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Date: 20130523

Dossier : T-1847-12

Référence : 2013 CF 536

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

L’ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

KENNETH YOUNG

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision datée du 11 septembre 2012, par laquelle un arbitre agissant en vertu des dispositions de l’article 248 (section XIV, partie III) du Code canadien du travail (le Code) enjoignait à l’Assemblée de Premières Nations d’indemniser M. Kenneth B. Young selon le taux de rémunération que celui‑ci devait toucher, déduction faite de toute indemnité de cessation d’emploi déjà versée, pour la période comprise entre le 25 septembre 2009 et le 31 mars 2010, comme s’il avait été congédié sans justification aux termes d’un contrat de travail exécutoire.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande avec dépens en faveur du défendeur, lesquels sont fixés à 5 000 $.

 

[3]               M. Young (le défendeur) a commencé à travailler pour la demanderesse, l’Assemblée des Premières Nations (l’APN) à titre de conseiller spécial aux termes d’une série de contrats. Un nouveau groupe de personnes est arrivé au pouvoir en 2009 au sein de l’APN et ils ont cherché à mettre fin à l’emploi de certaines personnes, y compris M. Young. L’APN avait rémunéré M. Young jusqu’au 25 septembre 2009 et elle avait adopté le point de vue selon lequel l’emploi de M. Young avait pris fin à ce moment‑là. Un arbitre agissant en vertu du Code a été saisi de cette affaire. L’arbitre a conclu, par une décision datée du 19 août 2011, qu’il n’avait pas compétence pour examiner la justesse de la décision de l’APN de rompre le lien d’emploi avec M. Young.

 

[4]               M. Young a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. L’affaire a été instruite par la juge Mactavish de la Cour, qui, par une décision datée du 16 mai 2012 (2012 CF 597) a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a renvoyé l’affaire au même arbitre pour qu’une nouvelle décision soit rendue en conformité avec ses motifs.

 

[5]               L’affaire a été entendue de nouveau par le même arbitre, qui a conclu, dans la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, que l’APN devait indemniser M. Young selon le taux de rémunération que celui‑ci devait toucher, déduction faite de toute indemnité pertinente déjà versée, pour la période comprise entre le 25 septembre 2009 et le 31 mars 2010.

 

[6]               La présente demande soulève essentiellement deux questions à trancher. La première est celle de savoir si l’arbitre avait compétence pour instruire et trancher l’affaire dans les circonstances de l’espèce. La deuxième est de savoir, dans l’éventualité où l’arbitre avait compétence, si l’indemnité est raisonnable.

 

[7]               En ce qui concerne le premier point litigieux, l’arbitre devait répondre à des questions de fait et à des questions de droit qui n’étaient pas inextricablement liées. En ce qui a trait aux conclusions de fait, la Cour doit juger si elles sont raisonnables. En ce qui concerne les questions de droit, la Cour doit examiner l’affaire selon la norme de la décision correcte, mais elle doit cependant garder à l’esprit l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Nor-Man Regional Health Authority Inc c Manitoba Association of Health Care Professionals, [2011] 3 RCS 616, 2011 CSC 59 (Nor‑Man), que j’examinerai ci-dessous.

 

[8]               Les motifs de l’arbitre qui sont visés par l’examen, soit ceux datés du 11 septembre 2012, doivent être lus conjointement avec les motifs délivrés antérieurement par le même arbitre, lesquels sont datés du 16 mai 2012, et avec les conclusions de la juge Mactavish dans sa décision. Je renvoie au paragraphe 24 à 28 de la décision de la juge Mactavish, dans laquelle elle résume la conclusion tirée par l’arbitre dans ses motifs datés du 16 mai ainsi que la question au sujet de laquelle il ne s’était pas prononcé :

 

24     Après avoir examiné tous les éléments de preuve dont il disposait, l’arbitre a conclu que le comité exécutif n’avait pas fait en sorte que M. Young soit un employé permanent de l’APN. Il a toutefois conclu également que, de fait, le comité exécutif avait décidé de prolonger le contrat de travail de M. Young jusqu’à la fin de l’exercice, soit le 31 mars 2010.

 

25     M. Young ne conteste pas la conclusion de l’arbitre selon laquelle il était en tout temps assujetti à des contrats de travail à durée déterminée. Il dit cependant que, comme l’arbitre a conclu que son contrat de travail avait été prolongé jusqu’au 31 mars 2010, il a commis une erreur en ne concluant pas qu’il avait été congédié injustement par suite de la cessation de son emploi le 25 septembre 2009.

