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Date : 20130506

Dossier: IMM-7951-12

Référence : 2013 CF 470

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2013

En présence de Monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

LUIGI D’AMICO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande est un contrôle judiciaire visant la décision négative de la Section d’appel de l’immigration [SAI] rendue le 20 juillet 2012 relativement à l’appel d’une mesure de renvoi prononcée contre le demandeur le 14 février 2006.

 

 

 

 

I.          Faits

[2]               Le demandeur est né le 14 décembre 1938 en Italie. Il a immigré au Canada à l’âge de 18 ans et est aujourd’hui âgé de 73 ans. Il est un résident permanent.

 

[3]               Il est divorcé et vit seul à Granby dans un appartement. Il a quatre enfants et onze petits-enfants canadiens, dont plusieurs habitent près du domicile du demandeur à Granby ou sur la Rive-Sud. Il n’a plus de conjointe.

 

[4]               En 1992, le demandeur a été condamné pour tentative d’entrave à la justice et pour omission de comparaître. En 1995 et 1997,  il a été condamné suite à deux accusations de conduite avec facultés affaiblies par l’alcool. En 1998, Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] lui a transmis une lettre l’avisant qu’il a commis une infraction grave, soit une tentative d’entrave à la justice pour laquelle il pourrait être expulsé du Canada. CIC a néanmoins choisi de ne pas soumettre le demandeur à une enquête et a décidé qu’elle réévaluerait la situation si le demandeur était reconnu coupable d’autres infractions criminelles.

 

[5]               Le 25 novembre 2005, le demandeur a été visé par un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] en raison de condamnations pour trafic de cocaïne, possession de drogue en vue d’en faire le trafic et de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool, pour lesquelles il a plaidé coupable.

 

[6]               Une mesure d’expulsion fut prise contre l’appelant le 14 février 2006 par la Section de l’immigration [SI], car il fut déterminé que celui-ci était visé par l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[7]               Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la SAI. Elle décida le 20 février 2007 de sursoir pendant 3 ans à l’exécution de la mesure d’expulsion afin de laisser l’opportunité au demandeur de montrer qu’il est réhabilité.

 

[8]               Le 12 septembre 2007, le demandeur a été accusé de production de cannabis, de possession

de cannabis, de possession de cannabis en vue d’en faire le trafic et de conduite d’un véhicule moteur alors que cela lui était interdit. Le demandeur n’a pas avisé l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] de ces accusations.

 

[9]               Le 30 mai 2008, il fut décidé que le sursis serait maintenu aux mêmes conditions jusqu’à la révision finale prévue le ou vers le 20 février 2010.

 

[10]           Le 13 octobre 2009, la SAI a décidé de maintenir le sursis accordé au demandeur en attente du résultat des accusations criminelles portées contre lui en septembre 2007 en rappelant à celui-ci qu’il est en violation des 2e, 5e et 9e conditions de son sursis.

 

[11]           Le 3 mai 2010, le demandeur ne s’est pas présenté à son rendez-vous bisannuel avec l’ASFC et s’est présenté un mois plus tard.

 

[12]           Lors du Projet Colisée, il fut découvert que le demandeur ainsi que ses fils Patrizio et Tiziano ont des liens avec la mafia. Le demandeur a d’ailleurs admis qu’il considère Francesco Arcadi comme son fils ainsi que son implication dans le remboursement d’une somme de 900 000 $ à son fils, pour des travaux de construction.

[13]           Le 13 janvier 2012, le demandeur a été acquitté des accusations portées contre lui en 2007 en raison de l’absence d’un témoin important.

 

II.        Décision révisée

[14]           La SAI, dans sa décision rendue suite au réexamen final aux termes du paragraphe 68(3) de la LIPR, lequel a eu lieu le 4 avril 2012, a déterminé que le demandeur doit être renvoyé en Italie.

 

[15]           Dans un premier temps, la SAI a entendu le témoignage de l’appelant lors de l’audience d’avril 2012 et a écouté l’enregistrement de l’audience de 2007. Elle a ensuite examiné la jurisprudence applicable à la question d’un réexamen d’appel d’une mesure d’expulsion pour grande criminalité et plus particulièrement, les facteurs énoncés dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4, 1986 CarswellNat 1357 [Ribic] confirmés par les arrêts Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84 et Al Sagban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 4, [2002] 1 RCS 133 de la Cour suprême du Canada.

