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Date : 20130416

Dossier : IMM‑6584‑12

Référence : 2013 CF 376

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

EMERSON PJETRI

LIZE VUCAJ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], datée du 8 juin 2012, qui a établi que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger.

 

I.          Faits

[2]               Les demandeurs, une mère et son fils, sont citoyens de l’Albanie. Ils demandent l’asile en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[3]               En mai 1999, M. Pjetri a rencontré une femme appelée Mira Ujka et ils ont commencé à vivre ensemble au début de 2001. Il l’a demandée en mariage en mai 2001. Mira n’avait rien dit aux membres de sa famille au sujet de cette relation.

 

[4]               Les membres de la famille Ujka ont cherché à se venger parce que la famille avait été déshonorée, Mira étant déjà fiancée à un autre homme. Ils se sont attaqués à M. Pjetri, déclenchant ainsi une vendetta. La tentative de la mère de M. Pjetri de régler le différend avec l’aide d’un prêtre a échoué.

 

[5]               En août 2001, M. Pjetri a quitté l’Albanie pour se rendre aux États‑Unis. En 2006, il a été accusé d’avoir agressé sa petite amie. Par suite de cet incident, les autorités américaines de l’immigration se sont intéressées à lui et une procédure de renvoi a été entamée contre lui; il a alors demandé l’asile. Après que le droit de demeurer aux États‑Unis lui eut été refusé, il s’est rendu au Canada en février 2009.

 

[6]               Mme Vucaj a épousé Kol Pjetri en 1975. Ils vivaient avec la famille élargie de Kol; ce dernier a été violent avec elle et avec son fils pendant toute la durée de leur mariage. Elle est malgré tout restée dans la maison de Kol, où le reste de la famille la traitait comme une esclave. Elle a déjà essayé de s’enfuir, mais ses parents l’ont renvoyée chez Kol parce qu’ils estimaient que leur fille appartenait à son mari et à la famille de ce dernier.

 

[7]            En 2009, Kol est décédé et Mme Vucaj est demeurée avec les membres de la famille de son défunt mari, qui ont continué à la maltraiter. En 2010, elle a été violemment battue et a dû subir des traitements médicaux à l’hôpital. Des membres de sa famille lui ont alors rendu visite et l’ont retirée de la famille de Kol. Elle est demeurée en Albanie pendant une brève période, puis a quitté le pays pour rejoindre son fils au Canada, en février 2011.

 

II.        Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               La SPR a pris en compte les directives Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives]. Le premier jour d’audience, le conseil des demandeurs a demandé que ses clients soient déclarés demandeurs d’asile vulnérables et qu’un représentant désigné soit nommé. Il a déclaré qu’ils avaient des troubles de mémoire, ce qui compliquait la préparation de l’audience, et que, selon des rapports d’évaluation psychologique, ils souffraient tous deux d’un trouble de stress post‑traumatique [TSPT]. Cet important trouble dépressif était aigu dans le cas de M. Pjetri et chronique dans celui de Mme Vucaj. M. Pjetri a également subi une évaluation psychiatrique en mai 2011.

 

[9]               La SPR a rejeté la demande de nomination d’un représentant désigné étant donné que les deux demandeurs avaient démontré qu’ils savaient et comprenaient pour quelles raisons ils se trouvaient à l’audience de même que l’objet général de cette dernière, même s’ils avaient révélé avoir rencontré leur conseil à plusieurs reprises sans être en mesure de se rappeler les directives reçues. La SPR a toutefois autorisé Mme Mary Metcalf à aider les demandeurs et à apporter des notes à l’audience afin de combler les lacunes au besoin.

 

[10]           La SPR a accepté une preuve psychologique non sollicitée, postérieure à l’audience, concernant l’état mental des demandeurs. Les deux demandes de protection ont été rejetées pour cause de manque de crédibilité.

