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Date : 20130417

Dossier : T-1334-12

Référence : 2013 CF 394

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2013

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

 

ANGELA MARCH

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

 

[1]               Mme Angela March (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du ministre du Revenu national (le ministre), représenté en l’espèce par le procureur général du Canada (le défendeur). Dans cette décision, prise le 7 juin 2012, le ministre, par l’intermédiaire de son mandataire dûment autorisé D.K. DiMillo, a refusé d’exercer en faveur de la demanderesse le pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation du délai prescrit à l’alinéa 256(3)a) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 (la Loi).

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Les détails suivants sont tirés du dossier certifié du tribunal (le DCT) et des affidavits déposés par les parties, soit celui de la demanderesse et celui de Dave DiMillo, un employé de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) qui était directeur du Centre fiscal de Summerside(Île‑du‑Prince‑Édouard) de l’ARC pendant la période visée par la demande.

 

[3]               La demanderesse, une résidente de Green’s Harbour (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), a construit une nouvelle maison, qu’elle occupait en mai 2009. Elle a présenté une demande de remboursement de la TPS/TVH pour habitations neuves au titre de la Loi en avril 2011, soit peu avant l’expiration du délai de deux ans prévu à l’alinéa 256(3)a) de la Loi.

 

[4]               Selon son affidavit, la demanderesse a attendu six mois avant de communiquer avec l’ARC, parce qu’elle avait lu que le traitement de la demande de remboursement pouvait prendre jusqu’à six mois. Lorsqu’elle a appelé au bureau de l’ARC à Summerside au début novembre 2011, on lui a mentionné que les registres n’indiquaient pas que sa demande de remboursement avait été reçue. On lui a aussi dit qu’elle aurait dû envoyer sa demande par courrier recommandé. En dernier lieu, on lui a mentionné de présenter sa demande de nouveau et de demander un « allègement pour les contribuables », puisqu’elle avait dépassé de six mois la date limite de dépôt, qui aurait été mai 2011.

 

[5]               La demanderesse a envoyé sa demande de remboursement au bureau de Summerside par télécopieur, le 4 novembre 2011. Lorsqu’elle a appelé pour effectuer un suivi, on lui a dit que la télécopie n’avait pas été reçue. La demanderesse a envoyé une deuxième photocopie, qui a été reçue par l’ARC le 28 novembre 2011. La demanderesse a reçu son avis de cotisation le 7 décembre 2011. En janvier 2012, on a avisé la demanderesse de déposer un avis d’opposition au Centre fiscal de Summerside.

 

[6]               Le dossier indique que le Centre fiscal de Summerside a rédigé, à deux reprises, un [traduction] « document d’information sur la disposition d’allègement pour les contribuables ». Le premier document d’information a été rédigé par un agent de l’impôt du Centre fiscal de Summerside. Ce document a été examiné et signé par deux autres employés, y compris un directeur adjoint, le 12 décembre 2011.

 

[7]               La demanderesse a ensuite reçu une lettre datée du 29 février 2012, qui l’avisait que son appel avait été rejeté. Par lettre datée du 21 mars 2012, la demanderesse a sollicité le réexamen de sa demande visant l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’autoriser le traitement de sa demande de remboursement de la TPS qu’elle avait déposée tardivement.

 

[8]               Un deuxième [traduction] « document d’information sur la disposition d’allègement pour les contribuables » a été rédigé par l’agent Russell Boyle, après que la demanderesse avait demandé que le rejet de sa demande d’allègement pour les contribuables fasse l’objet d’un réexamen. Ce document est daté du 11 avril 2012. Il a été examiné et signé par deux autres employés, y compris M. DiMillo, le directeur, le 7 juin 2012.

 

[9]               Par lettre datée du 7 juin 2012, l’ARC a avisé la demanderesse que sa demande avait été examinée et que le directeur du Centre fiscal de Summerside, M. DiMillo, était d’avis que rien ne justifiait de lui accorder une prorogation du délai pour déposer la demande de remboursement. La demanderesse a aussi été avisée qu’elle pouvait solliciter le contrôle judiciaire de cette décision défavorable auprès de la Cour fédérale du Canada. La demanderesse a introduit la présente demande de contrôle judiciaire le 5 juillet 2012.

 

 

LES OBSERVATIONS

 

[10]           La demanderesse prétend que, selon le rapport qui se trouve à la page 23 du DCT, sa demande de remboursement aurait été acceptée si elle l’avait déposée à l’intérieur du délai prescrit.

 

[11]           Le défendeur soutient que la décision est raisonnable, compte tenu des faits et des lignes directrices qui s’appliquent à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 256(3)b) de la Loi.

