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Date : 20130405

Dossier : T‑1892‑11

Référence : 2013 CF 348

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 avril 2013

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

KELLY PLATO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Plato, n’a pas été reçu à un concours de dotation tenu par la défenderesse, l’Agence du revenu du Canada [l’ARC ou l’Agence]. M. Plato a présenté une demande de révision par un tiers indépendant [RTI], en conformité avec les politiques de l’ARC régissant les concours de dotation. Il a fait valoir plusieurs prétentions à l’examinatrice et trois d’entre elles ont été retenues. Pour donner suite à la décision de l’examinatrice, l’ARC, par l’entremise de son directeur adjoint, Division de la vérification, bureau des services fiscaux – Sud intérieur, a pris des mesures correctives visant à remédier aux manquements relevés. Par la présente demande de contrôle judiciaire, M. Plato sollicite l’annulation des mesures correctives de l’ARC, qu’il prétend être déraisonnables puisqu’elles ne remédient pas à l’une des erreurs constatées par l’examinatrice dans le processus de sélection.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la décision de l’ARC de prendre les mesures correctives en cause était déraisonnable et qu’elle doit en conséquence être annulée. Pour bien comprendre pourquoi il en est ainsi, j’estime nécessaire de passer en revue les politiques qui sous‑tendent la décision contestée ainsi que le contexte dans lequel elle s’inscrit.

 

Contexte

[3]               L’article 54 de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, LC 1999, c 17 [la Loi sur l’ARC] exige que l’ARC « élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés ». Pour se conformer à cette obligation, l’ARC a mis en place le programme de dotation de l’ARC, dans le cadre duquel elle a élaboré la directive sur les recours en matière d’évaluation et de dotation et la directive sur le traitement des demandes de révision par un tiers indépendant [RTI]. En vertu de ces directives, les employés insatisfaits d’une décision en matière de dotation peuvent demander une RTI. L’examinateur indépendant doit déterminer si l’Agence a commis, dans le processus de dotation, les erreurs que l’employé concerné lui impute. Conformément à l’article 7.4 de la directive sur les recours en matière d’évaluation et de dotation, les mesures que peut prescrire l’examinateur sont limitées aux suivantes :

1.   ordonner que l’on corrige l’erreur décelée dans le processus de sélection interne (l’examinateur n’a toutefois pas le pouvoir de prescrire la façon dont l’erreur devrait être corrigée);

2.   recommander la révocation de la nomination du candidat reçu;

3.   recommander qu’un autre représentant de l’ARC participe à la décision concernant les mesures correctives.

 

[4]               Les politiques de dotation laissent au représentant autorisé de l’ARC le soin de décider des mesures correctives à prendre.

 

[5]               En l’espèce, l’ARC a publié un avis de possibilité d’emploi pour les postes de vérificateur fiscal, de vérificateur de la taxe d’accise et d’agent interne des services fiscaux à son bureau des services fiscaux – Sud intérieur. L’ARC a élaboré pour ces postes un profil d’emploi faisant état de plusieurs compétences techniques, dont une concernant la législation, les politiques et les procédures. Au moment de la tenue du concours de dotation, l’Agence avait adopté et utilisait à l’égard de cette dernière compétence technique un outil d’évaluation standardisé. L’ARC a par la suite cessé de recourir à cet outil, qui n’était plus en usage lors de la prise des mesures correctives dans la présente affaire.

 

[6]               L’avis de possibilité d’emploi en l’espèce fournissait des renseignements généraux sur le mode d’évaluation des candidats et précisait les compétences techniques qui seraient considérées, soit les compétences en rédaction et en planification, organisation et/ou contrôle des résultats. Nulle mention n’était faite dans l’avis d’emploi d’une évaluation des compétences techniques en matière de législation, de politiques et de procédures. On y précisait toutefois que le rendement actuel au travail des candidats serait pris en compte tant à l’étape de l’évaluation qu’à celle du placement, au moyen d’une vérification des références, d’entrevues ou d’un examen d’échantillons du travail accompli par les candidats.

