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Date : 20130507

Dossier: IMM-9467-12

Référence : 2013 CF 478

Montréal (Québec), le 7 mai 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

NELLY JANET ARRECHAVALA DE ROMAN

 

 

partie demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

partie défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               La demanderesse demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 septembre 2012 par un agent d’exécution des lois de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], par laquelle l’agent a rejeté la demande de sursis de l’exécution de la mesure de renvoi prise contre la demanderesse, et a décidé que son ordonnance de déportation était exécutoire dès le 16 septembre 2012.

 

[2]               Le 14 septembre 2012, par crainte qu’un préjudice irréparable ne soit causé à l’état de santé de la demanderesse du fait de son renvoi immédiat, le juge Simon Noël a ordonné le sursis intérimaire de l’exécution de la mesure de renvoi contestée, jusqu’à ce qu’une décision finale sur la demande de contrôle judiciaire de l’agent soit rendue.

 

II. Faits

[3]               La demanderesse, madame Nelly Janet Arrechavala de Roman, a quitté son pays, le Guatemala, en date du 25 avril 2007, pour venir s’occuper de sa mère qui vit au Canada et qui souffrait alors de problèmes de santé. Depuis, la demanderesse est sans statut au Canada. Sa demande d’asile, sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire [CH] et sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] ont toutes été rejetées, respectivement le 23 novembre 2009, le 27 octobre 2011 et le 5 décembre 2011.

 

[4]               Au mois d’avril 2010, alors qu’elle était en voie de régulariser son statut au Canada, la demanderesse a été diagnostiquée d’un cancer neuroendocrinien de haut grade avec métastases ganglionnaires régionales, un rare cancer du côlon. Selon la preuve médicale au dossier, elle a été hospitalisée pour une obstruction colique gauche le 3 avril 2010, puis opérée d’urgence le 22 avril 2010. Elle a été traitée ensuite par une cure de chimiothérapie qui a duré jusqu’à la fin janvier 2011, et des examens sériés ont été planifiés pour les prochaines années (lettre du Dr Valérie Leblanc).

 

[5]               Bien que l’état de santé de la demanderesse ait présenté une évolution favorable depuis le début de ses traitements, la preuve médicale au dossier atteste que la condition de la demanderesse nécessite une surveillance étroite. Elle est porteuse d’un cathéter sous-cutané afin de garder son « risque élevé de récidive » sous surveillance (lettre du Dr Émilie Comeau, CHUS-Hôpital Hôtel-Dieu [hôpital]). Les deux médecins recommandent que la demanderesse demeure au Canada pour bénéficier d’un suivi approprié.

 

[6]               Le 24 mai 2012, l’agent saisi de la demande de sursis de l’exécution de la mesure de renvoi de la demanderesse a remis au procureur de celle-ci un courriel du Dr Patrick Thériault, de la Direction générale de la gestion de la santé de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC]. Le Dr Thériault y mentionne :

We have reviewed the medical material submitted on this client.

It appears this client was diagnosed with a very aggressive colon tumour for which she received chemotherapy treatment in April 2010.

She requires follow-up care.

She is considered fit to fly according to IATA.

There are medical services in Guatemala including oncology services that can provide her with follow up for her condition.

 

[7]               Le 21 juin 2012, la demanderesse a fait parvenir à l’agent une lettre du Dr Luis Rosada Moran, sous-directeur médical de l’Institut de cancérologie Dr Bernardo del Valles, attestant que les examens demandés par son médecin traitant n’étaient pas disponibles dans leur institution. Elle opine qu’il est préférable que les examens soient effectués au Canada, où le traitement de la demanderesse a été commencé.

 

[8]               En réponse à cette lettre, le 20 juillet 2012, l’agent a remis au procureur de la demanderesse un courriel du Dr Thériault. Ce second courriel se lit comme suit :

[Ms. Arrechavala de Roman] was diagnosed with a rare colon cancer in 2010 for which she received surgery and chemotherapy in Canada. She now requires specialized follow-up investigation (blood test and PET scan).

She does not require escort for her transfer to Guatemala.

