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Date : 20130412

Dossier : IMM‑5229‑12

Référence : 2013 CF 373

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2013

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

AMEERI, JASIM GHULAM REDHA, NAZARI‑NAFOUTI, NAJARES ET AMEERI, MARYAM JASIM GHULAM REDHA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Jasim Ameeri, est un citoyen de Bahreïn et son épouse, Najares Nazari‑Nafouti, est une citoyenne de l’Iran. Leur fille Maryam, âgée de cinq ans, est une citoyenne de Bahreïn. La famille est de confession musulmane chiite et elle a vécu pendant plusieurs années à Bahreïn, où M. Ameeri exploitait une entreprise d’importation de pistaches de l’Iran. Ils ont fui le pays pour se rendre au Canada en 2011, après le prétendu assassinat de deux de leurs amis par les forces de sécurité du gouvernement et après une recrudescence marquée de la violence contre les musulmans chiites dans la foulée d’une importante agitation sociale. À leur arrivée au Canada, les demandeurs ont demandé l’asile.

 

[2]               Les demandeurs ont affirmé qu’ils étaient exposés à un risque en raison des troubles qui secouent Bahreïn, et ils allèguent plus précisément que si M. Ameeri devait retourner à Bahreïn, il craignait d’être inquiété par M. Adel Flaifel, anciennement à la tête de la sécurité de l’État de Bahreïn. Les demandeurs ont également soutenu qu’ils seraient séparés définitivement s’ils étaient renvoyés du Canada, car Mme Nazari‑Nafouti, en tant que citoyenne iranienne, ne pourrait pas retourner à Bahreïn, et que M. Ameeri et Maryam, en tant que citoyens bahreïnis, ne pourraient pas vivre en Iran.

 

[3]               Dans une décision datée du 30 avril 2012, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission) a rejeté les demandes d’asile des demandeurs pour plusieurs motifs. Tout d’abord, la Commission ne croyait pas que M. Ameeri était menacé par M. Flaifel. La Commission a en outre affirmé que, dans l’éventualité où Mme Nazari‑Nafouti ne puisse retourner à Bahreïn avec sa famille, elle pourrait néanmoins retourner en Iran où elle ne serait pas exposée à un risque au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi]. La Commission a également conclu que la possibilité qu’elle soit séparée de sa famille ne constituait pas de la persécution et que, plus important encore, rien n’indiquait que M. Ameeri et Maryam ne pourraient pas retourner en Iran. À ce sujet, la Commission a constaté que M. Ameeri était d’origine iranienne et qu’il ne semblait pas avoir tenté d’obtenir le droit de résider en permanence en Iran avec son épouse. Ainsi, les demandeurs n’avaient pas établi que la séparation permanente de la famille était inévitable.

 

[4]               Dans la présente de demande de contrôle judiciaire, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision de la Commission pour les raisons suivantes :

1.   Le commissaire a porté atteinte à leurs droits en matière d’équité procédurale à l’audience en les interrompant et en interrompant leur conseil, et en les empêchant de pleinement expliquer les motifs de leurs demandes;

 

2.   La Commission a omis d’évaluer l’allégation de Maryam selon laquelle la séparation permanente d’avec sa mère constituerait de la « persécution » au sens de l’article 96 de la LIPR ou un « traitemen[t] [...] crue[l] et inusit[é] » au sens de l’article 97 de la Loi;

 

3.   La Commission a omis d’évaluer le risque auquel M. Ameeri et Maryam seraient exposés en tant que musulmans chiites s’ils devaient retourner à Bahreïn, et elle a limité son analyse au risque posé par M. Flaifel. Les demandeurs soutiennent à cet égard que même si la Commission ne croyait pas que M. Ameeri était menacé par M. Flaifel, elle était néanmoins tenue d’évaluer le risque auquel M. Ameeri et sa fille pourraient être exposés en tant que musulmans chiites d’origine iranienne s’ils retournaient à Bahreïn, étant donné qu’elle disposait d’une preuve substantielle montrant que les musulmans chiites font l’objet de persécution à Bahreïn;

 

4.      La Commission a erré en rejetant l’allégation de Mme Nazari‑Nafouti selon laquelle la séparation permanente d’avec son époux et son enfant constituerait de la « persécution » au sens de l’article 96 de la LIPR;

 

5.   La Commission a erré en rejetant l’allégation de Mme Nazari‑Nafouti selon laquelle son renvoi en Iran contreviendrait à ses droits en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR, car elle serait obligée de porter le hijab et qu’il lui serait interdit de participer à des fêtes ou à d’autres activités dans ce pays parce qu’elle est une femme.

