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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20130430

Dossier : T-1704-12

Référence : 2013 CF 449

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2013

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

APL PROPERTIES LIMITED

 

demanderesse

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

au nom du MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 13 août 2012 par K. Boudreau, chef des appels, Programme d’allègement pour les contribuables, Section des appels de l’Agence du revenu du Canada (le décideur). Le décideur a refusé la demande d’annulation, ou d’allègement d’intérêts présentée par ALP Properties Limited (la demanderesse) en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) (la Loi).

 

Les faits

[2]               La demanderesse a demandé au ministre du Revenu national (le défendeur) d’annuler les intérêts payables suite à une nouvelle cotisation effectuée par celui-ci.

 

[3]               En 2007, la demanderesse a fait l’objet d’une vérification par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) relativement à l’année d’imposition 2005. Dans un rapport de vérification daté du 5 mars 2009, il était recommandé d’appliquer la règle générale anti-évitement (la RGAE) énoncée à l’article 245 de la Loi à une opération qui avait eu lieu au cours de ladite année d’imposition, ce qui a entraîné le refus d’une déduction de 14 248 233 $ à titre de perte en capital encourue au cours de l’année d’imposition en cause.

 

[4]               Ce n’est que le 26 février 2009 que l’ARC a envoyé à la demanderesse un avis de nouvelle cotisation. L’avis de nouvelle cotisation a été envoyé deux jours seulement avant l’expiration du délai de prescription applicable à l’établissement d’une nouvelle cotisation. Le rejet de l’opération de 2005 a produit des arriérés de 3 564 549,57 $, dont 848 722,88 au titre d’intérêts.

 

[5]               La demanderesse a déposé son avis d’opposition à la nouvelle cotisation le 29 mai 2009, exactement trois mois après que celle-ci fut envoyée.

 

[6]               À la suite de l’avis d’opposition, l’Agence du revenu du Canada a informé la demanderesse, en juin 2009, qu’elle communiquerait avec elle dans un délai de deux à quatre mois. Il n’est pas contesté que ce n’est que dans une lettre datée du 2 février 2010 mentionnant qu’un agent des appels avait été chargé d’évaluer l’opposition que l’ARC a ultérieurement communiqué avec la demanderesse. L’agent des appels a ensuite informé la demanderesse, dans des conversations téléphoniques, que son opposition serait transmise [traduction] « la semaine suivante » à l’administration centrale des appels à Ottawa. L’agent des appels a précisé qu’il devait énoncer les arguments respectifs des parties afin que ceux-ci soient examinés par l’administration centrale des appels dans un délai de deux à cinq mois environ.

 

[7]               Le 8 février 2010, la demanderesse a demandé une copie du rapport du vérificateur (signé le  5 mars 2009) ainsi que de la correspondance échangée avec le comité de la RGAE. Une copie du rapport de vérification a été transmise par l’ARC le 24 février 2010.

 

[8]               La demanderesse a décidé de déposer un avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt le 29 avril 2010. La demanderesse a prétendu que les pertes en capital subies au cours de l’année d’imposition 2005 qui ont été refusées par le défendeur, en conformité avec le paragraphe 245(2) de la Loi, auraient dû être acceptées. L’ARC a répondu à l’avis d’appel le 15 juillet 2010.

 

[9]               L’autre procédure mettant en cause l’avis de nouvelle cotisation s’est poursuivie. Le 3 juin 2010, un rapport concernant l’opposition a été signé par l’agent des appels. Ce rapport mentionnait que l’opposition de la demanderesse allait être renvoyée à l’administration centrale des appels dès qu’un agent des appels aurait examiné l’affaire.

 

[10]           Il semble que, dès février 2011, la demanderesse et l’ARC ont entrepris des négociations relativement à l’appel interjeté auprès de la Cour canadienne de l’impôt. Toutefois, compte tenu du fait que trois dossiers semblables à celui de la demanderesse étaient en cours d’examen par la Cour de l’impôt, les parties ont convenu de mettre en suspens l’appel de la demanderesse.

 

[11]           Les parties ont repris les négociations à la suite de la décision rendue par la Cour de l’impôt dans Triad Gestco Ltd c La Reine, 2011 CCI 259, le 12 juillet 2011.

