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Date : 20130411

Dossier : IMM‑1807‑12

Référence : 2013 CF 362

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 11 avril 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

LE HE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur Le He (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 25 janvier 2012 rendue par Daniel G. McSweeney (le commissaire), membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission), qu’il a signée le 1er février 2012. Dans sa décision, l’agent a statué que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni qualité de personne à protéger. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire pour nouvel examen à une formation différente de la Commission.

 

[2]               Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine (RPC); il affirme craindre avec raison d’être persécuté en Chine de la part du Bureau de la sécurité publique (BSP) du fait de sa foi chrétienne et de son appartenance à une église clandestine dans la province du Fujian. La Commission a jugé que les allégations du demandeur selon lesquelles la maison‑église avait fait l’objet d’une descente de police ou que le BSP le recherchait n’étaient pas appuyées par des preuves suffisantes. La Commission a déclaré que la preuve documentaire n’appuyait pas l’argument selon lequel le demandeur serait exposé à un risque de persécution dans la province du Fujian.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que la décision du commissaire était raisonnable et qu’il y a lieu de rejeter la demande.

 

Les faits

[4]               Le demandeur est né en Chine le 26 décembre 1989. C’est un citoyen chinois originaire de la province du Fujian qui a commencé à fréquenter une maison‑église protestante clandestine en Chine le 1er juin 2008. Il a continué à assister à des services religieux au cours des mois qui ont suivi et affirme avoir été baptisé en Chine le 25 décembre 2008.

 

[5]               Le demandeur est venu au Canada avec un visa d’étudiant le 30 mai 2009 et d’après une lettre du révérend David Ko, datée du 24 juillet 2011, il est devenu membre de la Living Stone Assembly le 7 juin 2009. Comme le demandeur n’avait pas de certificat de baptême, il a été baptisé une seconde fois le 19 septembre 2009, sur la recommandation du révérend Ko.

 

[6]               Le demandeur soutient que la maison‑église qu’il fréquentait en Chine a fait l’objet d’une descente le 15 novembre 2009. Ses parents lui ont appris le lendemain qu’il y avait eu une descente. Le 20 novembre 2009, des agents du BSP se sont présentés au domicile des parents du demandeur pour le trouver. Lorsque les agents ont été informés du fait que le demandeur étudiait à l’étranger, ils ont apparemment demandé qu’il se présente à eux lorsqu’il rentrera en Chine. Les agents du BSP se sont rendu une nouvelle fois au domicile des parents le 18 décembre 2009 en laissant un message de même genre.

 

[7]               Le demandeur a présenté une demande d’asile quelques jours après la première visite alléguée, le 23 novembre 2009.

 

[8]               Les agents du BSP se seraient rendu à la maison du demandeur avec un mandat d’arrestation le 23 février 2010. Ses parents l’ont informé de cette visite à la fin du mois de février. Les parents du demandeur l’ont informé du fait que des agents du BSP étaient venus, en tout, jusqu’à sept fois chez eux avant l’entrevue, et qu’ils n’avaient fait que montrer le mandat d’arrestation aux parents, sans laisser de copie.

 

[9]               Le demandeur affirme que le responsable de sa maison‑église et un autre membre ont été arrêtés après la descente et qu’ils ont été condamnés le 20 mai 2010 à des peines de plus de deux ans d’emprisonnement.

 

[10]           L’audience prévue pour le 19 août 2011 a été reportée en raison de la maladie du demandeur. Le 4 novembre 2011, une deuxième audience a été ajournée pour permettre au demandeur de se procurer un conseil après que le conseil qu’il avait retenu initialement se soit retiré du dossier en raison d’un conflit d’intérêts apparent. L’audience devant la Commission a eu lieu le 20 décembre 2011 et la Commission a rendu les motifs du rejet de sa demande d’asile le 25 janvier 2012.

 

La décision visée par le contrôle

[11]           Le commissaire a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. Le commissaire a fondé cette conclusion sur sa constatation que le demandeur n’était pas recherché en Chine et qu’en l’absence de preuve démontrant que les membres de l’Église protestante étaient persécutés après 2006, les autorités du Fujian ne souhaitaient pas persécuter les membres clandestins de l’Église protestante. Le commissaire a jugé que la crainte du demandeur d’être persécuté s’il retournait en Chine n’était pas fondée et qu’il serait « libre de [pratiquer sa religion] comme il l’entend ». Il a ainsi conclu que le demandeur ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution s’il retournait en Chine et qu’il ne serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture.

