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Date : 20130509

Dossier : IMM‑10560‑12

Référence : 2013 CF 488

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

Entre :

 

ANDRE LUIS AGGI DE OLIVEIRA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

Le ministre de la sécurité publique et de la protection civile ou
le ministre de la citoyenneté
et de l’immigration

 

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Aggi de Oliveira est un avocat brésilien homosexuel. Il parle l’anglais de façon impeccable et idiomatique.

 

[2]               Le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada parce qu’il craint d’être persécuté au Brésil en raison de son orientation sexuelle. L’événement qui l’a décidé à quitter le Brésil est une agression au petit matin par deux hommes cagoulés qui, à la pointe d’un couteau, ont menacé de le tuer s’il ne changeait pas son comportement de [traduction] « pédale ». Il s’est rendu à la police pour déposer une plainte. Les policiers lui ont dit de revenir le matin. Il est plutôt venu au Canada.

 

[3]               Le commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada qui a entendu sa cause a conclu qu’il avait une véritable crainte subjective d’être persécuté advenant son renvoi au Brésil. Le commissaire a analysé la demande d’asile au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) étant donné que M. Aggi de Oliveira appartenait à un « groupe social », les hommes homosexuels. Ainsi, le commissaire était uniquement tenu de conclure à une possibilité sérieuse de persécution pour les personnes se trouvant dans une situation semblable. S’il avait estimé que M. Aggi de Oliveira était simplement la victime d’un acte criminel, son analyse aurait été effectuée au titre de l’article 97, qui exige qu’un demandeur prouve, selon la norme plus élevée de la prépondérance des probabilités, qu’il est personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Le commissaire a conclu que la demande d’asile de M. Aggi de Oliveira n’était pas objectivement bien fondée parce qu’il existait une protection adéquate de l’État au Brésil, protection qu’il n’a pas cherché à obtenir. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, M. Aggi de Oliveira, qui se représentait lui‑même à l’audience de sa demande d’asile, mais qui est maintenant représenté par un avocat, allègue que l’analyse du commissaire relative à la protection de l’État était déraisonnable et, en fait, erronée en droit. Il allègue également une crainte raisonnable de partialité : il n’aurait pas obtenu une audience équitable en raison des remarques du commissaire qui, selon lui, étaient de nature homophobe.

 

Décision

 

[4]               Je conclus qu’il n’existe aucun fondement à l’allégation de partialité de la part du commissaire. Je conclus de plus que ce dernier a appliqué le critère juridique pertinent concernant la protection de l’État et que sa décision était raisonnable. La demande sera donc rejetée.

 

Partialité

 

[5]               La justice naturelle commande qu’une partie ait la possibilité raisonnable de présenter sa cause devant un décideur neutre. La partialité, réelle ou appréhendée, entache l’objectivité véritable ou perçue du décideur et porte atteinte à la justice naturelle. Devant une telle situation, la règle générale, comme l’a énoncée la Cour suprême dans l’arrêt Cardinal c Kent Institution, [1985] 2 RCS 643, [1985] ACS no 78 (QL), est que la cour de révision ne doit pas chercher à savoir quelle décision aurait été rendue s’il y avait eu une audience équitable. Il faut procéder à une nouvelle audience.

 

[6]               Le critère pour vérifier l’existence de la partialité, énoncé par le juge de Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c L’Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 RCS 369, a été suivi de façon universelle. Voici ce qu’il a déclaré à la page 394 :

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

Il a ajouté que les motifs de crainte doivent être sérieux et non fondés sur le critère d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

 

[7]               La justice naturelle, laquelle comprend l’équité procédurale, dépasse la portée du contrôle judiciaire. Le décideur n’a droit à aucune déférence (Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539, [2003] ACS no 28 (QL)). L’audience a eu lieu le 12 juin 2012, et la décision a été rendue le 26 septembre 2012. Ce n’est qu’après que la décision a été rendue que M. Aggi de Oliveira s’est plaint du comportement du commissaire au cours de l’audience. Voici d’ailleurs ce que le demandeur a déclaré au commissaire à la fin de l’audience :

[traduction] Je vous remercie de m’avoir entendu […] Merci particulièrement de m’avoir mis à l’aise parce que je croyais que vous seriez du genre – je ne sais pas. J’ai lu – je lisais hier, qu’à cause de la nature non contradictoire – contradictoire, n’est‑ce pas? Non contradictoire, c’est le mot que j’ai lu [...] J’ai cru [...] que quelqu’un ici tenterait de prouver le contraire de ce que je cherche à obtenir.