PET scan is available in Guatemala as well as specialized oncologist follow-up.

There are also tertiary care services in neighboring countries such as Mexico and Panama.

 

[9]               La demande de sursis de l’exécution de la mesure de renvoi présentée par la demanderesse a été rejetée le 4 septembre 2012; cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[10]           Le 12 septembre 2012, la demanderesse a déposé une nouvelle demande CH à partir du Canada. La demande est actuellement en suspens.

 

III. Points en litige

[11]           La demanderesse conteste essentiellement l’évaluation qui a été faite de sa preuve médicale qui atteste qu’elle présente un risque élevé de récidive du cancer qu’elle a subi, qu’elle a besoin d’un suivi médical approprié pour surveiller et gérer ce risque et qu’elle ne pourra avoir accès au Guatemala aux soins et examens médicaux exigés par ses médecins traitants au Canada. Par ailleurs, la demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte du préjudice que son renvoi immédiat au Guatemala lui causerait vu son état de santé.

 

[12]           Ainsi, les deux questions soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

a.       L’agent d’exécution a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des circonstances spéciales entourant la demande, à savoir l’état de santé de la demanderesse?

b.      La conclusion de l’agent de refuser l’octroi d’un sursis de la mesure de renvoi de la demanderesse est-elle justifiée au regard de l’ensemble de la preuve au dossier?

 

IV. Dispositions législatives pertinentes

[13]           Le pouvoir accordé aux agents d’exécution est énoncé à l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. L’article 20 de la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, LC 2012, c 17 [loi modificative], entrée en vigueur le 14 décembre 2012, a modifié le paragraphe 48(2) de la LIPR. Cette disposition se lit désormais comme suit :

48.     (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

 

[La Cour souligne].

48.     (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and the order must be enforced as soon as possible.

 

[14]           Dans sa version ancienne, le paragraphe 48(2) de la LIPR se lisait comme suit :

48.      (2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

 

[La Cour souligne].

48.     (2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

[15]           La question de savoir si, et dans quelle mesure, la modification apportée à l’article 48 de la LIPR change le mandat de l’agent d’exécution, qui doit désormais se demander s’il est « possible » d’exécuter la mesure de renvoi plutôt que de décider si le renvoi est raisonnablement praticable vu les circonstances spéciales de la demande (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311), ne se pose pas en l’espèce. La décision contestée a été prise sous l’empire de l’ancienne version de la disposition. Les parties n’ont pas abordé le changement législatif dans leurs représentations écrites et la Cour ne va pas en tenir compte pour les fins de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

V. Norme de contrôle applicable

[16]           Dans Baron, ci-dessus, au paragraphe 25, le juge Marc Nadon de la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution de refuser de sursoir au renvoi est la raisonnabilité (Hussain c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1544 aux para 17-18, et Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286).

 

[17]           En appliquant la norme de la raisonnabilité à la décision de l’agent, la Cour veillera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 59). Comme le juge James O’Reilly a mentionné dans Ramada c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1112, le pouvoir discrétionnaire des agents d’exécution de la loi « ne devrait être mis en question par la Cour que dans les cas où ils ont omis de tenir compte d’un facteur important ou commis une erreur grave dans l’évaluation de la situation de la personne visée par une mesure de renvoi » (au para 7).

 

[18]           Aussi, dans Turay c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 1090, le juge Yvon Pinard a résumé quelques facteurs qui peuvent s’avérer décisifs lorsque la Cour apprécie le caractère raisonnable de la décision de l’agent de renvoi, prise dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire :

[15]      La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution de la loi refusant de reporter le renvoi d’un demandeur du Canada est la norme de la décision raisonnable (Baron c. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile 2009 CAF 81). La cour devrait intervenir si la décision de l’agent de renvoi était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). Si la cour conclut qu’il y a eu une analyse déficiente de l’intérêt supérieur des enfants, la décision de l’agent d’exécution de la loi sera jugée déraisonnable (Kolosovs c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 165).

