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Date : 20130506

Dossier : IMM‑5768‑12

Référence : 2013 CF 472

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

 

ENTRE :

 

NASRI IBRAHIM EL ACHKAR

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), de la décision du 23 mai 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) refusait au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention ou celui de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la LIPR, respectivement.

 

 

Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen du Liban âgé de 39 ans. Il prétend qu’en février 1997, des agents de l’Armée du Liban du Sud (ALS) ont pris contact avec lui dans l’usine de souliers où il travaillait et l’ont avisé qu’il devait joindre les rangs de l’ALS. Il s’est donc présenté à l’ALS, a suivi l’instruction militaire pendant trois mois et a servi ensuite dans l’ALS de juin 1997 à septembre 1999 en tant que caporal. Plus tard au cours de cette année, il a quitté la zone de sécurité en passant par Tel Aviv et s’est enfui aux États‑Unis, où il a demandé l’asile.

 

[3]               Le demandeur allègue qu’après que les Israéliens se sont retirés de la zone de sécurité en mai 2000, les membres de sa famille immédiate ont été détenus et interrogés par le Hezbollah au sujet de ses allées et venues et de celles de son frère. Il dit aussi craindre d’être persécuté aux mains du Hezbollah libanais parce qu’il a servi dans l’ALS lors des conflits entre le Liban du Sud et le Hezbollah, parce qu’il s’est rendu en Israël, et parce que son frère a participé aux activités du Mossad, l’Institut du renseignement et des opérations spéciales d’Israël. Il prétend aussi qu’il craint pour sa vie et qu’il risque de subir des traitements ou des peines cruels et inusités, dont la torture, de la part du Hezbollah libanais, de ses alliés et des autorités libanaises. Son frère, Ramzi, a obtenu l’asile en Allemagne; il a aussi une sœur qui vit toujours au Liban‑Sud.

 

[4]               Le demandeur s’est vu refuser l’asile aux États‑Unis et est venu au Canada le 11 août 2010. Le 24 septembre suivant, il a demandé la protection du Canada en qualité de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la LIPR et de personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. Dans ses motifs et son jugement datés du 17 mai 2012, la SPR a rejeté sa demande (décision). C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[5]               La décision indique que, pour les motifs qui suivent, la SPR rejette la demande de statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur.

 

[6]               Le défendeur a fait valoir que le demandeur ne pouvait pas bénéficier de la protection du Canada conformément à l’alinéa 1F a) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can no 6 (Convention), étant donné son association passée avec l’ALS. Selon la SPR, des divergences existaient entre l’information fournie dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) et le témoignage oral du demandeur, et les preuves documentaires relativement à son service dans l’ALS étaient insuffisantes. Elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible et que, selon la prépondérance des probabilités, il avait inventé de toutes pièces sa participation au sein de l’ALS pour appuyer sa demande d’asile. C’est pourquoi la SPR a jugé que la demande d’exclusion du défendeur devait être rejetée.

 

[7]               La SPR a ensuite examiné les observations postérieures à l’audience présentées par le conseil du demandeur et selon lesquelles le demandeur risquait la torture ou la mort parce que son frère avait servi dans le Mossad israélien et qu’il avait par conséquent besoin de la protection conférée par l’article 97 de la LIPR. À cet égard, la SPR a fait remarquer que la sœur du demandeur avait toujours vécu au Liban‑Sud et que rien n’indiquait que le Hezbollah lui avait jamais causé des difficultés. En conséquence, il n’était pas probable qu’en retournant au Liban, le demandeur soit exposé à un grave préjudice en raison de la participation de son frère aux activités du Mossad.

 

[8]               La SPR a conclu ainsi : « Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la Section de la protection des réfugiés rejette la demande d’asile suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. »

 

Questions en litige

[9]               Au cours de l’audience, le conseil du demandeur a signalé que, de tous les points soulevés dans la demande de contrôle judiciaire et dans ses observations écrites, un seul était en litige. Essentiellement, il s’agit de savoir si la SPR a fait erreur en n’effectuant pas une analyse distincte au regard de l’article 96 de la LIPR. Il convient de noter que le demandeur ne conteste pas la décision de la SPR relativement à sa crédibilité ou à sa demande d’asile fondée sur l’article 97.

 

[10]           Le défendeur affirme que la seule question en litige est de savoir si le demandeur a prouvé que la décision de la SPR était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables compte tenu de la preuve et du droit applicable.

 

[11]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

i)          Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

ii)         La SPR était‑elle tenue de faire une analyse distincte fondée sur l’article 96 étant donné les circonstances de l’espèce?