 

DISCUSSION ET DÉCISION

 

[12]           La première question à examiner est celle de la norme de contrôle applicable. Étant donné qu’en l’espèce, le litige porte sur la manière avec laquelle le décideur, soit M. DiMillo, a exercé le pouvoir discrétionnaire prévu dans la Loi en ce qui a trait aux faits mis de l’avant par la demanderesse, la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité. La Cour suprême du Canada a mentionné ce qui suit au sujet de l’étendue et du contenu de la « raisonnabilité » dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[13]           Les lignes directrices pertinentes sont énoncées dans le Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu IC07-1, intitulé « Dispositions d’allègement pour les contribuables » (les lignes directrices). M. DiMillo déclarait, à l’alinéa 5g) de son affidavit, qu’il a tenu compte des lignes directrices. Ce document expose, au paragraphe 23, certaines situations dans lesquelles un allègement peut être accordé au contribuable. Parmi ces situations, mentionnons les circonstances exceptionnelles et les actions de l’ARC. Le paragraphe 24 permet au ministre d’accorder un allègement à l’égard de situations qui ne sont pas décrites au paragraphe 23. Le paragraphe 25 donne les exemples suivants de « circonstances exceptionnelles » :

a)         une catastrophe naturelle ou causée par l’homme, telle qu’une inondation ou un incendie;

b)         des troubles publics ou l’interruption de services, tels qu’une grève des postes;

c)         une maladie ou un accident grave;

d)         des troubles émotifs sévères ou une souffrance morale grave, tels qu’un décès dans la famille immédiate.

 

Ces quatre exemples de « circonstances exceptionnelles » figurent aussi dans le guide de l’ARC intitulé « Remboursement de la TPS/TVH pour habitations neuves ». Bien que ce document n’ait pas été versé au dossier certifié du tribunal, il s’agit d’un document public qui est pertinent dans le contexte de la présente instance.

 

[14]           La demanderesse n’a spécifié aucune de ces circonstances comme étant la raison pour laquelle sa demande ne s’était pas rendue au bureau de Summerside en mai 2011, bien qu’elle a laissé entendre dans sa lettre datée du 21 mars 2012 que la livraison du courrier ait pu être perturbée par une grève postale qui avait eu lieu à l’été 2011.

 

[15]           Le dossier révèle que les [traduction] « documents d’information sur la disposition d’allègement pour les contribuables » préparés le 7 décembre 2011 et le 11 avril 2012 donnaient un aperçu des faits pertinents et qu’ils contenaient une analyse relative aux précautions raisonnables prises par la demanderesse. En l’espèce, cette partie comprenait six questions. Des réponses favorables à la demanderesse avaient été données à l’égard de cinq questions; une seule réponse était contraire à ses intérêts. Il s’agissait de la question à savoir si la contribuable, soit la demanderesse, avait fait preuve [traduction] « de négligence ou d’imprudence en ce qui concerne l’observation de la loi ».

 

[16]           Selon l’analyse de l’agent Boyle du 11 avril 2012, la demanderesse avait fait preuve d’imprudence, parce qu’elle [traduction] « n’avait pas fait un effort raisonnable pour s’assurer que la demande de remboursement avait été reçue avant le délai de production ». L’agent Boyle a recommandé le rejet de la demande d’allègement fiscal. Il a mentionné qu’un « conflit de travail » dans les services postaux pouvait expliquer pourquoi la demande n’avait pas été reçue, mais il a aussi relevé que l’interruption intermittente des services postaux avait eu lieu lors du printemps et de l’été 2011 et qu’elle visait uniquement [traduction] « certaines activités de Postes Canada pendant de très courtes périodes ».

 

[17]           M. DiMillo a formulé les commentaires suivants dans sa décision datée du 7 juin 2012 :

[traduction]

Nous avons pris acte de vos commentaires concernant la demande de remboursement présentée tardivement pour l’année 2009 et nous les avons examinés au regard de la loi.

 

Selon mon examen, rien n’indique l’existence d’une erreur ou d’un retard de notre part, ni de circonstances hors de votre contrôle. De plus, les documents fournis ne démontrent pas que la demande a été soumise avant le délai prescrit par la loi. Il s’ensuit que j’ai conclu qu’il ne serait pas approprié d’autoriser une prorogation du délai pour déposer votre demande de remboursement.