 

[5]               Pour les motifs exposés ci‑après, j’ai conclu que la SPR a commis une erreur en n’examinant et en n’évaluant pas le risque auquel M. Ameeri et Maryam pourraient être exposés en tant que musulmans chiites d’origine iranienne s’ils retournaient à Bahreïn. Aucune des autres erreurs alléguées ne justifie d’intervention à la lumière des faits de l’espèce et des positions adoptées par les demandeurs adultes devant la Commission. Bon nombre de ces autres arguments n’ont pas été présentés devant la Commission et ils ne sont pas étayés par la preuve.

 

[6]               Il n’existe aucune norme de contrôle pour évaluer si la Commission a enfreint les principes d’équité procédurale, cette question étant du ressort de la Cour (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100, [2003] 1 RCS 539; Amri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 713, au paragraphe 7). Les autres questions soulevées par le demandeur sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, car elles concernent des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51; Kulasingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 543, aux paragraphes 22 à 25).

 

Y a‑t‑il eu un manquement à l’équité procédurale?

[7]               Tout d’abord, en ce qui concerne l’allégation de manquement à l’équité procédurale, les demandeurs attirent l’attention sur trois échanges durant lesquels le commissaire les aurait empêchés de faire valoir leurs arguments.

 

[8]               Dans le premier échange, exposé à la page 323 du dossier certifié du tribunal (DCT), le commissaire a tenté d’amener le demandeur d’asile à parler de la raison pour laquelle celui‑ci avait allégué que M. Flaifel retrouverait sa trace et voudrait probablement lui porter préjudice s’il retournait à Bahreïn. L’échange entre le commissaire et M. Ameeri s’est déroulé comme suit :

[traduction]

DEMANDEUR(E) D’ASILE (M. AMEERI) : Cet homme, Adel Falafal, il me demandait de lui verser une certaine somme d’argent. Je lui ai dit : « D’accord, savez‑vous quoi? Je ne peux pas le faire. » C’est la raison pour laquelle je ne l’ai pas fait et je suis retourné en Iran.

 

COMMISSAIRE : Pourquoi vous pourchassait‑il? Voilà ce que j’essaie de savoir.

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (M. AMEERI) : Je n’étais pas le seul. Vous savez, il y avait d’autres personnes aussi, s’ils étaient des hommes d’affaires, et qu’ils le savaient, qu’ils savaient qu’ils avaient de l’argent, ils les pourchassaient aussi – parce qu’ils voulaient leur demander de l’argent. Je n’étais pas le seul.

 

COMMISSAIRE : Très bien. La présente audience porte sur vous, votre épouse et votre fille, et sur personne d’autre. Quand je vous pose des questions, elles ne concernent que vous trois. Vous occupez la chaise du témoin en ce moment et je vous pose des questions sur votre situation que vous avez décrite dans votre formulaire de renseignements personnels. Cela étant dit, pourquoi les responsables de la sécurité de l’État s’intéresseraient‑ils à vous? Je ne veux rien entendre à propos de quelque autre personne. Et que s’est‑il passé après qu’ils eurent cessé de s’intéresser à vous? Donc, en premier lieu, la question est de savoir pourquoi ils voulaient vous parler.

 

 

[9]               Le deuxième échange, qui figure aux pages 355 à 356 du DCT, a trait à l’allégation de Mme Nazari‑Nafouti selon laquelle elle se verrait refuser le permis de résidence à Bahreïn parce qu’elle était une citoyenne iranienne. Les extraits pertinents de l’échange sont reproduits ci‑après :

[traduction]

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : Qu’est‑ce qui vous fait penser que votre permis ne serait pas renouvelé si vous y retourniez?