 

[16]           En ce qui a trait à la gravité des infractions à l’origine de l’expulsion, la SAI conclut que celles-ci sont importantes. Le demandeur a reçu en 1998, un avertissement sévère de CIC et celui-ci a néanmoins commis d’autres crimes d’une gravité importante et la SAI a ainsi jugé que le premier facteur de Ribic, précitée ne milite donc pas en faveur de celui-ci.

 

 

[17]           Deuxièmement, la SAI conclut que le demandeur n’a pas démontré une possibilité de réadaptation. La SAI a constaté que celui-ci n’a pas respecté quatre conditions émises en 2007. Le demandeur n’a pas signalé à l’ASFC par écrit et sans délai les accusations criminelles portées contre lui en 2007. Le demandeur a plutôt été mis devant ce fait lors de son rendez-vous bisannuel, environ deux ans après avoir été accusé. Il a faussement déclaré avoir été acquitté de ces charges. De plus, le demandeur ne s’est pas présenté à l’ASFC le 20 mars 2008 et le 3 mai 2010. Le demandeur a fourni une copie de son passeport deux ans après l’émission de cette condition par le tribunal. Enfin, il n’a pas informé l’ASFC de ses rencontres avec son agent de libération conditionnelle ni fourni une copie de son rapport de mise en liberté (condition numéro 10).

 

[18]           Les mandats de perquisition obtenus par la police de Granby étaient fondés sur plusieurs rapports datant de 1999 et s’étalant jusqu’au mois d’avril 2003, ce qui démontre que le demandeur a trafiqué de la drogue durant une période plus grande que celle déclarée. De plus, plusieurs éléments de son témoignage à l’audience de 2012 entrent en contradiction directe avec son témoignage de 2007 notamment en ce qui a trait au détail du trafic de drogue et ses contacts avec des gens se livrant à des activités criminelles.

 

[19]           La SAI a aussi considéré que depuis l’émission du sursis en 2007, le demandeur a à nouveau été accusé de possession de cannabis, de possession de cannabis en vue d’en faire le trafic et d’avoir conduit un véhicule moteur alors que cela lui était interdit. Ses explications, notamment son ignorance du fait que trois des endroits à proximité dans sa vie quotidienne servaient à entreposer de la drogue furent considérées comme étant dénuées de crédibilité par la SAI.

 

[20]           En ce qui a trait au degré d’établissement du demandeur au Canada, la SAI a noté que celui-ci s’y trouve depuis plus de 50 ans, que celui-ci n’a pas fourni de preuve de sources de revenus et que les entreprises qu’il a ouvertes ne sont plus en activité et qu’il vit de l’aide de ses enfants, en plus de sa pension de vieillesse.

 

[21]           En ce qui a trait à l’impact du renvoi du demandeur sur sa famille, la SAI a noté que le demandeur est divorcé, qu’il a des enfants et petits-enfants, mais qu’il n’a pas de conjointe. Celle-ci conclut que la famille du demandeur est un facteur positif pour le demandeur.

 

[22]           Enfin, en ce qui a trait à l’intérêt supérieur des petits-enfants du demandeur, la SAI conclut qu’il n’est pas dans l’intérêt que ceux-ci gardent des liens avec leur grand-père, lequel a des liens avec la mafia et a commis plusieurs actes criminels, d’autant plus qu’il leur serait toujours possible d’aller lui rendre visite en Italie.

 

[23]           Enfin, la SAI considéra que le soutien de l’appelant au sein de la communauté ne joue pas en sa faveur, car il semble fréquenter des personnes ayant des liens avec la mafia d’autant plus que le retour en Italie, un pays démocratique, ne serait pas difficile, car des membres de sa famille s’y trouvent.

