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Dossier : 20121015

Dossier : T-1801-10

Référence : 2012 CF 1204

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 15 octobre 2012

En présence de madame la protonotaire Milczynski

 

ENTRE :

 

BRITISH COLUMBIA LOTTERY CORPORATION

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

   MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Litige et résumé

[1]               La British Columbia Lottery Corporation (BCLC) est une société d’État de la Colombie‑Britannique qui a pour mandat de diriger, gérer et exploiter des activités de loterie, de casino, de jeu communautaire et de jeu électronique dans la Province de la Colombie-Britannique. La BCLC est régie par la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000 c. 17 (la Loi), qui prévoit certaines obligations relatives à la tenue de documents, à l’identification des clients et à la déclaration à l’égard des opérations financières.

 

[2]               Le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) est établi en vertu de la Loi en tant qu’organisme autonome qui recueille auprès des entités réglementées des renseignements utiles pour la détection, la prévention et la dissuasion en matière de recyclage des produits de la criminalité ou de financement des activités terroristes. Le CANAFE a le pouvoir d’effectuer des examens et des vérifications de la conformité susceptibles de l’aider pour obliger les entités réglementées à se conformer aux exigences de production et de divulgation, pour déterminer la conformité à la Loi et pour permettre l’application de celle-ci.

 

[3]               Le ou vers le 30 octobre 2009, le CANAFE a amorcé un examen de la conformité de la BCLC et exigé de l’entité qu’elle produise certains documents ...[épuré]

 

[4]               Le 29 janvier 2010, le CANAFE a remis à la BCLC un rapport de vérification qui informait l’entité de ce que le CANAFE considérait comme étant des lacunes dans les obligations de déclaration de la BCLC. La BCLC affirme qu’elle a pris des mesures à l’égard de chacune des catégories de violations, mais le CANAFE a émis un avis de violation le 15 juin 2010, alléguant que la BCLC était non conforme à la Loi à la suite de [épuré] lacunes présumées. Le CANAFE a aussi imposé à la BCLC une sanction pécuniaire s’élevant à 695 750,00 $.

 

[5]               La BCLC a demandé un réexamen de l’avis de violation et présenté des observations à cet égard au directeur du CANAFE le 30 juin 2010; elle a par la suite présenté des observations additionnelles le 3 août 2010.

 

[6]               Dans un avis de décision daté du 1er octobre 2010, le directeur du CANAFE a confirmé l’avis de violation par lequel il avait déclaré que la BCLC ne s’était pas conformée à la Loi et à ses règlements, de même que la sanction pécuniaire imposée à la BCLC. L’instance principale est l’appel, interjeté par la BCLC, de la décision du directeur du CANAFE.

 

[7]               La présente requête introduite par la BCLC vise à obtenir une ordonnance de confidentialité en vertu du paragraphe 73.21(4) de la Loi et de la règle 151 des Règles des cours fédérales, ainsi qu’une ordonnance pour préserver la confidentialité de l’audience. La règle 152 des Règles des cours fédérales est également citée.

 

[8]               Bien qu’elle soit large dans sa portée et son application et contraire aux principes des procédures publiques, je suis convaincue que l’ordonnance portant sur les documents et l’information placés sous scellés tels que cités et indiqués dans la Loi doit être accordée. La Loi est claire quant à la nature des renseignements qui doivent demeurer confidentiels et mis sous scellés afin de les soustraire à l’accès public, que la mesure soit prise par le CANAFE dans l’exécution de son mandat dans le cadre de la Loi ou par la Cour dans le cadre d’un appel interjeté par le directeur. Il ne s’agit ni de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour,  ni de l’application du critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club du Canada, [2002] 2 R.C.S. 522, ni de l’interprétation atténuée d’une disposition législative de manière à rendre la restriction la plus conforme possible à l’intérêt public par rapport aux principes des procédures publiques ou à la Charte canadienne des droits et libertés. Il s’agit d’une question d’application de la Loi qui, en l’absence de contestation constitutionnelle, doit être appliquée, même si, comme le reconnaissent les parties, une certaine portion de renseignements visés par le paragraphe 55(1) de la Loi pourrait ne pas répondre au critère de la confidentialité prévu à la règle 151 des Règles des cours fédérales.