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : Savez‑vous quoi? C’est à vrai dire ce qui se produit en général. À l’heure actuelle, à l’heure actuelle, les Iraniens et le gouvernement iranien, les Iraniens en fait, ils ont de graves difficultés avec le gouvernement bahreïni.

 

COMMISSAIRE : Qu’est‑ce qui vous fait penser qu’il ne sera pas renouvelé par les autorités bahreïnies? Veuillez répondre à cette question précisément, s’il vous plaît.

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : Parce que j’ai – à vrai dire, je connais beaucoup de gens et même certains de mes amis qui, après qu’ils ont quitté Bahreïn, n’ont pas pu y retourner, et même, même, même, vous savez, si c’était Norouz, ou Nouvel An, le Nouvel An iranien. J’avais tout simplement peur. J’étais inquiète. Si je quitte Bahreïn et retourne en Iran pour le Nouvel An pour visiter mes parents, il se pourrait que je ne puisse pas retourner à Bahreïn en raison de cette situation. Les Bahreïnis, ils ne permettent à personne de quitter Bahreïn – en fait, ils reviennent à Bahreïn.

 

COMMISSAIRE : Comment le savez‑vous? Êtes‑vous allée voir les autorités pour faire renouveler ce permis de résidence? Et si vous l’avez fait, quel a été le résultat obtenu?

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : À cette période, je n’étais pas à Bahreïn.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : Concentrons‑nous donc sur vos amis, dans ce cas.

 

COMMISSAIRE : Non, je veux que nous nous concentrions sur la demanderesse, pour savoir ce qui l’amène, elle, à penser que son permis de résidence, le sien seul, ne serait pas renouvelé par les autorités bahreïnies.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : Oui, mais –

 

COMMISSAIRE : Personne d’autre ne participe à la présente audience, à l’exception des demandeurs d’asile, soit l’époux et l’épouse, les demandeurs d’asile adultes, et l’enfant mineure.

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : (Paroles non interprétées) –

 

COMMISSAIRE : Attendez. Attendez.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : Juste une seconde. Juste une seconde.

 

COMMISSAIRE : Attendez, attendez, attendez.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : Elle est en train de décrire –

 

COMMISSAIRE : Attendez. Attendez.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : – des gens qui se trouvent dans une situation similaire.

 

COMMISSAIRE : Monsieur – pardon? Personne ne doit parler en même temps que les autres. Les demandeurs d’asile doivent savoir ce qui est en train d’être dit.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : D’accord.

 

COMMISSAIRE : Et je suis en train d’expliquer ce que je veux.

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : (Paroles non interprétées) –

 

COMMISSAIRE : Et attendez. Un instant.

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE : (M. NARJES)/INTERPRÈTE : D’accord. Juste une seconde.

 

COMMISSAIRE : Je ne m’enquiers pas de la situation des autres. Je m’enquiers de votre situation.

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) [en anglais] : Je sais, mais (inaudible) –

 

COMMISSAIRE : Attendez. Attendez. Attendez, attendez, attendez.

 

INTERPRÈTE : Elle veut dire que lorsque –

 

COMMISSAIRE : Madame l’int – non, attendez, attendez. Madame l’interprète, j’ai besoin que vous expliquiez en farsi ce que je viens de dire en anglais, si vous le voulez bien. Je veux m’assurer que tout le monde comprend. C’est important pour moi.

 

INTERPRÈTE : D’accord. Parfait. Pourriez‑vous le répéter?

 

CONSEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : D’accord. Me laisseriez‑vous continuer?

 

COMMISSAIRE : Non, non, monsieur l’interprète – M. Youssefi. Écoutez. Je veux que la demandeure d’asile soit précise.

 

Madame l’interprète.

 

J’aimerais savoir comment se fait‑il que vous sachiez que les autorités bahreïnies ne renouvelleraient pas votre permis de résidence? Je ne me préoccupe pas des autres. Je me préoccupe de vous.

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : Je veux dire quand?

 

COMMISSAIRE : Il a expiré. Votre permis de résidence est venu à expiration le 19 janvier 2012. Étant donné qu’il a expiré et que vous avait fait une demande de renouvellement de ce document, comment savez‑vous qu’il ne sera pas délivré de nouveau?