 

[12]           Le commissaire a tiré cette conclusion en se livrant à l’analyse suivante :

i)          Crédibilité quant au fait d’être recherché en Chine. Le commissaire a écarté l’affirmation du demandeur selon laquelle une descente avait eu lieu dans son église en Chine et qu’il était recherché par le BSP, car ces allégations n’étaient pas crédibles. En particulier, le commissaire a conclu, à la lumière de la preuve documentaire, qu’il était déraisonnable d’affirmer que les agents du BSP n’avaient pas remis un document aux parents du demandeur s’ils étaient vraiment retournés à plusieurs reprises chez le demandeur. En outre, il a estimé déraisonnable le fait pour le demandeur de ne pas avoir fourni une lettre ou un affidavit émanant d’un ami ou d’un membre de la famille attestant les faits invoqués. Enfin, compte tenu de l’absence d’une telle lettre ou d'un tel affidavit, et à la lumière de l’analyse de l’ensemble des preuves documentaires, le commissaire a jugé que les autorités du Fujian ne souhaitaient pas persécuter les chrétiens protestants clandestins et n’avaient pas procédé à des descentes ni à des arrestations dans la région, comme cela avait été mentionné en rapport avec la capacité du demandeur de retourner en Chine et de pratiquer sa religion dans le Fujian.

ii)         Capacité de retourner au pays et d’y pratiquer sa religion. Après avoir examiné les preuves documentaires, les observations des conseils, ainsi qu’après avoir effectué un recensement de la jurisprudence récente de la Cour fédérale, le commissaire n’a pas été convaincu que les chrétiens clandestins risquaient vraiment d’être persécutés dans le Fujian. Après avoir longuement examiné les preuves documentaires, le commissaire a fait remarquer qu’il n’y avait eu que trois cas de persécution ou de surveillance policière à l’égard des églises clandestines dans la province du Fujian depuis 2006. Il a opposé cette situation aux preuves de persécution beaucoup plus précises concernant d’autres provinces et régions de la Chine et, en particulier, « puisque les autorités disposent du cadre juridique et des ressources nécessaires pour persécuter les protestants clandestins si elles le veulent » (décision, paragraphe 25), il a conclu qu’il serait raisonnable de s’attendre à voir ces situations rapportées quelque part dans une preuve documentaire objective si les autorités locales du Fujian cherchaient à persécuter les chrétiens protestants clandestins. Il a déclaré qu’il existait des différences importantes dans le traitement accordé aux maisons‑églises en Chine selon la région ou les conditions locales, que les maisons‑églises étaient la plupart du temps tolérées dans l’ensemble de la Chine (à contrecœur) si la taille de la congrégation reste en deçà d’un certain seuil (autour de 25 personnes membres), que la persécution était l’exception plutôt que la règle, que ces églises ne faisaient pas systématiquement l’objet de persécution dans le Fujian, et qu’il n’était pas convaincu que les groupes aussi petits que celui auquel appartient le demandeur (environ 10 membres) sont la cible de persécution.

iii)        Possibilité de retourner dans le Fujian et d’y prêcher l’Évangile. Le demandeur allègue également qu’il a prêché l’Évangile au Canada et qu’il ne pourrait le faire en Chine. Le commissaire a toutefois conclu que le demandeur pouvait « retourner au Fujian et pratiquer sa religion comme il le l’enten[dait] », après avoir déclaré que les activités pratiquées par le demandeur pour prêcher l’Évangile au Canada étaient à tout le moins minimes (par exemple, elles ne visaient que deux personnes, n’étaient pas mentionnées par le révérend Ko dans sa liste des activités chrétiennes exercées par le demandeur au Canada et le demandeur n’avait pu indiquer à quel endroit dans la Bible Jésus avait ordonné aux chrétiens de prêcher l’Évangile) et qu’il n’y avait pas d’autre preuve concernant cette allégation.

 

Les questions en litige

[13]           Le demandeur a soulevé les deux questions suivantes : (i) la Commission a‑t‑elle mal interprété les preuves concernant la délivrance des sommations/mandats en Chine; et (ii) la Commission a‑t‑elle commis une erreur en estimant que le demandeur pouvait retourner en Chine et librement pratiquer sa religion chrétienne dans la province du Fujian?

 

[14]           Ces questions se chevauchent quelque peu, mais je vais néanmoins les aborder l’une après l’autre, ci‑dessous.