 

26     Je suis d’accord avec M. Young quand il dit que l’arbitre a commis une erreur dans son analyse de la question préliminaire de savoir s’il avait effectivement été « congédié ».

 

27     Il ressort des paragraphes introductifs de ses motifs que l’arbitre a convenu que le contrat de M. Young avait expiré le 25 septembre 2009, quoique sa conclusion sur ce point soit loin d’être claire. L’arbitre a aussi conclu que, de fait, le contrat de travail de M. Young avait été prolongé jusqu’au 31 mars 2010 par le comité exécutif du conseil d’administration de l’APN lors de la réunion du 19 juillet 2009.

 

28     Ayant conclu que le comité exécutif avait décidé de prolonger le contrat de travail de M. Young jusqu’au 31 mars 2010, l’arbitre ne s’est jamais intéressé à l’effet de la résolution elle‑même sur les obligations de l’APN à l’égard de M. Young.

 

 

[9]               Les paragraphes 32 à 35 des motifs de la décision de la juge Mactavish exposent le fondement pour lequel elle a annulé la décision de l’arbitre et lui a renvoyé l’affaire pour nouvelle décision :

 

32     Je suis préoccupée également par la déclaration de l’arbitre selon laquelle il [traduction] « n’[avait] pas compétence pour examiner la justesse de la décision de l’employeur de rompre le lien d’emploi » parce que M. Young avait toujours été employé en vertu de contrats d’une durée déterminée.

 

33     Le processus d’arbitrage du Code canadien du travail n’est pas offert seulement aux employés permanents qui croient avoir été congédiés injustement. Les personnes employées en vertu de contrats à durée déterminée peuvent aussi s’en prévaloir, pourvu qu’elles remplissent les exigences prévues par le Code, notamment qu’elles travaillent sans interruption depuis au moins 12 mois pour le même employeur et qu’elles ne soient pas régies par une convention collective.

 

34     L’arbitre doit cependant, avant de déterminer si un congédiement est « injuste » en application de l’article 240 du Code, être convaincu qu’il y a effectivement eu un « congédiement » au sens de cette disposition. Comme je l’ai mentionné précédemment, il n’y aura pas de « congédiement » au regard d’une plainte visée à l’article 240 si un employeur ne renouvelle tout simplement pas un contrat à durée déterminée.

 

35     La question fondamentale que l’arbitre devait trancher était de savoir si M. Young avait été « congédié » ou si son contrat de travail avait expiré et n’avait pas été renouvelé. Pour répondre à cette question, l’arbitre devait tirer une conclusion en termes clairs et explicites quant au moment où le contrat de travail de M. Young devait expirer. Or, il ne l’a pas fait.

 

[10]           L’arbitre, qui a rendu une nouvelle décision concernant l’affaire, a résumé les conclusions qu’il avait tirées dans la première décision au deuxième paragraphe de ses motifs et il a ensuite exposé la question à laquelle il devait répondre au troisième paragraphe. Je reproduis ces paragraphes :

 

[traduction]

Le point litigieux concernant la sécurité d’emploi de M. Young et son lien d’emploi actuel est la portée que l’on doit donner à la résolution adoptée par le conseil d’administration sortant lors de sa réunion du 19 juillet 2009. Lors de cette réunion, M. Young et ses partisans ont insisté sur le fait que le contrat de M. Young avait été prolongé en temps opportun en un contrat d’emploi permanent d’une durée indéterminée et que, par conséquent, la cessation d’emploi, dont fait état la lettre datée du 15 septembre 2009, était injustifiée. Je ne souscrivais pas à cette conclusion, malgré la concession de l’employeur par laquelle il reconnaissait que la cessation d’emploi de M. Young n’était pas justifiée. J’ai conclu que je ne pouvais tout simplement rien faire à ce sujet. J’ai aussi conclu que le conseil d’administration avait adopté une résolution lors de la réunion du 19 juillet en vue de lui accorder une troisième prolongation depuis l’expiration de son dernier contrat d’un an, dont la date d’échéance avait été fixée à la fin de l’exercice de l’ATM, soit le 31 mars 2010. De plus, il semblerait que ni M. R. Jock, le chef de la direction par intérim, ni les autres membres de la direction, n’aient, à aucun moment, jugé bon de présenter à M. Young une offre d’emploi, conformément à la directive du conseil d’administration qui les autorisait à présenter cette offre, et ce, malgré le fait qu’ils avaient eu connaissance de la résolution du conseil d’administration dès le 28 juillet 2009. M. Jock n’avait pas non plus été convoqué à titre de témoin dans la présente instance relativement au rôle central qu’il avait joué, pour qu’il donne une explication quant à savoir pourquoi cette tâche administrative relativement simple n’avait pu être réalisée. Des prolongations similaires avaient été accordées à deux reprises auparavant sans qu’il n’y ait de controverse.