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : (Paroles non interprétées) –

 

 

[10]           Enfin, le conseil des demandeurs attire l’attention sur un échange qu’il a eu avec le commissaire,  reproduit à la page 357 du DCT, lors duquel il a demandé la permission [traduction] « d’obtenir des renseignements sur ces personnes [que Mme Nazari‑Nafouti connaissait] qui avaient peur de quitter Bahreïn ou qui retournaient à Bahreïn où elles n’étaient pas admises ». En réponse à cette demande, le commissaire a dit qu’il ne souhaitait pas entendre de témoignage à ce sujet, car il voulait que l’audience porte uniquement sur la situation des demandeurs.

 

[11]           À mon avis, aucun des échanges précédents ne constitue un manquement à l’équité procédurale. En ce qui concerne le premier échange entre M. Ameeri et le commissaire, la transcription permet de constater que le témoignage de M. Ameeri était difficile à suivre et que celui‑ci s’écartait du sujet en répondant aux questions. Par conséquent, l’intervention du commissaire était à la fois nécessaire et raisonnable parce qu’elle permettait de circonscrire les réponses de M. Ameeri. Dans le passage contesté, le commissaire n’a rien fait d’autre que tenter de ramener l’attention sur le sujet principal et il n’a pas limité le témoignage du demandeur. Cet échange n’établit donc pas qu’il y ait eu manquement à l’équité procédurale.   

 

[12]           Le second échange est axé sur l’allégation de Mme Nazari‑Nafouti selon laquelle elle ne pourrait pas retourner à Bahreïn. La Commission a reconnu que c’était le cas dans sa décision. Par conséquent, ces allégations de manquement à l’équité procédurale ne justifient pas d’intervention, car la Commission a accepté le témoignage de la demanderesse à cet égard. Il n’y a donc pas eu de manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne concluant pas que Maryam et Mme Nazari‑Nafouti feraient l’objet de persécution ou de « traitements [...] cruels et inusités » en raison de leur séparation permanente?

 

[13]           Les demandeurs avancent ensuite que la SPR a commis une erreur en n’ayant pas procédé à une évaluation indépendante de la demande de Maryam et en n’ayant pas conclu que la séparation permanente de Maryam et de sa mère constituerait de la persécution, au sens de l’article 96 de la LIPR ou, dans le cas de Maryam, un traitement cruel ou inusité, au sens de l’article 97 de la Loi.

 

[14]           Comme le défendeur le fait remarquer à juste titre, rien n’appuie cet argument, car les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve crédible démontrant la possibilité qu’ils soient séparés de façon permanente. Dans le dossier à la disposition de la Commission, le seul élément de preuve qui se rapporte dans une certaine mesure à cette question est l’énoncé suivant, extrait d’un rapport sur l’Iran rédigé par le Département d’État des États‑Unis : [traduction] « [l]es femmes ne peuvent transmettre directement la citoyenneté à leurs enfants ou à leur époux non iranien ». Cet énoncé est malheureusement loin d’établir que M. Ameeri et Maryam ne pouvaient retourner en Iran. Ainsi, la Commission ne disposait d’aucun élément de preuve démontrant que la famille serait séparée de façon permanente. Comme la SPR l’a relevé au paragraphe 12 de la décision, « [M. Ameeri] est d’origine iranienne, et rien n’indique que les demandeurs d’asile ont communiqué avec les autorités compétentes afin d’obtenir les documents requis pour que la famille puisse vivre ensemble en Iran, légalement et aussi normalement que possible ».

 

[15]           Étant donné l’absence de preuve établissant que la famille serait séparée de façon permanente, il n’est pas déraisonnable que la Commission ne se soit pas demandé si une telle éventualité constituerait de la persécution ou un traitement cruel. Autrement dit, il n’y a pas lieu que la SPR examine des questions théoriques qui ne se posent pas d’après les faits en l’espèce.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant l’allégation de Mme Nazari‑Nafouti selon laquelle son retour en Iran contreviendrait à ses droits en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR en raison des restrictions imposées aux femmes dans ce pays?