 

[7]               À l’issue de l’étape de sélection préliminaire, un gestionnaire d’embauche a indiqué qu’il souhaitait que le jury de sélection évalue l’aptitude des candidats à interpréter et à appliquer la législation pertinente. Le jury a alors mis au point un outil local de sélection lui permettant d’évaluer cette aptitude, ce qu’il a fait en procédant à un examen du travail effectué par chaque candidat dans divers dossiers choisis. Le jury de sélection a examiné ces dossiers, et il a attribué une cote aux candidats en fonction de leur aptitude à comprendre et à appliquer la législation pertinente.

 

[8]               Le gestionnaire d’embauche ne voulait pas que le jury s’intéresse aux habiletés et aux connaissances qu’il avait déjà examinées dans le cadre de l’évaluation des compétences techniques requises par l’ARC à l’aide de l’outil d’évaluation standardisé. Il préférait une évaluation davantage ciblée et plus pointue des connaissances du candidat relatives à la législation en cause et de sa capacité de l’appliquer. Il ressort de la preuve présentée à l’examinatrice que l’outil de sélection standardisé utilisé pour l’évaluation des compétences techniques en matière de législation, de politiques et de procédures ne permettait pas de procéder à l’évaluation requise par le gestionnaire d’embauche. La directive de l’ARC sur le processus d’évaluation et de sélection prévoit toutefois que, lorsque l’Agence a adopté un outil d’évaluation standardisé en regard d’une compétence technique, il faut recourir à cet outil, à moins que l’autorité compétente du service des ressources humaines n’ait accordé à cet égard une dispense.

 

[9]               Conformément à ses politiques régissant le processus de sélection, l’ARC a transmis à chaque candidat une note datée du 10 juin 2008 dans laquelle elle lui rendait compte de son évaluation (il s’agit d’un [traduction] « avis fait sous réserve » selon la terminologie des politiques de dotation de l’ARC). L’ARC informait les destinataires qu’elle avait procédé à des examens de dossiers [traduction] « à l’égard d’une autre compétence technique qui pourrait servir à l’étape du placement du processus de sélection. Cette compétence technique est liée à la législation, aux politiques et aux procédures ». Elle ajoute : [traduction] « Si un gestionnaire d’embauche choisit d’utiliser les résultats [tirés de l’évaluation locale visant la législation, les politiques et les procédures] à l’étape du placement, il établira les niveaux de compétence qu’il estime être acceptables ».

 

[10]           Dans sa plainte adressée à l’examinatrice, M. Plato a soutenu que l’ARC avait agi de manière arbitraire en recourant à un outil conçu localement plutôt qu’à l’outil d’évaluation standardisé pour apprécier les compétences en matière de législation, de politiques et de procédures à l’étape du placement. Souscrivant à l’argument de M. Plato, l’examinatrice a conclu que l’ARC n’avait [traduction] « pas agi conformément à la politique établie. L’Agence n’a pas communiqué de manière transparente, en violation des principes de dotation. Elle a agi de manière arbitraire en recourant à un outil conçu localement (sans le bénéfice d’une dispense), alors qu’un outil d’évaluation standardisé était disponible » (à la page 13 de la décision de l’examinatrice). L’examinatrice a également conclu que l’ARC avait manqué de transparence dans ses explications sur le critère de la législation, des politiques et des procédures, et manqué de clarté en mentionnant dans l’avis d’emploi que les compétences en planification, organisation et/ou contrôle des résultats seraient évaluées deux fois. Les conclusions générales et l’ordonnance corrective figurent à la fin de sa décision et se lisent comme suit (aux pages 39 et 40) :

[traduction]

Conclusions

 

En résumé, j’ai conclu qu’on avait mené le processus de sélection de manière arbitraire, au sens de l’article 4.2 de l’annexe L de la directive sur les recours en matière d’évaluation et de dotation, du programme de dotation, pour les raisons suivantes :

