Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20130411

Dossier : IMM‑7775‑12

Référence : 2013 CF 357

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2013

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROY

ENTRE :

AMINUL ISLAM

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie, sous le régime de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR) a rejeté la demande de protection du demandeur, M. Aminul Islam (le demandeur).

 

Les faits

[2]               Les faits de la présente espèce sont simples. Le demandeur, citoyen bangladeshi, est un sympathisant du Parti nationaliste du Bangladesh et il a occupé dans ce pays le poste de directeur général des programmes chez Ekushey Television Limited jusqu’en septembre 2007.

 

[3]               Le Parti nationaliste du Bangladesh est actuellement dans l’opposition, mais il n’est pas une organisation clandestine.

 

[4]               Le demandeur a été invité à la fin de 2008 à participer à la campagne électorale d’un autre parti politique, la Ligue Awami, invitation qu’il a refusée. Après la victoire de la Ligue Awami aux élections, ses militants auraient mené une campagne visant à resserrer le contrôle des régions où ses appuis étaient plus faibles qu’ailleurs. Ces militants se seraient livrés à l’extorsion et à d’autres actes illégaux à une échelle notable. Le demandeur affirme qu’il travaillait à un documentaire sur ces événements, qui devait s’intituler Promise, Expectation and Action (Promesses, espoirs et réalités), lorsqu’il a fait l’objet d’actes d’intimidation. Le 31 mai 2009, précise‑t‑il, des partisans de la Ligue Awami se sont présentés à son bureau à Dacca pour exiger le versement d’une somme d’environ 13 000 $CAN dans les 21 jours, comme moyen de pression politique. Le demandeur déclare qu’il a alors appelé la police, mais qu’elle lui a dit ne rien pouvoir faire.

 

[5]               Le demandeur a quitté le Bangladesh peu après, le 10 juin 2009, et il est entré au Canada le 20 du même mois avec un visa de résident temporaire. Il a présenté sa demande d’asile le 21 juillet 2009. Il affirme que des militants de la Ligue Awami se sont présentés à son bureau et à son domicile à Dacca entre son arrivée au Canada le 20 juin et le dépôt de sa demande d’asile le 21 juillet. Ils auraient dit à sa femme qu’ils le retrouveraient et le puniraient de ne pas s’être conformé à leur exigence. Le 25 juin, des membres du Bataillon d’action rapide lancés à sa recherche seraient revenus à son domicile. Ils y auraient perquisitionné, et saisi son ordinateur portable et des documents liés au documentaire qu’il projetait.

 

[6]               Le groupe dénommé « Bataillon d’action rapide » [le BAR] est défini dans divers documents produits par le demandeur comme étant un organisme d’exécution de la loi. Amnistie Internationale le décrit, à la pièce I annexée à l’affidavit du demandeur, comme [traduction] « une unité spéciale d’intervention policière, dont la création a été largement saluée, ayant pour fonction de combattre le gangstérisme partout dans le pays ». Selon Amnistie Internationale, le BAR aurait tué 200 personnes pendant le mandat du gouvernement actuel, dirigé par la Ligue Awami, et un bon nombre de ces morts n’auraient donné lieu qu’à des simulacres d’enquêtes : l’impunité serait la norme, en dépit des engagements de tolérance zéro formulés par le gouvernement. L’agent d’ERAR a effectué sa propre recherche sur le BAR, qu’il définit comme [traduction] « un corps d’élite constituant l’avant‑garde de la police bangladeshie dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme ».

 

[7]               Le demandeur soutient qu’il serait en danger s’il était renvoyé dans son pays, au motif que le documentaire auquel il travaillait au moment de son départ exposerait au grand jour les méfaits des agents du BAR, notamment leurs activités d’extorsion. Qui plus est, son ordinateur, qui contenait des séquences sur les actes du BAR, a été saisi en juin 2009, ce qui accroîtrait les risques pour lui s’il rentrait au Bangladesh.

 

Les décisions considérées

[8]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile du demandeur le 22 juillet 2011. Elle a jugé cette demande fondamentalement vague et dépourvue de preuve corroborante. Elle a en outre conclu que, même si elle acceptait l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait pris pour cible en raison de ses opinions politiques, il lui resterait une possibilité de refuge intérieur [PRI]. Le demandeur n’était pas politiquement très en vue, ajoutait la Commission, et aucun élément ne tendait à établir que les partisans de la Ligue Awami qui l’auraient menacé avaient une influence politique de quelque importance.

