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Date : 20130506

Dossier : IMM-2321-12

Référence : 2013 CF 473

 

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

ALLA OKOMANIUK

VOLODYMYR OKOMANIUK

DANA OKOMANIUK

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Alla et Volodymyr Okomaniuk et leur fille Dana, des ressortissants de l’Ukraine, ont demandé la résidence permanente au Canada en décembre 2006. Leur demande a été rejetée par lettre datée du 9 février 2011 au motif que Volodymyr est interdit de territoire à titre d’ancien membre du Service de sécurité ukrainien. Il s’agit de leur demande de contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

 

CONTEXTE :

 

[3]               M. Okomaniuk a travaillé pour le Service de sécurité ukrainien (SBU) de 1995 à 1998 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, particulièrement les risques posés par les extrémistes religieux. Pendant cette période, il a suivi une formation obligatoire de six mois à l’Académie du Service de sécurité ukrainien, mais pas la formation obligatoire de 5 ans destinée aux officiers de carrière du SBU. Il a par la suite travaillé pour la Garde du Département d’État à titre d’« agent de défense » de 1998 à 2000.

 

[4]               Son épouse, Alla Okomaniuk, a suivi une formation d’enseignante, puis est entrée dans la fonction publique en 1997. De 2000 à 2004, elle a été affectée à l’ambassade d’Ukraine à Ottawa en qualité de première secrétaire. Elle a quitté la fonction publique en 2004 et, depuis 2007, le couple gère un restaurant dans la ville de Khmelnytskyi, en Ukraine.

 

[5]               M. Okomaniuk déclare que, pendant l’affectation de son épouse à l’ambassade d’Ottawa, il travaillait pour le Service frontalier de l’État à titre d’agent de sécurité à l’ambassade. Il relevait d’un agent supérieur et, par l’intermédiaire de celui-ci, d’un agent de sécurité appartenant au SBU. M. Okomaniuk affirme qu’il relevait de l’agent du SBU uniquement en ce qui concernait la protection des lieux, les dommages aux biens ou aux véhicules et les situations d’urgence.

 

[6]               Mme Okomaniuk a reçu suffisamment de points pour être admissible à la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés.

 

[7]               D’après les notes au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) figurant dans le dossier du tribunal, en août 2009, une [traduction] « demande de documents au titre du traitement simplifié » a été envoyée aux demandeurs, qui ont fourni des documents sur leur instruction, leur travail et leurs antécédents de voyage, ainsi que des photographies. En octobre 2009, aux termes d’une évaluation, il est ressorti que Mme Okomaniuk avait accumulé suffisamment de points même si son travail à l’ambassade au Canada ne comptait pas au chapitre de la capacité d’adaptation.

 

[8]               Cependant, il s’est avéré nécessaire de clarifier la question de savoir si M. Okomaniuk avait travaillé pour le service de sécurité ou le service de protection de l’État du ministère de l’Intérieur. Les demandeurs ont envoyé des documents supplémentaires, qui ont été reçus en octobre 2009. En avril 2010, une entrevue a été fixée au 19 mai 2010 et a eu lieu comme prévu.

 

[9]               En juin, août, octobre et décembre 2010, les demandeurs ont voulu savoir où en était leur demande et ont appris que celle‑ci était encore à l’étude. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a fourni une recommandation à l’agent d’immigration en décembre 2011. La recommandation a été examinée, et une entrevue a été organisée [traduction] « en ce qui concerne l’équité procédurale ».

 

[10]           D’après les notes, l’entrevue a eu lieu en ukrainien le 7 février 2011, en présence d’un interprète. M. Okomaniuk a été invité à confirmer qu’il avait fait partie du Service de sécurité ukrainien (SBU) de 1995 à 1998, ce qu’il a confirmé. Il a décrit la chaîne de commandement pour son travail d’agent de sécurité au Canada. 

 

[11]           Les alinéas 34(1)a) et f) de la LIPR ont alors été expliqués aux demandeurs. Les demandeurs ont appris que, même si M. Okomaniuk n’était pas visé à l’alinéa 34(1)a), il existait  des motifs raisonnables de croire qu’il tombait sous le coup de l’alinéa 34(1)f).

 

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE :

 

[12]           Les notes du STIDI pour le 7 février 2011 indiquent que tous les renseignements disponibles, y compris la recommandation fournie par l’ASFC datée du 22 décembre 2011, ont été examinés. Il est inscrit : [traduction] « Selon l’information fournie par l’ASFC, j’ai des motifs raisonnables de croire que le SBU est une organisation qui s’est livrée aux activités décrites à l’alinéa 34(1)a) de la LIPR pendant la période au cours de laquelle M. Okomaniuk appartenait à l’organisation. » Étant donné qu’il avait reconnu son appartenance à l’organisation en question,  [traduction] « j’ai par conséquent des motifs raisonnables de croire que M. [sic] est interdit de territoire ».