 

[9]               Toutefois, je note que la portée de l’ordonnance de mise sous scellés demandée par la BCLC est trop large. La BCLC cherche à maintenir la confidentialité de chaque document et élément d’information, et mentionne les difficultés pratiques et les efforts à consentir pour retirer ou épurer les éléments assujettis à la Loi par rapport à ceux qui ne le sont pas. De telles considérations ne peuvent en aucun cas prendre le pas sur l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, comme lorsque la législation l’exige ou en application de la règle 151 (mettre en balance des considérations relatives à l’intérêt public, comme l’a abordé l’arrêt Sierra Club) que la Cour devrait accorder une ordonnance de confidentialité. Par voie de conséquence, eu égard à l’ordonnance qui sera prononcée, seuls les renseignements mentionnés dans la Loi seront visés par la requête de mise sous scellés. Ce sont là les paramètres de la requête, qui met particulièrement l’accent sur les quatre documents demandés par la Canadian Broadcasting Corporation/Société Radio Canada (la CBC). Dans la mesure où, au cours du présent appel, la protection de documents additionnels (exclus de l’application du paragraphe 55(1)) pourrait être demandée, la partie qui demandera la protection devra introduire une nouvelle requête, identifier précisément le ou les documents, et satisfaire aux exigences de la règle 151 des Règles des cours fédérales, y compris au critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sierra Club.

[10]           Pour ce qui est du déroulement de l’audience de l’appel et de la présence du public ou des médias, il est préférable de laisser le juge de l’appel décider s’il y a un motif sérieux de tenir la totalité ou une partie de l’audience à huis clos. Cette considération s’applique également à toute éventuelle procédure interlocutoire (requête ou conférence préparatoire) qui pourrait avoir lieu d’ici l’audition de l’appel, et qui sera traitée par le juge responsable de la gestion de l’instance ou, autrement, par la Cour.

 

[11]           À cet égard, à titre de question préliminaire sur cette requête, les parties ne s’y sont pas opposées, et la Cour a autorisé la CBC à comparaître à l’audition de cette requête. La participation de la CBC s’est bornée à la présentation d’observations orales et écrites sur la requête en confidentialité de la BCLC, sans possibilité d’interjeter appel et sans que la CBC soit assujettie à une ordonnance d’adjudication des dépens de cette requête ou en bénéficier. La CBC a confirmé que son principal intérêt quant à la divulgation concerne quatre documents : 1) le rapport de vérification rédigé à la suite de la prise de connaissance de l’information fournie par la BCLC en réponse à la mise en œuvre de la vérification de la conformité du 30 octobre 2009; 2) l’avis de violation; 3) la demande de réexamen de la BCLC; 4) l’avis de décision – tous ces documents constituent les pièces A, C, D, et E de l’affidavit de Terry Towns, assermenté le 2 mai 2012.

 

Lois en vigueur

[12]           (i)         Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes

Les dispositions pertinentes de la Loi aux fins de la présente requête sont les suivantes :

73.21 (1) S’agissant d’une violation grave ou très grave, il peut être interjeté appel à la Cour fédérale de la décision prise au titre des paragraphes 73.15(2) ou 73.19(2), selon le cas, dans les trente jours suivant la signification ou dans le délai supplémentaire que la Cour peut accorder.

 

73.21 (4) À l’occasion d’un appel, la Cour fédérale prend toutes les précautions possibles, notamment en ordonnant le huis clos si elle le juge indiqué, pour éviter que ne soient communiqués de par son propre fait ou celui de quiconque des renseignements visés au paragraphe 55(1).

 

73.22   Au terme de la procédure en violation, le Centre peut rendre publics la nature de la violation, le nom de son auteur et la pénalité imposée.

