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Date : 20130506

Dossier : IMM‑6082‑12

Référence : 2013 CF 471

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

OLUWAJUWON ROMEO MONDAY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur Monday, un citoyen du Nigéria, a fait l’objet d’une décision défavorable en réponse à sa demande d’examen des risques avant renvoi. Il sollicite le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Il affirme que l’agent d’ERAR a fait abstraction de manière déraisonnable de sa preuve documentaire, a rendu une conclusion déguisée sur la crédibilité et n’a pas tenu une entrevue.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

CONTEXTE

 

[3]               Le demandeur est né au Nigéria en 1974. Il est arrivé au Canada le 24 août 2007 avec un faux passeport et il a demandé l’asile en alléguant qu’il était persécuté en raison de sa foi chrétienne. Sa demande a été rejetée le 29 juin 2010 à cause de son manque de crédibilité. Sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée. La demande de dispense des exigences en matière de visa, qui lui aurait permis de présenter depuis le Canada une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, a elle aussi été rejetée.

 

[4]               Le 28 juin 2011, M. Monday a fait une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Il a allégué que sa sœur et son frère avaient été arrêtés par le service de la sécurité d’État du Nigéria (State Security Service – SSS) à Lagos, parce qu’ils étaient soupçonnés d’être associés au groupe terroriste du Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND), lequel était à l’origine de l’attentat à la bombe perpétré à Abuja le jour de la célébration de l’indépendance, le 1er octobre 2010.

 

[5]               M. Monday affirme qu’il a appris le 18 octobre 2011 que son frère et sa sœur avaient été tués par les autorités d’État le 18 mai 2011. Ils auraient tenté de s’enfuir au moment où le SSS les remettait entre les mains de la police. Les certificats d’enregistrement de décès délivrés par l’hôtel de ville de Lagos ont été présentés à l’appui de la demande d’ERAR de M. Monday. M. Monday a fait remarquer qu’il n’était plus au fait des allées et venues d’aucun des membres de sa famille depuis longtemps. Il s’était fait dire que le SSS tentait de les trouver et de les capturer.

 

[6]               Un ami de la famille, M. Jerry Olawale Martins, a présenté un affidavit dans lequel il disait qu’il avait vu le frère et la sœur de M. Monday être arrêtés et battus avec la crosse d’une arme, et que tous les membres de la famille Monday avaient désormais pris la fuite. Un avocat a produit une lettre et un affidavit confirmant les allégations de M. Monday. Dans la lettre, l’avocat explique qu’il a été embauché pour le compte de M. Monday par un oncle dont il ne peut révéler le nom pour des raisons de sécurité.

 

DÉCISION CONTRÔLÉE

 

[7]               L’agent d’ERAR a reconnu que M. Monday avait présenté de nouveaux éléments de preuve concernant le risque apparu depuis le rejet de sa demande d’asile. En analysant la preuve, l’agent a constaté que des photocopies des certificats de décès avaient été présentées, et non les originaux. La date de décès qui y figurait était le 18 mai 2011 et l’enregistrement des deux décès était en date de juillet 2011. Les causes des décès et le nom de la personne qui avait fourni l’information n’étaient pas inscrits. L’adresse des deux personnes décédées était celle du jeune frère de M. Monday à Lagos, bien que M. Monday ait déclaré qu’ils n’étaient qu’en visite à cette adresse.

 

[8]               L’agent a conclu que les documents ne lui permettaient pas de conclure que le frère et la sœur de M. Monday avaient été torturés ou tués. Il ne leur a accordé aucune importance en tant que preuve que la famille Monday était ciblée en raison de ses liens soupçonnés avec le MEND.

 

[9]               Au sujet de la lettre et de l’affidavit de l’avocat, l’agent a fait remarquer qu’il s’agissait également de photocopies sur lesquelles figuraient des sceaux illisibles et qui ne contenaient ni détails ni dates. L’information contenue dans l’affidavit est semblable mais pas identique à celle apparaissant dans la lettre. L’agent a conclu que les documents n’étaient pas fiables et ne leur a accordé aucun poids. Une lettre rédigée par un voisin dans laquelle il était écrit que le frère et la sœur vivaient à Lagos a également été écartée.

 

[10]           L’agent a conclu que la documentation fournie n’établissait pas que le frère et la sœur décédés de M. Monday étaient membres ou étaient soupçonnés d’être membres du MEND, ni qu’ils avaient été tués. Il n’a pas été établi que le demandeur était personnellement à risque d’être visé en raison de son appartenance, réelle ou présumée, au MEND. La documentation additionnelle sur la situation difficile et la violence au Nigéria n’a pas permis de démontrer un lien avec sa situation personnelle. Aucune entrevue n’a été menée.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]           Les questions soulevées par les parties sont les suivantes :

  1. Était‑il déraisonnable de rejeter les documents présentés par le demandeur?

 

  1. L’agent d’ERAR a‑t‑il tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité qui aurait nécessité qu’il mène une entrevue?