 

[13]           La lettre de refus datée du 9 février 2011 cite des [traduction] « motifs raisonnables de croire » que M. Okomaniuk est interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f), mais ne fait pas mention du rapport de l’ASFC.

 

QUESTIONS EN LITIGE :

 

[14]           Les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :

a.       Les motifs de l’agent des visas étaient‑ils insuffisants en ce qui concerne la conclusion voulant que les demandeurs sont interdits de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) parce qu’ils ne renfermaient pas une évaluation des activités en question du SBU?

 

b.      L’agent des visas a‑t‑il manqué aux principes de l’équité procédurale en ne communiquant pas le rapport de l’ASFC sur lequel reposait sa conclusion relative au SBU?

 

[15]           Avant l’audience sur cette affaire, le défendeur a présenté une demande pour la protection de certains renseignements figurant dans le dossier certifié du tribunal en vertu de l’article 87 de la LIPR. Une audience à huis clos a été tenue afin d’établir si les renseignements expurgés devraient être communiqués.

 

[16]           Après avoir lu les renseignements que le ministre cherchait à soustraire à la communication et après avoir reçu des éléments de preuve et des observations du défendeur pendant l’audience à huis clos, j’étais convaincu que les renseignements expurgés ne se rapportaient à aucune des questions devant la Cour. Une ordonnance a été rendue, faisant droit à la demande de non‑divulgation du ministre sous réserve de la réception d’observations des demandeurs pendant l’audience publique.

 

[17]           Lors de l’audience publique, l’avocat des demandeurs a fait savoir qu’il n’avait rien à soumettre concernant les renseignements expurgés et qu’il ne croyait pas que ceux‑ci auraient une incidence sur l’issue. Je souscris à cette observation.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES :

 

[18]           Les dispositions de la Loi qui s’appliquent sont les suivantes :

 

 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

      (a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

      c) se livrer au terrorisme;

 

      c) engaging in terrorism;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

 

 A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

 

 

 

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

 

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

 Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander l’interdiction de la divulgation de renseignements et autres éléments de preuve. L’article 83 s’applique à l’instance, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé.

 The Minister may, during a judicial review, apply for the non-disclosure of information or other evidence. Section 83 — other than the obligations to appoint a special advocate and to provide a summary — applies to the proceeding with any necessary modifications.

 

ANALYSE :

 

      Norme de contrôle

 

[19]           La décision d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 34(1) relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent et serait normalement susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Ugbazghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 694, au paragraphe 36. Toutefois, les demandeurs soutiennent que l’agent a limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et n’a pas évalué le mémoire de l’ASFC. Ils affirment que l’agent a tout simplement donné suite au mémoire de l’ASFC sans poser de question et n’a pas, par conséquent, exercé son pouvoir discrétionnaire.

 

[20]           La norme de contrôle applicable lorsque l’agent limite l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est celle de la décision correcte, comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans Thamotharem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, au paragraphe 33.

 

[21]           La seconde question, se rapportant à la non‑communication du rapport de l’ASFC, concerne l’équité procédurale et est également assujettie à un contrôle sans déférence.

 

Les motifs de l’agent des visas étaient‑ils insuffisants parce qu’ils ne renfermaient pas une évaluation des activités en question du SBU?

 

[22]           Les demandeurs soutiennent que l’agent des visas s’est fondé sur le mémoire de l’ASFC pour conclure que le SBU est une organisation visée à l’alinéa 34(1)f) sans mener d’analyse indépendante de la question. Les motifs doivent renfermer suffisamment de détails pour que les demandeurs puissent savoir pourquoi leur demande a été refusée : Ogunfowora c Canada (MCI), 2007 CF 471, au paragraphe 60. En l’espèce, il n’y avait pas de « décisions motivées » comme il est mentionné dans la décision Adu c Canada (MCI), 2005 CF 565, aux paragraphes 10 et 11. Une conclusion d’interdiction de territoire est particulièrement importante pour un demandeur, et il faut faire preuve de circonspection afin de s’assurer qu’elle est tirée comme il se doit. L’obligation de donner des motifs en de telles circonstances est soulignée dans Alemu c Canada (MCI), 2004 CF 997, aux paragraphes 24, 27 et 36. Voir aussi Jalil c Canada (MCI), 2006 CF 246, aux paragraphes 25 à 29.

 

[23]           En l’espèce, le seul motif d’interdiction de territoire était l’appartenance au SBU, et la qualification du SBU était, par conséquent, de la plus haute importance. L’agent n’a pas mené d’analyse indépendante du SBU, se contentant de citer [traduction] « des renseignements fournis par l’ASFC ».