 

III.       Position du demandeur

[24]           Dans sa décision, la SAI fait continuellement allusion à la preuve et au témoignage du demandeur soumis en 2007, cinq ans auparavant, lors de l’audience au sujet de l’octroi du sursis et y trouve des éléments contredisant la preuve et le témoignage de l’audience du 4 avril 2012. À aucun moment la SAI n’a informé le demandeur qu’elle considérerait le témoignage fourni lors de l’audience de 2007. Le demandeur est d’avis qu’elle aurait dû donner au demandeur l’opportunité d’être confronté à de telles contradictions et de donner des explications et ne pouvait tirer de conclusion négative quant à sa crédibilité sans fournir cette occasion au demandeur. Une telle règle relève de la justice naturelle. La SAI ne pouvait pas non plus noter une violation à la condition numéro 10 du sursis, sans fournir l’occasion au demandeur de donner une explication à ce sujet. De plus, le demandeur est d’avis que la crédibilité est un point clé de la décision de la SAI.

 

[25]           La SAI a commis des erreurs importantes en notant que lors de l’audience de 2007, le demandeur et son fils Tiziano ont témoigné au soutien de l’appel. De plus, la SAI s’est trompée en mentionnant que le demandeur dit avoir rencontré Nick Piccirilli dans le cadre de ses discussions avec Frank Arcadi. En effet, le demandeur n’a jamais rencontré Nick Piccirilli et n’en connaît aucun. Cela démontre que la SAI n’avait pas une bonne compréhension du dossier.

 

[26]           De plus, la SAI reproche au fils du demandeur, Patrizio, de ne pas avoir été franc au sujet de son passé criminel lors de l’audience en 2007, car il n’aurait pas déclaré notamment avoir été accusé d’une infraction en 2009. Cette infraction n’avait alors pas encore été commise.

 

[27]           La SAI s’est trompée au sujet du nombre de frères et de sœurs qu’a le demandeur en Italie. De plus, contrairement à ce que prétend le tribunal le demandeur n’a plus de contact avec ses frères et sœurs et il n’a jamais indiqué avoir des contacts avec sa famille se trouvant en Italie.

 

[28]           La SAI n’a pas évalué à sa juste valeur le degré d’établissement et de réhabilitation du demandeur. La SAI n’a pas non plus été sensible et attentive à l’intérêt supérieur des enfants mineurs directement affectés par la mesure d’expulsion.

 

IV.       Position du défendeur

[29]           Le défendeur soumet que le demandeur cherche à ce que la Cour réévalue la preuve de manière plus favorable à ce dernier. Il ne relève pas du rôle de cette Cour de reconsidérer le poids accordé à chacun des facteurs de la décision Ribic, précitée.

 

[30]           Le défendeur soumet que la SAI n’a commis aucun manquement à la justice naturelle. Elle n’était pas dans l’obligation de confronter le demandeur, lors de l’audience du 4 avril 2012, à la version du témoignage donnée en 2007 par lui. En effet, si le demandeur disait la vérité, les deux versions auraient été les mêmes. Il était donc loisible à la SAI de tirer des conclusions défavorables au demandeur. De plus, celle-ci n’avait pas à confronter le demandeur avec le manquement à la condition numéro 10, soit son défaut de transmettre le rapport de son agent de libération conditionnelle, car les explications du demandeur à ce sujet n’auraient rien changées.

 

[31]           De plus, il a été établi dans la décision Martinez de Quijano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1232, 2009 CarswellNat 4947 que le tribunal n’a pas l’obligation de confronter le demandeur à des éléments de preuve qui ne sont pas extrinsèques.

 

[32]           Enfin, les contradictions soulevées ne constituent pas la base de la décision de la SAI. Elles ne font que corroborer la preuve documentaire objective à laquelle le demandeur a été confronté à l’effet qu’il a constamment minimisé son passé criminel afin de bénéficier d’un sursis.

 

[33]           Le défendeur est d’avis que la SAI pouvait constater tous les manquements aux conditions du sursis même si elles n’ont pas toutes été soulevées par celui-ci.

 

[34]           Le défendeur note que le demandeur a fourni un témoignage contradictoire au sujet de ses relations avec sa famille en Italie, car alors qu’il déclare dans son affidavit ne plus avoir de contacts avec ceux-ci, il a indiqué en 2007 qu’il leur parlait régulièrement.