 

Analyse

[15]           Le demandeur n’a pas mentionné la question de la norme de contrôle applicable à la première question en litige et affirme que la norme de la raisonnabilité s’applique à la deuxième question en litige. Le défendeur soutient que la norme de la raisonnabilité s’applique à l’ensemble de la décision.

 

[16]           Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], au paragraphe 57, la Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter la norme de contrôle établie. Dans Qin c Canada (MCI), 2012 CF 9, aux paragraphes 33 à 37, le juge Russell a précisé que la norme de la décision raisonnable s’applique à la fois aux conclusions de crédibilité et aux questions mixtes de droit et de fait de savoir si tel ou tel acte discriminatoire équivaut ou non à de la persécution. Les mêmes normes s’appliquent en l’espèce. Les conclusions en matière de vraisemblance et l’analyse de la preuve par la Commission constituent des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit qui appellent la norme de contrôle de la raisonnabillité (Zhan c Canada (MCI), 2011 CF 654, au paragraphe 17).

 

[17]           Lorsque la Cour examine une décision selon le critère de la raisonnabilité, elle prend en compte « la justification de la décision, sa transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles, acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci‑dessus, au paragraphe 47; Khosa c Canada (MCI), 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

 

i)    La Commission a‑t‑elle mal interprété les preuves concernant la délivrance de sommations et de mandats en Chine?

 

[18]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant, sans se baser sur aucune preuve, qu’un mandat ou une sommation aurait normalement été remis aux membres de la famille du demandeur s’il était recherché par le BSP. Le demandeur soutient que cette question est au cœur de l’évaluation qu’a faite le commissaire de la crédibilité du demandeur, et il affirme qu’une erreur sur ce point est, à elle seule, suffisante pour justifier l’intervention de la Cour.

 

[19]           Plus précisément, le demandeur conteste l’affirmation du commissaire selon laquelle « […] selon la preuve documentaire, la personne qui est visée par une assignation assortie d’un mandat d’arrestation, ou un membre de sa famille ou un voisin, se voit remettre une copie de l’assignation » (décision, paragraphe 7). Il soutient que l’unique élément de preuve documentaire qui touche cet aspect (une réponse à une demande d’information datée du 1er juin 2004) est désuet et n’étaye pas la conclusion du commissaire. Le demandeur mentionne plutôt une réponse à une demande d’information plus récente, datée du 6 juillet 2012, d’après laquelle, en Chine, les méthodes d’application de la loi varient énormément, sont de nature arbitraires et que la procédure appropriée ne consiste pas à remettre une assignation ou un mandat aux membres de la famille.

 

[20]           Je conviens avec le défendeur que le demandeur ne peut contester la pertinence et l’actualité des documents sur lesquelles s’est appuyé le commissaire au sujet de la procédure de délivrance des sommations et des mandats en Chine, étant donné que le conseil du demandeur a cité au commissaire ce même document dans ses observations, en n’exprimant aucune réserve quant à son actualité.

 

[21]           Cela dit, je conviens avec le demandeur qu’il semble que le commissaire n’ait pas pris en compte d’autres affirmations contenues dans le document de 2004 qui auraient été susceptibles d’appuyer sa demande d’asile. Le document mentionne clairement que la délivrance d’une sommation aux membres de la famille n’est pas la procédure appropriée, qu’en Chine, les procédures d’application de la loi varient énormément et qu’elles sont de natures arbitraires et que le BSP n’est toujours pas une institution respectueuse du droit. Cette conclusion est même étayée par l’information contenue dans une réponse à une demande d’information plus récente, de 2012, d’après laquelle « les procédures d’arrestation diffèrent selon l’endroit, car elles doivent respecter les habitudes locales et […] dans certains cas, une copie de la sommation n’est remise à l’intéressé que s’il en fait précisément la demande ». Les conclusions du commissaire et le fait qu’il n’a pas abordé ce document nous amènent à nous demander s’il a vraiment tenu compte de ces éléments de preuve plus récents.

 

[22]           Si la conclusion du commissaire relative à la crédibilité avait été uniquement fondée sur sa conclusion selon laquelle le BSP aurait normalement remis un document aux parents du demandeur, elle aurait probablement été susceptible de contrôle. Toutefois, ce n’est pas le cas dans la présente affaire. Les motifs du commissaire sont certes formulés de façon quelque peu maladroite, mais ils indiquent qu’il recherchait simplement une preuve susceptible de corroborer l’allégation du demandeur, que ce soit la copie d’une sommation, une lettre ou un affidavit émanant d’amis ou de membres de la famille, ou des preuves documentaires contenues dans le dossier d’information sur le pays susceptibles d’appuyer cette allégation et que de tels éléments de preuve n’étaient pas tous exigés, mais auraient pu être présentés à titre subsidiaire.