 

55(1)    Sous réserve du paragraphe (3), des articles 52, 55.1, 56.1 et 56.2, du paragraphe 58(1) et des articles 65 et 65.1 de la présente loi et du paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il est interdit au Centre de communiquer les renseignements :

 

                        a)         contenus dans une déclaration visée à l’article 7;

 

a.1)      contenus dans une déclaration visée à l’article 7.1;

 

b)         contenus dans une déclaration visée à l’article 9;

 

b.1)      contenus dans une déclaration visée à l’article 9.1;

 

b.2)      qui ont été fournis sous le régime des articles 11.12 à 11.3, à l’exclusion des renseignements identificateurs visés au paragraphe 54.1(3);

 

c)         contenus dans une déclaration – complète ou non –visée au paragraphe 12(1), ou un rapport visé à l’article 20;

 

d)         se rapportant à des soupçons de recyclage de produits de la criminalité ou de financement des activités terroristes qui lui sont transmis volontairement;

 

e)         préparés par le Centre à partir de renseignements visés aux alinéas a) à d);

 

f)          obtenus dans le cadre de l’administration et l’application de la présente partie, à l’exception de ceux qui sont accessibles au public.

 

[13]           Le renvoi au terme « la présente partie » dans l’alinéa 55(1)f) concerne la partie 3 de la Loi : « Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada », qui établit le CANAFE, et qui a pour objet de constituer un organisme autonome qui :

40b) recueille, analyse, évalue et communique des renseignements utiles pour la détection, la prévention et la dissuasion en matière de recyclage des produits de la criminalité ou de financement des activités terroristes;

                       

40e) procède à des contrôles d’application de la partie 1.

 

[14]           La partie 1 de la Loi s’intitule : « Tenue de documents, vérification d’identités, déclaration des opérations douteuses et inscription »; elle définit, à l’article 5, les entités, à l’instar de la BCLC, qui sont assujetties aux exigences de déclaration et d’inscription en vertu de la partie 1 de la Loi.

 

[15]           L’article 3 de la Loi établit l’objet de la Loi :

3. La présente loi a pour objet :

 

a)         de mettre en œuvre des mesures visant à détecter et décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à faciliter les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions de recyclage des produits de la criminalité et aux infractions de financement des activités terroristes, notamment :

 

(i)                 imposer des obligations de tenue de documents et d’identification des clients aux fournisseurs de services financiers et aux autres personnes ou entités qui se livrent à l’exploitation d’une entreprise ou à l’exercice d’une profession ou d’activités susceptibles d’être utilisées pour le recyclage des produits de la criminalité ou pour le financement des activités terroristes,

 

(ii)               établir un régime de déclaration obligatoire des opérations financières douteuses et des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets,

 

(iii)             constituer un organisme chargé de l’examen de renseignements, notamment ceux portés à son attention en application du sous-alinéa (ii);

 

b)         de combattre le crime organisé en fournissant aux responsables de l’application de la loi les renseignements leur permettant de priver les criminels du produit de leurs activités illicites, tout en assurant la mise en place des garanties nécessaires à la protection de la vie privée des personnes à l’égard des renseignements personnels les concernant;

 

c)         d’aider le Canada à remplir ses engagements internationaux dans la lutte contre le crime transnational, particulièrement le recyclage des produits de la criminalité, et la lutte contre les activités terroristes.

 

[16]           (ii)        Règles des Cours fédérales

            Les Règles des cours fédérales prévoient ce qui suit pour le maintien de la confidentialité des documents et des renseignements déposés auprès de la Cour :

151(1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

 

151(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

 

152(1)  Dans le cas où un document ou un élément matériel doit, en vertu d’une règle de droit, être considéré comme confidentiel ou dans le cas où la Cour ordonne de le considérer ainsi, la personne qui dépose le document ou l’élément matériel le fait séparément et désigne celui-ci clairement comme document ou élément matériel

confidentiel, avec mention de la règle de droit ou de l’ordonnance pertinente.