 

[9]               Le demandeur ne paraît pas avoir sollicité le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission en juillet 2011. Il a plutôt présenté une demande d’ERAR le 21 décembre de la même année.

 

[10]           Le demandeur a produit à l’appui de sa demande d’ERAR 34 pièces dont un bon nombre sont datées d’après le 22 juillet 2011. Il soutient que ces documents remplissent les conditions énoncées à l’article 113 de la Loi. L’alinéa a) de cet article est libellé comme suit :

  113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet; […]

  113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection; […]

 

[11]           L’agent d’ERAR a conclu que les risques définis dans la demande d’ERAR étaient pour l’essentiel les mêmes que ceux invoqués devant la Commission. Même s’il y avait de nouveaux documents, ils ne contenaient pas d’éléments de preuve qui n’auraient pas déjà été produits devant celle‑ci.

 

Les thèses des parties

[12]           Le demandeur fait valoir que l’agent d’ERAR n’a pas examiné comme il l’aurait dû 31 des 34 documents produits au soutien de sa demande d’ERAR. Quant aux trois pièces que l’agent a examinées de manière plus approfondie, le demandeur affirme qu’il ne leur a pas accordé l’importance qu’elles méritent. Enfin, l’avocat du demandeur avance que l’agent d’ERAR aurait dû étudier plus avant la question de la PRI, à la lumière des nouveaux documents présentés à l’appui de la demande d’ERAR.

 

[13]           Le défendeur s’oppose à toute tentative de plaider de nouveau la question de la PRI. En outre, le ministre soutient que la décision de l’agent d’ERAR est raisonnable, en particulier si l’on considère l’absence des nouveaux éléments de preuve qu’exige l’article 113 de la Loi. Quoi qu’il en soit, ajoute‑t‑il, la preuve dans son ensemble pèche par excès de généralité et ne se rapporte pas à la situation supposée du demandeur.

 

Analyse

[14]           Pour ce qui concerne la PRI, l’avocate du défendeur a opposé une exception d’irrecevabilité à l’argument du demandeur, faisant valoir que la Commission avait statué sur cette question, que celle‑ci ne faisait pas l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, et qu’elle n’avait pas même été soulevée devant l’agent d’ERAR ni dans la présente instance de contrôle judiciaire. À mon sens, l’avocate du défendeur n’a pas tort. La Cour doit examiner le dossier tel qu’il était constitué devant l’agent d’ERAR. On ne peut obtenir de la Cour qu’elle étudie au fond une question qui n’aurait pas été soulevée devant l’agent d’ERAR. Si l’on s’arrête néanmoins au fond de l’argument, on voit mal comment ce dernier aurait pu souscrire à la thèse que la situation avait changé suffisamment pour que le demandeur ne dispose plus d’une PRI.

[15]           Non seulement la Commission avait examiné sans détour la question de la PRI, mais le demandeur n’a présenté à l’agent d’ERAR rien de nouveau qui permette d’infirmer la conclusion à laquelle elle était arrivée. Notre Cour a récemment statué sur une question semblable dans Paul‑Laforest c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 815 :

[22]     Finalement, la demanderesse n’indique pas comment le tribunal aurait erré dans son analyse des PRIs; un élément suffisant pour disposer de la demande en entier : Ortegon Palacios c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 816 au para 11. Le tribunal a suivi les étapes des arrêts Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF) et Ranganathan c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2001] 2 CF 64 (CAF). Il a proposé deux villes possible comme PRI et n’a pas était satisfait qu’il serait déraisonnable pour les demandeurs d’y déménager. Le tribunal a énoncé pourquoi il croyait que le déménagement ne serait pas déraisonnable : éducation, expérience et situation financière de la demanderesse. C’est une conclusion de faits et donc la Cour ne peut intervenir en l’absence d’une erreur démontrant que la décision du tribunal n’était pas supportée par les faits ou que le tribunal n’a pas considéré un élément important de la preuve. La partie demanderesse n’a pas soulevé de telles erreurs. La décision du tribunal est soutenable quant aux faits et au droit, et par conséquent est raisonnable.