 

[16]      L’agent de renvoi tire son pouvoir du paragraphe 48(2) de la Loi, qui impose au ministre l’obligation positive d’exécuter une mesure de renvoi valide. Cependant, même selon l’interprétation la plus restrictive du paragraphe 48(2), plusieurs variables peuvent influer sur le moment de l’exécution de la mesure de renvoi, qui, aux termes du paragraphe 48(2), est exécutée « dès que les circonstances le permettent », comme l’a confirmé le juge Denis Pelletier dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 682 (1re inst.). Il y a seulement deux catégories de facteurs qui peuvent influer sur la décision de l’agent : factuel (« dès que les circonstances le permettent ») et juridique (raisonnable). Ceci a été affirmé dans Vidaurre Cortes c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (2007), 308 F.T.R. 69, au paragraphe 10 :

 

[...] le renvoi doit avoir lieu le plus tôt possible, mais uniquement dès que les circonstances le permettent [...]

 

Il est bien établi que « le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité » (Baron, précité, par. 49).

 

[17]      Les considérations pratiques comprennent « la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face » (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 A.C.F. no 936, (1re inst.) (QL) cité dans Baron, précité, par. 49; voir aussi Hasan c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CF 1100, par. 8). Dans Baron, au paragraphe 51, la Cour fédérale a approuvé les commentaires formulés dans Wang, précité, définissant les difficultés causées à la famille comme une variable de faible importance pour un agent de renvoi. En effet, le juge Pelletier a affirmé ce qui suit :

 

[48] [Un exemple de politique qui respecte le pouvoir discrétionnaire de différer tout en limitant son application aux cas qui respectent l’économie de la Loi] est de réserver l’exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu’un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet [...]

 

[18]      Dans Mauricette c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420, au paragraphe 23, la Cour a expliqué le critère de la raisonnabilité comme suit :

 

[...] lorsque des circonstances impérieuses obligent l’agent à différer un renvoi, alors le juge exigera que l’agent exerce ce pouvoir discrétionnaire.

 

[La Cour souligne].

 

VI. Analyse

Question préliminaire

[19]           Le 19 septembre 2012, la demanderesse a écrit à la Ligue nationale contre le cancer au Guatemala, afin de se renseigner sur la possibilité de continuer le suivi médical prescrit par son médecin traitant au Canada dans son pays. Le dossier de la demanderesse contient une lettre du 24 septembre 2012, dans laquelle le Dr Rosada Moran, sous-directeur médical du Liga national contra el cancer, confirme qu’en tant que l’unique centre spécialisé de cancer au Guatemala, leur institut n’a pas à sa disposition certains examens dont la demanderesse a besoin, et que d’autres examens tels que ceux de l’acide indolacétique et la chromogranine du sang et le PET Scan ont tout juste été mis en place.

 

[20]           La Cour est d’accord avec le défendeur que l’examen de la légalité d’une décision administrative doit s’effectuer sur la base de la preuve qui a été présentée au décideur. La demanderesse ne peut bonifier sa preuve pour parfaire son dossier au stade du contrôle judiciaire. Par conséquent, les lettres produites aux pièces 13 et 14 au soutien des paragraphes 28-30 de l’affidavit de la demanderesse sont inadmissibles et exclues du dossier de la Cour.

 

[21]           Cela dit, cette preuve ne fait que confirmer celle qui était déjà devant le décideur lorsqu’il a rendu sa décision, notamment la lettre du Dr Rosada Moran.

 

(1) L’agent d’exécution a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des circonstances spéciales entourant la demande, à savoir l’état de santé de la demanderesse?

 

[22]           Dans Baron, ci-dessus, au paragraphe 51, la Cour d’appel fédérale a repris les motifs du juge Denis Pelletier dans Wang c Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 CF 682, concernant le pouvoir discrétionnaire de l’agent d'exécution de reporter un renvoi :

-     Il existe divers facteurs qui peuvent avoir une influence sur le moment du renvoi, même en donnant une interprétation très étroite à l’article 48. Il y a ceux qui ont trait aux arrangements de voyage, et ceux sur lesquels ces arrangements ont une incidence, notamment le calendrier scolaire des enfants et les incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage ou les naissances ou décès imminents.