 

[24]           Les demandeurs ont renvoyé à Peer c Canada (MCI), 2010 CF 752 [Peer], au paragraphe 28 :

Je souscris à l’observation du demandeur selon laquelle [traduction] « rien dans les motifs ni dans la preuve ne justifiait de conclure que l’organisation [dont il était membre] s’était livrée de quelque manière que ce soit à l’espionnage ou à la subversion ». L’agente des visas n’a fait état d’aucun fondement quelconque pour conclure que le CMI ou la ISI étaient des organisations tombant sous le coup du paragraphe 34(1) de la Loi. Tout ce qui pouvait étayer cette conclusion se trouvait dans des rapports dont l’agente n’était pas valablement saisie. S’il s’était agi là du seul motif pour conclure que le demandeur était interdit de territoire, la présente demande serait accueillie. Toutefois, l’agente des visas a également conclu que le demandeur avait lui-même été l’auteur d’actes d’espionnage au sens où l’entend l’alinéa 34(1)a) de la Loi.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[25]           En l’espèce, contrairement à l’affaire Peer, le fait que le rapport a ou non été valablement soumis à l’agent n’est pas en cause. Il n’y a pas non plus d’autre fondement relatif à la participation alléguée justifiant l’interdiction de territoire. Il est aussi impossible de dire, à partir des notes du STIDI, si l’agent s’est penché sur la nature du SBU ou à quoi correspond sa conception d’« espionnage ».

 

[26]           Le défendeur soutient que le lien établi par l’agent des visas entre la conclusion fondée sur l’alinéa 34(1)f) et l’alinéa 34(1)a) était suffisamment clair pour les demandeurs et pour la Cour et représentait un fondement suffisant pour un contrôle judiciaire valable : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62. En l’espèce, les demandeurs n’ont nié ni l’appartenance alléguée au SBU, ni l’allégation voulant que le SBU soit l’auteur d’actes d’espionnage.

 

[27]           J’estime qu’il est clair, à partir des notes du STIDI, que l’agent s’est fondé presque totalement sur le rapport de l’ASFC. Cela, en soi, n’a rien d’étonnant étant donné que l’agent n’a pas nécessairement accès à de meilleures sources d’information sur la nature de l’organisation en question. Toutefois, rien dans les notes n’indique non plus que l’agent avait envisagé de communiquer le rapport aux demandeurs, expurgé si nécessaire, et de leur donner la possibilité de répondre aux renseignements qu’il contenait.

 

[28]           J’estime que les motifs fournis sont insuffisants à cause de l’absence d’éléments de preuve attestant d’une évaluation indépendante par l’agent.

 

L’agent des visas a‑t‑il manqué aux principes de l’équité procédurale en ne communiquant pas le rapport de l’ASFC?

 

[29]           Dans Pusat c Canada (MCI), 2011 CF 428, [Pusat], aux paragraphes 28 à 30, la Cour a jugé que la demande de contrôle judiciaire devait être accueillie en raison de la non‑divulgation d’un mémoire de l’ASFC :

28        Le mémoire de l’ASFC dont l’agent a tenu compte en l’espèce était semblable à celui que la juge Eleanor Dawson, maintenant juge à la Cour d’appel, a traité dans Mekonen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1133, 66 Imm. L.R. (3d) 222. Cette affaire concernait aussi une question de divulgation dans le contexte d’une décision fondée sur l’alinéa 34(1)f). Citant les facteurs appliqués par la Cour d’appel fédérale dans Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.) (QL), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bhagwandass, 2001 CAF 49, la juge Dawson était d’avis que les circonstances de l’affaire exigeaient que l’agent fournisse à M. Mekonen le mémoire de l’ASFC ainsi que les documents de source ouverte et qu’il lui permette de déposer des observations en réponse à ces documents. De telles actions étaient nécessaires, déclare la juge au paragraphe 26 de ses motifs, pour donner à M. Mekonen une véritable possibilité de présenter à l’agent des preuves et observations pertinentes à des fins d’examen complet et équitable.

 

29        Au paragraphe 19, la juge Dawson conclut que le mémoire de l’ASFC en question :

a servi d’outil d’assistance judiciaire destiné, selon les termes de la Cour d’appel fédérale dans Bhagwandass [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bhagwandass], « à avoir une influence telle sur le décideur que la communication à l’avance est requise pour “équilibrer les chances” ».

 

30        En l’espèce, le mémoire de l’ASFC contient une recommandation presque identique à celle dont il est question dans Mekonen et indique que l’information transmise à l’agent [traduction] « fournit suffisamment d’éléments de preuve concluants pour justifier l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR ». Comme dans Bhagwandass et Mekonen, la divulgation était nécessaire pour égaliser les chances. Voir aussi la décision Rana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 696, où le juge Sean Harrington a conclu que le demandeur avait été privé de son droit à l’équité procédurale en raison de la non-divulgation d’un rapport dans des circonstances semblables.