 

iii)        Sa décision était‑elle raisonnable?

 

 

Arguments des parties

[12]      Le demandeur fait valoir que la conclusion de la SPR voulant qu’il ne soit pas un témoin crédible ne peut être déterminante de la qualité de réfugié au sens de la Convention. Crédible ou non, il n’en reste pas moins un réfugié s’il satisfait aux composantes subjective et objective du critère applicable à la qualité de réfugié. Dans les arrêts Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1989] ACF no 444 [Attakora], et Armson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1989] ACF no 800 [Armson], la Cour d’appel a statué que la SPR doit tirer ses conclusions non seulement au regard de la crédibilité, mais aussi du bien‑fondé de la crainte alléguée par le demandeur d’asile pour déterminer si la preuve satisfait à la fois à la composante objective et à la composante subjective du critère applicable pour établir la qualité de réfugié.

 

[13]      Le demandeur fait valoir que même si la SPR a rejeté sa preuve quant à son implication dans l’ALS, elle a accepté que son frère participait aux activités du Mossad. Cependant, la SPR a examiné cette preuve uniquement dans le contexte de l’article 97 de la LIPR, à savoir sa demande en qualité de personne à protéger, et non dans le contexte de l’article 96, à savoir sa demande de protection en qualité de réfugié au sens de la Convention. Par conséquent, la SPR a fait erreur en ne déterminant pas, à la lumière de la preuve considérée comme crédible, si le demandeur était admissible en qualité de réfugié au sens de la Convention (Yaliniz c Canada (Minister of Employment and Immigration) (CAF), [1988] ACF no 248; MM c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1991] ACF n1110; Rajaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1019).

 

[14]      Par ailleurs, le demandeur prétend que si la SPR avait fait une analyse fondée sur l’article 96 à la lumière de la preuve qu’elle a reconnue comme crédible, elle n’aurait alors pas eu à appliquer la composante objective du critère de la crainte fondée de persécution prévu à l’article 96 de la LIPR, le critère de la « possibilité raisonnable ». Ce critère est moins strict que celui de la prépondérance des probabilités qui s’applique aux demandes d’asile fondées sur le paragraphe 97(1) de la LIPR (Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1989] ACF n67, aux paragraphes 5 et 8 [Adjei], et Ponniah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 359, au paragraphe 9). Le demandeur fait valoir que le défaut d’effectuer une analyse fondée sur l’article 96 constitue une erreur de droit.

 

[15]      Le défendeur fait valoir que la SPR a effectivement fait une analyse fondée sur l’article 96, mais qu’elle a rejeté ce motif de revendication à cause du manque de crédibilité du demandeur. Le défendeur soutient aussi que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve tendant à prouver qu’il avait une crainte fondée et subjective d’être persécuté en raison d’opinions politiques présumées ou de l’association de son frère avec le Mossad. Le fait que son frère travaillait pour le Mossad ne pouvait à lui seul prouver qu’il craignait avec raison d’être persécuté. Il ne suffit pas d’être apparenté à un individu qui risque d’être pris pour cible pour avoir qualité de réfugié au sens de la Convention en raison d’une appartenance à un groupe social. En l’absence d’une crainte subjective établie, comme la crainte découlant d’actes de persécution commis par le passé contre la famille du demandeur, ou d’autres preuves éloquentes, la demande ne pourrait être accueillie sur le fondement de l’article 96 de la LIPR (Granada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766). Aussi la décision répond‑elle à la norme du caractère raisonnable énoncée dans Dunsmuir (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

 

[16]           Le défendeur soutient que, quoi qu’il en soit, il ne serait pas utile d’accueillir la demande de contrôle judiciaire du demandeur étant donné que « le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir [...] et que la demande ne pourrait être que rejetée » (Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1994] ACF no 949). En effet, le demandeur n’a pas fourni, pour étayer son allégation de persécution du fait de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques présumées, une preuve qui aurait pu changer l’issue de l’audience de sa demande d’asile et c’est pour cela que sa demande ne pouvait qu’être rejetée.

 

Analyse

i)                    La norme de contrôle

[17]           Dans Dunsmuir, précité, la Cour suprême a statué, aux paragraphes 34 et 45, qu’il y a lieu de se fonder sur deux normes de contrôle, celle de la décision raisonnable pour ce qui a trait aux questions mixtes de droit et de fait, et celle de la décision correcte, pour ce qui a trait aux questions de droit. La norme du caractère raisonnable est une norme déférente qui tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Si la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, cette norme peut être adoptée par la cour de révision (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 57 et 62).