 

a.         L’examen des compétences en matière de législation, de politiques et de procédures aurait dû être fait à l’aide de l’outil d’évaluation standardisé, mais celui‑ci n’a pas utilisé (tel que le requéraient tant l’annexe E que l’annexe E‑1), et on s’est servi des résultats concernant la législation à l’étape du placement. J’arrive à la conclusion que l’Agence n’a pas agi conformément à la politique établie. L’évaluation des compétences susmentionnées au moyen d’un outil conçu localement, alors qu’il existait un outil standardisé, avait un caractère arbitraire.

 

b.        Les renseignements sur l’évaluation des compétences en matière de législation, de politiques et de procédures, n’ont pas été communiqués par l’Agence de façon ouverte et n’ont pas été bien compris, ce qui contrevient au principe de la transparence qui existe en matière de dotation.

 

c.         La mention dans l’EEMD [l’énoncé des exigences en matière de dotation] que les compétences concernant la POCR [c.‑à‑d. la planification, l’organisation et/ou le contrôle des résultats] seraient évaluées deux fois (et, dans l’avis fait sous réserve, qu’elles avaient été évaluées deux fois) était trompeur et source de confusion pour les candidats, et contrevenait ainsi au principe de la transparence qui existe en matière de dotation.

 

 

Ordonnance

 

J’ordonne à l’Agence, en application de l’article 7.4 de l’annexe L, de corriger les erreurs décelées dans le processus de dotation.

 

[11]           Dans sa décision relative aux mesures correctives, l’ARC commence par mentionner que l’examinatrice a conclu à l’existence de trois erreurs dans le processus de dotation, puis elle cite un extrait de la décision où il est question de ces erreurs. Elle ajoute que, pour corriger les erreurs relevées par l’examinatrice, le représentant de l’ARC a fourni :

[traduction]

[...] des explications claires, détaillées et transparentes sur la façon dont les critères suivants ont été appréciés à l’étape de l’évaluation et sur leur utilisation à l’étape du placement :

 

         Législation

         Politiques et procédures

         Planification, organisation et suivi

         Capacité de planifier, d’organiser ou de contrôler les résultats.

 

L’ARC explique ensuite en détail le déroulement du processus de dotation, puis elle précise que, pour évaluer la capacité des candidats d’appliquer et de comprendre la législation pertinente, on a eu recours à l’examen des dossiers plutôt que de procéder à une véritable évaluation des compétences techniques en matière de législation, de politiques et de procédures. Tel que le demandeur le fait remarquer à juste titre, cette explication a été offerte à l’examinatrice, et celle‑ci l’a rejetée parce qu’elle l’a jugée non convaincante au vu de l’avis de postes à pourvoir et de l’avis fait sous réserve. L’examinatrice a écrit ce qui suit à cet égard (à la page 13 de sa décision) :

 

[traduction]

Bien que l’Agence ait soutenu à l’audience qu’on avait évalué deux « compétences » distinctes, soit « (1) la législation et (2) les politiques et les procédures », cela ne cadre pas avec ce qui a été dit aux candidats au terme du processus de sélection. Dans l’avis fait sous réserve, on a informé les candidats par écrit que la « compétence technique » en « législation, politiques et procédures » avait été évaluée par l’examen de dossiers, et que les résultats alors obtenus pouvaient être utilisés à l’étape du placement. On y informait aussi les candidats du recours à des outils d’évaluation conçus localement pour l’évaluation du volet « législation, politiques et procédures ».

 

[12]           Le demandeur soutient que la décision relative aux mesures correctives devrait être annulée parce qu’elle est déraisonnable en ce qu’elle ne corrige pas la première erreur décelée par l’examinatrice. Il fait plus particulièrement valoir que l’examinatrice a conclu à l’existence de deux erreurs auxquelles il n’était pas possible de remédier valablement au moyen d’une simple explication, à savoir que l’ARC était tenue d’apprécier les compétences en matière de législation, de politiques et de procédures à l’étape du placement du processus de sélection, et qu’elle a commis une erreur en évaluant ces compétences au moyen d’un outil d’évaluation conçu localement, qui n’avait pas été dûment approuvé conformément à la politique de dotation.