 

J’avais à tort l’impression que mon mandat avait pris fin dès lors que la question de la compétence avait été tranchée en défaveur de M. Young. Et il semble que la décision de la Cour fédérale ne change en rien la conclusion principale selon laquelle M. Young n’était pas un employé nommé pour une période indéterminée. Néanmoins, je persistais à être préoccupé par l’omission de l’employeur à mettre en œuvre la résolution du conseil d’administration « sortant » et par l’absence d’explications de M. Jock à propos de sa prétendue « inattention » à se conformer à la directive du Conseil d’administration. Par les présentes, et peut‑être de manière imprudente, je recommande que l’employeur indemnise M. Young pour cette injustice perçue. L’indemnisation couvre la période de prolongation théorique décrétée par le conseil d’administration.

 

[11]           L’arbitre a examiné la preuve, y compris la résolution adoptée par le conseil d’administration de l’APN le 19 juillet 2009, par laquelle l’emploi de M. Young était prolongé jusqu’au 31 mars 2010, ainsi que les lettres que M. Jock (le chef par intérim) avait envoyées à M. Young et dans lesquelles il mentionnait que son emploi était prolongé jusqu’au 28 août 2009 et jusqu’au 25 septembre 2009. Il appert que M. Jock avait connaissance de la résolution et qu’il choisit de ne pas en tenir compte. Nous ne savons pas quelles étaient ses motivations; il n’a jamais comparu comme témoin. L’arbitre a exposé, à la page 3 de ses motifs, ses conclusions quant à ces éléments de preuve :

 

[traduction]

Il ressort clairement de la preuve documentaire que M. Jock, en sa qualité de chef de la direction par intérim de l’APN, avait pleinement connaissance de la résolution du conseil d’administration datée du 19 juillet et de sa directive claire qui l’autorisait à conclure une troisième prolongation en ce qui a trait au contrat d’emploi de M. Young. Le 28 juillet 2009, M. Bob Watts, le chef de la direction sortant, l’avait avisé par courriel de la décision du conseil d’administration et de sa recommandation pour qu’elle soit immédiatement mise en œuvre.

 

[. . .]

 

            Plus important encore, M. Jock avait manifestement connaissance de la résolution du conseil d’administration et de sa recommandation lorsqu’il a rencontré M. Young avant le congédiement de ce dernier, le 15 septembre 2009. À ce moment‑là, M. Young, en se fondant sur sa croyance erronée, a mis au défi M. Jock de mettre en œuvre la directive du conseil d’administration qui faisait de lui un employé nommé pour une période indéterminée. M. Young a relaté dans son témoignage que M. Jock avait répondu en affirmant qu’il n’avait « pas de preuve écrite » de la résolution et qu’il avait par conséquent rejeté sa demande. M. Jock n’a pas corrigé l’information erronée de M. Young en lui disant que le conseil d’administration avait seulement autorisé une prolongation temporaire jusqu’à la fin de l’exercice financier. En fait, je suis en droit de tirer l’inférence selon laquelle M. Jock n’a rien dit dans l’intention délibérée de contrecarrer les intentions du conseil d’administration. Il aurait pu facilement, lors de cette rencontre, exécuter la tâche administrative de lui présenter une offre d’emploi, comme le conseil d’administration lui avait enjoint de faire. De plus, il ressort clairement de la preuve documentaire que, lors des deux occasions précédentes où M. Young s’était vu offrir une prolongation, il était prêt à les accepter. Le fait d’affirmer qu’il n’y avait pas de contrat d’emploi après le 25 septembre 2009, comme le prétend l’employeur, est donc un truisme.

 

            Il faut alors se poser la question à savoir si M. Jock a agi de bonne foi, alors qu’il avait pleinement connaissance des intentions du conseil d’administration et qu’il a, à dessein, transgressé sa directive relativement à la mise en œuvre de la résolution. En fait, on pourrait très bien tirer l’inférence selon laquelle M. Jock a fait preuve d’insubordination en ne suivant pas la directive du Conseil d’administration de procéder à la prolongation.