 

[18]           Dans la décision Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1055, aux paragraphes 25 et 26 [Gutierrez], le juge Kelen a maintenu ce qui suit :

[25]      La manière dont la Commission a interprété les conditions des articles 96 et 97 de la Loi est une question de droit qui doit être contrôlée d’après la norme de la décision correcte : Josile c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 39, au paragraphe 8.

 

[26]      La question de savoir si les demandeurs sont des personnes à protéger et s’ils sont exposés à un risque particularisé est cependant une question mixte de droit et de fait qui appelle l’application de la norme de la décision raisonnable : voir, par exemple, une décision antérieure rendue par le soussigné, Michaud c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 886, aux paragraphes 30 et 31.

 

[19]           En l’espèce, ce n’est pas l’interprétation juridique des exigences de l’article 96 qui est en litige; la question est plutôt de savoir si la SPR était tenue d’effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 96 pour déterminer si le demandeur avait une crainte fondée d’être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social donné et des activités de sa famille, ou bien en raison d’opinions politiques présumées en faveur d’Israël.

 

[20]           Dans Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923 [Velez], la Cour a été appelée à déterminer si la SPR avait commis une erreur en rejetant les demandes d’asile présentées en vertu des articles 96 et 97 du seul fait de l’absence de crainte subjective, et en n’effectuant pas une analyse distincte fondée sur l’article 97. Le juge Crampton (maintenant juge en chef) a déclaré que la norme de contrôle appliquée dans des cas semblables dépend généralement de la manière dont la Cour qualifie la question. Si elle estime qu’il s’agit d’une question de droit ou que la suffisance des motifs est en jeu, alors la Cour applique la norme de la décision correcte. En revanche, si elle estime qu’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait, la Cour applique alors la norme de la décision raisonnable. Dans la décision Velez, précitée, la Cour a déclaré ceci au paragraphe 22 :

[22]      À mon avis, la décision de la SPR appelle la retenue dans la mesure où elle concerne la question de savoir si elle doit faire une analyse séparée ou combinée pour une demande d’asile présentée à la fois en vertu de l’article 96 et de l’article 97 de la LIPR. Cette retenue se justifie de deux manières : (i) la SPR jouit d’une spécialisation élevée au regard des questions qui sont soulevées dans une demande d’asile relevant des articles 96 et 97 de la LIPR, et (ii) la nature des questions soulevées lorsqu’une demande d’asile est présentée en vertu de ces deux dispositions est telle qu’il n’est souvent pas nécessaire de faire une analyse distincte au regard de chacune d’elles, surtout si la question déterminante concerne la crédibilité du demandeur d’asile ou le niveau de la protection offerte par l’État (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 55, 56, 64 et 66; arrêt Khosa, précité, au paragraphe 44). Dans ce contexte, un non‑acquiescement à la décision de la SPR ne serait pas conforme à l’idée selon laquelle la notion de retenue est « fondamentale au contrôle judiciaire en droit administratif » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 48).

 

[21]           Dans la décision Velez, précitée, s’agissant de la question de savoir si la SPR a commis une erreur en ne faisant pas une analyse distincte fondée sur l’article 97, la norme de la décision raisonnable a été appliquée.

 

[22]           En l’espèce, la preuve présentée à la SPR s’appliquait à la fois à la demande de statut de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 et à la demande de statut de personne à protéger en vertu de l’article 97. Quelle que soit l’analyse, il convient de déterminer si la preuve factuelle suffit à établir l’existence d’une crainte fondée de persécution liée à l’un des motifs prévus par la Convention ou encore d’un risque de torture ou de mort. En conséquence, et compte tenu de la jurisprudence, j’estime que cette question peut être considérée comme une question mixte de droit et de fait et doit être examinée selon la norme du caractère raisonnable (voir aussi Mallampally c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 267, où la cour a appliqué la norme de raisonnabilité à la question de savoir si la SPR avait commis une erreur en ne procédant pas à une analyse fondée sur l’article 96).

 

ii)                  Analyse distincte fondée sur l’article 96

[23]           Un réfugié au sens de la Convention est défini comme suit à l’article 96 de la LIPR :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection

 

 

de chacun de ces pays;

 

 

[...]

96. Convention refugee – A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable, or by reason of that fear, unwilling to avail themselves of the protection

 

of each of those countries; or

 

[...]

 

 

[24]           La « personne à protéger » est définie comme suit à l’article 97 de la LIPR :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

[...]

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

[...]