 

[13]           La défenderesse soutient pour sa part que la décision est raisonnable. Essentiellement, l’ARC aurait simplement employé des termes imprécis dans l’avis sous réserve et omis de décrire ce qui s’était véritablement produit – on n’avait pas évalué une compétence technique en tant que telle, mais seulement une partie de celle‑ci (c.‑à‑d. les aptitudes en matière de législation) –, et ce manque de précision pouvait être corrigé de manière raisonnable par une explication plus fidèle. La défenderesse insiste aussi sur le fait que, compte tenu du vaste pouvoir dont les gestionnaires disposent en matière de dotation en vertu de la Loi sur l’ARC et de la retenue que commande la norme de contrôle de la raisonnabilité, la décision concernant les mesures correctives devrait être maintenue.  

 

Norme de contrôle

[14]           Les parties s’entendent pour dire que la norme de la raisonnabilité s’applique au contrôle de la décision relative aux mesures correctives, tel qu’il en a été décidé dans Macklai c Agence du revenu du Canada, 2010 CF 528, confirmé pour d’autres motifs 2011 CAF 49 [Macklai]. Le demandeur fait toutefois valoir que, dans la mesure où cette décision repose sur une interprétation de la décision de l’examinatrice, cette interprétation doit être correcte parce que la conclusion contraire serait inéquitable et permettrait à l’employeur de détourner unilatéralement le processus entier de révision en substituant son appréciation à celle de l’examinatrice. Il en serait ainsi, affirme-t-il, si l’on permettait à l’employeur de se fonder sur une interprétation raisonnable – plutôt que correcte – de la décision de l’examinatrice. Le demandeur invoque à l’appui de cette proposition les jugements Appelby‑Ostroff c Canada (Procureur général), 2011 CAF 84 [Appelby‑Ostroff]; Assh c Canada (Procureur général), 2006 CAF 358 [Assh] et Burstyn c Canada (Douanes et du Revenu), 2006 CF 744, et soutient que la conclusion tirée dans ces affaires (soit que l’employeur doit appliquer la loi correctement dans le cadre d’une procédure de griefs) s’applique par analogie à l’interprétation de la décision d’un examinateur indépendant, ce que le demandeur assimile à une question de droit.

 

[15]           La défenderesse soutient pour sa part qu’on ne peut pas diviser la décision relative aux mesures correctives de la manière suggérée par le demandeur, car cela aurait pour effet d’importer la norme de la décision correcte dans le contrôle de cette décision. Elle prétend à cet égard que, dans ce type d’affaire, il faudra toujours examiner, en procédant au contrôle judiciaire, ce en quoi la décision de l’examinateur indépendant a consisté, puisque le caractère raisonnable de la mesure de réparation dépendra du manquement commis. Si l’on appliquait la norme de la décision correcte à la décision relative au manquement, on ne ferait alors preuve d’aucune retenue à l’égard de la réparation choisie puisqu’il reviendrait à la cour de révision – plutôt qu’à l’ARC – de se pencher sur son fondement. La défenderesse fait valoir que la Cour a rejeté un argument assez semblable dans la décision Macklai, après avoir conclu que les arrêts Appelby‑Ostroff et Assh ne s’appliquaient pas dans le cas d’une décision de l’ARC concernant des mesures correctives.