 

[23]           En fin de compte, le fardeau de la preuve incombe au demandeur, de sorte qu’il n’était pas déraisonnable que le commissaire lui demande de fournir des preuves pouvant corroborer ses allégations concernant la descente dans l’église et son statut de personne recherchée. Dans He c Canada (MCI), 2010 CF 525, au paragraphe 14, le juge Near a rejeté un argument semblable à celui que présentait le demandeur et a déclaré ce qui suit :

La Commission a basé sa décision sur la preuve documentaire selon laquelle, dans de nombreux cas, des mandats ou des assignations sont décernés. Il incombait à la demanderesse de produire toute preuve permettant d’établir que sa prétention était fondée, et le manque de documents pertinents peut constituer un facteur valable quant à l’appréciation de la crédibilité (voir Syed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 357, 78 A.C.W.S. (3e) 579; voir également Sun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1255, [2008] A.C.F. no 1570 (C.F.)). En l’espèce, il était raisonnablement loisible à la Commission d’en arriver à cette décision.

 

[24]           Comme dans cette affaire, il était raisonnablement loisible au commissaire d’exiger d’autres éléments de preuve étayant les allégations du demandeur au sujet de son statut de personne recherchée. Comme l’a déclaré le juge Zinn dans Yu c Canada (MCI), 2010 CF 310, au paragraphe 28:

Un juge des faits, lorsqu’on ne lui présente que la preuve orale d’un témoin, peut conclure que le témoin n’est en général pas crédible. Dans un tel cas, il ne sera accordé aucun poids, ou très peu, à la preuve du témoin. Le juge des faits voudra voir ou entendre d’autres preuves à l’appui d’un « fait » énoncé par un tel témoin, avant de conclure qu’il s’agit bien d’un fait. Bref, lorsque la seule preuve d’un fait est tirée d’une déclaration d’un témoin qui a été jugé non crédible, le juge des faits peut conclure que, selon la prépondérance des probabilités, le fait n’a pas été prouvé. (…)

 

[25]           En l’espèce, il convient de rappeler que le demandeur ne se trouvait pas en Chine au moment de la descente alléguée. Le commissaire a en outre estimé qu’il n’existait que très peu d’éléments de preuve indiquant que de petits groupes de chrétiens pratiquants clandestinement étaient victimes de persécution dans la province du Fujian. Compte tenu de ces circonstances, il était loisible au commissaire de mettre en doute la crédibilité du demandeur et de lui demander des preuves corroborantes. Là encore, la principale conclusion à laquelle est arrivée la Commission n’est pas qu’aucune sommation n’a été produite, mais que le demandeur n’a pas établi, à l’aide de preuves venant de Chine, qu’il était recherché ou que son église avait fait l’objet d’une descente.

 

[26]           Non seulement le demandeur n’a-t-il présenté aucun élément de preuve corroborante, mais il n’a même pas tenté d’en obtenir. Le demandeur n’a pas répondu à l’affirmation contenue dans la réponse à la demande d’information de 2010 selon laquelle « il est possible d’obtenir une copie [d’un mandat d’arrestation ou d’une sommation] ultérieurement en s’adressant au bureau local du Bureau de la sécurité publique ». Dans Wei c Canada (MCI), 2012 CF 911, le juge Russell a tiré une inférence défavorable de l’omission du demandeur de fournir une copie du prétendu mandat délivré par le BSP, en faisant référence à la réponse à la demande d’information de 2004 mentionnée ci‑dessus pour affirmer qu’il était possible d’obtenir une telle copie auprès du BSP. Vu qu’il n’y a pas eu d’allégation selon laquelle il aurait été déraisonnable que les membres de la famille du demandeur s’adressent au BSP, il est possible de tirer, en l’espèce, la même inférence défavorable.

 

[27]           À la lumière de ce qui précède, j’estime qu’il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la conclusion du commissaire en matière de crédibilité et que celle‑ci n’était pas déraisonnable, même s’il a pu penser à tort que le BSP aurait normalement remis une copie de la sommation ou du mandat d’arrestation aux parents du demandeur.

 

ii)   La Commission a‑t‑elle commis une erreur en jugeant que le demandeur pouvait retourner en Chine et pratiquer librement sa religion chrétienne dans la province du Fujian?