 

 

[25]           Pour que sa demande d’asile présentée en vertu de l’article 96 soit accueillie, le demandeur doit prouver qu’il craint à raison d’être persécuté. Cette crainte a à la fois une composante objective et une composante subjective. [traduction] « L’élément subjectif se rapporte à l’existence de la crainte de persécution dans l’esprit du réfugié. L’élément objectif nécessite l’appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée. » (Rajudeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1984] ACF no 601). Le demandeur doit établir le bien‑fondé de sa demande selon la prépondérance des probabilités et satisfaire au critère juridique selon lequel il existe une « possibilité raisonnable » ou « plus qu’une simple possibilité » d’être persécuté, autrement dit qu’il existe une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté s’il retournait dans son pays d’origine. « [I]l n’y a pas à y avoir une chance supérieure à 50 % [... mais] il doit exister davantage qu’une possibilité minime » (Adjei, précité, aux paragraphes 4 et 5 et 8 et 9, décision appliquée et expliquée dans Ospina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2011] ACF no 887 [Ospina]).

 

[26]           La norme de preuve qui s’applique aux fins de l’article 97 est la prépondérance des probabilités (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 RCF 239, au paragraphe 14 [Li]). Le critère permettant de déterminer le degré de risque de torture visé à l’alinéa 97(1)a) est celui de la probabilité la plus forte ou « plus probable que le contraire » (Li, précité, au paragraphe 28). La norme de preuve et le critère à appliquer en vertu de l’alinéa 97(1)a) sont distincts (Li, précité, aux paragraphes 29 et 33).

[29]      Il devient immédiatement apparent que les termes utilisés pour décrire la norme de preuve – la probabilité la plus forte – sont ceux qui sont utilisés pour décrire le critère objectif auquel il doit être satisfait afin d’avoir qualité de personne à protéger en vertu de l’alinéa 97(1)a), à savoir, plus probable que le contraire. Même si les termes sont à peu près identiques, il y a deux étapes distinctes. La preuve selon la prépondérance des probabilités est la norme de preuve que le tribunal applique dans l’appréciation d’une preuve afin de tirer ses conclusions de fait. Le critère permettant de déterminer le risque de torture est de savoir, compte tenu des faits dont le tribunal est saisi, si le tribunal est convaincu qu’il est plus probable que le contraire que l’individu serait personnellement soumis à un danger de torture.

 

[...]

 

[33]      Certes, lors d’une audience sur le statut de réfugié, le tribunal peut être appelé à se demander si l’individu est un réfugié au sens de la Convention et s’il est une personne à protéger. Certaines preuves peuvent s’appliquer aux deux décisions. Toutefois, l’article 96 et l’alinéa 97(1)a) sont différents. Par exemple, pour demander la protection en vertu de l’alinéa 97(1)a), l’individu n’est pas obligé d’établir qu’il risque d’être soumis à la torture pour l’un des motifs énumérés à l’article 96. En outre, il existe des composantes tant subjectives qu’objectives nécessaires afin de satisfaire aux exigences de l’article 96: voir Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, au paragraphe 120, le juge Major, alors qu’une demande en vertu de l’alinéa 97(1)a) n’a aucune composante subjective. À cause de ces différences, on ne saurait prétendre que les dispositions sont à ce point semblables qu’il serait illogique que le critère de l’alinéa 97(1)a) ne soit pas identique au critère de l’article 96.

 

[27]           Le critère à appliquer en vertu de l’alinéa 97(1)b) consiste à déterminer s’il est plus probable que le contraire que l’individu soit soumis à un risque de torture (Li, précité, au paragraphe 29).

 

[28]           Si les critères à appliquer en vertu des articles 96 et 97 diffèrent, ces deux dispositions ont toutefois en commun la norme de preuve. Dans chaque cas, le demandeur doit présenter des éléments de preuve tendant à établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits sur lesquels repose la demande (voir Nageem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 867, aux paragraphes 24 à 27).

 

[29]           Ainsi qu’il est mentionné dans le jugement Velez, précité, la décision de la SPR appelle la retenue dans la mesure où elle concerne la question de savoir si la SPR doit faire une analyse distincte ou combinée d’une demande d’asile présentée à la fois en vertu de l’article 96 et de l’article 97 de la LIPR. Pour déterminer si la décision de ne pas effectuer une analyse distincte en vertu de l’article 97 constitue une erreur susceptible de contrôle, la cour a statué qu’il est possible de faire une analyse combinée des revendications (Sida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 901, au paragraphe 15). La question de savoir si le fait de ne pas avoir fait de distinction constitue une erreur susceptible de révision dépend des circonstances particulières de chaque affaire (Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, au paragraphe 16) [Kandiah]). Lorsqu’une analyse distincte n’est pas justifiée par les allégations faites ou par la preuve produite, elle n’est pas requise (Brovina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, aux paragraphes 17 et 18) [Brovina]; Velez, précité, au paragraphe 49).