 

La décision Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 5, s’inscrit dans le même sens.

 

[16]           Cette conclusion suffit pour débouter le demandeur. Cependant, l’examen de l’ensemble du dossier me convainc que la présente demande de contrôle judiciaire aurait aussi été rejetée au fond.

 

[17]           Les parties s’entendent pour dire, et la Cour pense aussi, que la norme de contrôle applicable à la présente instance est celle du caractère raisonnable; voir Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1511; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 799; et Aleziri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 38.

[18]           La Cour, quand elle est appelée à contrôler une décision de la Commission selon la norme du caractère raisonnable, prend en considération « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel, » ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Elle n’interviendra que si la décision contrôlée se révèle ne pas appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, paragraphe 59.

 

[19]           Le demandeur supporte donc la charge de produire devant l’agent d’ERAR des éléments de preuve relatifs à des événements survenus après le rejet de sa demande d’asile par la Commission, et, en cas de décision défavorable dudit agent, de prouver à la Cour suivant la prépondérance des probabilités que cette décision n’est pas raisonnable, au sens où elle n’appartiendrait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[20]           À en juger d’après le dossier dont disposait l’agent d’ERAR, il est difficile de ne pas souscrire à la constatation que les éléments de preuve y contenus étaient pour l’essentiel les mêmes que ceux présentés à la Commission. Il est vrai que l’agent d’ERAR a examiné de manière expéditive 31 des 34 documents produits devant lui, mais il avait une bonne raison de le faire. Ces nouveaux éléments de preuve étaient en fait pour une grande part, voire dans leur entier, une répétition des éléments déjà produits devant la Commission. Chose plus importante peut‑être, ces nouveaux éléments ne peuvent servir à établir de rapport entre le risque général couru au Bangladesh, dans la mesure où il existe, et la situation particulière du demandeur. Autrement dit, les 31 documents en question n’ont nullement permis d’attribuer au risque une dimension individuelle; voir Sane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 981.

 

[21]           Il ne fait aucun doute que l’agent d’ERAR a examiné cette preuve documentaire. Sa conclusion à l’insuffisance d’éléments de preuve d’application individuelle établissant que le demandeur ait été pris pour cible par le BAR, ou d’ailleurs par les hommes de main de la Ligue Awami, se révèle raisonnable d’après le dossier dont il disposait. En fait, c’est la conclusion même à laquelle la Commission était arrivée.

 

[22]           Si le demandeur a essayé de démontrer le caractère individuel du risque, c’est par les trois lettres que l’agent d’ERAR a examinées plus longuement que les autres pièces. Ce dernier tire de cet examen la conclusion suivante : [traduction] « J’estime que ces lettres ne contiennent aucun élément de preuve réellement nouveau que le tribunal de la SPR n’aurait pas pris en considération. Elles ne font que répéter les éléments produits devant ce tribunal. » Le demandeur ne s’est pas acquitté de la charge de prouver le caractère déraisonnable de ces conclusions. En effet, la question n’est pas de savoir si la décision de l’agent d’ERAR est correcte. Ce qu’il faut démontrer, c’est que l’agent d’ERAR a rendu une décision déraisonnable. Comme la jurisprudence l’a fait observer à maintes reprises, la demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté n’est pas un appel. Et le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR n’est pas un appel non plus.

 

[23]           Le demandeur a été débouté par la Commission. Il ne peut obtenir gain de cause devant l’agent d’ERAR à moins de remplir les conditions énoncées à l’article 113 de la Loi, c’est‑à‑dire qu’il « ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ». Comme notre Cour l’a dit pour droit plusieurs fois, la demande d’ERAR n’est pas une deuxième demande d’asile ni un appel de la décision de la Commission; voir Sayed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 796. La conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle les trois lettres ne permettaient pas au demandeur de s’acquitter de sa charge de preuve est éminemment raisonnable. Il s’ensuit que la présente demande ne peut être accueillie.

 

[24]           Je pense comme les avocats des parties que la question en litige dans la présente instance n’est pas susceptible de certification sous le régime de l’article 74 de la Loi.

 

 


 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire de la décision d’examen des risques avant renvoi en date du 28 mai 2012 est rejetée.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7775‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  AMINUL ISLAM c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 11 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Dorey

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sherry Rafai Far

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Dorey

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.