 

Analyse

[17]           Les renseignements visés par le paragraphe 55(1) de la Loi nécessitent un certain examen des diverses dispositions de la Loi, mais ils sont clairement définis, et ils sont exhaustifs pour ce qui est des renseignements que se transmettent la BCLC et le CANAFE. Dans la mesure où l’un ou l’autre de ces renseignements est déposé auprès de la Cour dans le cadre de l’appel interjeté à l’encontre de la décision du directeur de CANAFE, la BCLC fait observer que le paragraphe 73.21(4) de la Loi interdit expressément la divulgation de ces renseignements, que ce soit par le CANAFE ou par la Cour – sans autre considération ni examen de la nature des renseignements et des conséquences de leur mise à la disposition du public. Subsidiairement, la BCLC soutient que la Cour doit tenir compte des fins de la Loi, de la manière dont les renseignements en litige ont été obtenus et des fins de leur utilisation, de même que des politiques en matière de sécurité et d’application de la Loi, de sorte que si la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire, elle devrait conclure qu’il y a un intérêt public et que les renseignements doivent demeurer confidentiels.

 

[18]           La CBC fait observer que la divulgation n’est pas interdite clairement ou sans ambiguïté par la Loi, et qu’il serait inapproprié pour la Cour d’imposer une ordonnance de confidentialité sur la totalité des dossiers par simple renvoi aux articles 55 et 73.21 de la Loi et par l’application mécanique de ces articles. La CBC soutient que tous les renseignements que l’on veut protéger ne devraient pas être groupés ensemble, chaque document devant plutôt être examiné selon des principes solides pour déterminer s’il devrait demeurer confidentiel. Un tel examen devrait être conforme à l’intérêt public dans la publicité des débats judiciaires et avoir pour effet que seuls demeurent confidentiels les renseignements qui doivent le demeurer (nommément ceux qui satisfont à l’application du critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club). La CBC se dit préoccupée par la nature globalisante et exhaustive de l’ordonnance demandée par la BCLC, sans autre examen pour déterminer s’il est vraiment justifié de mettre les renseignements sous scellés. La CBC note aussi que le principe des procédures publiques et le droit à la liberté d’expression des médias sont des aspects fondamentaux des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, et qu’aucune décision qui empêcherait le public d’accéder au système de justice ne doit être prise à la légère.

 

[19]           La CBC fait valoir que la Cour doit d’abord se pencher sur le libellé de la Loi pour déterminer si l’intention du législateur est clairement d’interdire l’accès à la procédure et au matériel déposé. Comme il est indiqué dans l’arrêt Morguard Properties Ltd. c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S., aux pages 493 à 509 :

[...] pour porter atteinte aux droits d’un administré, que ce soit à titre de contribuable ou à un autre titre, les tribunaux exigent que le législateur le fasse de façon expresse. La diminution de ces droits peut ne pas avoir été législativement voulue ou même être accidentelle, mais les cours doivent trouver dans la loi des termes exprès pour conclure que ces droits ont été diminués. Ce principe d’interprétation s’impose et s’applique d’autant plus aujourd’hui que les législatures profitent de l’aide et des directives d’un conseil exécutif bien pourvu de personnel et ordinairement très averti. Les moyens disponibles pour rédiger et promulguer les lois sont tels qu’une cour doit être réticente à présumer l’oubli ou des intentions inarticulées lorsque les droits des administrés sont en cause.

 

[20]           La CBC soutient que l’obligation de non-divulgation du CANAFE à l’alinéa 55(1)f) de la Loi renvoie seulement à la partie 3 de la Loi et que, étant donné que les documents dont la CBC demande la divulgation ont trait à l’application de la partie 1, les dispositions du paragraphe 55(1) sur la non-divulgation ne s’appliquent pas aux dossiers demandés par la CBC (les dossiers ou documents tels que l’avis de violation étant identifiés et définis dans des parties de la Loi autres que la partie 3).