 

[30]           La jurisprudence est résumée dans la décision Brovina, précitée :

[13]      Dans Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, le juge Blanchard a examiné la question dans le contexte d’une affaire dans laquelle l’identité n’était pas contestée, mais où la situation dans le pays pouvait donner lieu à une crainte objective (tout de même fondée sur la situation personnelle) de risque selon l’article 97, même si on a conclu que la prétention de crainte subjective n’était pas crédible. Le juge Blanchard a noté la distinction entre les demandes fondées sur l’article 96 et celles fondées sur l’article 97 et il a dit que, même si le fondement probatoire pouvait être le même, les demandes devaient être traitées de façon distincte. Mais surtout, pour les besoins de l’affaire qui nous occupe, il a dit : « La question de savoir si la Commission a valablement examiné les deux revendications doit être tranchée, en tenant compte des éléments différents qui sont requis pour démontrer le bien‑fondé de chacune, en fonction des faits d’espèce. » Même si la Commission avait commis une erreur en ne faisant pas une analyse particulière de la demande selon l’article 97, son erreur avait peu d’incidence sur le dénouement de l’affaire.

 

[14]      Dans Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 84, le juge Mosley a dit ceci au paragraphe 27 :

 

À mon avis, la Commission dans la présente affaire n’a pas examiné la documentation sur le pays et les autres éléments de preuve touchant les conditions dans les prisons en Turquie et elle a omis d’examiner la question de savoir si le demandeur pouvait avoir la qualité de « personne à protéger » s’il était renvoyé dans ce pays compte tenu de la possibilité qu’il soit exposé à une [traduction] « sentence sévère d’emprisonnement » pour s’être soustrait au service militaire en Turquie. Malgré les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la Commission, une analyse distincte, dans le sens de celle effectuée dans la décision Bouaouni, précitée, compte tenu du libellé de l’article 97, aurait pu amener à conclure que M. Kilic avait la qualité de personne à protéger. Ainsi, la conséquence de l’erreur commise par la Commission est inconnue et, par conséquent, la présente demande devrait être renvoyée à la Commission afin que, pour ce motif, cette dernière statue à nouveau sur l’affaire.

 

Il est évident que dans la décision Kilic, précitée, on a omis, dans l’analyse faite selon l’article 96, d’examiner certains éléments de preuve qui auraient dû l’être en vertu de l’article 97.

 

[15]      Dans la décision Yorulmaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 128, le juge von Finckenstein a conclu que la décision défavorable de la Commission sur la crédibilité était étayée par les faits et que l’omission de faire une analyse selon l’article 97 n’avait pas d’incidence sur l’issue de la cause, faute de preuve.

 

[16]      Le juge Gibson, dans Kulendrarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 79, a décidé que la Commission n’avait pas commis d’erreur en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité. Puisque la demande était fondée uniquement sur des motifs de la Convention (l’origine ethnique et l’appartenance à un groupe social particulier), les analyses de la Commission sur la crédibilité et le risque ont suffi pour justifier le refus d’accorder le statut de réfugié. Le juge Gibson a de plus conclu que le demandeur n’était pas une personne à protéger parce que, à part un motif visé par la Convention, aucun autre motif à l’appui du besoin de protection n’avait été mis de l’avant. Bien qu’on ait pu espérer une explication plus détaillée de la décision de la Commission relativement à l’article 97, ce manquement ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle.

 

[17]      À mon avis, cette jurisprudence n’exige pas qu’une analyse selon l’article 97 soit faite dans tous les cas. Plutôt, une analyse sera exigée dans certains cas. C’est une question qui doit être examinée au cas par cas. Si des éléments de preuve à l’appui d’une analyse des risques visés à l’article 97 sont soumis à la Commission, alors l’analyse doit être faite.