 

[11]           Premièrement, M. Pjetri a expliqué dans son exposé narratif que la famille Ujka voulait le tuer à cause du déshonneur qu’il avait jeté sur la famille, étant donné que Mira était déjà fiancée à un autre homme et que lorsqu’il a été agressé par le frère de celle‑ci, ce dernier lui aurait dit que sa sœur était musulmane. Cependant, à l’audience, M. Pjetri n’a jamais dit que Mira était musulmane ou fiancée à un autre homme. L’explication de M. Pjetri selon laquelle il ne s’en souvenait pas n’a pas été jugée satisfaisante par la SPR étant donné qu’il avait eu droit à l’aide d’une autre personne au cours de l’audience, que le rapport d’évaluation psychologique ne faisait pas état de répercussions sur la mémoire et que l’aspect religieux était fondamental lorsqu’il a demandé l’asile aux États‑Unis. De plus, dans son exposé narratif, il a écrit que le frère de Mira s’appelait Altin mais, à l’audience, il a dit qu’il s’appelait Sandor. Le passage de l’exposé narratif sur la façon dont il a dû se séparer de Mira est différent de la version qu’il a donnée lorsqu’il a demandé l’asile aux États‑Unis. Enfin, M. Pjetri a déclaré dans son formulaire de renseignements personnels [FRP] qu’il est musulman lui aussi. La SPR a estimé que ces contradictions ne peuvent pas s’expliquer par des troubles de la mémoire étant donné qu’il se rappelait la plupart de ces faits lorsqu’il a demandé l’asile aux États‑Unis en 2008, et que rien ne prouve qu’il ait eu des pertes de mémoire avant 2012.

 

[12]           De plus, M. Pjetri allègue avoir été agressé aux États‑Unis par une personne qui prétendait avoir des liens avec la famille Ujka. Cependant, le rapport est daté du 14 mars 2007 et il y est précisé qu’il était déjà fiancé à la sœur du suspect trois ans avant l’agression. Ce rapport fait donc état d’une relation qui existait en 2004 ou 2003, ce qui fait en sorte qu’il est impossible de relier l’agression à Mira. De plus, M. Pjetri n’a pas mentionné ce fait lorsqu’il a demandé l’asile aux États‑Unis en 2008.

 

[13]           Enfin, la SPR a souligné que M. Pjetri n’a pas demandé d’asile entre 2001 et 2006 et que, au cours de cette période, il avait été arrêté pour avoir agressé sa petite amie et avoir conduit en état d’ébriété, agissements qui l’exposaient au risque d’être repéré comme résident illégal des États‑Unis; or, rien ne montre qu’il ait pris des mesures pour régulariser sa situation. La SPR en a donc tiré une inférence négative relativement à l’allégation selon laquelle il pouvait craindre avec raison d’être persécuté.

 

[14]           M. Pjetri allègue aussi qu’il a été agressé par des membres de la famille Ujka au Canada, mais il n’a jamais déclaré cette agression à la police. De plus, aucun élément de preuve ne démontre que les agresseurs étaient originaires de l’Albanie.

 

[15]           En ce qui a trait à Mme Vucaj, ses réponses aux questions relatives à sa situation en Albanie étaient vagues. Elle soutient qu’elle a été hospitalisée après avoir été blessée par des membres de sa belle‑famille. Cependant, elle n’a pas fourni de preuve de son séjour à l’hôpital ou de lettre expliquant l’impossibilité d’avoir accès aux dossiers de l’hôpital à cause de leur informatisation qui était en cours à l’époque, raison qu’elle a donnée à la SPR. Mme Vucaj allègue que des policiers se sont rendus à l’hôpital et qu’ils ont rédigé un rapport, mais elle n’a présenté aucun élément de preuve en ce qui concerne ce rapport.

 

[16]           De plus, elle allègue avoir été hospitalisée à la fin de 2010 puis être allée habiter dans le village de la famille de sa mère. Cependant, dans son FRP, elle indique avoir emménagé à Gjon, le village de sa mère, en février 2010, ce qui fait en sorte que son témoignage contredit le contenu de son FRP. Son explication selon laquelle Gjon, un village situé dans les montagnes, est le lieu où elle a passé toute sa vie, n’a pas été jugée satisfaisante par la SPR.