 

[12]           Dans une lettre datée du 6 octobre 2011, le représentant de la demanderesse a demandé à l’ARC d’annuler les intérêts sur arriérés et les pénalités imposées, et ce, en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi. Il semble que cette demande constituait un élément parmi d’autres dans le cadre d’un règlement possible de l’appel. Le comité sur l’allègement pour les contribuables de la Direction des appels en matière fiscale et de bienfaisance a écrit à l’avocat de la demanderesse pour l’informer quant à l’allègement. Il était écrit ce qui suit dans son mémoire :

[traduction]

 

[. . .] lors d’une réunion du comité sur l’allègement pour les contribuables de la DAFB qui a eu lieu le 20 octobre 2011, le comité a décidé d’accorder un allègement des intérêts pour la période comprise entre le 13 janvier 2008 et le 13 janvier 2009 quant au « retard accusé par l’ARC » à l’étape de la vérification. Le comité était d’avis qu’il était raisonnable, compte tenu de la complexité de la question en litige, que le vérificateur ait dû consacrer 3 ou 4 mois (sic) pour examiner les renseignements fournis par le contribuable, puis produire la lettre de proposition. Par conséquent, trois mois et 12 jours ont été déduits de la période visée dans la demande initiale, soit du 1er octobre 2007 au 13 janvier 2009.

 

 

 

[13]           Dans une lettre datée du 17 mai 2012, la demanderesse a sollicité un deuxième examen. C’est la décision relative à la lettre du 17 mai 2012 qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

La décision contestée

[14]           Dans une lettre de quatre pages datée du 13 août 2012, le représentant du ministre, le décideur, a examiné la question et a pris un certain nombre de décisions. Le décideur a examiné les arguments de la demanderesse et a confirmé l’octroi d’un certain nombre d’allègements et en a refusé certains autres. La question dont est saisie la Cour est celle qui consiste à déterminer, en contrôle judiciaire, si on aurait dû accorder un plus grand nombre d’allègements.

 

[15]           Compte tenu de la nature de la question en litige, il serait peut-être utile d’examiner la lettre plus en détail.

 

[16]           Après avoir cerné les questions soulevées par la demanderesse, le décideur a examiné ces dernières et a tiré des conclusions. Premièrement, en ce qui concerne le temps qui a été pris pour établir une nouvelle cotisation à l’égard de la demanderesse, le décideur a souligné qu’il devait établir la nouvelle cotisation au plus tard le 28 février 2009. Un allègement pour la période comprise entre le 13 janvier 2008 et le 13 janvier 2009 avait déjà été accordé et le décideur a confirmé que cet allègement était raisonnable compte tenu du retard accusé par l’ARC.

 

[17]           Deuxièmement, le décideur se penche ensuite sur la période de temps comprise entre le 26 mai 2009, la date à laquelle l’avis d’opposition a été déposé, et le 2 février 2010, la date à laquelle le contribuable a été avisé que le dossier avait été confié à un vérificateur. Le décideur mentionne que des attentes ont été suscitées par l’ARC, à compter du 24 juin 2009, car la demanderesse a reçu une lettre indiquant qu’on communiquerait avec elle dans un délai de deux à quatre mois. Étant donné que le délai de quatre mois expirait le 24 octobre 2009, la demanderesse s’est vu accorder un allègement pour la période comprise entre le 25 octobre 2009 et le 1er février 2010, car la première communication a eu lieu le 2 février 2010.

 

[18]           Troisièmement, le décideur examine la période comprise entre le 2 février 2010 et le 29 avril 2010, date à laquelle la demanderesse a déposé son avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt. Le décideur mentionne ce qui suit :

[traduction]

 

[…] George Armoyan a été informé que la société avait le droit de s’adresser immédiatement à la Cour de l’impôt si l’appel n’était pas réglé dans les 90 jours, ce à quoi il a répondu que ce n’était pas la voie qu’il désirait emprunter à ce moment-ci parce qu’il était conscient que ces choses prennent du temps et dépendent de la charge de travail.

 

M. Armoyan détenait 100 % des actions ordinaires de la demanderesse. Le décideur conclut qu’aucun allègement n’est justifié parce que le retard était prévu et qu’il était normal dans les circonstances.