 

[18]      Donc, même si une analyse distincte selon l’article 97 est souhaitable, l’omission de faire une telle analyse ne sera pas fatale dans des circonstances où aucun élément de preuve ne l’exigerait. Dans l’affaire qui nous occupe, il n’existait pas d’autres motifs à l’appui d’une conclusion que la demanderesse avait qualité de personne à protéger et, pour Mme Brovina, l’analyse du risque a été faite dans le contexte de la protection des réfugiés. De plus, la Commission a effectivement fait une brève analyse du risque visé à l’article 97 lorsqu’elle a tiré la conclusion qu’« il n’existe aucune raison de croire » que Mme Brovina fera face à quelque risque que ce soit si elle rentre en Albanie. La Commission ne disposait d’aucun élément de preuve objectif qui lui aurait permis de tirer une autre conclusion.

 

[31]           Le jugement Bouaouni, précité, a également été pris en compte dans la décision Kandiah, précitée, où le juge Martineau a déclaré ce qui suit:

[13]      Les demandeurs renvoient à la décision Bouaouni, précitée, quant à la proposition selon laquelle l’article 97 doit être examiné à la lumière de chaque cas. La conclusion tirée dans la décision Bouaouni, précitée, a été que le fait de ne pas examiner spécifiquement le risque objectif dont il est question à l’article 97 peut constituer soit une erreur pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire, soit une erreur peu importante selon la preuve déposée et cette décision doit être prise au cas par cas.

 

[14]      Le juge Blanchard a de plus conclu que dans les circonstances particulières de la décision Bouaouni, précitée, l’omission d’analyser spécifiquement la revendication fondée sur l’article 97 ne constituait pas une erreur pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire :

 

Mis à part les éléments de preuve déclarés non crédibles par la Commission, il n’y en avait pas d’autres dont celle‑ci disposait et découlant de la documentation sur le pays ou de toute autre source qui auraient pu conduire la Commission à conclure que le demandeur était une personne à protéger. Dans ces circonstances, je conclus que la Commission a bien commis une erreur en omettant d’analyser spécifiquement la revendication fondée sur l’article 97. Je conclus toutefois également, exerçant à cet égard mon pouvoir discrétionnaire, que cette erreur n’a pas d’effet déterminant sur l’issue de l’affaire.

 

[32]           La Cour a ensuite ajouté que, dans la jurisprudence subséquente, il a été conclu que le défaut de faire une analyse distincte en vertu de l’article 97 peut faire ou non l’objet d’un contrôle judiciaire selon les circonstances, et que « [l]a distinction dépend expressément de la nature de la preuve présentée dans l’affaire » (Kandiah, précitée, au paragraphe 16).

 

[33]           En l’espèce, je dois déterminer si la SPR a commis une erreur susceptible de révision en ne faisant pas une analyse distincte fondée sur l’article 96. La SPR déclare dans sa décision qu’il n’était pas probable que le demandeur subisse un grave préjudice en raison de l’engagement de son frère dans le Mossad s’il retournait au Liban, et rejette la demande présentée en vertu des articles 96 et 97.

 

[34]           À mon avis, bien que la SPR ne précise pas dans sa décision qu’elle a fait une seule analyse combinée fondée à la fois sur l’article 96 et sur l’article 97, elle aurait été en droit de le faire dans les circonstances. Toutefois, même si la SPR aurait dû faire une analyse distincte fondée sur l’article 96, et qu’elle ne l’a pas fait, cela n’a pas influé sur sa conclusion et ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

 

[35]           J’en arrive à cette conclusion en me fondant essentiellement sur la preuve qui a été présentée à la SPR. En ce qui concerne l’association du frère du demandeur avec le Mossad, le demandeur n’a pas précisé dans son FRP le groupe social duquel il prétendait être membre ou à l’égard duquel il éprouvait une crainte fondée de persécution. Il en est question dans l’énoncé des faits annexé où il déclare ceci :

[traduction]

Au Liban, le Hezbollah et ses alliés et les autorités libanaises me puniront d’avoir servi comme caporal dans l’armée du Liban du Sud, de m’être rendu en Israël et d’avoir un frère nommé Ramzi qui a travaillé pour le Mossad. Ils me tortureront jusqu’à ce que je leur avoue l’ampleur de ma participation dans l’ALS et l’armée israélienne et de l’implication de Ramzi dans le Mossad. En mai 2000, après le retrait d’Israël, les membres de ma famille immédiate ont été détenus et interrogés par le Hezbollah au sujet de mes allées et venues et de celles de Ramzi parce que nous étions recherchés par le Hezbollah. [...] Je ne serai pas en sécurité au Liban en raison de mon association passée avec l’ALS. De plus, la participation de mon frère Ramzi aux activités du Mossad israélien met ma vie en danger au Liban. Mon frère s’est enfui en Allemagne, où il a obtenu l’asile et la citoyenneté.