 

[21]           Cependant, ces observations ne tiennent pas compte du libellé clair et non ambigu du paragraphe 55(1) de la Loi, qui fait référence non pas à la non-divulgation d’un rapport ou d’un dossier précis, mais aux renseignements qui pourraient être contenus dans un document ou rapport parmi un certain nombre d’autres, ou qui touchent à l’application du mandat du CANAFE, lequel inclut nécessairement les contrôles d’application de la partie 1 (alinéa 40e)). De plus, l’alinéa 55(1)e) mentionne clairement et sans ambiguïté les renseignements préparés par  le CANAFE à partir de renseignements visés aux alinéas a) à d) du paragraphe 55(1) – lesquels sont des renseignements présentés par la BCLC conformément à ses obligations de déclaration prévues à la partie 1 de la Loi.

 

[22]           Les renseignements présentés que l’on cherche à protéger dans cette instance ont trait aux opérations financières visées par règlement que la BCLC déclare au CANAFE en conformité avec l’article 9 de la Loi, aux renseignements obtenus dans le cadre de l’administration et l’application de la partie 3 de la Loi, et aux renseignements préparés par le CANAFE à partir des renseignements mentionnés à l’alinéa 55(1)b) de la Loi. Il s’agit de renseignements concernant la manière dont la BCLC consigne, surveille ou traite de quelque autre façon les opérations financières dans lesquelles des activités de blanchiment d’argent et des activités terroristes sont susceptibles d’être décelées et signalées. Le législateur a voulu que la Loi protège les données recueillies par le CANAFE de même que les renseignements sur la façon dont le Centre assure le respect de la Loi – la Loi exige que l’intégralité des politiques et procédures du CANAFE relatives au respect et à l’application de la Loi soient protégées.

 

[23]           Qui plus est, l’article 73.22 de la Loi précise bien l’intention du législateur, à savoir que ce n’est qu’au terme de la procédure en violation que le CANAFE peut rendre publics la nature de la violation, le nom de son auteur et la pénalité imposée. Il serait peu logique que cette disposition fasse partie de la Loi si, par ailleurs, dans le déroulement de l’instance devant cette Cour, tous les renseignements touchant la violation étaient déjà divulgués.

 

[24]           En ce qui concerne le défendeur, le procureur général du Canada (le PG), le PG soutient aussi que l’ordonnance générale sollicitée par la BCLC est trop large et incompatible avec les principes des procédures publiques, et que le paragraphe 55(1) n’impose pas la non-publication automatique de tous les renseignements, pas plus qu’il ne justifie [traduction] « l’ordonnance de confidentialité absolue » demandée. Le PG fait valoir que le paragraphe 73.21(4) n’impose pas à la Cour l’obligation particulière d’ordonner la mise sous scellés des renseignements, et ajoute au paragraphe 22 de ses représentations écrites :

[traduction]

Le paragraphe 55(1) n’a jamais visé à soustraire un demandeur visé par la partie 4 aux obligations normales d’un justiciable devant la Cour. Si le législateur avait eu l’intention de prescrire une « interdiction large de la divulgation » des catégories de renseignements figurant au paragraphe 55(1), comme le demande avec instance la BCLC, il aurait fait en sorte que ce paragraphe soit applicable à tous et pas seulement au Centre.

 

[25]           Le PG soutient qu’il appartient à la Cour d’user de son pouvoir discrétionnaire concernant la manière d’empêcher la divulgation de renseignements et que celle-ci doit procéder à une analyse plus poussée afin de déterminer si la confidentialité est justifiée au sens du critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club, et savoir :

(i)       si elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

(ii)      si ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

 

[26]           Dans ses arguments verbaux, le PG soutient que la Cour pourrait, lorsqu’elle l’estime nécessaire, permettre la divulgation de certains documents visés par le paragraphe 55(1) de la Loi, à la suite de l’examen et de l’analyse de ces documents, appliquant par là le critère de l’arrêt Sierra Club et constatant qu’il n’est pas justifié de protéger ces documents. Il s’ensuivrait une décision et une divulgation subséquente, car pour ces documents, l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires ou la liberté d’expression l’emportent sur l’intérêt ou la nécessité de maintenir la confidentialité des renseignements.