 

[35]           De plus, la preuve déposée, au sujet du Projet Colisée, laquelle n’était pas disponible en 2007, a jeté un doute sérieux sur la crédibilité du demandeur. Le demandeur a, en sus, été confronté à la preuve déposée par le défendeur et a nié en bloc la véracité de tout ce qui y est contenu.

 

[36]           En ce qui a trait à l’impact de son renvoi sur ses petits-enfants, la SAI a été sensible aux intérêts de ces derniers et il appartient à la SAI d’accorder le poids qu’il juge approprié à ce facteur.

 

[37]           Enfin, en ce qui a trait aux deux erreurs de faits notées par le demandeur, le défendeur les reconnaît, mais est d’avis qu’elles sont sans conséquence. En ce qui a trait à l’erreur au sujet de la mention d’un dénommé Nick Piccirilli, il est manifeste que la SAI se référait plutôt à M. Sergio Piccirilli et M. Varacalli.

 

V.        Questions en litige

1.    La SAI, a-t-elle erré en ne permettant pas au demandeur de fournir une explication au sujet des contradictions découlant de son témoignage ?

 

2.    La SAI, a-t-elle rendu une décision raisonnable ?

 

VI.       Norme de révision

[38]           L’obligation de la SAI de permettre au demandeur de répondre à des contradictions constatées par celle-ci est une question d’équité procédurale qui s’apprécie selon la norme de la décision correcte (voir Azali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 517 au para 12, 167 ACWS (3d) 164 [Azali]). La révision des décisions rendues en vertu de l’alinéa de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR par la SAI doit être effectuée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 58, [2009] 1 RCS 339).

 

VII.     Analyse

A.   La SAI, a-t-elle erré en ne permettant pas au demandeur de fournir une explication au sujet des contradictions découlant de son témoignage ?

 

[39]           Le demandeur, en raison de son comportement criminel, a fait l’objet d’un rapport d’interdiction conformément au paragraphe 44(1) de la LIPR. La SI conclut que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité selon l’alinéa 36(1)a) et en conséquence, une mesure de renvoi fut émise contre lui le 14 février 2006 et il perdit ainsi son statut de résident permanent (voir l’alinéa 46(1)c) de la LIPR).

 

[40]           Le demandeur en appela en vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR devant la SAI. Le 20 février 2007, celle-ci accorda un sursis avec conditions qui fut maintenu le 30 mai 2008. Le 13 février 2009, il fut décidé d’attendre le dénouement des nouvelles accusations criminelles portées contre le demandeur avant de procéder à la révision finale du sursis. On référa le dossier pour révision finale le 6 janvier 2011.

 

[41]           Pour réussir en appel, le demandeur avait le fardeau de démontrer les « motifs exceptionnels » justifiant la nécessité pour lui de demeurer au Canada (voir Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 SCC 3 au para 90, [2002] 1 SCR 84). Le demandeur n’a pas rencontré ce fardeau.

 

[42]           La SAI révisa les facteurs élaborés dans Ribic, précitée et conclut que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que des motifs d’ordre humanitaire justifient le maintien du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

[43]           Le demandeur reproche à la SAI de ne pas avoir porté à son attention les contradictions entre le témoignage qu’il fournit en 2007 et celui de 2012 de façon à lui permettre de donner les explications appropriées.

 

[44]           Le demandeur témoigna sous serment le 20 février 2007 ainsi que le 4 avril 2012. Dans les deux cas, l’objectif du témoignage était d’obtenir un sursis ou un renouvellement de celui-ci. Les témoignages furent donnés dans la même procédure d’appel et traitaient de faits reprochés au demandeur ayant eu lieu tant avant qu’après 2007.

[45]            Lors du début de  l’audience d’avril 2012, il fut précisé que les documents déposés lors de l’audience de février 2007 faisaient partie du dossier du tribunal au même titre que les autres documents déposés postérieurement. Lors de la dernière audience, on référa expressément ou implicitement aux témoins de l’audience de 2007 ou encore aux faits présentés initialement. Lors de la plaidoirie du conseil du Ministre, dès le début, il aborda d’emblée l’audience de 2007 ainsi que la décision rendue par la SAI.