 

[12]           Il a conclu ainsi ses motifs à la page 6 :

 

[traduction]

Il convient aussi de se souvenir du témoignage de M. Phil Fontaine, dans lequel il a décrit les motifs qui l’avaient incité à entreprendre les démarches qui ont mené à la résolution du 19 juillet. Il prévoyait que, après son départ, M. Young « ne serait pas traité équitablement, de manière juste ou avec respect » relativement à sa sécurité d’emploi. Et à cet égard, la stratégie de l’employeur, qui a été décrite comme étant une tentative délibérée de contrecarrer la résolution du conseil d’administration, a démontré que la prédiction de M. Fontaine s’était concrétisée. Par conséquent, j’ai conclu, en me fondant sur l’ensemble du dossier de la présente instance (y compris de l’absence de M. Jock en tant que témoin), que, compte tenu des faits en l’espèce, une réparation doit être accordée.

 

J’ai par conséquent décidé, pour des motifs fondés en equity, que j’ai parfaitement le droit, en vertu de mes pouvoirs en matière de réparation, d’interdire et de défendre à l’employeur ou à ses préposés de nier l’existence d’un contrat d’emploi exécutoire, qui découle de la résolution du 19 juillet, alors que la bonne foi et la célérité auraient pu assurer son existence. Il n’est tout simplement pas loisible à l’employeur d’invoquer l’absence d’un contrat d’emploi exécutoire ayant pour effet de prolonger l’emploi de M. Young après le 25 septembre 2009, alors que des mesures délibérées avaient été prises en vue de contrecarrer toute possibilité que cette prolongation puisse se concrétiser. Dans la présente affaire, les efforts du conseil d’administration sortant (lesquels constituaient, à mon avis, une incarnation d’un compromis politique) afin d’agir de manière équitable et juste envers M. Young auront été validés.

 

Il s’ensuit qu’il est ordonné à l’employeur d’indemniser M. Young selon le taux de rémunération que celui‑ci devait toucher (déduction faite de toute indemnité de cessation d’emploi jusqu’ici versée) pour la période comprise entre le 25 septembre 2009 et le 31 mars 2010, comme s’il avait été congédié sans justification au titre d’un contrat de travail exécutoire. Toute ordonnance de réintégration serait théoriquement superflue. Je demeure saisi de l’affaire.

 

[13]           À la lecture de ces motifs, je juge que l’arbitre a conclu, malgré l’absence d’entente écrite entre les parties en vue de prolonger la durée de l’emploi de M. Young et les lettres trompeuses de M. Jock dans lesquelles il énonçait à tort que l’emploi de M. Young avait été prolongé seulement jusqu’au 25 septembre 2009, qu’il y avait une entente équitable entre l’APN et M. Young, entente au titre de laquelle l’emploi de M. Young serait prolongé jusqu’au 31 mars 2010, et que l’APN était dans une situation où elle ne pouvait pas nier que l’emploi de M. Young avait été prolongé jusqu’à cette date‑là.

 

[14]           Une situation similaire avait été portée devant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nor‑Man, précité; le juge Fish avait alors rédigé les motifs de l’arrêt unanime de cette Cour. Aux paragraphes 5 et 6, la Cour suprême du Canada a souligné que les arbitres en droit du travail ne sont pas tenus juridiquement d’appliquer les principes de common law et d’equity. Ces arbitres ont un large mandat, pourvu qu’ils agissent de manière raisonnable.

 

5     Les arbitres en droit du travail ne sont pas tenus juridiquement d’appliquer les principes de common law et d’equity, dont la préclusion, de la même manière que les tribunaux judiciaires.  Leur mission est différente, car elle tient compte du contexte particulier des relations du travail. 

 

6     Pour les aider à s’acquitter de cette mission, on a confié aux arbitres un large mandat qui leur permet d’adapter les principes juridiques qu’ils estiment pertinents aux griefs dont ils sont saisis.  Dans l’exécution de ce mandat, ils doivent bien entendu agir raisonnablement, en accord avec les buts et objectifs du régime législatif, les principes des relations du travail, la nature du processus de négociation collective et le fondement factuel du grief.

 

[15]           Dans la présente affaire, l’arbitre a conclu que, selon les principes d’equity, l’APN ne pouvait nier que le contrat de M. Young avait été prolongé jusqu’au 31 mars 2010. L’avocat de l’APN a prétendu devant moi que les lettres de M.  Jock mentionnaient que l’emploi avait été prolongé seulement jusqu’au 25 septembre 2009 et que, d’un point de vue juridique, il s’agissait du seul accord exécutoire. Par conséquent, l’arbitre n’avait pas compétence passé cette date‑là. Dans l’arrêt Nor-Man, le juge Fish explique pourquoi cet argument est mal fondé. Les conclusions de l’arbitre relativement à la « véritable » compétence selon les principes d’equity doivent être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 35 et 36 :

 

35     La décision d’un tribunal administratif est assujettie à la norme de la décision correcte si elle soulève une question constitutionnelle; une question de « droit générale “à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre” »; une « question touchant véritablement à la compétence »; ou une question portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents (Dunsmuir, par. 5861; Smith, par. 26; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77 (« Toronto (Ville) »), par. 62, le juge LeBel).