 

[16]           Il en est de même pour l’argument suivant de la demanderesse. Si, dans des circonstances appropriées, une demandeure d’asile pourrait soutenir à juste titre que son renvoi dans un pays où elle serait forcée d’adhérer à des codes islamiques rigoureux auxquels elle ne souscrit pas constituerait de la « persécution » au sens de l’article 96 de la LIPR ou des « traitements cruels » au sens de l’article 97 de la Loi (voir p. ex. Saim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 148 FTR 219), ce n’est pas le cas en l’occurrence. En l’espèce, le seul motif réel invoqué par Mme Nazari‑Nafouti à l’appui de sa demande d’asile avait trait à son allégation selon laquelle elle serait séparée de façon permanente de son époux et de sa fille si elle retournait en Iran. Elle avait vécu en Iran pendant de nombreuses années et avait adhéré aux normes culturelles du pays, sans se plaindre. L’extrait de la transcription reproduit ci‑après montre que le fondement de sa demande reposait sur la croyance qu’elle serait séparée de sa famille de façon permanente :

 

[traduction]

COMMISSAIRE : À quel moment avez‑vous vécu en Iran pour la dernière fois?

 

INTERPRÈTE : Vécu pour la dernière fois?

 

COMMISSAIRE : Oui. Quand avez‑vous résidé en Iran à titre permanent pour la dernière fois?

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : Que voulez‑vous dire? S’agit‑il des visites que j’y ai faites ou du temps où j’y ai vécu?

 

COMMISSAIRE : Non, j’ai seulement demandé quelle est la dernière fois où vous avez vécu en Iran à titre permanent?

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : Je crois que c’était en 2006. J’étais enceinte à l’époque.

 

COMMISSAIRE : Très bien. Et après 2006, êtes‑vous retournée en Iran pour une visite?

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : Oui.

 

COMMISSAIRE : Combien de fois?

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : Deux fois, deux ou trois fois, je pense.

 

COMMISSAIRE : Et à quel moment avez‑vous effectué la dernière visite?

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : Je crois que c’était en novembre, autour de novembre ou de décembre 2010.

 

COMMISSAIRE : D’accord. Et en ce qui concerne la dernière fois que vous avez été là‑bas, la dernière fois où vous y avez vécu à titre permanent, aux environs de 2006, qu’est‑ce qui vous fait penser que votre vie serait en danger si vous deviez y retourner aujourd’hui?

 

DEMANDEUR(E) D’ASILE (MME NAZARI‑NAFOOTI) : À vrai dire, ce n’est pas tout à fait ainsi, vous savez. Je n’étais pas, vous savez, les autorités iraniennes, elles n’étaient pas à ma recherche. Ça ne signifie pas que si je vais en Iran et que j’arrive à l’aéroport en Iran, elles m’arrêteront. Mais si je ne peux rien faire en Iran, si je ne peux pas assister à une fête, je ne peux – vous savez, elles sont toujours en train de me guetter et de me surveiller. Le grand, grand risque pour moi, c’est ça. Si je retourne en Iran, je ne peux pas amener ma fille et mon époux avec moi. Je dois y retourner seule. Et c’est le grand risque pour moi, vous savez. Je ne peux pas.

 

 

[17]           Là encore, compte tenu de l’absence d’éléments de preuve à l’appui de l’argument, la SPR n’était pas tenue d’examiner une question théorique qui n’était pas soulevée par les faits en l’espèce. Par conséquent, sa décision était raisonnable sur ce point également.

 

La SPR a‑t‑elle commis une erreur en n’examinant pas le risque auquel M. Ameeri et Maryam seraient exposés en tant que musulmans chiites s’ils retournaient à Bahreïn?

 

[18]           Enfin, en ce qui concerne le motif d’annulation de la décision, comme il a été constaté, la SPR a seulement analysé le risque que pourrait présenter M. Flaifel pour M. Ameeri et conclu que le risque était nul, car elle ne croyait pas que M. Flaifel ait menacé M. Ameeri dans le passé. Toutefois, la Commission n’a pas cherché à savoir si M. Ameeri et, par le fait même, Maryam, étaient exposés à un autre risque du fait qu’ils sont des musulmans chiites d’origine iranienne.