 

[36]           Cette question n’a pas été soulevée à l’audience devant la SPR si ce n’est d’une observation qu’a faite l’avocat du demandeur à l’issue de l’audience et selon laquelle même si la SPR n’avait pas retenu la preuve de la participation du demandeur dans l’ALS, [traduction] « le fait que le frère du demandeur, Ramsi, était membre du Mossad mettait la vie du demandeur à risque qu’il ait ou non servi dans l’Armée du Liban‑Sud ». L’avocat a poursuivi sa pensée au sujet du Hezbollah :

[traduction]

[...] c’était une situation dangereuse pour lui et il existe une possibilité raisonnable qu’il soit kidnappé et torturé tout simplement pour pousser son frère à se rendre, son frère qui travaillait pour le Mossad israélien et qui aurait détenu des informations que le demandeur n’aurait pas connues, lui‑même n’étant que simple soldat. Mais un membre du Mossad aurait été bien plus utile à l’Hezbollah. Cette situation était donc dangereuse pour lui. [...]

 

[37]           Étant donné cette observation donnée de vive voix par l’avocat lors de l’audience, la SPR a demandé au demandeur de présenter des observations par écrit au sujet de l’article 97. Voici comment ces observations ont été traitées dans la décision :

[13]      Après l’audience, le conseil du demandeur d’asile a présenté des observations écrites pour que la demande d’asile soit acceptée suivant l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Comme le frère du demandeur d’asile a fait partie du Mossad et a été reconnu comme réfugié en Allemagne, le conseil est d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile sera exposé au risque de torture ou à une menace à sa vie étant donné que le Hezbollah s’intéressera à lui pour recueillir des renseignements concernant son frère Ramzi.

 

[14]      La sœur du demandeur d’asile est également la sœur de Ramzi et elle a vécu continuellement au Liban‑Sud. Rien ne prouve qu’elle ait eu des problèmes quelconques avec le Hezbollah. Par conséquent, je suis convaincu qu’il n’est pas probable que le demandeur d’asile subisse un grave préjudice en raison de l’engagement de son frère dans le Mossad s’il retournait au Liban aujourd’hui.

 

[38]           La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible et a rejeté la preuve de son engagement militaire dans l’ALS. Elle a accepté l’allégation du demandeur voulant que son frère avait participé aux activités du Mossad et a effectué une autre analyse de cet aspect de la question en se fondant sur l’article 97. Toutefois, la SPR a conclu que le risque allégué par le demandeur n’était pas fondé parce que rien ne prouvait que les autres membres de sa famille, et en particulier sa sœur qui vivait au Liban du Sud, avaient été persécutés par le Hezbollah à cause de l’association du frère avec Mossad.

 

[39]           La SPR a conclu qu’il n’était pas probable que le demandeur subisse un préjudice en raison des activités de son frère. Bien que tirée par suite de l’analyse fondée sur l’article 97, cette conclusion impliquait aussi que le demandeur ne pouvait pas, à la lumière des mêmes éléments de preuve, satisfaire à la norme de preuve prescrite dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article 96. Autrement dit, en l’absence de toute preuve au dossier susceptible d’établir que la crainte de persécution du demandeur était fondée, la SPR n’était pas tenue de procéder à une analyse distincte ou additionnelle fondée sur l’article 96. En outre, même si elle l’avait fait, cette absence d’éléments probants aurait empêché le demandeur de prouver à la fois qu’il éprouvait à raison un crainte de persécution et qu’il était lié à un groupe social donné, en l’occurrence sa famille, dont nous traiterons ci‑après.

 

[40]           La jurisprudence de la Cour et celle de la Cour d’appel fédéral établissent que l’appartenance à une famille peut tenir d’appartenance à un groupe social aux fins d’une demande d’asile, mais le fait qu’un membre de la famille ait été persécuté ne donne pas à tous les autres membres de la famille la qualité de réfugié (Pour‑Shariati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1997] ACF no 810). Comme l’a déclaré le juge Mosley dans la décision Ndegwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] ACF n1071, aux paragraphes 8 et 9 :

[8]        La loi exige qu’un demandeur d’asile prouve qu’il existe un lien personnel entre lui et la persécution qu’il allègue fondée sur l’un des motifs prévus à la Convention. Par conséquent, la persécution indirecte n’est pas un fondement solide pour la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention : Pour‑Shariati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1997), 215 N.R. 174, 39 Imm. L.R. (2d) 103 (C.A.) (Pour‑Shariati); Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766, [2004] A.C.F. no 2164 (QL).