 

[17]           Mme Vucaj n’a pas répondu clairement à la question de savoir si elle pourrait vivre en toute sécurité à Gjon, mais elle a dit que les membres de la famille de son mari ne l’avaient pas importunée. Or, cette déclaration contredit la lettre de sa mère dans laquelle elle avait expliqué que les membres de la famille de son mari reviendraient la chercher.

 

[18]           De plus, Mme Vucaj déclare ignorer la date du décès de son mari étant donné que ce dernier se cachait avec des cousins de sa mère à elle. Par conséquent, la SPR a conclu qu’elle n’a pas vécu avec les membres de la famille de son défunt mari au cours des deux années précédant le dépôt de sa demande d’asile. La déclaration selon laquelle elle avait divorcé en 2004 était incompatible avec le contenu de son FRP dans lequel elle avait déclaré que le divorce avait eu lieu en 1990. Elle a fourni des réponses contradictoires à la question de savoir si c’était elle‑même ou son conjoint qui avait entamé les procédures de divorce. Enfin, la SPR a souligné qu’il semblait complètement absurde que son fils laisse sa mère souffrir pendant les années qu’il a passées aux États‑Unis.

 

III.       Observations des demandeurs

[19]           M. Pjetri soutient que la décision de la SPR de ne pas accorder « une plus grande marge de manœuvre » à des demandeurs d’asile qui n’ont pas eu accès à un représentant désigné est arbitraire. De plus, la SPR a commis une erreur en concluant que le rapport psychologique ne fait pas état de troubles de la mémoire chez le demandeur et que, par conséquent, ce type de problème ne le touche pas alors que toute personne connaissant le TSPT, comme les membres d’un tribunal spécialisé, sait que l’un de ses principaux symptômes est la réticence à se remémorer les choses.

 

[20]           Mme Vucaj soutient que l’inférence défavorable de la SPR par suite de son omission d’essayer de se procurer des documents ne tient pas compte de son état mental et du fait qu’il lui répugne d’aborder tout ce qui a trait à son traumatisme. De plus, en concluant que ses réponses étaient évasives et qu’elle ne fournissait pas de dates précises, la SPR aurait dû tenir compte du fait qu’elle n’avait pas fréquenté l’école longtemps et qu’elle avait été traitée comme une esclave pendant la majeure partie de sa vie. La conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas possible que son fils ait laissé sa mère vivre dans une situation difficile alors que lui‑même se trouvait aux États‑Unis laisse aussi de côté la possibilité qu’il ait pu ignorer la situation dans laquelle elle se trouvait et la question de savoir si sa situation financière lui aurait permis de l’aider, étant donné que son fils n’a pas été interrogé.

 

[21]           M. Pjetri soutient que la SPR a omis d’aborder des éléments de preuve importants qui contredisent ses conclusions. Il soutient que la SPR n’a pas complètement pris en compte le rapport d’évaluation psychologique, car il a omis les portions qui justifiaient la position du demandeur et leurs répercussions sur l’évaluation de son témoignage, par exemple quant aux explications sur certaines omissions ou certaines réponses insuffisamment détaillées.

 

[22]           Mme Vucaj soutient que la SPR n’a jamais tenu compte du rapport d’évaluation psychologique la concernant lorsqu’elle a tiré des conclusions quant à la crédibilité de sa demande d’asile. La SPR a laissé de côté des passages du rapport qui précisent que son analphabétisme et son faible niveau d’éducation expliquent qu’elle mentionne des événements et non des dates.

 

[23]           Mme Vucaj allègue aussi que la SPR n’a pas appliqué les Directives.

 

[24]           Les demandeurs soutiennent tous les deux que la SPR a commis une erreur en leur imposant un fardeau supérieur à celui qu’auraient dû assumer d’autres demandeurs d’asile à cause de la protection que leur offrait la présence de Mme Metcalf.

 

[25]           Selon M. Pjetri, la conclusion de la SPR selon laquelle son comportement ne correspond pas à celui d’une personne qui craint de retourner en Albanie passe à côté du fait que ses actions sont celles d’une personne instable sur le plan psychologique. Cette omission équivaut donc au défaut de tenir compte d’éléments de preuve importants. 

