ou quant à la crainte subjective reposait sur un certain nombre d’erreurs de fait:

a.       L’explosion à l’université où étudiait le demandeur est censée s’être produite en 2004, alors que, en fait, elle s’est produite en 2008. La Commission a conclu à tort que le demandeur avait retardé pendant quatre ans son départ du Sri Lanka.

b.      La Commission a conclu que le demandeur s’était rendu en Suisse et n’y avait pas demandé l’asile. La Commission a conclu que le demandeur avait caché des renseignements afin d’induire la Commission en erreur et n’a fourni aucune copie de son passeport. Le défendeur reconnaît que cela est inexact. Le demandeur n’est jamais allé en Suisse. Le demandeur a également fourni son passeport.

c.       La Commission a conclu que le demandeur a tardé de [traduction] « quelques mois » avant de demander l’asile au Canada. En fait, il a demandé l’asile environ un mois après être arrivé au Canada.

 

[12]           La Commission a également conclu que si le demandeur avait eu peur, il aurait demandé l’asile au Royaume-Uni. 

 

[13]           Deuxièmement, la Commission a conclu que la situation dans le pays avait changé après la fin de la guerre civile en 2009. La Commission a reconnu que les personnes soupçonnées d’appuyer les TLET risquent toujours d’être exposées à des risques, mais elle a conclu que le demandeur ne correspondait pas à ce profil. La Commission a fondé cette conclusion sur le fait que le demandeur avait été libéré après l’explosion à l’université et a pu se déplacer en utilisant ses propres documents.

 

[14]           La Commission a renvoyé à des éléments de preuve indiquant qu’environ 7 500 réfugiés étaient revenus de l’Inde depuis 2006, y compris plusieurs milliers en 2010. La Commission a également souligné que certaines des personnes soupçonnées d’appartenir aux TLET avaient été libérées. Toutefois, le gouvernement a continué de détenir des personnes soupçonnées de faire partie des TLET.

 

[15]           La Commission a conclu que le demandeur ne serait exposé à aucun risque à titre de demandeur d’asile débouté, mais qu’il serait soumis à un examen. Je le répète, seules les personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec les TLET seraient soumises à un examen plus minutieux.

 

[16]           Troisièmement, la Commission a conclu que la crainte d’être victime d’extorsion du demandeur était une crainte généralisée. La Commission a reconnu que des membres voyous des forces de sécurité sri lankaises et de l’EPDP avaient été accusés d’extorsion et d’enlèvement. La Commission a également reconnu que les Sri Lankais qui reviennent de l’étranger sont perçus comme étant fortunés et capables de payer.

 

[17]           Même si le demandeur a prétendu que les Tamouls sont particulièrement ciblés, la Commission a fait mention d’une preuve documentaire indiquant que l’extorsion constitue un risque généralisé, qui n’a rien à voir avec l’origine ethnique. La Commission a également affirmé que la Cour fédérale avait conclu que les risques généralisés occasionnés par les activités criminelles ne pouvaient pas servir de fondement à une demande d’asile, dans les affaires dans lesquelles il est question de la Guyane, d’Haïti et de la Colombie.

 

La question en litige

 

[18]           La question en litige dans le présent contrôle judiciaire est celle qui consiste à savoir si la décision de la Commission est raisonnable, justifiée, transparente et intelligible : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS.

 

Analyse

 

[19]           La décision faisant l’objet du présent contrôle est en grande partie entachée d’erreurs.

 

[20]           Comme je l’ai déjà mentionné, le commissaire a conclu à tort que le demandeur avait attendu quatre ans après sa détention avant de quitter le Sri Lanka (il a quitté après quelques mois), qu’il n’avait pas demandé l’asile en Suisse (où il n’est jamais allé) et qu’il avait attendu plusieurs mois avant de demander l’asile au Canada (il a attendu un mois environ). Il s’agit d’erreurs graves sur lesquelles reposait la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas crédible et n’avait pas de crainte subjective.