 

[8]               Les ministres soutiennent que si M. Aggi de Oliveira a pu craindre que le commissaire puisse être partial, il a renoncé à faire valoir cette crainte. Comme j’ai déjà conclu qu’il n’y avait aucun fondement raisonnable à la crainte de partialité, je n’ai pas à examiner la question de savoir si le silence du demandeur pendant une période de trois mois et demi constituait une renonciation.

 

[9]               Les allégations formulées à l’encontre du commissaire sont que ce dernier a manqué de respect et avait une attitude trop désinvolte et d’affrontement. Il a déclaré que Vancouver était une ville ouverte aux homosexuels, alors que certains endroits ne l’étaient pas, et certaines de ses paroles pouvaient permettre de penser qu’il n’était pas lui‑même homosexuel. Il a également désigné le conjoint de M. Aggi de Oliveira comme son « boyfriend » (petit ami) plutôt que comme son « mari » ou son « conjoint ». Le fait de désigner son conjoint comme son « boyfriend » n’est pas méprisant. M. Aggi de Oliveira l’a lui‑même désigné comme étant son « partner » (partenaire), non comme son « conjoint ». Aucun certificat de mariage n’a été présenté.

 

[10]           Au cours de l’audience, le commissaire a demandé de quelle façon le demandeur avait rencontré son conjoint. La rencontre a eu lieu par le biais d’un site Web. Le commissaire a indiqué que [traduction] « c’est assez romantique ». Selon M. Aggi de Oliveira, cette déclaration a été faite sur un ton sarcastique. Toutefois, outre la transcription de l’audience, un enregistrement de celle‑ci a été présenté, et j’estime que la déclaration ne contenait aucun sarcasme. Si on la remet dans le contexte dans lequel elle a été dite, le mot [traduction] « romantique » signifie téméraire, risqué, par opposition à froid et calculé.

 

[11]           M. Aggi de Oliveira a le sentiment que le commissaire a un préjugé personnel à l’encontre des homosexuels ou qu’il est partial à leur endroit parce qu’il les a désignés comme étant des « dude » (mecs).

 

[12]           Le commissaire faisait des observations sur les changements survenus à Vancouver et a identifié des quartiers qui [traduction] « sont des parties de la ville où les homosexuels sont très bien accueillis […], mais vous vous rendez à Valley, Abbotsford, Langley […] », et M. Aggi de Oliveira a lui‑même ajouté « New Westminster ». Le commissaire a poursuivi en déclarant ce qui suit : [traduction] « Je ne tiendrais pas la main d’un mec là‑bas. Je n’embrasserais pas un mec là‑bas. Ils sont très conservateurs, alors c’est simplement […] vous savez […] à une heure à l’extérieur de Vancouver, vous allez vous trouver en terrain homophobe. »

 

[13]           Le mot « dude » est survenu en raison du ton de l’audience qui avait des allures de conversation. Il ne s’agit pas d’une affaire où le demandeur témoignait par l’entremise d’un interprète. M. Aggi de Oliveira parle l’anglais de façon impeccable et idiomatique, ce qui a permis une audience au ton plus informel. Le mot « dude » n’était peut‑être pas le plus approprié, mais aucun mot ne ferait l’affaire si quelqu’un cherche à s’offusquer. Aucune partie ne m’a éclairé sur la question de savoir si le mot « dude » avait une autre signification que celle figurant dans le dictionnaire.

 

[14]           Le commissaire faisait valoir que le Canada n’était pas ouvert d’esprit partout, ce qui a donné lieu à une analyse de la situation au Brésil, où les grandes villes sont accueillantes pour les homosexuels, du moins dans certains quartiers. Le commissaire peut avoir eu à l’esprit la possibilité de refuge intérieur, mais il a plutôt tranché l’affaire au regard de la protection de l’État.

 

[15]           L’affrontement dont fait état M. Aggi de Oliveira a eu lieu lorsque le commissaire lui a dit que ses chances d’obtenir protection s’étaient peut‑être envolées en ne retournant pas au poste de police une fois le jour venu. Le ton du commissaire n’était pas agressif. M. Aggi de Oliveira n’a pas été intimidé et a répondu sur le même ton. Le commissaire a le droit de contre‑interroger les personnes. La remarque était toutefois bien loin de constituer un contre‑interrogatoire : il s’agissait simplement d’une observation concernant la notion de la protection de l’État.