 

[28]           Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission, selon laquelle le demandeur peut retourner dans la province du Fujian et y pratiquer librement sa religion sans s’exposer à un risque grave de faire l’objet de persécution pour cette raison, est déraisonnable.

 

[29]           Il soutient que cette constatation est fondée sur l’absence de preuve au sujet de l’arrestation des chrétiens dans la province du Fujian et il mentionne à ce sujet deux décisions récentes de la Cour fédérale (Weng c Canada (MCI), 2011 CF 1483 [Weng], et Liang c Canada (MCI), 2011 CF 65 [Liang]) qui sont, d’après lui, susceptibles d’appuyer sa thèse, parce qu’elles concernent toutes deux la région du Fujian.

 

[30]           Le demandeur soutient que les preuves qui avaient été soumises à la Commission dans l’affaire Weng étaient tout à fait identiques à celles dont disposait la Commission en l’espèce, puisqu’elles comprenaient notamment deux lettres de Bob Fu, président de la China Aid Association. Pour ce qui est de l’affaire Liang, le demandeur soutient que la conclusion du juge Shore selon laquelle « [v]u la preuve concernant la destruction des maisons‑églises dans la province du Fujian, la demanderesse a des raisons concrètes de craindre la persécution si elle choisit d’exercer son droit de pratiquer sa religion librement » (paragraphe 18) s’applique directement pour ce qui est de la persécution dans la province du Fujian.

 

[31]           Le demandeur soutient également que les documents relatifs au pays présentés à la Cour établissent clairement qu’en Chine, les églises non enregistrées sont illégales et que le fait d’en être membre peut entraîner des sanctions. Il cite le témoignage de M. Fu selon lequel [traduction] « il est tout à fait inexact de conclure que la liberté de religion est respectée dans la province du Fujian » et dans le Fujian, la persécution est « toujours une menace ».

 

[32]           Le conseil du demandeur soutient également que le commissaire a commis une erreur en déclarant que le demandeur ne fera pas l’objet de persécution en raison de la taille et de la nature clandestine de son église. Le conseil soutient que le commissaire n’avait aucun moyen de savoir que le demandeur deviendrait membre d’une église suffisamment petite pour éviter d’être détecté et que, après avoir choisi son église, le nombre de ses fidèles n’augmenterait pas. Il soutient que le fait d’inviter le demandeur à devenir membre d’une petite maison‑église limite sa liberté de religion, une question qu’a également examinée le juge Shore dans Liang (au paragraphe 22). Le conseil soutient que, compte tenu de cette décision, il était déraisonnable que la Commission s’appuie sur la taille du groupe dont faisait partie le demandeur pour conclure que sa crainte d’être persécuté n’était pas fondée.

 

[33]           Le conseil soutient également que la Commission a commis une erreur en accordant une grande importance aux descentes et aux arrestations parce qu’elles seraient le principal indicateur de la persécution religieuse dans le Fujian, étant donné que ces éléments ne constituent qu’un aspect de la persécution et ne font ainsi appel qu’à une notion trop limitée de la liberté de religion. Le conseil soutient que le fait que les chrétiens clandestins réussissent parfois à dissimuler leurs activités et à éviter d’être découverts ne peut être pris en compte pour décider s’ils font l’objet de persécution ou sont incapables de pratiquer librement leur religion, ouvertement et conformément à leurs croyances fondamentales.

 

[34]           Enfin, le conseil du demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en examinant de façon isolée le traitement accordé aux chrétiens dans le Fujian et qu’elle aurait dû prendre en compte les sanctions systémiques imposées en Chine contre ceux qui pratiquent les religions non autorisées par opposition au risque que le demandeur lui‑même soit visé, lorsqu’elle a examiné la composante objective du bien‑fondé de la crainte de persécution du demandeur.

 

[35]           J’estime qu’aucun des arguments précédents du demandeur ne peut être retenu pour les raisons suivantes.

 

[36]           Premièrement, il est bien établi que chaque cas est un cas d’espèce. Ainsi que l’a déclaré le juge Campbell dans Chen c Canada (MCI), 2012 CF 545, au paragraphe 22, « [c]omme une preuve à jour est essentielle pour étayer une conclusion qu’un demandeur serait en sécurité s’il était renvoyé dans son pays, j’estime qu’une conclusion relative à la preuve tirée d’une décision antérieure de la Cour n’a aucune valeur de précédent »; voir également Yu c Canada (MCI), 2010 CF 310, au paragraphe 22.