 

[21]           Outre ces considérations, il ne reste que la question du défaut du demandeur de demander l’asile au Royaume-Uni. Quant à cette question, le demandeur a fourni une explication qui aurait pu être acceptée par la Commission. Il estimait qu’il était en bonne voie d’obtenir le statut de résident permanent grâce au programme des travailleurs de métiers spécialisés. Il a également un frère au Canada. Par conséquent, je ne peux pas être certain que l’issu aurait été le même si la Commission avait bien compris la preuve.

 

[22]           De plus, comme le demandeur l’a souligné, il s’agit d’un manquement à l’équité procédurale de la part de la Commission que de déclarer, à l’audience ,que la crédibilité n’est pas en cause, puis de fonder sa décision sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité : Velauthar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 425 (CAF).

 

[23]           En ce qui concerne la question de savoir si le demandeur correspond au profil des personnes qui sont présentement exposées à des risques, je suis préoccupé par le fait que la Commission n’a pas fait mention d’éléments de preuve pertinents.  Il est reconnu que les personnes soupçonnées d’appuyer les TLET demeurent toujours exposées à des risques. La Commission n’a pris en compte que le fait que le demandeur a été libéré après avoir été détenu (soulignons qu’on a pris sa photo et ses empreintes digitales). Toutefois, il est utile de souligner que le demandeur avait été obligé de travailler pour les TLET durant la guerre civile; son frère est soupçonné d’être un partisan des TLET et son père a été tué par l’armée sri lankaise.

 

[24]           Je souligne également que la Commission a à tort renvoyer à l’alinéa 108(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) lorsqu’elle a examiné la situation qui prévaut actuellement au Sri Lanka. Cette disposition s’applique lorsqu’un réfugié n’a plus besoin d’être protégé en raison de l’évolution de la situation. En l’espèce, la Commission n’a jamais reconnu que le demandeur était un réfugié car elle a conclu qu’il n’était pas crédible. Il était erroné de renvoyer à cet alinéa, mais il s’agissait d’une erreur sans importance. La Commission n’était pas tenue de procéder à une analyse détaillée de l’article 108.

 

[25]           Enfin, en ce qui concerne la question des risques généralisés, la Commission a accordé très peu d’importance au fait que l’EPDP est étroitement associé au gouvernement et qu’il est en fait dirigé par un ministre du gouvernement. L’existence de ce lien peut indiquer que l’État accepte ou encourage la pratique de la torture. La Commission doit donc prendre en compte l’alinéa 97(1)a) de la LIPR. Il ne suffit pas d’invoquer certains exemples de bandes criminelles qui existent dans d’autres pays. De plus, le demandeur ne craint pas seulement de se faire extorquer; il prétend en outre que, étant donné qu’il est d’origine tamoule, l’EPDP et le groupe Karuna pourraient à tort dire aux autorités sri lankaises qu’il est un partisan des TLET.

 

[26]           Le défendeur invoque l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, à l’appui de sa prétention que la décision, examinée à la lumière du dossier, appartient aux issus possibles acceptables.

 

[27]           Il se dégage essentiellement de l’arrêt Newfoundland Nurses que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. En effet, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. La norme qu’il convient d’appliquer est le caractère raisonnable et non pas le caractère parfait.

 

[28]           L’arrêt Newfoundland Nurses n’autorise pas une cour à réécrire la décision qui repose sur un raisonnement erroné. La cour qui procède au contrôle peut examiner le dossier lorsqu’elle évalue si une décision est raisonnable et elle peut combler les lacunes ou tirer les conclusions qu’il est  raisonnable de tirer du dossier et qui sont étayées par celui-ci.  L’arrêt Newfoundland Nurses porte sur la norme de contrôle. Il n’a pas pour objet d’inviter la cour de révision à reformuler les motifs qui ont été énoncés, à modifier le fondement factuel sur lequel la décision est fondée, ou à formuler des hypothèses sur ce que le résultat aurait été si le décideur avait correctement évalué la preuve.

 

[29]           Par conséquent, j’ai conclu que la décision est déraisonnable et j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUT CE QUI SUIT : la demande de contrôle judiciaire est accueillie.  L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada pour nouvel examen par un autre membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission.  Il n’y a aucune question à certifier. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6371-12

 

INTITULÉ :                                      JULES CUTHBERT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 25 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE.

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 8 AVRIL 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ada Mok

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane
Avocat
Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Canada)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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