 

[19]           La Commission disposait d’une preuve substantielle au sujet du risque auquel sont exposés les chiites à Bahreïn, et la documentation sur le pays témoigne d’une récente exacerbation des tensions religieuses. La monarchie qui gouverne le pays est de confession sunnite, et la population majoritairement chiite fait l’objet de discrimination depuis longtemps. Le problème de la discrimination s’est toutefois aggravé depuis le Printemps arabe. Si les activistes et les journalistes semblent les plus visés, la documentation sur le pays fait état de nombreux cas d’hommes chiites arrêtés, détenus et torturés arbitrairement, apparemment pour le seul motif de leur origine ethnique et de leurs croyances religieuses. La Commission a omis d’examiner ce risque et a donc commis une erreur susceptible de contrôle.

 

[20]           La SPR est tenue d’évaluer pleinement les risques soulevés par le profil ou la situation d’un demandeur (Adan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 655, au paragraphe 39; Viafara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1526, au paragraphe 6). La Cour suprême du Canada l’a souligné dans l’arrêt Ward c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 RCS 689, aux pages 745 et 746, en invoquant l’extrait suivant du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés : « [I]l n’incombe pas au demandeur d’identifier les motifs de persécution. Il incombe à l’examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies; habituellement il y a plus d’un motif ». La SPR ne s’est pas acquittée de cette obligation en l’espèce.

 

[21]           Par conséquent, le fait que la Commission a omis d’examiner les risques guettant M. Ameeri et Maryam à Bahreïn en raison de leur origine ethnique constitue une erreur susceptible de contrôle qui a pour effet d’annuler la décision, car une décision n’est pas raisonnable si elle ne tient pas compte d’une question qui doit être examinée (voir p. ex. Cunningham c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 636, au paragraphe 19).

 

Quelle réparation convient‑il d’accorder?

[22]           Bien que j’aie examiné séparément chacun des risques soulevés par les demandeurs, ceux‑ci les ont présentés de façon interdépendante. Ainsi, puisque j’ai conclu qu’une erreur avait été commise quant à l’évaluation de l’un des risques, j’estime que la réparation qui conviendrait le mieux serait le réexamen par la Commission de la demande d’asile de tous les demandeurs. En conséquence, les demandes de tous les demandeurs seront renvoyées à la Commission pour réexamen.

 

[23]           Le demandeur a demandé que les deux questions suivantes soient certifiées en tant que questions graves de portée générale, au sens de l’article 74 de la Loi :

1.   La demande d’asile d’un enfant, même si elle est présentée avec celle d’un parent ou celles de ses deux parents, doit‑elle faire l’objet d’un examen distinct par la CISR, et les dispositions du document de la CISR, Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure [Directives pour les enfants], doivent‑elles être appliquées à l’enfant, même si le représentant commis d’office de l’enfant n’a pas présenté un exposé circonstancié distinct dans le formulaire de renseignements personnels de l’enfant?

 

2.   Au moment d’entendre la preuve des parents, la SPR doit‑elle tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, y compris de la séparation éventuelle de l’enfant d’avec sa mère ou son père après le renvoi du Canada?

 

[24]           Pour qu’une question puisse être dûment certifiée en vertu de l’article 74, elle doit être une question grave de portée générale, c’est‑à‑dire que son importance doit dépasser le cadre de l’affaire en cause et elle doit permettre de trancher le litige (Kunkel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 347, au paragraphe 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11). Gardant ces critères à l’esprit, je refuse de certifier les questions proposées, car elles ne permettent pas de trancher la présente affaire puisque j’ai conclu que l’allégation selon laquelle la famille serait séparée de façon permanente se révèle dénuée de fondement.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.   La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.   La décision de la Commission est annulée.

3.   Les demandes d’asile des demandeurs sont renvoyées à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.

4.   Aucune question de portée générale n’est certifiée.

5.   Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5229‑12

 

INTITLUÉ :                                                  AMEERI, JASIM GHULAM REDHA ET AUTRES c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 9 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 12 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mehran Youssefi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alison Engel‑Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mehran Youssefi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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