 

[19]           Quatrièmement, le décideur examine la période débutant en février 2011 au cours de laquelle des négociations ont eu lieu afin de régler l’affaire à l’amiable. Afin d’expliquer pourquoi l’octroi d’un allègement n’est pas justifié, le décideur affirme qu’il était possible de payer le solde impayé afin d’éviter d’avoir à payer des intérêts. Comme on le sait, le contribuable sera remboursé avec intérêts s’il a gain de cause dans son litige. À l’appui de cette décision, le décideur renvoie à une brochure et à une circulaire publiées par l’ARC. De plus, en ce qui concerne l’entente conclue entre l’ARC et la demanderesse de mettre son appel en suspens pendant qu’une affaire semblable allait être tranchée par la Cour canadienne de l’impôt (Triad Gestco), le décideur conclut qu’aucune entente prévoyant que les intérêts cesseraient de courir n’a jamais été conclue. Le décideur a affirmé ce qui suit : [traduction] « [l]e choix que fait le contribuable d’attendre ne constitue pas un retard causé par l’ARC, par conséquent aucun allègement ne sera accordé pour cette période ».

 

La norme de contrôle

[20]           Lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise a déjà été déterminée par la jurisprudence, la cour qui siège en contrôle judiciaire peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, CSC [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57). Les questions ayant trait au bien‑fondé des décisions discrétionnaires rendues par le ministre en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi sont soumises à la norme de la raisonnabilité (Phillips c Canada (Procureur général), 2011 CF 448; Telfer c Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, au paragraphe 2, et Hoffman c Canada (Procureur général), 2010 CAF 310, au paragraphe 5). En l’espèce, les deux parties se sont entendues quant à la norme de contrôle applicable.

 

[21]           Par conséquent, la Cour s’attardera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[22]           La demanderesse a de plus prétendu par écrit que, compte tenu de Via Rail Canada Inc c Office national des transports, [2001] 2 CF 25, la question de la suffisance des motifs est une question intéressant l’équité procédurale et elle relève de la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[23]           Il a été convenu lors de l’audience que l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, s’appliquait. La suffisance des motifs doit être examinée dans le cadre de l’appréciation du caractère raisonnable de la décision faisant l’objet du contrôle. Le paragraphe 14 est ainsi libellé :

[14]     Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

 

 

[24]           Je vais donc, dans le cadre de mon analyse du caractère raisonnable de la décision, me pencher sur la question de la suffisance des motifs formulés par le décideur.

 

Les arguments des parties

[25]           La demanderesse conteste la décision du 13 août 2012. La décision n’est pas assez étoffée et n’est pas raisonnable, notamment parce que les motifs énoncés seraient, selon elle, insuffisants. Ils ne comportent que peu d’analyse. Ils ne mentionnent rien quant à la raison pour laquelle seules les deux périodes en question ont été choisies par le décideur pour accorder un allègement.

 

[26]           Après avoir examiné les périodes de temps qui se sont écoulées entre les évènements, la demanderesse prétend que la décision est ni transparente ni justifiée. La demanderesse conteste la décision au motif qu’elle rejette les arguments qui n’ont rien à voir avec les cas où l’ARC elle‑même a suscité des attentes. Bien qu’un allègement soit accordé pour une vérification qui a duré trop longtemps et qui a duré plus que les quatre mois dont, selon la lettre de l’ARC du 24 juin 2009, on avait censément besoin pour communiquer avec la demanderesse, aucun autre retard n’est censé justifier l’octroi d’un allègement, peu importe à quel point ce retard est déraisonnable. La période ultérieure au 1er février 2010 ne mérite pas de faire l’objet d’un allègement, car rien d’important ne s’est produit après cette date.

 

[27]           On répond à l’argument du défendeur selon lequel la demanderesse avait la possibilité de payer le montant dû (selon l’ARC), et que les intérêts lui seraient remboursés si elle avait gain de cause dans sa contestation de la cotisation, par la prétention que, poussé à sa conclusion logique, cet argument mène au refus d’accorder un allègement dans tous les cas. Le pouvoir discrétionnaire de l’ARC devient inopérant.

 

[28]           Enfin, la demanderesse se plaint que le défendeur n’a jamais pris en compte la période dans sa totalité, avec la conséquence que des périodes de temps n’ont jamais été prises en compte en ce qui concerne la possibilité d’accorder un allègement. La demanderesse blâme l’ARC pour ne pas s’être penchée expressément sur les facteurs énumérés dans la Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu IC07-1 – Dispositions d’allègement pour les contribuables [Circulaire IC07‑1], qui est censée donner des indications concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 220(3.1) de la Loi.

 

[29]           Le défendeur prétend que la décision est raisonnable et qu’elle est étayée par des motifs suffisants. On a tenu compte de la demande d’allègement et l’affaire a été analysée par périodes, selon les événements qui se sont produits.