 

[9]        La reconnaissance de la famille comme groupe social aux fins d’une demande d’asile est bien établie dans la jurisprudence. Dans les cas où la demande d’asile est fondée sur l’appartenance à un groupe familial, il faut démontrer l’existence d’un lien personnel entre le demandeur et la persécution qui aurait été exercée pour un motif prévu à la Convention : Pour‑Shariati, susmentionné. Il n’est pas suffisant de faire valoir la persécution subie par des membres de la famille s’il est peu probable que le demandeur soit directement touché. En l’espèce, il existe un lien suffisant entre la demande d’asile du demandeur et la persécution subie par sa femme et sa fille. Le demandeur est le mari et le père des femmes et, par conséquent, la décision de ne pas faire exciser sa fille lui ferait directement courir un risque.

 

[41]           Dans la décision Granada, précitée, le juge Martineau précise au paragraphe 16 le type de preuve qui doit accompagner les demandes présentées en vertu de l’article 96 de la LIPR :

[16]      La famille peut être considérée comme un groupe social uniquement dans les cas où certains éléments de preuve indiquent que la persécution vise les membres de la famille en tant que groupe social : Al‑Busaidy c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 139 N.R. 208 (C.A.F.); Casetellanos c. Canada (Solliciteur général), [1995] 2 C.F. 190 (C.F. 1re inst.); Addullahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 122 F.T.R. 150; Lakatos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 408, [2001] A.C.F. n657 (C.F. 1re inst.) (QL). Cependant, l’étendue du principe de l’assimilation de la famille à un groupe social n’est pas illimitée; la famille en question doit elle‑même, en tant que groupe, être l’objet de représailles et de vengeance. En d’autres termes, les demandeurs doivent être ciblés et visés simplement parce qu’ils sont membres de la famille, même s’ils ne se sont jamais mêlés de politique eux‑mêmes et ne le feront jamais (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bakhshi, [1994] A.C.F. n977 (CAF) (QL). [...]

 

[42]           Compte tenu de cette jurisprudence, il est évident que le demandeur ne s’est pas convenablement déchargé du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il éprouvait une crainte fondée de persécution qui aurait pu lui valoir la qualité de réfugié au sens de la Convention du fait de son appartenance à la famille de son frère. Rien ne prouvait que d’autres membres de la famille risquaient la persécution ou que le demandeur risquait aussi d’être persécuté du fait de l’association de son frère avec le Mossad. Plutôt, comme l’indique la SPR dans sa décision, la preuve établissait que la sœur du demandeur avait toujours vécu au Liban du Sud et que le Hezbollah ne lui avait jamais causé de difficultés. Aussi aucune analyse distincte de la preuve selon l’article 96 ne s’imposait.

 

[43]           Pour conclure, il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la SPR dans sa décision de procéder à des analyses distinctes ou à une analyse intégrée des demandes présentées à la fois en vertu de l’article 96 et de l’article 97. En l’espèce, l’intention de la SPR n’est pas claire. Toutefois, bien qu’une explication de la décision de la SPR au regard de la demande présentée en vertu de l’article 96 aurait été souhaitable, le fait de ne pas l’avoir dans les circonstances de l’espèce n’est pas fatal.

 

[44]           Les éléments de preuve étaient en l’espèce communs aux deux demandes, et aucun autre élément de preuve ne justifiait une analyse distincte. Plus précisément, à défaut de preuve appuyant l’allégation du demandeur selon laquelle il risquait d’être persécuté en raison de l’association de son frère avec le Mossad ou en raison de ses opinions politiques présumées, le demandeur ne pouvait pas s’acquitter du fardeau qui lui incombait de prouver ses allégations fondées sur les articles 96 ou 97. Par conséquent, même si la SPR avait fait erreur en n’effectuant pas une analyse distincte fondée sur l’article 96, ce que je ne crois pas en l’espèce, cette erreur n’est pas sujette à un contrôle judiciaire, car elle n’est pas déterminante de l’issue du dossier.

 

iii)                Le caractère raisonnable

[45]           Comme il est indiqué dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, le caractère raisonnable est une norme déférente qui tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Pour les raisons susmentionnées, je considère que la décision était raisonnable et qu’elle s’inscrit dans la gamme des issues possibles acceptables en l’espèce.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et aucune n’est soulevée.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie‑Michèle Chidiac, trad. a

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5768‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  NASRI IBRAHIM EL ACHKAR c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Rokakis

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rafeena Rashid

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Rokakis

Avocat

Windsor (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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