 

[46]           Le demandeur changea d’avocat à trois reprises. A l’audience d’avril 2012, le nouveau procureur du demandeur fut invité par la SAI à traiter des facteurs de Ribic, précitée, et la pause du midi fut allongée afin de lui permettre de se préparer adéquatement.  Dans l’après-midi, le procureur du demandeur l’interrogea longuement, et ce même s’il l’avait déjà interrogé au début de l’audience. L’avocat du demandeur fit des objections, argumenta et demanda des précisions lors de l’interrogatoire du conseil du Ministre. Il fit de même lorsque la SAI interrogea le demandeur. Il déclara à la fin du témoignage du demandeur qu’il avait fait : « le tour » et que « […] c’[était] tout pour [eux]. ».

 

[47]           L’audience de février 2007 était enregistrée. Elle fut transcrite le 27 décembre 2012.

 

[48]           Ici, il ne s’agit pas d’utiliser de la preuve extrinsèque, mais bel et bien des réponses données par le demandeur sous serment à deux reprises dans le cadre de la même procédure d’appel (voir Azali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 517 au para 26, 167 ACWS (3d) 164). Lors d’un témoignage sous serment, on doit dire la vérité, d’où la présomption de véracité applicable au témoignage fourni sous serment (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, 31 NR 34 (CA)). Lorsqu’on témoigne sur les mêmes faits, on doit s’attendre à ce qu’ils soient de la même teneur. S’ils ne le sont pas, cela veut donc dire que les versions contradictoires données n’ont pas le sceau de franchises requis. Un décideur peut donc en tirer les conclusions appropriées.

 

[49]           La SAI dans sa décision s’est référée à certaines contradictions entre les deux témoignages donnés ou en encore à la nouvelle preuve présentée à l’audience d’avril 2012, laquelle lui permit de faire la lumière sur le témoignage du demandeur en 2007, dont plusieurs aspects se sont alors révélés peu crédibles :

 

1.                  En 2007, le demandeur disait acheter sa drogue pour revente à Saint-Hubert et maintenant il affirme plutôt que c’était « chez des gens à Montréal ».

 

2.                  En 2007, le demandeur prétendait ne pas fréquenter des gens ayant un casier judiciaire alors que la nouvelle preuve révèle qu’il en a côtoyés.

 

3.                  En 2007, le demandeur disait que son fils Tiziano n’avait pas obtenu son permis de boisson pour son restaurant à cause de ses condamnations pour possession et trafic de drogue alors que récemment il expliqua que c’était plutôt les liens de la famille D’Amico avec la mafia italienne qui en étaient la cause.

 

4.                  En 2007, le fils du demandeur Patrizio expliqua que son père a travaillé toute sa vie, mais qu’en 2002-2003 son état précaire l’obligea à se livrer au trafic de la drogue et en 2007, le demandeur nia avoir reçu des prestations d’aide sociale pendant qu’il se livrait au trafic de la drogue. Or, le rapport circonstancié de 2005 déposé récemment contredit ces affirmations.

 

5.                  Le témoignage du fils du demandeur, Patrizio, en 2007 fut aussi contredit par la récente preuve documentaire au sujet de ses relations avec des gens ayant des antécédents judiciaires ainsi que son dossier criminel pour des infractions commises en 1994.

 

[50]           En utilisant ces contradictions, la SAI, fit le lien avec la preuve documentaire récente et conclut que la preuve présentée par le demandeur en 2007 afin d’obtenir un sursis d’exécution de la mesure de renvoi n’était pas conforme à la nouvelle preuve.

 

[51]           Dans un cas semblable, un demandeur doit présenter de la preuve uniforme sur la base d’une même fondation factuelle, car il s’agit de la même procédure procédant en différentes étapes. On doit présumer que lors de témoignages successifs, les mêmes réponses factuelles seront données. Un demandeur, à qui revient l’obligation de vérité dans ses réponses, n’a pas à se voir confronter à ses propres contradictions (Quijano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1232 au para 30, 184 ACWS (3d) 1087).