 

-     La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute ligne de conduite en matière de report doit respecter cet impératif de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, on devrait accorder une grande importance à l’existence d’une autre réparation, comme le droit de retour, puisqu’il s’agit d'une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi. Dans les affaires où le demandeur a gain de cause dans sa demande CH, il peut obtenir réparation par sa réadmission au pays.

 

-     Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.

 

-     Il est possible de remédier aux affaires où les difficultés causées à la famille sont le seul préjudice subi par le demandeur en réadmettant celui-ci au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était en instance. [Souligné dans l’original].

 

[23]           Le défendeur soumet que, malgré les termes péremptoires de l’article 48 de la LIPR, l’agent qui exécute la mesure du renvoi au nom du Ministre possède un pouvoir discrétionnaire qui est un pouvoir « relativement limité » ou « fort restreint », qui, somme toute, lui donne « peu de latitude » de reporter le renvoi (Shpati, ci-dessus, au para 45 et Baron, ci-dessus, au para 49). Le défendeur prétend que dans un cas autre que l’inexistence d’un redressement qui permettrait à l’étranger de revenir au Canada comme une demande de résidence permanente ou une demande de dispense pour motifs humanitaires, l’agent des renvois doit déterminer s’il existe un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain auxquels l’étranger pourrait faire face à son retour dans son pays (Shpati, au para 51). Le défendeur ajoute enfin que lorsqu’une demande de dispense fondée sur des motifs humanitaires est pendante au moment de la demande de report de renvoi, l’agent ne peut exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire que si la demande de dispense est fondée sur une menace à la sécurité personnelle (Shpati, aux para 43-44 et Baron, au para 50).

 

[24]           Shpati et Baron n’ont pas changé, mais ont précisé, le droit en matière de demandes de sursis. Dans Ramada, ci-dessus, le juge O’Reilly souligne :

[3]        [...] les agents peuvent prendre en considération les motifs valables de retarder le renvoi, le cas échéant. Les motifs valables peuvent être liés à la capacité de voyager de la personne (maladie ou absence de documents de voyage appropriés), à la nécessité de satisfaire à d’autres engagements (obligations scolaires ou familiales) ou à des circonstances personnelles impérieuses (raisons d’ordre humanitaire). (Voir : Simoes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 936 ; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 CF 682, Prasad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 805; Padda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1353). Il est clair, toutefois, que le simple fait qu’une personne ait déposé une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n'est pas suffisant pour justifier le sursis au renvoi. Par contre, l’agent doit examiner si des circonstances personnelles impératives, surtout lorsqu’elles concernent un enfant, justifient le sursis. [La Cour souligne].

 

[25]           Il est vrai que la simple existence d’une demande pour motifs humanitaires ne saurait empêcher l’exécution d’une mesure de renvoi valide, sauf si l’existence d’une « menace à la sécurité personnelle ». Se pose alors la question de savoir si l’état de santé de la demanderesse et sa privation des soins médicaux auxquels elle a besoin pouvait équivaloir à une menace à la sécurité de sa personne que l’agent devait prendre en compte.

 

[26]           Toutefois, l’argument de la demanderesse à l’effet qu’elle a une nouvelle demande CH en suspens est sans pertinence en l’espèce, puisque cette demande a été soumise une semaine après la date de la décision de l’agent, soit le 12 septembre 2012. Il est bien connu qu’un demandeur ne peut, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, attaquer une décision en se fondant sur une question ou un fait qui n’était pas devant le décideur initial, à moins qu’il ne s’agisse d’une question de compétence (Toussaint c Canada (Conseil des relations du travail), [1993] ACF no 616 (QL/Lexis) (CAF), au para 5; Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 157 FTR 307, [2000] ACF no 1954 (QL/Lexis), aux para 9-12).