 

[26]           M. Pjetri soutient qu’avant de conclure qu’il n’existait aucune preuve de pertes de mémoire avant 2012, la SPR aurait dû l’interroger à ce sujet. En effet, lorsqu’il était enfant, il a été battu et maltraité.

 

IV.       Observations du défendeur

[27]           Le défendeur soutient que la SPR n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande de représentant désigné formulée par les demandeurs étant donné que leur comportement montrait qu’ils avaient compris l’objet de l’audience. Même si la SPR a qualifié Mme Metcalf de « représentante désignée », il est évident que cette dernière n’avait pas vraiment été désignée. Étant donné que cette mesure d’adaptation avait été fournie à l’audience, il était loisible à la SPR de s’appuyer sur des contradictions et incohérences inexpliquées pour l’évaluation de la crédibilité des demandeurs. Le témoignage de l’amie était incohérent et ne répondait pas aux inquiétudes de la SPR en matière de crédibilité.

 

[28]           Le défendeur allègue que la SPR a souligné à bon droit que l’évaluation psychologique de M. Pjetri ne fait pas état de troubles de la mémoire. En ce qui concerne le rapport d’évaluation psychologique de Mme Vucaj, ce dernier mentionne certaines limitations cognitives touchant notamment la mémoire, mais il ne contient aucune description de la façon dont ces limitations se manifestent.

 

[29]           Le défendeur ajoute que la preuve provenant de la clinique Mayo sur laquelle s’appuient les demandeurs n’a pas été soumise à la SPR et que, par conséquent, il est impossible de reprocher à cette dernière de ne pas l’avoir abordée. De plus, l’évaluation psychologique ne fait pas partie de l’expertise de la SPR et il est raisonnable qu’elle suppose que les demandeurs ne souffrent pas de symptômes qui ne sont pas mentionnés dans les rapports. Il incombait donc aux demandeurs de présenter des éléments de preuve relatifs à leur capacité de relater leurs versions des faits.

 

[30]           Le défendeur estime que la SPR est autorisée à établir si les diagnostics psychologiques de demandeurs constituent la meilleure explication des incohérences et du caractère évasif de leurs témoignages et elle a tenu compte de leur situation. Les déclarations de M. Pjetri à l’audience concernant son conflit avec la famille Ujka contredisent l’information contenue dans son FRP et n’ont aucun sens. De la même façon, Mme Vucaj a fourni des réponses nettement contradictoires au sujet de son divorce et des événements connexes, qui constituent une partie fondamentale de sa demande, et il était raisonnable que la SPR tire une conclusion négative en matière de crédibilité compte tenu du fait que la demanderesse n’a pas soutenu être incapable de se rappeler les événements. La SPR n’a pas eu à mentionner expressément le rapport d’évaluation psychologique étant donné qu’il n’a pas été invoqué comme explication des contradictions du témoignage de la demanderesse.

 

[31]           Selon le défendeur, M. Pjetri tente d’expliquer son comportement aux États‑Unis par son état mental, mais aucun des éléments de preuve présentés à la SPR ne démontre l’existence d’un problème psychologique avant 2012. De la même façon, il tente d’expliquer son manque d’empathie à l’égard de sa mère par son propre état mental, mais sans fournir de preuve à l’appui. De plus, cette explication n’a pas été fournie à la SPR. Il est raisonnable de conclure que M. Pjetri aurait aidé sa mère à partir du moment où il aurait pris connaissance des mauvais traitements qu’elle subissait.

 

[32]           Le défendeur soutient que même si les demandeurs allèguent que la SPR aurait dû poser des questions au sujet de leurs antécédents psychiatriques, c’est à eux qu’il incombe de présenter la preuve. De la même façon, Mme Vucaj explique qu’elle n’a pas cherché à obtenir les documents parce qu’elle était traumatisée, même si cette explication n’a pas été fournie à l’audience.

 

[33]           Selon le défendeur, les faits dans la présente affaire sont différents de ceux de Atay c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 201, décision invoquée par les demandeurs, parce que, dans cette affaire, la SPR n’avait pas vérifié si le rapport d’évaluation psychologique avait eu des répercussions sur l’évaluation de la crédibilité et ne s’en était servi que pour établir l’existence d’une crainte subjective ou d’un risque objectif.