 

[16]           Je partage l’avis de la défenderesse sur ce point pour plusieurs raisons. Premièrement, il est contraire à la logique de distinguer le contrôle du caractère raisonnable des mesures correctives imposées par l’ARC du contrôle des conclusions sur lesquelles repose la décision de l’examinateur indépendant. Ces deux éléments sont étroitement liés. Deuxièmement, il serait anormal d’appliquer la norme de la décision correcte au contrôle de cette question, alors qu’il est évident que si le contrôle portait sur la décision de l’examinateur indépendant, c’est la norme de la raisonnabilité qui serait applicable. Il semblerait illogique que, s’agissant du contrôle d’une décision à l’égard de laquelle l’employeur dispose d’un pouvoir plus important – puisqu’il s’est réservé le droit de décider des mesures de réparation – la Cour se montrerait davantage interventionniste. Enfin, la question a été réglée dans une large mesure dans la décision Macklai, où le juge O’Keefe a formulé les commentaires suivants (au paragraphe 21) :

Je suis convaincu que la question que le superviseur du demandeur devait trancher était une question à l’égard de laquelle il devait exercer son pouvoir discrétionnaire à titre de gestionnaire et qui dépendait des faits d’espèce du dossier du demandeur. En dépit de ce que le demandeur a affirmé, son superviseur ne devait pas trancher une question de droit ou de compétence, et sa décision n’établissait aucun précédent.

 

[17]           La norme de la raisonnabilité s’applique donc à l’évaluation de tous les aspects de la décision relative aux mesures correctives, y compris l’interprétation que le gestionnaire de l’ARC a faite de la décision de l’examinatrice.

 

[18]           S’agissant du contenu de la norme de la raisonnabilité, rappelons qu’il s’agit d’une norme qui commande la retenue, comme la défenderesse l’a souligné, et qu’elle demande à la cour de révision d’accorder une grande latitude à l’instance administrative et de ne pas substituer à la légère son opinion à celle du décideur. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, une décision est raisonnable si elle possède les attributs de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification, et qu’elle appartient aux issues acceptables au regard des faits et du droit applicable. Il est d’autant plus nécessaire de faire preuve de retenue dans une situation comme celle qui nous occupe où ce qui fait l’objet du contrôle, c’est l’exercice par l’employeur du pouvoir discrétionnaire d’établir comment il mettra en œuvre une décision concernant la dotation, ce qui est exclu en l’espèce de la négociation collective et de la procédure de règlement des griefs prévue dans la convention collective.

 

[19]           Bien que l’éventail des décisions acceptables que l’ARC puisse prendre en matière de réparation soit fort large dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis, il n’est toutefois pas illimité. En dernière analyse, il doit toujours y avoir un certain lien logique entre la réparation choisie et le manquement auquel elle est censée remédier. En l’absence de tout lien, la mesure de réparation n’appartiendra pas aux issues possibles acceptables. Comme la juge Gagné l’a récemment fait remarquer dans Backx c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2013 CF 139, lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère raisonnable d’une décision faisant suite à un grief en matière de dotation, la décision sera annulée si elle « ne répond pas à la prétention du demandeur et qu’elle ne lui offre aucune mesure de réparation valable » (au paragraphe 24). De manière assez semblable, les tribunaux reconnaissent depuis longtemps la nécessité d’un lien rationnel entre le manquement constaté par d’autres types de tribunaux du travail et la réparation prévue par l’ordonnance (voir, p. ex., Royal Oak Mines Inc c Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 RCS 369, à la page 409).

 

Caractère raisonnable de la décision

[20]           Nous arrivons maintenant au cœur du litige. Le gestionnaire de l’ARC qui a pris la décision relative aux mesures correctives a relevé en l’espèce que l’examinatrice avait conclu à l’existence de trois manquements distincts dans le processus de dotation : deux avaient trait au manque de transparence du processus et l’autre au défaut d’avoir recouru, sans l’autorisation des autorités compétentes en ressources humaines de l’ARC, à l’outil standardisé de sélection pour évaluer les compétences techniques en matière de législation, de politiques et de procédures. Cette interprétation de la décision de l’examinatrice est raisonnable et, à vrai dire, correcte.