 

[27]           Toutefois, comme je l’ai mentionné précédemment, en l’absence de contestation constitutionnelle des dispositions de non-divulgation de la Loi, rien ne justifie que la Cour se commette dans cet exercice d’analyse et de mise en balance. L’exercice ne peut avoir lieu que pour ces renseignements ou ces documents qui sont ne sont pas visés par le paragraphe 55(1) de la Loi, mais qui font l’objet d’une demande d’ordonnance de confidentialité. Cet exercice peut être nécessaire pour une nouvelle requête, mais pour ce qui est des quatre documents identifiés par la CBC aux fins de la publication (eu égard à la table de concordance recensant les renseignements contenus dans la Loi), et des autres documents visés par le paragraphe 73.21(4) de la Loi, l’obligation de non-divulgation est claire et non ambigüe. La Cour ne peut appliquer les considérations de la règle 151 à des documents [traduction] « moins importants » visés par le paragraphe 55(1) comme la Loi le prescrit, et dans la mesure où la CBC ou le PG invitent la Cour à appliquer les considérations fondées sur la Charte dans l’interprétation des dispositions sur la non-divulgation, cela constituerait une contestation constitutionnelle voilée, sans que les prescriptions pour une telle contestation soient respectées. Comme l’a noté la BCLC, la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), [1993] 1 C.F. 427 porte directement sur la question, alors que, justement, il y avait une dérogation expresse à un droit protégé :

89        L’avocat de Mme Calamai fait valoir qu’il ne conteste pas la constitutionnalité de l’article 14, qu’en fait ce dernier est valide, et qu’il est des cas où le refus de communication serait justifié. Il se trouve cependant que si l’article 14 habilite expressément le gouvernement à limiter un droit réputé protégé (accès aux documents de l’administration fédérale), la contestation doit porter sur la validité constitutionnelle, l’applicabilité ou l’effet de l’article 14. Ce qui signifie l’obligation de se conformer à l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

 

90                Essayant de tourner l’article 57, l’avocat de Mme Calamai soutient que l’article 14 doit être « interprété » par référence à l’alinéa 2b) de la Charte et que pareille démarche est différente de la contestation de la validité, de l’applicabilité ou de l’effet de cet article.

 

91                Bien qu’il y ait des cas où un argument touchant l’interprétation d’une loi ne remet pas en question sa validité, son applicabilité ou son effet, je ne peux conclure, à la lumière des arguments présentés, que tel est le cas en l’espèce. L’avocat de Mme Calamai soutient que les renseignements en cause contribuent aux « valeurs fondamentales », créant ainsi une présomption de droit d’accès, et que dans ce cas, l’exception prévue à l’article 14 est circonscrite par l’alinéa 2b) de la Charte. À supposer qu’il soit accueilli, je pense que cet argument aurait pour résultat de rendre inapplicable ou inopérante l’exception prévue à l’article 14 ou, à tout le moins, d’en limiter ou restreindre l’applicabilité ou l’effet lorsqu’il s’agit de documents relatifs aux valeurs fondamentales. S’il n’a pas pour résultat de limiter ou de restreindre l’applicabilité ou l’effet de l’exception, il ne servirait à rien d’« interpréter » l’article 14 par référence à la Charte.

 

 

92                En conséquence, voici les conclusions que je tire au sujet de la Charte :

[...] Faute de l’avis requis, qui pourra aboutir à l’audition d’autres arguments, je ne me prononcerai donc pas sur la contestation fondée en l’espèce sur la Charte.