 

[34]           Enfin, le défendeur soutient que la SPR a pris en compte et appliqué les Directives et il faut souligner que ces dernières ne peuvent être invoquées pour dispenser les demandeurs de fournir un témoignage crédible et fiable. En l’espèce, les préoccupations quant au témoignage de Mme Vucaj ne résultaient pas de sa réticence à témoigner ou d’une mauvaise évaluation de son comportement, mais plutôt des récits incohérents qu’elle a donnés de son divorce et des événements connexes de même que du défaut de fournir des documents qui auraient étayé des aspects essentiels de sa demande d’asile. La SPR a conclu de façon raisonnable que le rapport d’évaluation psychologique ne suffit pas à surmonter les problèmes de crédibilité.

 

[35]           Il revenait à la SPR d’établir si la preuve psychologique fournissait ou non la meilleure explication des lacunes majeures du témoignage des demandeurs et la Cour ne devrait pas apprécier à nouveau la preuve.

 

V.        Questions en litige

[36]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.   La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son traitement de la preuve relative à l’état mental des demandeurs?

 

2.   La SPR a‑t‑elle appliqué adéquatement les Directives?

 

VI.       Norme de contrôle

[37]           Les conclusions de la Commission en matière de crédibilité font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable; il faut donc faire preuve d’une grande déférence à leur égard (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190). De la même façon, le traitement des Directives par la SPR doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Cornejo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 261, aux paragraphes 16 à 18, 2010 CarswellNat 521; Gonzalez Duran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 855, au paragraphe 12, 2011 CarswellNat 2579).

 

VII.     Analyse

A.        La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son traitement de la preuve relative à l’état mental des demandeurs?

 

[38]           L’évaluation de la crédibilité des demandeurs effectuée par la SPR à la lumière des rapports d’évaluation psychologique est raisonnable pour les motifs suivants.

 

[39]           Premièrement, au début de l’audience, la SPR s’est assurée que les demandeurs comprenaient bien la nature de l’instance et les motifs pour lesquels ils se trouvaient à l’audience. Elle a autorisé Mme Metcalf à être présente à l’audience et à apporter des notes pour aider les demandeurs au besoin, ce qui constitue une mesure exceptionnelle. La SPR s’est donc montrée réceptive et sensible à l’état mental des demandeurs avant l’audience et tout au long de celle‑ci (Karli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 276, aux paragraphes 13 et 14, 137 ACWS (3d) 1007).

 

[40]           Deuxièmement, M. Pjetri interprète mal la déclaration de la SPR relative à la crédibilité de son allégation concernant sa crainte des membres de la famille Ujka. La SPR a souligné que, dans une autre situation, elle aurait pu ne pas tirer une inférence négative du fait qu’un demandeur d’asile peut avoir oublié un élément pertinent eu égard à sa demande d’asile, mais que, dans les circonstances de l’espèce, l’explication selon laquelle il avait simplement oublié que Mira était musulmane doit être rejetée. En effet, l’aspect religieux constituait un élément essentiel de sa demande d’asile aux États‑Unis en 2008; la décision de la SPR de rejeter son explication est donc raisonnable.

 

[41]           Les demandeurs interprètent encore une fois mal la décision de la SPR en alléguant qu’elle leur a imposé un fardeau plus lourd étant donné qu’ils avaient eu l’aide de Mme Metcalf à l’audience. La nomination d’une personne pour aider les demandeurs n’était qu’un des motifs pour lesquels la SPR ne leur accordait pas « une plus grande marge de manœuvre ». Elle n’a jamais imposé un fardeau plus lourd aux demandeurs parce qu’ils avaient obtenu l’aide de Mme Metcalf. La présence de cette dernière avait en fait pour objet de surmonter les difficultés auxquelles étaient confrontés les demandeurs lorsqu’ils présentaient leur version des faits. 