 

[37]           En outre, il est facile d’établir une distinction entre la décision Weng et la présente affaire. Dans Weng, la conclusion de la Cour selon laquelle la décision de la Commission était déraisonnable n’était pas uniquement fondée sur la probabilité d’être persécuté au Fujian, mais principalement sur la conclusion à laquelle la Commission en était arrivée concernant la crédibilité du demandeur d’asile après avoir simplement relaté les faits et les témoignages sans les analyser ou fournir de motifs. Par conséquent, la conclusion de la Cour selon laquelle la Commission avait commis une erreur en omettant de prendre en considération les preuves pertinentes relatives aux arrestations et aux autres formes de persécution des membres des maisons‑églises dans la province du Fujian ne constituaient qu’un élément de sa décision et n’aurait pas été nécessairement suffisante à elle seule pour justifier d’infirmer la décision de la Commission.

 

[38]           Quant à la décision Liang, il est vrai que le juge Shore a déclaré qu’il était déraisonnable que la Commission se fonde sur la taille de la congrégation de l’église du demandeur pour démontrer qu’il y avait eu persécution et que les autorités faisaient des descentes dans les églises, quelle que soit leur taille. Comme le commissaire l’a toutefois fait remarquer, cette conclusion n’a pas été toujours suivie par d’autres membres de la Cour et la décision Liang a même déjà fait l’objet de distinctions dans au moins quatre décisions : voir Lin c Canada (MCI), 2012 CF 1200; Wei c Canada (MCI), 2012 CF 911; He c Canada (MCI), 2011 CF 1199, et Yang c Canada (MCI), 2011 CF 811 [Yang].

 

[39]           Après avoir examiné soigneusement la preuve et les motifs du commissaire, j’estime qu’il n’était pas déraisonnable de prendre en compte le fait que l’église du demandeur regroupait environ 10 membres et se trouvait dans un très petit village où vivaient sept à dix familles. Je souscris également à la conclusion du juge Mactavish dans Yang selon laquelle il est pertinent d’examiner le risque par rapport à une personne qui a un profil semblable à celui du demandeur. Tout comme dans Yang, il n’existe pas de preuve en l’espèce indiquant que le demandeur chercherait à recruter des membres ou à jouer un rôle de dirigeant, ce qui lui aurait fait courir un risque plus important. Le demandeur a lui‑même déclaré qu’il ne craignait pas la police ou les autorités avant de quitter la Chine (dossier du tribunal, p. 732). Le commissaire a en outre reconnu l’existence au dossier de documents qui faisaient référence à la fermeture de maisons‑églises dans la province du Fujian, et il a expliqué pourquoi il avait décidé d’accorder une faible force probante à ces documents, à la différence de la situation qui était soumise à la Cour dans Liang. En bref, le commissaire a procédé à une évaluation détaillée des preuves documentaires et il n’appartient pas à la Cour de les examiner à nouveau.

 

[40]           Je reconnais avec le demandeur qu’il ne devrait pas être obligé de se cacher pour pratiquer sa religion de façon à éviter d’être persécuté. Il n’a toutefois pas mentionné les autres formes de persécution dont il a été, ou pourrait être, l’objet, et il lui incombait d’établir l’existence d’un risque grave de persécution.

 

[41]           Enfin, il n’était pas déraisonnable que le commissaire conclue que, si la persécution pour des motifs religieux était courante dans le Fujian, les documents le mentionneraient, compte tenu de la quantité de renseignements importants faisant état de cas très précis de persécution dans des régions de la Chine beaucoup plus isolées et difficile d’accès que le Fujian : voir Nen Mei Lin c Canada (MCI), (4 février 2010), IMM‑5425‑08, à la page 3. S’il peut exister une possibilité de refuge intérieur lorsque l’auteur allégué de la persécution est un agent de l’État (voir Saini c Canada (MCI), [1993] ACF no 280, 151 NR 239 (CAF)), il n’est pas déraisonnable de penser que le demandeur ne serait pas persécuté par l’État dans une région donnée de la Chine, malgré les agressions qui peuvent se produire dans d’autres parties du pays.

 

Conclusion

[42]           À la lumière de ce qui précède, je conclus que le demandeur n’a pas établi que la décision du commissaire était déraisonnable, que ce soit en ce qui concerne les conclusions défavorables relatives à la crédibilité (y compris la délivrance de sommations et mandats en Chine) ou à l’égard de la possibilité pour le demandeur de retourner dans la province du Fujian et d’y pratiquer sa religion. Sa demande doit donc être rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1807‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  LE HE c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 11 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jocelyn Espejo‑Clarke

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Willam F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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