 

[18]           Comme il a été mentionné ci‑dessus, la décision prise par M. DiMillo était une décision discrétionnaire au titre du paragraphe 256(3) de la Loi, qui est libellé ainsi :

256 (3) Les remboursements prévus au présent article ne sont versés que si le particulier en fait la demande au plus tard :

 

 

 

 

a) à la date qui suit de deux ans le premier en date des jours suivants :

 

 

(i) le jour qui suit de deux ans le jour où l’immeuble est occupé pour la première fois de la manière prévue au sous-alinéa (2)d)(i),

 

(ii) le jour où la propriété est transférée conformément au sous-alinéa (2)d)(ii),

 

(iii) le jour où la construction ou les rénovations majeures de l’immeuble sont achevées en grande partie;

 

b) à toute date postérieure à celle prévue à l’alinéa a), fixée par le ministre.

256(3) A rebate under this section in respect of a residential complex shall not be paid to an individual unless the individual files an application for the rebate on or before

 

(a) the day (in this subsection referred to as the “due date”) that is two years after the earliest of

 

(i) the day that is two years after the day on which the complex is first occupied as described in subparagraph (2)(d)(i),

 

 

(ii) the day on which ownership is transferred as described in subparagraph (2)(d)(ii), and

 

(iii) the day on which construction or substantial renovation of the complex is substantially completed; or

 

(b) any day after the due date that the Minister may allow.

 

 

[19]           Comme il a été mentionné ci‑dessus, dans la présente affaire, les lignes directrices donnent des indications quant aux facteurs pertinents qui doivent être pris en compte par le décideur. Je ferais remarquer que les questions figurant dans le document d’information sur la disposition d’allègement pour les contribuables fournissent aussi des indications, puisque ces questions mettent l’accent sur les gestes posés par quelqu’un qui veut obtenir le type de réparation que la demanderesse sollicite en l’espèce.

 

[20]           L’alinéa 256(3)b) de la Loi confère au ministre un pouvoir discrétionnaire, et non une obligation, en ce qui a trait aux délais des demandes relatives à la TPS. Le fait que le délégué du ministre détient un pouvoir discrétionnaire ne signifie pas qu’un résultat en particulier, qu’il soit favorable ou défavorable, est décidé d’avance. À cet égard, je renvoie aux propos suivants du juge Rouleau dans la décision Kaiser c Canada (Ministre du Revenu national) (1995), 93 FTR 66, au paragraphe 10 :

[]

Lorsque le ministre n’a pas agi de mauvaise foi, qu’il n’a violé aucun principe de justice naturelle ni pris en considération des facteurs étrangers ou inappropriés, rien ne justifie la Cour d’intervenir dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Je suis incapable de conclure à l’existence d’aucune de ces situations en l’espèce.

 

[21]           Les mêmes considérations s’appliquent en l’espèce. Il n’y a rien au dossier qui étaye l’argument selon lequel le ministre a commis, à l’endroit de la demanderesse, une entorse à la justice naturelle. Le dossier n’indique pas que des facteurs extérieurs ou non pertinents aient été pris en considération dans la présente affaire.

 

[22]           Je suis d’avis que la décision dont je suis saisie est raisonnable. Le décideur a examiné les documents envoyés par la demanderesse. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé en lien avec la preuve qui a été produite. En l’espèce, il n’y avait effectivement aucun élément de preuve à l’appui de la demande de la demanderesse en vue que le pouvoir discrétionnaire soit exercé en sa faveur. À titre d’exemple, il n’y avait pas de preuve concernant le moment auquel le service postal avait été interrompu ou les régions du pays qui avaient été touchées par cette interruption. La demanderesse a fourni un seul document, soit la demande de remboursement de la TPS dûment remplie. Ce document ne peut cependant pas être considéré comme un « élément de preuve » à l’appui de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’allègement pour les contribuables.

 

[23]           Je suis convaincue que le décideur a tenu compte des facteurs qui étaient pertinents et qu’il n’a pas tenu compte de ceux qui ne l’étaient pas. Le refus de proroger le délai pour le dépôt de la demande de remboursement de la TPS était raisonnable dans les circonstances.

 

[24]           Il s’ensuit que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y aura, en vertu du pouvoir discrétionnaire que me confèrent les Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106, aucune adjudication de dépens.


ORDONNANCE

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y aura, en vertu du pouvoir discrétionnaire que me confèrent les Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106, aucune adjudication de dépens.

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge


 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.
COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1334-12

 

INTITULÉ :                                      ANGELA MARCH

                                                            c

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 février 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           Le 17 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Angela March

 

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Mme Deanna Frappier

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

SOLICITORS OF RECORD:

 

Mme Angela March

Green’s Harbour (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

                                                                                                                                                                                   

 

 

 

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