 

[42]           M. Pjetri soutient que la SPR n’a pas fourni d’explication sur la question de savoir si son état mental expliquait les omissions ou l’absence de détails. Or, elle l’a fait tout au long du processus et plus particulièrement au début, lorsqu’elle a déclaré qu’elle aurait normalement accordé une plus grande « marge de manœuvre », mais que, dans les circonstances, les contradictions et les omissions étaient trop flagrantes pour s’expliquer uniquement par le TSPT (Krishnasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 451, au paragraphe 23, 2006 CarswellNat 969). Même si le rapport d’évaluation psychologique révèle que M. Pjetri souffre d’un TSPT, la SPR a établi que ce facteur n’avait rien à voir avec les incohérences qu’elle avait constatées, ce qui est une décision raisonnable (Paplekaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 947, aux paragraphes 18 et 19, 221 ACWS (3d) 940). De plus, dans les arguments de M. Pjetri, aucun élément de preuve relatif à des pertes de mémoire n’a été présenté pour expliquer le manque de crédibilité de sa version des faits.

 

[43]           En ce qui concerne Mme Vucaj, la SPR a examiné le contenu de son rapport d’évaluation psychologique. Elle l’a mentionné au début de sa décision, et c’est un facteur qui a été pris en compte pour autoriser Mme Metcalf à les aider à l’audience. Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient justifiées : son incapacité de fournir des dates était l’un des éléments du raisonnement de la SPR relatif à la crédibilité, tout comme un certain nombre d’autres facteurs importants étant donné que bon nombre d’entre eux justifiaient l’inférence négative quant à la crédibilité de sa demande :

 

1.    Elle n’a fourni ni des éléments de preuve pour démontrer qu’elle avait été hospitalisée ni des documents pour expliquer qu’il lui était impossible d’obtenir son dossier médical en Albanie.

 

2.         Elle n’a pas fourni de copie du rapport établi par la police au moment où elle était hospitalisée.

 

3.         Elle a donné des réponses contradictoires relativement à sa date d’hospitalisation et à la période au cours de laquelle elle avait vécu avec les membres de la famille de son défunt mari.

 

4.         Elle a livré un témoignage incohérent en ce qui concerne lequel des membres du couple avait demandé le divorce.

 

[44]           Même si les problèmes de mémoire sont mentionnés comme un des symptômes de l’état mental de Mme Vucaj, il était raisonnable que la SPR établisse qu’il ne s’agit pas d’une explication suffisante compte tenu des nombreuses incohérences de son témoignage et du défaut de fournir des documents justificatifs.

 

[45]           De plus, la lecture de la transcription révèle que la SPR était réceptive et sensible lorsqu’elle traitait avec les deux demandeurs. La SPR était bien au fait de l’état d’esprit de chaque demandeur, s’appuyait au besoin sur Mme Metcalf et faisait preuve d’une grande sensibilité à l’égard des demandeurs lorsqu’elle les interrogeait. Cette approche empreinte de sensibilité a permis à la SPR d’effectuer une évaluation approfondie de la situation, de prendre en compte les réponses fournies par les demandeurs puis de tirer les conclusions nécessaires et pertinentes en matière de crédibilité.

 

B.        La SPR a‑t‑elle appliqué adéquatement les Directives?

 

[46]           Mes commentaires du paragraphe précédent quant à l’attitude empreinte de sensibilité de la SPR à l’égard de la situation des demandeurs s’appliquent aussi en ce qui concerne sa prise en compte des Directives.

 

[47]           De plus, au début de sa décision, la SPR a précisé qu’elle avait appliqué les Directives afin d’évaluer la demande de Mme Vucaj et rien ne donne à penser que les Directives ont été mal appliquées. La SPR a souligné les graves problèmes de crédibilité concernant la version de Mme Vucaj et la prise en compte des Directives dans le cadre d’une demande fondée sur le sexe d’une personne n’exempte pas Mme Vucaj de l’obligation de fournir des éléments de preuve crédibles et fiables pour étayer sa demande.

 

[48]           Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM‑6584‑12

 

INTITULÉ :                                                  EMERSON PJETRI ET AUTRES c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 avril 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NOËL

 

DATE des motifs :                                 Le 16 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jane Stewart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey L. Goldman

Toronto Immigration Law Services

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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