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Date : 20130424

Dossier : IMM-5049-12

Référence : 2013 CF 422

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 24 avril 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

TIBOR TIVADAR MUNTYAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un Rom de Hongrie. Il conteste la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

 

[2]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, qui constituait la question déterminante. À mon avis, la Commission a commis la même erreur que celle que j’ai soulignée dans la décision Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421 [Majoros], et, pour les motifs qui sont énoncés, la demande doit être accueillie.

 

Contexte

[3]               Étant donné qu’elle a conclu seulement que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, la Commission n’a pas pris bien soin de résumer les diverses formes de mauvais traitements subis par le demandeur ni même de décider s’ils équivalaient à de la persécution.

 

[4]               Quoi qu’il en soit, la Commission s’est appuyée sur les allégations contenues dans le Formulaire de renseignements personnels [FRP] du demandeur, ayant conclu, d’après les réponses qu’il avait données aux questions posées, qu’il ne comprenait pas la nature de la procédure. Bien qu’une représentante désignée ait été nommée et qu’elle ait témoigné, son témoignage n’a pas été pris en considération en raison des incohérences qu’il contenait.

 

[5]               Dans son FRP, le demandeur alléguait que, outre la discrimination qu’il avait subie toute sa vie, il avait été personnellement agressé plusieurs fois en 2007 et en 2008, et que les skinheads de la Garde hongroise faisaient régulièrement incursion dans son quartier et lançaient alors des cocktails Molotov, des briques et des pierres sur les maisons des Roms. L’incident allégué qui aurait incité le demandeur à précipiter son départ de la Hongrie s’est produit le 15 mars 2009 :

[traduction] Ce jour-là, fête de l’Indépendance nationale en Hongrie, je me trouvais en soirée dans un stationnement quand six ou sept membres de la Garde hongroise m’ont encerclé. Ils m’ont lancé des injures racistes et ont crié après moi. J’ai dû m’agenouiller, et ils ont introduit une arme dans ma bouche en me disant que je méritais de mourir. Ils portaient des uniformes noirs ornés d’une croix nazie hongroise de la Deuxième Guerre mondiale (croix Nylas). Ils ont dit que c’était un avertissement, que tous les Roms seraient un jour exterminés et que, la prochaine fois, ils tireraient sur la gâchette. Ils m’ont donné quelques coups de pied puis sont partis.

Je n’ai pas signalé l’agression à la police parce que de 30 à 40 % des membres de la Garde hongroise sont ou étaient des policiers. Je l’ai vu dans les nouvelles et les politiciens en ont parlé. Je ne faisais pas confiance à la police et je craignais même de me faire battre par les policiers si je me plaignais d’avoir été agressé par les membres de la Garde hongroise.

 

[6]               Le demandeur a quitté la Hongrie pour le Canada le 2 avril 2009 et il a demandé l’asile à son arrivée à l’aéroport de Toronto.

 

[7]               Comme je l’ai souligné, la Commission n’a pas expressément conclu que le demandeur avait subi de la persécution ou qu’il en subirait s’il rentrait en Hongrie. Après avoir résumé les allégations présentées ci‑dessus, la Commission a plutôt procédé à une analyse limitée et conclu simplement que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. Elle a fondé cette conclusion sur deux vastes motifs :

1.  Le demandeur n’avait pas signalé à la police les mauvais traitements que les skinheads lui avaient infligés;

2.  Selon la preuve documentaire, la Hongrie entend « pren[dre] des mesures pour mener des enquêtes et intenter des poursuites dans les cas de crimes commis contre des Roms » et elle le fait bel et bien (dans certains cas).

 

[8]               Les deux motifs sur lesquels la Commission s’est fondée pour rejeter la demande d’asile du demandeur – l’inaction du demandeur devant la police et la preuve documentaire – souffrent du même défaut que dans Majoros : dans les deux cas, la question de savoir si l’intervention de la police accroît la protection accordée aux Roms de manière prospective et dans la mesure nécessaire n’a pas été examinée.

 

[9]               En ce qui concerne le défaut de M. Muntyan de signaler à la police les mauvais traitements dont il avait été victime, la différence, le cas échéant, qu’un tel signalement aurait faite quant à sa propre protection ou à la protection de ceux qui sont dans la même situation que lui ne ressort pas clairement, étant donné que, selon son témoignage, le demandeur avait été ciblé au hasard par ses agresseurs. Comme dans Majoros, la Commission a accordé beaucoup d’importance au fait que M. Muntyan n’avait pas demandé à la police d’intervenir et a conclu qu’il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, sans vraiment chercher à savoir s’il aurait bien obtenu protection en faisant appel à la police. Pour reprendre la conclusion que j’ai formulée dans Majoros, ni l’article 96 ni le paragraphe 97(1) n’imposent l’obligation de chercher à obtenir la protection de l’État, bien que, dans la plupart des cas, il puisse être pratiquement nécessaire de le faire pour être en mesure de fournir une preuve « claire et convaincante » établissant que l’État ne veut ou ne peut pas offrir de protection. Toutefois, comme je l’ai souligné dans Majoros, quand la persécution est généralisée et systématique, l’omission de signaler de mauvais traitements aux autorités a une valeur probante douteuse.

 

[10]           De plus, comme dans Majoros, la Commission a fait une appréciation déficiente de la preuve documentaire, parce qu’elle a assimilé les mesures prises par le gouvernement hongrois et les arrestations auxquelles il a procédé, peu importe les circonstances, à une protection de l’État adéquate. Elle n’a accordé à peu près aucune attention aux conséquences réelles que ces actions auraient dans l’avenir pour le demandeur ou d’autres Roms.

 

[11]           Même si je concluais que la Commission a fait une analyse raisonnable de la protection de l’État, j’aurais accueilli la présente demande parce que la Commission n’a pas expliqué pourquoi elle a déterminé que l’état de santé mentale actuel du demandeur ne nuirait pas à sa capacité de demander la protection de l’État.

Même s’il se pourrait que ce soit difficile, je ne crois pas que cela l’empêcherait d’avoir accès à la protection de l’État ni que cette protection lui serait refusée.

 

[12]           Compte tenu du fait que la Commission a estimé que l’état de santé actuel du demandeur l’empêchait de comprendre la nature de la procédure de la SPR, sa conclusion selon laquelle le demandeur pouvait « obtenir la protection de l’État [...] au besoin » est déraisonnable et totalement hypothétique, pas plus fondée sur la preuve que la croyance du commissaire.

 

[13]           Enfin, je ne peux passer sous silence, sans commenter son caractère inapproprié et insensible, la remarque finale faite par la Commission quand elle analysait la capacité du demandeur d’avoir accès à du soutien, que ce soit pour les soins médicaux, l’emploi ou les autres aspects essentiels de la vie, remarque selon laquelle « aucun élément de preuve fiable n’indique que la Hongrie laisse simplement les personnes handicapées périr dans les rues ».

 

[14]           Le demandeur a proposé une question aux fins de certification, contestée par le défendeur, demandant si la disponibilité des soins de santé est appréciée en fonction du même critère que la protection de l’État, à savoir si elle est adéquate sur le terrain. À la lumière des conclusions énoncées ci‑dessus, une réponse à cette question de permettrait pas de régler un appel et ne sera pas certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée, la demande d’asile du demandeur est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision, et aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5049-12

 

INTITULÉ :                                      TIBOR TIVADAR MUNTYAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 24 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel M. Fine

 

POUR LE DEMANDEUR

Alex C. Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DANIEL M. FINE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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