 

[28]           Dans l’arrêt Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 66, la Cour suprême affirme que « lorsqu’une loi n’est pas ambiguë, les tribunaux doivent donner effet à l’intention claire exprimée par le législateur et éviter d’utiliser la Charte pour arriver à un résultat différent », et au paragraphe 62, elle écrit :

Les textes législatifs sont l’expression de la volonté du législateur. Ils complètent, modifient ou remplacent la common law. Plus précisément, lorsqu’une loi est en jeu dans une instance judiciaire, il incombe au tribunal (sauf contestation fondée sur des motifs d’ordre constitutionnel) de l’interpréter et de l’appliquer conformément à l’intention souveraine du législateur. À cet égard, bien qu’on affirme parfois qu’[traduction] « il convient que les tribunaux privilégient les interprétations tendant à favoriser les principes et les valeurs consacrés par la Charte plutôt que celles qui n’ont pas cet effet » [...] il importe de souligner le fait que, dans la mesure où notre Cour a reconnu un principe d’interprétation fondé sur le respect des « valeurs de la Charte », ce principe ne s’applique uniquement qu’en cas d’ambiguïté véritable, c’est-à-dire lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes, mais par ailleurs tout aussi plausibles l’une que l’autre. (Non souligné dans l’original.)

 

[29]           Pareillement, dans la présente instance, j’estime que les dispositions expresses de la Loi sur la non-divulgation régissant le traitement des renseignements désignés dans le cadre d’un appel devant cette Cour constituent une dérogation non ambigüe à l’égard de droits protégés (liberté d’expression, procédures publiques), pour lesquels toute contestation doit faire l’objet d’un avis de question constitutionnelle comme le prescrit l’article 75 de la Loi sur les cours fédérales. L’ordonnance de confidentialité doit être accordée pour des renseignements visés au paragraphe 55(1) de la Loi, même pour les renseignements désignés qui, autrement, n’auraient pu être protégés de la sorte en application de la règle 151 des Règles des cours fédérales et du critère de l’arrêt Sierra Club.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

1.                  Il est fait droit à la Canadian Broadcasting Corporation/Société Radio-Canada de présenter des observations orales et écrites sur la requête, sans droit d’appel et sans être assujettie à une ordonnance d’adjudication des dépens.

 

2.                  La requête en ordonnance de confidentialité est accordée en partie :

a)            Les renseignements et les documents visés par le paragraphe 55(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (renseignements confidentiels désignés) seront considérés comme confidentiels et conservés conformément à la règle 152 des Règles des cours fédérales.

b)            La confidentialité de l’audition d’une requête, d’une conférence préparatoire ou d’un appel, en tout ou en partie, demeurera à la discrétion du juge ou du protonotaire.

c)            Cette ordonnance est prononcée sous réserve de tout droit de l’une ou l’autre des parties qui dépose une requête en application de la règle 151 des Règles des cours fédérales eu égard aux documents ou aux renseignements qui ne sont pas visés par le paragraphe 55(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

d)            Lorsqu’il n’est pas raisonnablement pratique de séparer les renseignements confidentiels désignés des renseignements non confidentiels, les parties peuvent déposer un document entier ou un volume de celui-ci dans une enveloppe scellée, pourvu qu’une version publique du document ou du volume, dont les renseignements confidentiels ont été retirés ou épurés, soit aussi versée au dossier public.

 

3.                  Dans l’éventualité où les parties ne parviennent pas à une entente quant aux dépens de la présente requête, chaque partie peut déposer des observations écrites d’une longueur maximale de trois pages, dans les dix jours à compter de la date de la présente ordonnance.

 

                                                                                                            « Martha Milczynski »

Protonotaire

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1801-10

 

INTITULÉ :                                      BRITISH COLUMBIA LOTTERY CORPORATION c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             10 mai 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      La protonotaire Milczynski

 

DATE DE L’ORDONNANCE :     le 15 octobre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arthur Hamilton/Jason Beitchman

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Barney Brucker

Toronto (Ontario)

 

Sean Moreman

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

INTERVENANT

(représentant la CBC)

 

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cassels, Brock & Blackwell, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan,

sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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