 

[27]           Cela étant dit, la discrétion dont l’agent disposait pour différer l’exécution d’un renvoi, aussi limitée qu’elle le soit, exigeait qu’il serait satisfait que l’état de la santé de la demanderesse ne sera pas mis en péril si elle retourne au Guatemala. La Cour n’est pas convaincue que l’agent a considéré et raisonnablement évalué toute la preuve médicale afin de s’assurer qu’un renvoi immédiat n’exposerait pas la demanderesse aux risques importants et imminents dont attestent ses médecins traitants.

 

(2)  La conclusion de l’agent de refuser l’octroi d’un sursis de la mesure de renvoi de la demanderesse est-elle justifiée au regard de l’ensemble de la preuve au dossier?

 

[28]           En toute déférence, la décision de l’agent est indéfendable si l’on tient compte de la preuve médicale présentée par la demanderesse, à la fois sur les risques et l’évolution de sa maladie, et la disponibilité, dans son pays, des services médicaux nécessaires à son traitement. Puisqu’aucun motif précis n’a été donné à la demanderesse au soutien de la décision sous étude, la Cour ne peut que présumer que cette décision a été prise sur la base de l’opinion du consultant de CIC, le Dr Thériault. Il s’agit de deux brefs courriels dans lesquels le Dr Pelletier constate qu’il s’agit d’un « rare » et « agressif » cancer du côlon, et mentionne, sans aucun appui, que les services médicaux requis pour la condition de la demanderesse existent au Guatemala et dans les pays avoisinants. La Cour note que la demanderesse n’a eu aucune rencontre avec le Dr Thériault (affidavit de la demanderesse, au para 26) et l’opinion de ce dernier est basée essentiellement sur le dossier médical de la demanderesse.

 

[29]           Plus important encore, cette preuve est contredite par une preuve prépondérante apportée par la demanderesse, à l’effet que non seulement il s’agit d’un cas inhabituel, ce qui est confirmé par le médecin consultant de CIC, mais aussi que les soins et examens requis pour la suite des traitements nécessités ne seraient pas disponibles au Guatemala. Suivant Shpati, ci-dessus, au paragraphe 41, l’agent d’exécution ne pouvait simplement refuser de reporter le renvoi sur le fondement des risques allégués par la demanderesse puisque de nouveaux éléments de preuve concernant lesdits risques s’étaient produits.

 

[30]           L’agent a entièrement sous-estimé ce risque, qui touche à la santé et à la vie de la demanderesse, en se fondant que sur les courriels du Dr Thériault. À supposer que ce dernier avait connaissance des services de santé disponibles au Guatemala et dans les pays voisins, il est entièrement déraisonnable d’exiger de la demanderesse de se rendre dans ces pays pour se soumettre aux tests et traitements nécessités par sa condition. Bien qu’il n’y a pas de motifs permettant à la Cour de s’assurer que les allégations et preuves de la demanderesse ont été sérieusement examinées par l’agent, il est manifeste que l’agent n’a pas été sensible à la gravité des circonstances particulières et personnelles à la demanderesse et, en ce sens, n’a pas raisonnablement exercé la discrétion qu’il possède en vertu du paragraphe 48(2) de la LIPR.

 

VII. Conclusion

[31]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée pour être réexaminée par un autre agent chargé de l’exécution de la loi.

 

[32]           L’avocat du défendeur a demandé que le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui est responsable de la prise et de l’exécution des mesures de renvoi, soit substitué au Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire conformément à la Loi sur le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, LC 2005, c 10, et le décret du 4 avril 2005, CP 2005-0482, et la Cour conclut que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l’affaire soit retournée pour détermination à nouveau par un autre agent chargé de l’exécution de la loi.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soit accueillie et l’affaire soit retournée pour détermination à nouveau par un autre agent chargé de l’exécution de la loi;

 

  1. Aucune question d’importance générale à certifier;

 

  1. L’intitulé de la cause soit modifié de manière à ce que le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile remplace le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur dans la présente instance, tel qu’il apparaît dans l’intitulé ci-dessus.

 

 

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9467-12

 

INTITULÉ :                                      NELLY JANET ARRECHAVALA DE ROMAN  c

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 7 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     le 7 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphanie Valois

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Lyne Prince

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE LE DÉFENDERESSE

 

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