 

[52]           Par ailleurs, le demandeur avait aussi l’occasion de corriger les faits si besoin par l’entremise de son procureur lors d’objections, de questions et lors du contre-interrogatoire. Étant donné que les documents déposés en preuve lors de l’audition de février 2007 faisaient partie de la révision du sursis d’avril 2012, il va de soi que l’enregistrement de l’audition de février 2007 en faisait aussi partie au même titre que la première décision accordant le sursis. Dans une telle situation, le demandeur doit s’attendre à ce que la SAI ait une pleine connaissance du dossier afin d’être en mesure d’en tirer les conclusions appropriées.

 

[53]           Les principes de la justice naturelle, applicables en procédures d’appel comme celle-ci, n’exigent pas que le demandeur soit confronté à ses contradictions découlant de deux témoignages donnés sous serment dans le cours de la même procédure en lien avec toute la preuve documentaire soumise par les parties. Il est bien établi depuis Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux paras 21-22, 243 NR 22 que l’obligation d’équité procédurale est souple et variable et qu’elle repose sur une appréciation des circonstances spécifiques à chaque cas. En l’espèce, le demandeur, lequel était dûment représenté par avocat, a eu l’occasion de se faire entendre, d’ajouter des précisions ou encore de donner des explications lors de son interrogatoire et ré-interrogatoire. Il s’est même vu invité à retémoigner pour aborder chacun des facteurs de Ribic, précitée, ce qu’il a fait. Tenant compte de tout ceci, il n’y a pas eu de manquements au respect de la justice naturelle en ne permettant pas au demandeur de fournir des explications à ses contradictions.

 

[54]           Un autre argument concernant un bris au principe de la justice naturelle fut présenté par le demandeur. Il est suggéré que la conclusion, à l’effet que la condition numéro 10 (obligation de déposer le rapport de l’agent de libération conditionnelle, ce que le demandeur a omis de faire) de la décision de la SAI de 2007 n’avait pas été respectée, n’aurait pas dû être abordée par la SAI sans donner au demandeur l’opportunité de donner sa version. Le conseil du Ministre ne l’a pas soulevé. Cette condition faisait partie de la décision de 2007 accordant le sursis temporaire. Elle était connue du demandeur. Ce dernier pouvait la commenter ce qu’il n’a pas fait. Pour les mêmes raisons mentionnées ci-haut, la SAI n’avait pas l’obligation de soulever le bris de cette condition à l’audience. Le demandeur a le fardeau de démontrer des « circonstances exceptionnelles » ce qui inclut l’obligation de respecter les conditions du sursis temporaire accordé. Il relève du rôle de la SAI de vérifier si les conditions de sursis temporaire de 2007 furent respectées afin d’évaluer les possibilités de réhabilitation du demandeur.

 

[55]           En ce qui a trait à l’importance accordée par la SAI aux contradictions entre les deux témoignages, ces dernières ne constituent que l’une des raisons pour lesquelles la SAI a conclu que les facteurs de la décision Ribic, précitée militaient en faveur du rejet de l’appel. Le demandeur a fait face à de nouvelles accusations suite au sursis, malgré que celles-ci n’aient pas conduit à une condamnation. En plus du manquement à la condition numéro 10 du sursis du demandeur, laquelle fait l’objet du paragraphe précédent, la SAI a constaté trois autres manquements aux conditions imposées dans le sursis du demandeur :

 

1)      le demandeur n’a pas signalé à l’ASFC par écrit et sans délai que des accusations criminelles ont été portées contre lui en 2007

 

2)      le demandeur n’a pas fourni de copie de son passeport dans un délai raisonnable

 

3)      le demandeur ne s’est pas présenté à son rendez-vous à l’ASFC le 20 mars 2008 et le 3 mai 2010

 

 

B. La SAI a-t-elle rendu une décision raisonnable ?

[56]           Le demandeur prétend que la décision de la SAI est erronée à plusieurs égards ce qui la rend déraisonnable. Les erreurs seraient les suivantes :

 

1.                  La SAI mentionne que le fils du demandeur Tiziano a témoigné au soutient de l’appel de 2007 ce qui n’est pas le cas. Il devait témoigner, mais l’avocat du demandeur  informa qu’il ne témoignera pas, car il n’ajouterait rien au témoignage de l’autre fils Patrizio qui a témoigné.