 

[16]           Il aurait été relativement facile pour le commissaire de cacher tout préjugé qu’il aurait pu avoir. Il a mentionné deux incidents, sans leur accorder beaucoup de poids. Le premier est le fait qu’après avoir été attaqué par les hommes cagoulés et avant même de signaler l’attaque à la police, le demandeur a rédigé et transmis un long courriel aux représentants canadiens dans lequel il les informait qu’il était en route vers le Canada. Le deuxième est le fait que le demandeur a noué une relation en ligne avec un ressortissant français et que les deux hommes ont convenu de se rencontrer à Vancouver, où ils se sont épousés par la suite. Ces incidents auraient pu permettre de remettre en cause la crainte subjective du demandeur, mais le commissaire a néanmoins pleinement accepté que cette crainte pouvait exister.

 

PROTECTION DE L’ÉTAT

 

[17]           M. Aggi de Oliveira a relaté plusieurs incidents qui se sont déroulés sur plusieurs années. Or, ces incidents, pris isolément ou ensemble, ne pourraient être considérés comme de la persécution, à l’exception de celui mettant en cause les hommes cagoulés. On ne saurait considérer que se faire dire par un serveur de ne pas embrasser son petit ami dans un restaurant brésilien constitue de la persécution, plus particulièrement lorsque la personne qui fait une telle affirmation n’a pas cherché à démontrer qu’un baiser passionné entre un homme et une femme aurait été acceptable.

 

[18]           M. Aggi de Oliveira émet des hypothèses sur la raison pour laquelle on lui a dit de revenir pendant le quart de travail de jour après qu’il eut été attaqué par les hommes cagoulés. Il se peut fort bien que cela ait simplement été en raison du très petit nombre de membres du personnel présents au poste. Quoi qu’il en soit, il n’était pas en mesure d’identifier ses agresseurs.

 

[19]           Le critère relatif à la protection de l’État est bien connu. Le fardeau incombe au demandeur et plus un pays est démocratique, plus nous devons présumer que la protection de l’État est vraisemblablement disponible. Le commissaire a estimé que la protection de l’État pour les homosexuels et les lesbiennes au Brésil était loin d’être parfaite. Mais, se fondant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca (1992), 18 Imm LR (2d) 130, [1992] ACF no 1189 (QL), le commissaire a conclu, après examen de la situation du pays, que la protection offerte était adéquate. Il s’agit du critère applicable. On ne peut exiger une protection parfaite.

 

[20]           Le Brésil est une démocratie. Ceux qui ont amené le demandeur à finalement quitter le Brésil n’étaient pas des représentants de l’État. Dans Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 382 NR 1, [2007] ACF no 584 (QL), après avoir renvoyé à Kadenko c Canada (Procureur général) (1996), 143 DLR (4th) 532, [1996] ACF no 1376 (QL) et à Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c Satiacum (1989), 99 NR 171 (CAF), [1989] ACF no 505 (QL), le juge Sexton, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a déclaré au paragraphe 57 :

Les arrêts Kadenko et Satiacum ensemble montrent que, dans le cas de démocraties bien établies, il incombe au demandeur de prouver qu’il a épuisé tous les recours dont il pouvait disposer et celui‑ci ne sera exempté de son obligation de solliciter la protection de son pays qu’en certaines circonstances exceptionnelles : Kadenko, à la page 534, Satiacum, à la page 176. Selon l’ensemble de ces précédents, le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile. Compte tenu du fait que les États‑Unis sont une démocratie ayant adopté un ensemble complet de mesures garantissant que les personnes s’objectant au service militaire font l’objet d’un traitement juste, je conclus que les appelants n’ont pas produit suffisamment de preuve pour satisfaire à ce critère exigeant. En conséquence, je conclus qu’il était objectivement déraisonnable pour les demandeurs de ne pas avoir pris de mesure tangible pour tenter d’obtenir la protection des États‑Unis avant de demander l’asile au Canada.

 

[21]           Il en est de même en l’espèce.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS,

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM‑10560‑12

 

Intitulé :                                                  AGGI DE OLIVEIRA c MSPPC et autre

 

 

 

Lieu de l’audience :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 29 avril 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

et ordonnance :                                  le juge HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 9 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Fritz C. Gaerdes

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jennifer Dagsvik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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