 

[30]           C’est au défendeur qu’il appartient d’exercer le pouvoir discrétionnaire prévu par la loi et la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des choix qui ont été faits par le décideur. Le décideur était au courant de tout le temps qui avait été pris, mais ne souscrivait pas à l’opinion de la demanderesse concernant la diligence dont on devait faire preuve dans les circonstances.

 

L’analyse

[31]           Le point de départ est évidemment la disposition qui confère au défendeur un pouvoir discrétionnaire. Le paragraphe 220(3.1) de la Loi est ainsi libellé :

  220. (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la

 

société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

  220. (3.1) The Minister may, on or before the days that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

[32]           Pour les besoins de l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner les dispositions de la Loi en matière d’évitement fiscal. La question de savoir s’il y a eu évitement fiscal au sens de l’article 245 de la Loi n’est pas pertinente en l’espèce.

 

[33]           Par contre, ce qui est pertinent, c’est la compréhension du rôle de la Cour. Comme je l’ai déjà mentionné, l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union s’applique. Il convient de faire preuve d’un certain degré de déférence envers les décideurs. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son opinion quant à savoir comment le pouvoir discrétionnaire doit être exercé. Le rôle de la Cour consiste plutôt à vérifier, pour reprendre les termes utilisés dans Dunsmuir, si la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »   (au paragraphe 47).

 

[34]           Le paragraphe 15 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union constitue une formulation instructive de la norme :

[15]      La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen, mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

 

 

[35]           Le fardeau qui incombe à la demanderesse ne consiste pas à convaincre la Cour qu’elle devrait être en désaccord avec le décideur. Elle doit plutôt démontrer de manière convaincante que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables et rationnelles.

 

[36]           Afin d’apprécier le caractère raisonnable de la décision, les motifs énoncés à l’appui de la décision seront examinés à la lumière de l’issue.

 

[37]           La demanderesse prétend que le défendeur n’a pas examiné tous les points qui ont été soulevés, y compris le point qui consiste à prendre en compte la période dans sa totalité. Toutefois, le décideur n’est pas tenu de faire cela. Je le répète l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union est instructif :

[16]      Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

 

 

[38]           Il suffit que les motifs permettent à la Cour de s’acquitter de sa tâche qui consiste à déterminer s’ils expliquent de manière adéquate pourquoi la décision appartient aux solutions acceptables. « On ne s’atten[d] pas à de la perfection », comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2010 CAF 56, au paragraphe 164, et comme l’a repris avec approbation la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union.

 

[39]           En l’espèce, il est manifeste que la demanderesse voulait obtenir davantage. En réalité, la demanderesse sollicitait un allègement à l’égard de la période dans sa totalité. Il est difficile de voir comment, dans les circonstances, une telle demande pourrait être légitime. Dans le même ordre d’idées, refuser tout allègement semblerait également inadéquat dans les circonstances, au point d’être déraisonnable. Il n’est pas admissible que le traitement d’un dossier fiscal traîne en longueur aux dépens du contribuable. Mais, on a accordé un allègement. La question est plutôt de savoir si le résultat est raisonnable, c’est-à-dire qu’il est loisible au décideur « d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[40]           Malgré la solide argumentation de l’avocat de la demanderesse, la Cour n’est pas convaincue que la décision faisant l’objet du présent contrôle n’appartient pas aux issues acceptables.

 

[41]           La Loi de l’impôt sur le revenu ne dit rien sur la façon d’exercer le pouvoir discrétionnaire. Des indications sont fournies dans la Circulaire IC07-1. La demanderesse reproche au défendeur de ne pas avoir expressément examiné le contenu de la circulaire. La demanderesse renvoie notamment au paragraphe 33, qui est ainsi libellé :

  33. Lorsque des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, des actions de l’ARC, ou l’incapacité de payer ou les difficultés financières ont empêché le contribuable de respecter la Loi, les facteurs suivants seront considérés pour déterminer si l’ARC annulera ou renoncera aux pénalités et aux intérêts, ou non :

 

a. le contribuable a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

 

b. le contribuable a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

 

c. le contribuable a fait des efforts raisonnables et n’a pas été négligent dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d’autocotisation;

 

 

 

d. le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

  33. where circumstances beyond a taxpayer’s control, actions of the cra, or inability to pay or financial hardship has prevented the taxpayer from complying with the act, the following factors will be considered when determining whether or not the cra will cancel or waive penalties and interest:

 

a. whether or not the taxpayer has a history of compliance with tax obligations;

 

b. whether or not the taxpayer has knowingly allowed a balance to exist on which arrears interest has accrued;

 

c. whether or not the taxpayer has exercised a reasonable amount of care and has not been negligent or careless in conducting their affairs under the self-assessment system; and

 

 

d. whether or not the taxpayer has acted quickly to remedy any delay or omission.