 

36     En revanche, la norme de la raisonnabilité l’emporte généralement lorsque la décision du tribunal administratif touche aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique; lorsque les faits et le droit s’entrelacent et ne peuvent être facilement dissociés; ou lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une « loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (Dunsmuir, par. 51 et 53‑54; Smith, par. 26).

 

[16]           Le juge Fish a écrit ce qui suit aux paragraphes 44 à 46 :

 

44     Certes, les doctrines de common law et d’equity émanent des tribunaux, mais il ne s’ensuit pas pour autant que les arbitres sont dépourvus du pouvoir légal ou de l’expertise nécessaires pour les adapter et les appliquer de façon plus judicieuse à l’arbitrage de différends et de griefs dans le contexte des relations du travail.

 

45     Au contraire, les arbitres en relations du travail, grâce à leurs larges mandats légal et contractuel — et à leur expertise —, ont tous les outils nécessaires pour adapter les doctrines de common law et d’equity qu’ils estiment pertinentes dans les limites de leur sphère circonscrite de créativité.  Ils peuvent à bon droit, à cette fin, élaborer des doctrines et concevoir des réparations adéquates dans leur domaine, en s’inspirant des principes juridiques généraux, des buts et objectifs du régime législatif, des principes des relations du travail, de la nature du processus de négociation collective et du fondement factuel des griefs dont ils sont saisis.

 

46     Cette latitude découle du large pouvoir conféré aux arbitres par les conventions collectives et les textes législatifs, comme la Loi qui s’applique dans le cas qui nous occupe.  Par exemple, l’art. 121 de la Loi précise que l’arbitre ou le conseil d’arbitrage tient compte non seulement de la convention collective, mais également « de la substance réelle de la question en litige entre les parties ». Il « n’est pas lié par une interprétation juridique stricte de la question en litige », et sa sentence « règle de façon définitive et péremptoire la question soumise à l’arbitrage ».

 

[17]           J’assimile la présente affaire à celle examinée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nor-Man.

 

[18]           Les parties conviennent que la compétence de l’arbitre ne s’étend pas aux employés qui perdent leur emploi par suite de l’expiration de leur contrat de travail. La juge MacTavish a mentionné ce qui suit au paragraphe 2 de la décision Stirbys c Assemblée des Premières nations, 2011 CF 42.

 

2     Le processus d’arbitrage du Code canadien du travail ne s’applique pas aux employés qui perdent leur emploi par suite de l’expiration de leur contrat de travail : voir Eskasoni School Board/Eskasoni Band Council c. MacIsaac, [1986] A.C.F. no 263 (C.A.F.).

 

[19]           Cependant, dans la présente affaire, l’arbitre a conclu, au vu des faits de l’espèce et selon une interprétation large des principes d’equity, que le contrat ne venait pas à échéance avant le 31 mars 2010. Il s’agit d’une conclusion de fait ayant pour effet d’étendre la compétence de l’arbitre au moins jusqu’au 31 mars 2010. Peu importe que l’on examine la décision de l’arbitre d’exercer sa compétence au regard de la norme de la décision correcte ou de celle de la raisonnabilité, la décision ne devrait pas être annulée.

 

[20]           Cela m’amène à la deuxième question en litige : l’indemnité était était‑elle raisonnable? Étant donné que l’arbitre avait compétence, les parties n’ont pas prétendu devant moi que l’indemnité n’était pas raisonnable. Dans tous les cas, je conclus que l’indemnité était raisonnable.

 

[21]           Pour conclure, je ne vois aucune raison d’annuler la décision rendue par l’arbitre le 11 septembre 2012. Le défendeur aura droit aux dépens. Après avoir entendu les observations formulées par les avocats, je fixe le montant des dépens à 5 000 $.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS :

LA COUR STATUE QUE :

 

 

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Le défendeur a droit au montant de 5 000 $ à titre de dépens, que la demanderesse lui versera.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Judge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 


 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1847-12

 

INTITULÉ :                                      L’ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS

                                                            c

                                                            KENNETH YOUNG

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Hughes

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 23 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Bruce Sevigny

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sidney Green, c.r.

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sevigny Westdal, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sidney Green, c.r.

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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