 

ANALYSE

 

            La norme de contrôle

 

[12]           En ce qui concerne la première question, le rejet de la preuve documentaire du demandeur, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, comme il est énoncé dans Martinez Giron c Canada (MCI), 2013 CF 7, aux paragraphes 11 à 13. Le rôle de la Cour n’est donc pas de substituer la décision, qu’elle quelle soit, qu’elle aurait pu rendre à la lumière de la preuve, mais plutôt de déterminer si la décision « [appartient aux] issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

 

[13]           En ce qui concerne la seconde question, les questions d’équité procédurale sont généralement tranchées selon la norme de la décision correcte. Toutefois, il a été établi par la Cour que la question de savoir si une entrevue aurait dû être menée en application du paragraphe 113b) de la LIPR ne soulève pas nécessairement de considérations relatives à l’équité procédurale. Comme l’a déclaré le juge O’Keefe dans Ullah c Canada (MCI), 2011 CF 221, au paragraphe 21, lorsqu’il décide s’il tient ou non une audience, l’agent d’ERAR applique aux faits de l’affaire dont il est saisi les facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et le statut de réfugié, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le fait qu’un agent ne se demande pas s’il devrait tenir ou non une audience soulèverait des questions d’équité procédurale commandant l’application de la norme de la décision correcte.

 

[14]           En l’espèce, l’agent a précisément indiqué qu’il s’était concentré sur les facteurs énoncés à l’article 167 et sur la question de savoir si la tenue d’une audience était requise. J’en conclus donc que la norme de contrôle applicable aux deux questions est celle de la décision raisonnable.

 

Était‑il déraisonnable de rejeter les documents présentés par le demandeur?

 

[15]           Le demandeur soutient que l’agent aurait dû considérer chacun des documents comme faisant partie d’un tout et analyser le récit qu’ils relataient une fois rassemblés. L’agent s’est montré trop critique à l’égard des documents et s’est concentré sur l’information qu’ils ne contenaient pas plutôt que sur celle qui y figurait. Il était injuste de reprocher au demandeur d’avoir présenté des photocopies compte tenu de la difficulté à obtenir des originaux et du fait que les originaux n’étaient en fait même pas requis.

 

[16]           Le défendeur affirme que le demandeur avait le fardeau de la preuve et qu’il n’a pas établi qu’il était exposé à un risque. L’agent avait un certain nombre de doutes raisonnables à l’égard des certificats de décès présentés, de la lettre et de l’affidavit de l’avocat, et de l’affidavit du voisin. Il était raisonnable de sa part de conclure que la documentation ne démontrait pas que le frère et la sœur du demandeur étaient soupçonnés d’être membres du MEND ni que sa famille était la cible des autorités pour cette raison.

 

[17]           Je suis d’avis qu’il ressort clairement de la décision que l’agent a examiné l’ensemble de la preuve. L’appréciation de celle‑ci relevait de sa compétence, et il convient de faire preuve de retenue à l’égard de son évaluation de la valeur probante. Ses préoccupations quant à l’authenticité des documents étaient raisonnables dans les circonstances. L’agent a reconnu qu’il existe un problème de violence et de corruption au Nigéria, mais aucun élément de preuve n’a permis de rattacher cette situation généralisée à la situation personnelle du demandeur.

 

L’agent d’ERAR a‑t‑il tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité qui aurait nécessité qu’il mène une entrevue?

 

[18]           Le demandeur affirme que les risques qu’il a soulevés dans sa demande d’ERAR n’étaient pas liés à ceux qui étaient allégués dans sa demande d’asile et qu’ils n’avaient pas été évalués lors d’une audience. Bien que l’agent ait fondé son analyse sur l’insuffisance de la preuve tendant à établir les allégations du demandeur, le demandeur affirme qu’il a dans les faits tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité dont a dépendu le résultat, et ce, sans accorder l’avantage d’une audience. La Cour doit déterminer si une conclusion relative à la crédibilité a été tirée, explicitement ou implicitement, et, dans l’affirmative, si la décision reposait sur la question de la crédibilité : Prieto c Canada (MCI), 2010 CF 253, au paragraphe 30; Adeoye c Canada (MCI), 2012 CF 680, aux paragraphes 7 et 8.

 

[19]           Cela dit, l’agent n’a pas rejeté le récit du demandeur, et la crédibilité du demandeur n’était pas en cause parce qu’il n’avait aucune connaissance personnelle des événements allégués à l’appui de la demande. Rien ne permettait de relier le demandeur au motif donné pour l’arrestation de son frère et de sa sœur, soit l’attentat à la bombe à Abuja. Le fait de présumer que toutes ses déclarations étaient véridiques ne permettait pas d’inférer qu’il était exposé aux mêmes risques que son frère et sa sœur. Il n’existait aucune preuve directe contre lui, seulement de vagues suggestions formulées par l’avocat. L’agent a rejeté les documents du demandeur et constaté que les éléments de preuve restants ne suffisaient pas à étayer le récit. Il a en outre expressément tenu compte des critères énoncés à l’article 167 avant de conclure qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience.

 

[20]           Dans l’ensemble, la décision satisfait à la norme de la décision raisonnable. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6082‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  OLUWAJUWON ROMEO MONDAY

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jonathan Fedder

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jonathan Fedder

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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