 

 

 

[42]           Non seulement il n’est pas nécessaire de renvoyer à tous les arguments, mais, en l’espèce, il est difficile de voir en quoi une mention expresse des facteurs susmentionnés aurait pu aider la demanderesse. Le décideur a fait mention de ces facteurs dans la lettre de décision du 13 août 2012, mais la décision visait un évitement fiscal relativement important (selon l’ARC), à savoir plus de 14 000 000 $, ce qui a généré un montant d’impôt exigible de plus de 2 700 000 $. Manifestement, les facteurs c. et d. ne sont pas favorables à la demanderesse et, au mieux, les facteurs a. et b. sont neutres.

 

[43]           Le décideur a plutôt examiné attentivement l’historique de l’affaire et conclu que lorsque l’ARC accuse un retard indu, l’octroi d’un allègement est justifié. En ce qui concerne la période se terminant le 2 février 2010, un allègement a été accordé pour une année complète (13 janvier 2008 au 13 janvier 2009), en raison du retard accusé par l’ARC à l’étape de la vérification, en plus de trois mois (25 octobre 2009 au 1er février 2010) en raison de l’omission de l’ARC de respecter l’échéance qu’elle s’était fixée pour communiquer avec le contribuable. La Cour ne voit pas comment cette partie de la décision n’appartient pas aux issues acceptables.

 

[44]           En ce qui concerne la période se terminant le 2 février 2010, aucun allègement n’a été accordé. Toutefois, le décideur s’explique en détail, ou à tout le moins assez pour satisfaire à la norme énoncée dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union. Non seulement les dirigeants de la demanderesse étaient en communication avec l’ARC, la demanderesse a porté l’affaire devant la Cour canadienne de l’impôt le 29 avril 2010, grâce à un avis d’appel, en sachant parfaitement que, selon la décision, « ces choses prennent du temps et dépendent de la charge de travail ». En réalité, la décision mentionne que la demanderesse a accepté d’attendre l’issue d’une cause type dont la Cour de l’impôt était déjà saisie. Il n’est pas allégué qu’une entente prévoyant que les intérêts cesseraient de courir entre-temps a été conclue.

 

[45]           Par ailleurs, le décideur a fait valoir avec vigueur qu’il est bien connu que les intérêts continuent de courir au cours de différends avec l’ARC (on a renvoyé à la Brochure P148, Régler votre différend: Opposition et vos droits d’appel selon la Loi de l’impôt sur le revenu) et que le contribuable a la possibilité de payer les sommes dues. Si le contribuable a gain de cause, il sera remboursé avec intérêts. Le décideur affirme que la demanderesse savait qu’elle devait payer des intérêts et conclut que l’octroi d’un allègement n’est pas justifié.

 

[46]           Certains peuvent penser que le décideur aurait pu faire preuve d’une plus grande générosité. Mais là n’est pas le critère. La décision a-t-elle répondu aux exigences de la loi, c’est-à-dire que les motifs expliquent comment un résultat acceptable, qui n’appartient pas aux résultats raisonnables, a été obtenu? Il semble qu’un allègement est accordé lorsque le retard est indépendant de la volonté du contribuable, notamment lorsque c’est la faute de l’ARC. Il appartenait à la demanderesse de démontrer que, hormis son désaccord avec le résultat, il était déraisonnable de la part du décideur de refuser d’accorder un allègement dans une situation autre que celle où l’Agence du revenu peut être tenue responsable du retard encouru ou de démontrer que l’appréciation de la situation où l’ARC reconnaît être responsable était déraisonnable. La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 13 août 2012 par K. Boudreau, chef des appels, Programme d’allègement pour les contribuables, Section des appels de l’Agence du revenu du Canada, par laquelle il a refusé d’accorder à la demanderesse l’allègement qu’elle sollicitait, à savoir l’annulation d’intérêts en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.), est rejetée.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1704-12

 

INTITULÉ :                                      APL PROPERTIES LIMITED c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, au nom du MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 13 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Roy

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 30 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sara L. Scott                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

Caitlin Ward                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart McKelvey                              POUR LA DEMANDERESSE

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

William F. Pentney                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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