 

2.                  La SAI mentionne dans la décision que le demandeur a rencontré un certain Nick Piccirerilli dans le cadre de discussions avec Frank Arcadi. La preuve ne révèle pas que le demandeur a rencontré cette personne. Selon le défendeur, il semble que la SAI se référait plutôt à Sergio Piccirerilli et à Nick Varacelli.

 

3.                  La SAI reproche au fils du demandeur Patrizio lors de son témoignage de 2007 de ne pas avoir été franc en ne parlant pas d’une accusation en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, ch 17 pour une infraction qui aurait été commise en 2009.

 

4.                  La SAI erre lorsqu’elle mentionne que le demandeur a trois (3) frères en Italie lorsqu’il en a deux (2) ainsi qu’une sœur. En plus, il est erroné de dire que le demandeur parle encore à ses frères et sa sœur lorsque son témoignage de 2012 dit le contraire. Le défendeur rappelle qu’en 2007, son témoignage était à l’effet qu’il avait encore des communications avec ses frères et sa sœur à Noël, Pâques ou encore s’il y a de la maladie.

 

[57]           Ayant révisé les reproches du demandeur à l’égard de certaines parties de la décision de la SAI, on constate que les erreurs concernant le fait que le fils Tiziano n’a pas témoigné en 2007, l’allégation du demandeur selon laquelle il n’a jamais rencontré Nick Piccirerilli et que le demandeur a deux (2) et non pas trois (3) frères n’ont pas l’importance nécessaire pour entraîner la déraisonnabilité de la décision de la SAI. Ce sont de simples erreurs sans conséquence.

 

[58]           Quant au dossier criminel de Patrizio, la pièce R-20 révèle qu’en 1994, il fut condamné pour des infractions ce qui contredit son témoignage donné en 2007, durant lequel il affirma n’avoir aucun casier judiciaire. La SAI a en plus, noté que Patrizio a fait l’objet d’une accusation criminelle additionnelle en 2009. Ainsi, la SAI a simplement relaté le fait que Patrizio n’a pas donné une réponse franche en 2007 au sujet de son passé criminel et n’a ainsi commis aucune erreur.

 

[59]           Enfin, le récent témoignage du demandeur est à l’effet qu’il ne parle plus à ses frères et sa sœur en Italie. La Cour note que selon son témoignage de 2007, il leur parlait au moins deux (2) fois par année tel que mentionné ci-haut et ce fait est relaté dans la décision de la SAI. Cette constatation de la SAI ne justifie aucunement que la décision soit déclarée déraisonnable.

 

[60]           Ayant pris en considération l’ensemble de la décision de la SAI, l’analyse faite des sept (7) facteurs de Ribic, précitée, les objectifs de la LIPR concernant la sécurité des Canadiens ainsi que la preuve documentaire déposée par les parties tant pour l’audience de 2007 que celle de 2012, la conclusion suivante de la SAI est raisonnable et justifiée :

 

[129] « Le tribunal est d’avis que l’appel doit être rejeté. Le tribunal estime que le prolongement du sursis ne serait pas approprié en l’instance, parce que l’appelant n’a pas démontré une réelle possibilité de réhabilitation. Le manque de respect de l’appelant à l’égard de la mise en garde des autorités de l’immigration en 1998 et en 2005, ainsi que son manque de respect des conditions de sursis imposées par le tribunal en 2007, démontre que l’appelant a eu de nombreuses chances de démontrer sa possibilité de réhabilitation. Force est de conclure en 2012, que cette possibilité n’existe plus aujourd’hui, si tant est qu’elle ait déjà eu un ancrage dans la réalité par le passé. »

 

[61]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI en date du 20 juillet 2012 est rejetée.

 

[62]           Les parties furent invitées à soumettre une question aux fins de certifications, mais aucune question ne fut proposée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de révision de la décision de la SAI en date du 20 juillet 2012 est refusée. Aucune question ne sera certifiée.

 

                                                                                                   « Simon Noël »

                                                                        _________________________

                                                                                                Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7951-12

 

INTITULÉ :                                      LUIGI D’AMICO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 23 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphane Handfield

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Émilie Tremblay

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stéphane Handfield

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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