 

 

[30]           Le défendeur soutient que les demandeurs ont été informés lors de l’entrevue relative à l’équité procédurale de la réserve tenant au fait que M. Okomaniuk avait été membre du Service de sécurité ukrainien pendant qu’il travaillait à l’ambassade d’Ukraine au Canada et que le SBU était une organisation auteure d’actes d’espionnage. La conclusion du mémoire de l’ASFC a été présentée aux demandeurs pour qu’ils puissent faire des observations à ce sujet, et ils ont eu l’occasion de répondre alors.

 

[31]           Le défendeur soutient que ces démarches étaient suffisantes pour que soient remplies les conditions de l’équité procédurale parce que l’on ne peut établir quels éléments de preuve les demandeurs n’avaient pas pu produire pour réfuter le contenu du rapport. L’on ne peut établir non plus, selon le défendeur, en quoi la communication préalable aurait aidé la cause des demandeurs.

 

[32]           À mon avis, le mémoire en l’espèce constitue un « outil d’assistance judiciaire », tel que décrit dans Pusat, précité, et Mekonen, cité dans Pusat. La situation en l’espèce est différente de l’affaire Johnson c Canada (MCI), 2008 CF 2, où les préoccupations relatives à l’interdiction de territoire découlaient des dispositions de la LIPR. Dans Johnson, le demandeur était interdit de territoire pour avoir été reconnu coupable d’actes criminels. L’agent n’était pas tenu de faire savoir  qu’il était au courant des déclarations de culpabilité de M. Johnson pendant l’entrevue. M. Johnson était au courant des déclarations de culpabilité, et son interdiction de territoire découlait directement d’elles. En l’espèce, l’agent devait établir la nature du SBU et de ses activités, et l’appartenance de M. Okomaniuk à l’organisation, avant de tirer une conclusion sur l’interdiction de territoire.

 

[33]           Il n’était peut-être pas nécessaire de communiquer le mémoire, surtout s’il contenait des renseignements qu’il aurait fallu expurger, mais le contenu ou l’essentiel de la préoccupation relative à la nature du SBU et de la participation de M. Okomaniuk aux activités de celui‑ci aurait dû être communiqué aux demandeurs avant l’entrevue : Nadarasa c Canada (MCI), 2009 CF 1112, au paragraphe 25, citant l’extrait suivant des motifs du juge Rothstein (maintenant à la Cour suprême du Canada) dans Dasent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 CF 720, au paragraphe 23 :

À mon sens, la question qu’il faut se poser est celle de savoir si la requérante a eu connaissance des renseignements de façon à pouvoir corriger les malentendus ou les déclarations inexactes susceptibles de nuire à sa cause. La source des renseignements ne constitue pas un élément distinctif en soi, pour autant que les renseignements ne sont pas connus de la partie requérante. Ce qu’il faut savoir, c’est si celle-ci a eu la possibilité de répondre à la preuve. C’est ce que les règles d’équité sur le plan de la procédure exigent, selon une jurisprudence établie depuis longtemps. Pour reprendre les commentaires bien connus que lord Loreburn L.C. a formulés dans l’affaire Board of Education c. Rice, [1911] A.C. 179 (H.L.), à la page 182:

[traduction] Ils peuvent obtenir des renseignements de la façon qu’ils jugent la meilleure, en accordant toujours à ceux qui sont parties au différend la possibilité raisonnable de corriger ou de contredire toute affirmation pertinente qui est préjudiciable à leur opinion.

Voir également : Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F.  205 (C.A.F.), Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 41, et Knizeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268.

 

 

 

[34]           En l’espèce, les demandeurs n’ont pas eu une possibilité raisonnable de corriger ou de contredire le contenu du mémoire de l’ASFC. Il ressort clairement de l’information produite par les demandeurs en l’espèce que ceux-ci auraient pu produire de tels renseignements s’ils avaient eu la possibilité de le faire. Il ne suffit pas que l’agent demande, à la fin de l’entrevue, s’ils ont autre chose à ajouter.

 

[35]           En somme, je suis convaincu qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et que l’affaire devrait être renvoyée pour être jugée de nouveau par un autre agent. Dans les circonstances, les demandeurs doivent être autorisés à présenter l’information qu’ils auraient produite si l’agent des visas leur en avait donné la possibilité au départ.

 

[36]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée pour certification.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs. Aucune question n’est certifiée.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme
Line Niquet

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2321-12

 

INTITULÉ :                                      ALLA OKOMANIUK

                                                            VOLODYMYR OKOMANIUK

                                                            DANA OKOMANIUK

 

                                                            ET

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 6 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Greg George

Alex Ham

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LORNE WALDMAN

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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