 

[21]           Or, bien que le fait d’avoir fourni une meilleure explication soit logiquement lié aux problèmes de transparence relevés par l’examinatrice, cette explication n’a absolument aucun rapport avec le premier manquement, celui de n’avoir pas utilisé le bon outil de sélection pour évaluer une compétence. L’explication de l’ARC selon laquelle l’évaluation ne portait pas sur une compétence technique, mais plutôt sur une partie de celle‑ci, de sorte que l’outil standardisé n’était pas nécessaire – ne pouvait être avancée par l’Agence, puisqu’elle avait déjà été présentée à l’examinatrice et que cette dernière l’avait rejetée. En effet, en procédant comme elle l’a fait, l’ARC a tout simplement fait abstraction de la conclusion selon laquelle il n’y avait eu aucun manquement quant au volet législation, politiques et procédures. La décision relative aux mesures correctives est par conséquent déraisonnable, car elle ne remédie pas au premier manquement relevé par l’examinatrice.

 

[22]           Bien que cet élément ne soit pas déterminant quant à l’issue de la présente affaire, une note rédigée par une gestionnaire des RH à l’intention du gestionnaire de l’ARC ayant décidé des mesures correctives à prendre nous révèle que la gestionnaire des RH doutait de la justesse de la décision arrêtée. Elle y déclarait que, selon ce qu’elle en comprenait, [traduction] « l’approche visée avec les mesures correctives [était] de présenter à nouveau les résultats finaux de l’évaluation ». Puis elle ajoutait que [traduction] « [b]ien qu’[elle] puisse concevoir comment cela pouvait régler deux des trois problèmes soulevés dans la décision, [elle n’était] pas certaine que cette approche globale réponde, en termes de mesures correctives, aux attentes du requérant » (pièce G jointe à l’affidavit de Shelley Welchner).

 

[23]           Par conséquent, la décision relative aux mesures correctives sera annulée et l’affaire sera renvoyée à l’ARC pour la prise de nouvelles mesures correctives par un gestionnaire différent de celui qui a pris la décision contestée. Cela ne signifie pas nécessairement que l’ARC devra tenir un nouveau concours ou soustraire du processus de sélection le critère de la compétence en matière de législation. Tel que l’a d’ailleurs concédé l’avocat du demandeur dans sa plaidoirie, l’ARC pourrait bien autoriser rétroactivement le recours à l’outil de sélection local pour l’évaluation des compétences en matière de législation, de politiques et de procédures en l’espèce. Cependant, il ne m’appartient pas de me prononcer sur la réparation qu’il conviendrait de choisir, puisque ce choix relève du pouvoir discrétionnaire du gestionnaire chargé de cette décision, qui doit seulement s’assurer que la réparation a un lien logique avec la décision de l’examinatrice et qu’elle remédie d’une certaine manière au manquement constaté par celle‑ci.   

 

Dépens

[24]           Les parties sont toutes deux d’avis que les dépens devraient suivre l’issue de la cause, mais elles ne s’entendent pas quant à leur montant. Le demandeur a proposé l’adjudication d’une somme globale de 3 000 $, tout compris, tandis que la défenderesse a présenté un projet de mémoire de frais visant un montant total de 2 296,96 $.

 

[25]           Compte tenu des montants en jeu et de la nature de la présente affaire, et dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑96, j’estime approprié d’octroyer une somme globale de 2 500 $.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire visant la décision du 25 octobre 2011 du directeur adjoint, Division de la vérification, bureau des services fiscaux – Sud intérieur, est accueillie et la décision est annulée. 

2.                  La décision relative aux mesures correctives applicables par suite de la décision rendue par l’examinatrice sur la demande présentée par M. Plato est renvoyée à l’ARC pour être réexaminée par un gestionnaire différent.

3.                  La défenderesse devra payer au demandeur les dépens, fixés à 2 500 $, tout compris.

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1892‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  KELLY PLATO c
L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 23 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                         LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 5 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Orlagh O’Kelly

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Welchner Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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